JUSTICE ET LIBERTE CHEZ ROUSSEAU

Historicitรฉ de la notion de justice

ย  ย La justice est une notion commune, cโ€™est-ร -dire nous croyons tous pouvoir donner notre opinion dโ€™un acte juste ou injuste. Pourtant, on observe une grande diversitรฉ des lois et des pratiques en matiรจre de justice. Et si on rรฉflรฉchit un peu, on dรฉcouvre vite des difficultรฉs et des contradictions dans notre intuition spontanรฉe de la justice. La notion de justice trouve sa source dans une pรฉriode qui se situe bien avant Rousseau. En effet elle fut et demeure lโ€™une des toutes premiรจres questions de la philosophie. Cโ€™est la raison pour laquelle Elisabeth Clรฉment dans sa collection souligne que ยซ la philosophie antique, depuis Platon, jusquโ€™aux stoรฏciens, a admis quโ€™il existe ร  lโ€™รฉchelle cosmique une justice naturelle cโ€™est-ร -dire un ordre et une harmonie naturels entre les รชtres et les choses ยป. Cela montre que la justice est lโ€™une des plus anciens requรชtes des hommes. Dans lโ€™antiquitรฉ, elle รฉtait considรฉrรฉe comme un retour ร  lโ€™ordre. Un ordre basรฉ sur une hiรฉrarchie naturelle entre les diffรฉrentes composantes de lโ€™univers. En outre, elle รฉtait traditionnellement comptรฉe parmi les vertus cardinales, la vertu la plus complรจte, cโ€™est-ร -dire la vertu par excellence. La vertu ici apparait en tant que disposition consistant ร  faire le bien qui concourt ร  la vie harmonieuse et ร  fuir le mal. A la question quโ€™est-ce que la justice ? les rรฉponses ne manquent pas et chacun sur cette question ร  son opinion. Par consรฉquent, toute opinion sur la justice doit au moins รชtre dรฉbattue. Cependant, accepter le dรฉbat, se placer sur le plan de la discussion, tel est au fond lโ€™essence de la philosophie. La dรฉfinition de la justice ne fait pas lโ€™unanimitรฉ parce que le contenu de ce concept est trรจs diffรฉrent suivant lโ€™opinion philosophique de chaque auteur. En effet, elle est un concept moral, fondamental prรฉsent dans toute conscience. Selon Moural et Millet, elle dรฉsigne ยซ le caractรจre des lois et conduites qui respectent rigoureusement le droit de chacun ยป. En dโ€™autres termes, elle est aussi ยซ une vertu de lโ€™homme qui sโ€™efforce de penser selon la vรฉritรฉ avec une loyautรฉ parfaite, et dโ€™agir non seulement conformรฉment aux lois et aux droits, mais ร  une exigence intรฉrieure qui lui rend sensible et clairvoyant ร  lโ€™รฉgard de chacun et de lโ€™ordre des chosesยป. Pour les anciens grecs, la justice รฉtait considรฉrรฉe comme une disposition fondamentale de lโ€™รขme vertueuse. Elle serait entendue au sens classique du terme, cette รฉgalitรฉ de proportion consistant ร  donner ร  chacun son dรป. La premiรจre forme de justice cโ€™est-ร -dire celle liรฉe au sentiment et ร  la vertu des hommes remonte ร  lโ€™antiquitรฉ Grecque. En effet, dans cette รฉpoque, elle dรฉsignait un idรฉal universel et en mรชme temps une vertu personnelle. Cette forme de justice avait pour vocation de maintenir lโ€™ordre, cโ€™est-ร -dire lโ€™harmonie entre les choses. En outre, elle cherchait par consรฉquent ร  procurer ร  lโ€™homme lโ€™ataraxie. Lโ€™homme juste รฉtait celui qui se laissait gouverner par sa raison, qui se conduisait avec mesure et ne se laissait pas entrainer par les passions. La justice dans lโ€™antiquitรฉ Grecque รฉtait considรฉrรฉe comme un retour ร  lโ€™ordre une rรฉparation. Un ordre guidรฉ non pas par les hommes mais par une force extรฉrieure organisant les diffรฉrentes composantes de la nature. La philosophie antique depuis Platon admettait quโ€™il existe dans lโ€™espace cosmique une justice naturelle cโ€™est-ร -dire un ordre et une harmonie naturels entre les รชtres et les choses. Cette forme de justice รฉtait considรฉrรฉe comme une vertu suprรชme, cโ€™est-ร -dire la vertu la plus absolue et la plus parfaite. Ceci montre que la justice correspond ร  lโ€™une des plus anciennes requรชtes des hommes selon la forme dโ€™organisation des sociรฉtรฉs ou ils vivent, et le rรฉgime politique auquel ils appartiennent. Il faut aussi reconnaitre quโ€™elle nโ€™est pas une vertu comme les autres, elle est en effet la vertu dans sa totalitรฉ. Car selon Jocelyne Saint-Arnaud, dans son article, Les dรฉfinitions aristotรฉliciennes de la justice : leurs rapports ร  la notion dโ€™รฉgalitรฉ, admet que : ยซ la justice est la plus parfaite des vertus ; elle garantit lโ€™ordre et lโ€™harmonie au sein de la citรฉยป. La Rรฉpublique est le dialogue que Platon a entiรจrement consacrรฉ ร  la question de la justice. Les interrogations quโ€™est-ce que la justice ? Quโ€™est-ce quโ€™un homme juste ? , trouvent leurs assises dans un contexte politique qui se prรฉoccupe sur les conditions auxquelles la citรฉ juste pourrait advenir. Platon souligne que la justice consiste ยซ ร  rendre ร  chacun le sien ยป. En effet, la justice consiste ร  ce que chaque individu dans la sociรฉtรฉ remplisse une fonction et une seule. En ses termes : ยซ On fait mieux et aisรฉment lorsque chacun ne fait quโ€™une chose, celle ร  laquelle il est propre, dans le temps, sans sโ€™occuper des autres. La nature nโ€™a prรฉcisรฉment donnรฉ ร  chacun de nous les mรชmes dispositions, mais elle a diffรฉrenciรฉe les caractรจres et fait de lโ€™un pour une chose et de lโ€™autre pour une autre ยป. Dans ce cas, selon Platon, si la sociรฉtรฉ nโ€™est pas organisรฉe de cette maniรจre, elle nโ€™est donc pas juste, cโ€™est plutรดt le rรจgne de lโ€™injustice qui consiste ร  lโ€™empiรจtement du bien et de la tรขche dโ€™autrui. En dโ€™autres termes, lโ€™homme ne peut รชtre juste que dans la mesure oรน il rรจgle ses rapports avec les autres selon la loi. Lโ€™homme juste cโ€™est celui qui agit avec justice, et qui possรจde รฉgalement la vertu de justice comme une seconde nature. Platon est si on peut dire, lโ€™un des penseurs par excellence de la justice. En effet dans le livre de la Rรฉpublique, il souligne que la justice cโ€™est la santรฉ de lโ€™รขme cโ€™est-ร -dire lโ€™harmonie qui rรจgne entre les diffรฉrentes parties de lโ€™รขme. Voici ses propos: Engendrer la santรฉ, cโ€™est รฉtablir entre les รฉlรฉments du corps une hiรฉrarchie qui les subordonne les uns aux autres conformรฉment ร  la nature ; au contraire engendrer la maladie, cโ€™est รฉtablir une hiรฉrarchie qui les subordonne les uns aux autres contrairement ร  lโ€™ordre naturel. – En effet – De mรชme, repris-je, engendrer la justice, cโ€™est รฉtablir entre les parties de lโ€™รขme une hiรฉrarchie qui les subordonne les unes aux autres conformรฉment ร  la nature ; au contraire engendrer lโ€™injustice, cโ€™est รฉtablir une hiรฉrarchie qui les subordonne les unes aux autres contrairement ร  lโ€™ordre naturel. Platon, dans ces lignes a tranchรฉ entre ce qui relรจve de la justice et ce qui ne lโ€™est pas. En effet pour lui tout ce qui corrompt lโ€™รขme, cโ€™est-ร -dire tout ce qui empรชche la hiรฉrarchie entre les diffรฉrentes parties de lโ€™รขme ne peut รชtre qualifiรฉ de juste. Il fait dans ce sens lโ€™รฉloge dโ€™un idรฉal de justice vers lequel on doit sโ€™efforcer de tendre sans quโ€™on puisse vraiment prรฉtendre lโ€™atteindre. Selon Jean-Franรงois Balaudรฉ, ยซ la recherche platonicienne sur la justice a toujours visรฉ lโ€™ordre. Mais au lieu de le penser sous la forme dโ€™un ensemble hiรฉrarchisรฉ, la classe des philosophes-gouvernants รฉtant placรฉe au sommet 10ยป. Cela dรฉmontre que la prรฉoccupation de Platon รฉtait le maintien de lโ€™ordre aussi bien chez lโ€™individu mais aussi dans la citรฉ. Lโ€™ordre ici est assimilรฉ ร  la justice dans sa totalitรฉ. A lโ€™image de la justice dans lโ€™รขme, Platon a aussi รฉvoquรฉ la question de la justice dans la citรฉ. En effet il a dโ€™ailleurs รฉtabli un parallรฉlisme entre la justice dans lโ€™รขme et celle de la citรฉ. Dans la mesure oรน, selon lui, la justice de celle-lร  engendre la justice de celle-ci. Autrement dit, la justice dans la citรฉe nโ€™est que le reflet de celle que lโ€™on retrouve dans lโ€™รขme. Par exemple si lโ€™รขme est juste la sociรฉtรฉ lโ€™est aussi ; mais si par contre lโ€™รขme nโ€™est pas juste la sociรฉtรฉ devient injuste. En ses termes : ยซ Un homme est juste de la mรชme maniรจre que lโ€™ร‰tat est juste ยป. Dans ce contexte, il montre lโ€™identitรฉ qui existe entre la justice chez lโ€™homme et celle de la citรฉ. Celle-ci est composรฉe de trois classes, ร  savoir : les philosophes, les gardiens, les artisans. La premiรจre doit commander, la seconde et la troisiรจme doivent obรฉir. La justice consiste ainsi en ce que chaque classe occupe la place qui lui revient. Ainsi, Dans la Rรฉpublique. Au livre IV, il parvient ร  la dรฉfinition suivante de la justice : ยซ chacun ne doit sโ€™occuper dans la citรฉ que dโ€™une seule tรขche, celle pour laquelle il est le mieux douรฉ par la nature ยป. La justice consiste donc, pour une citรฉ, ร  รชtre structurรฉe selon un ordre ร  la fois naturel et rationnel. Il en va exactement de mรชme pour lโ€™individu car pour Platon, lโ€™homme juste est celui dont chaque facultรฉ de lโ€™รขme occupe sa fonction propre. La justice en dโ€™autres termes, consiste alors ร  respecter lโ€™ordre en donnant ร  chacun la place qui lui revient dans la citรฉ.

Lโ€™รฉvolution du concept

ย  ย  La conception traditionnelle de la justice sera remise en question voire dรฉpassรฉe par les penseurs de la pรฉriode du XVIIรจme siรจcle. Dans cette pรฉriode, la question de la justice nโ€™est plus envisagรฉ en tant que donnรฉ naturel, en tant que vertu par excellence, mais plutรดt une convention, cโ€™est-ร -dire une rรฉalitรฉ ร  construire. Ainsi on dรฉduit de ce qui prรฉcรจde quโ€™il y a un changement de perspective du point de vue de la conception de la justice. La justice divine รฉtant inaccessible ร  lโ€™homme, incapable de saisir totalement cette justice, les philosophes de lโ€™รฉpoque des Lumiรจres, nous invitent ร  tourner notre regard sur la justice humaine. En effet, ce qui รฉtait au dรฉpart attribuรฉ ร  la nature sera dรฉsormais lรฉguรฉ ร  lโ€™homme. Cโ€™est dโ€™ailleurs, ce quโ€™Alain nous apprend, quand il affirme : ยซ la justice nโ€™est pas une donnรฉe, elle est ร  construireยป Autrement dit elle ne rรฉsume pas la vertu dans son intรฉgralitรฉ, elle est toutefois un processus qui rรฉsulte dโ€™une convention. La conception traditionnelle de la justice (celle des Grecs et de la religion chrรฉtienne) est particuliรจrement diffรฉrente de celle qui existe dans les sociรฉtรฉs contemporaines. Dans la mesure oรน, de nos jours, elle nโ€™est plus considรฉrรฉe comme un principe รฉmanant dโ€™un ordre naturel et rationnel de la sociรฉtรฉ et, ou de lโ€™individu, cโ€™est-ร -dire comme respect dโ€™une inรฉgalitรฉ justifiรฉe par une hiรฉrarchie naturelle ou thรฉologique, mais en tant quโ€™institution. En tant institution, elle est aussi un mode dโ€™organisation de la vie collective conforme ร  un ensemble de principes propres ร  une sociรฉtรฉ politique donnรฉe. En dโ€™autres termes, la justice dans le milieu politique cherche ร  rรฉguler et ร  pacifier les relations entre les citoyens. Dans la terminologie de Rousseau, elle vise lโ€™รฉgalitรฉ de tous les hommes en droit. Cโ€™est tout le sens des propos de Polin, dans son ouvrage, la Politique de la solitude, ยซ la justice concerne prรฉcisรฉment cette sorte dโ€™รฉgalitรฉ cโ€™est-ร -dire lโ€™รฉgalitรฉ dans le droit ยป. La justice peut aussi avoir un sens juridique cโ€™est-ร -dire en tant quโ€™institution. En effet, par son รฉtymologie, elle est de prime abord la dรฉcision dโ€™un juge, qui prononce selon le droit. Cela dans la mesure ou le terme justice vient du latin jus qui veut dire ยซ droit ยป ou judicaire cโ€™est-ร -dire ยซ dire le droit ยป. Dโ€™une maniรจre gรฉnรฉrale, elle dรฉsigne alors lโ€™institution dont la fonction est dโ€™appliquer les lois รฉtablies. La justice en tant quโ€™institution a pour finalitรฉ de dire le droit mais aussi de corriger lโ€™injustice commise et de rรฉparer un dommage subi. Dans ce sens on considรจre plutรดt la justice comme lโ€™institution qui juge des crimes mais รฉgalement qui rรจgle des conflits entre les citoyens selon la loi en vigueur. Cela montre en principe quโ€™elle a pour vocation le respect de la loi et la punition ร  celui qui sโ€™y oppose. Ainsi, en tant quโ€™institution, elle a pour mission essentielle dโ€™appliquer les rรจgles de droit, de veiller ร  la sรฉcuritรฉ et ร  la protection des citoyens du point de vue de leur libertรฉ ainsi que de leur bien-รชtre. Sur ce, elle est cet ordre social judiciaire et politique qui impose des contraintes ร  lโ€™exercice de la libertรฉ individuelle. Elle permet dโ€™รฉtablir ou de maintenir lโ€™รฉquilibre des relations sociales. Dans la perspective de Rawls, elle dรฉsigne ยซ la premiรจre vertu des institutions sociales comme la vรฉritรฉ est celle des systรจmes de pensรฉe ยป. La justice dans ce sens, est une vertu รฉminemment politique, elle est en effet, un principe cardinal de lโ€™ordre politique. Des lors, pour รชtre libre, on doit obรฉir aux exigences de la justice. En effet, aucune sociรฉtรฉ ne peut รชtre stable sans la justice, parce que cโ€™est elle qui rรฉglemente les rapports sociaux et permet aux citoyens de mener harmonieusement leur vie en communautรฉ. Cโ€™est ร  cet effet, que Rawls รฉcrit ceci : ยซ une sociรฉtรฉ ne peut se prรฉtendre ordonnรฉe que lorsquโ€™elle nโ€™est pas seulement conรงue pour favoriser le bien de ses membres, mais lorsquโ€™elle est dรฉterminรฉe par une conception publique de la justice ยป. Celle-ci permet de maintenir lโ€™รฉquilibre entre les diffรฉrentes composantes de la communautรฉ, mais aussi de veiller surtout sur lโ€™application de la loi dans la sociรฉtรฉ. Toutefois, malgrรฉ les inรฉgalitรฉs de faits, les hommes ont droit ร  une รฉgale reconnaissance de leur libertรฉ et de leur dignitรฉ humaine. Cโ€™est dโ€™ailleurs, ce que Rousseau montre dans le Contrat social, pour lui, un rรฉgime politique nโ€™est juste et lรฉgitime que sโ€™il garantit ร  ses citoyens le respect de ce qui fonde la dignitรฉ humaine, ร  savoir la libertรฉ. Ainsi, elle est le respect et la dรฉfense des droits de lโ€™homme et des contrats passรฉs librement entre les hommes, y compris le contrat social tacite par lequel une institution politique est reconnue et obรฉie dans la mesure oรน elle garantit, en รฉchange, la satisfaction des intรฉrรชts et aspirations de ses membres. Rousseau constate trois sortes dโ€™inรฉgalitรฉs dans la sociรฉtรฉ civile entre les hommes : la richesse, la noblesse et la puissance. Toutefois, pour gommer ces inรฉgalitรฉs, ou bien pour maintenir lโ€™รฉquilibre social entre les hommes, lโ€™institution des rรจgles de justice devient donc nรฉcessaire dans la sociรฉtรฉ politique. En dโ€™autres termes, lโ€™รฉtat civil est rendu nรฉcessaire par lโ€™insรฉcuritรฉ et lโ€™injustice que traversent les hommes dans cet รฉtat. Des lors, la justice permet dans ce sens de garantir la sรฉcuritรฉ, de protรฉger les libertรฉs de chaque citoyens mais รฉgalement de prรฉserver la propriรฉtรฉ de chacun. La justice occupe aussi une position particuliรจre dans le systรจme politique de Rousseau. Mรชme sโ€™il nโ€™a pas รฉcrit de traitรฉ sur la justice dans son projet politique, on sent pertinemment son intention ร  vouloir dรฉfendre la justice au sein de la communautรฉ des hommes. Cโ€™est dans ce sens, Polin dans son ouvrage en parlant de la philosophie de Rousseau, รฉcrit ceci : ยซ faute de pouvoir รชtre effectivement une philosophie du bonheur, la philosophie de Rousseau est, de faรงon primordiale, une philosophie de la justice. Avec le bonheur, faute de bonheur, la justice est la fin suprรชme. Avec le bonheur, la justice est, pour Rousseau, la prรฉoccupation la plus constante, le souci sous-jacent ร  toute ses rรฉflexionsยป La justice est une vertu de lโ€™homme en sociรฉtรฉ, en effet, elle nโ€™a de sens que dans la sociรฉtรฉ politique. Celui-ci est lโ€™รฉtat dans lequel lโ€™homme acquiรจre une dimension intellectuelle qui lui permet de vivre convenablement avec ses semblables par lโ€™entremise dโ€™un contrat. Toutefois, pour Rousseau cโ€™est seulement dans le milieu politique, dans la sociรฉtรฉ civile, que la justice trouve de maniรจre concrรจte son efficacitรฉ. Ainsi lโ€™homme ne peut sโ€™adapter ร  la vie sociale sans faire appel ร  sa raison au lieu de se faire guider uniquement par lโ€™instinct, sans sโ€™imposer de suivre les maximes de la justice raisonnรฉe, ร  savoir la justice civile.

Justice et libertรฉ dans lโ€™รฉtat originel

ย  ย Lโ€™ร‰tat de nature a รฉtรฉ une formule employรฉe en philosophie politique par dโ€™รฉminents philosophes des Lumiรจres tels Thomas Hobbes, John Locke et Jean-Jacques Rousseau. Cet รฉtat est une reprรฉsentation, que se font ces philosophes, de lโ€™รชtre humain prรฉcรฉdant la sociรฉtรฉ ou en des termes plus contemporains, lโ€™ร‰tat. Ces trois auteurs ont tentรฉ chacun dโ€™exposer lโ€™homme tel quโ€™il รฉtait avant lโ€™avรจnement de la vie sociale. Dans cette logique, ces penseurs ont aussi essayรฉ de retracer comment le passage ร  lโ€™ร‰tat sโ€™est manifestรฉ, ou en dโ€™autres mots, comment lโ€™homme a-t-il rรฉussi ร  se socialiser tout en laissant derriรจre lui, un รฉtat animal et sans artifice. Rousseau lโ€™a mรชme citรฉ dans le Second discours : ยซ les philosophes, qui ont examinรฉ les fondements de la sociรฉtรฉ, ont tous senti la nรฉcessitรฉ de remonter jusquโ€™ร  lโ€™รฉtat de nature ยป Lโ€™รฉtat originel nโ€™a pas reรงu des contenus semblables. En effet, chaque thรฉoricien lui a attribuรฉ une connotation en fonction de la fin recherchรฉe dans la sociรฉtรฉ. Il est considรฉrรฉ pour certains comme un รฉtat ou il y a absence totale de rรจgles. Autrement dit, un รฉtat dans lequel, les hommes possรฉdaient des droits naturels (droit de se nourrir, droit de se protรฉgerโ€ฆ) et une libertรฉ naturelle caractรฉrisรฉe par une absence de contraintes. Et pour dโ€™autres comme un รฉtat hostile et contraignant. Toutefois, les thรฉoriciens du contrat ร  savoir, Hobbes, Locke et Rousseau ont tous รฉlaborรฉ une conception anthropologique pour comprendre les conditions dโ€™existences de lโ€™homme naturel ainsi que son mode dโ€™รฉvolution dans la sociรฉtรฉ originelle. Lโ€™รฉtat de nature est donc une hypothรจse dans la perspective de Rousseau. Un รฉtat hypothรฉtique dans lequel lโ€™homme vivait conformรฉment ร  sa nature premiรจre et authentique. Pour le citoyen de Genรจve : Quelque important quโ€™il soit, pour bien juger de lโ€™รฉtat de nature de lโ€™homme, de le considรฉrer dรจs son origine et de lโ€™examiner, pour ainsi dire, dans le premier embryon de lโ€™espรจce, je ne suivrai point son organisation ร  travers ses dรฉveloppement successif : je ne mโ€™arrรชterai pas ร  rechercher dans le systรจme animal ce quโ€™il est. Je nโ€™examinerai pas si, comme le pense Aristote, ses ongles allongรฉs ne furent point dโ€™abord des griffes crochues; sโ€™il nโ€™รฉtait point velu comme un ours et sโ€™il marchait ร  quatre pieds, ses regards dirigรฉs vers la terre et bornรฉs ร  un horizon de quelques pas, ne marquaient point ร  la fois le caractรจre et les limites de ses idรฉes. Je ne pourrai former sur ce sujet que des conjectures vagues et presquโ€™imaginaires. Dans ce sens il faut reconnaitre que cet รฉtat nโ€™est pas une rรฉalitรฉ historique mais un outil de rรฉflexion. Pour Rousseau, lโ€™รฉtat de nature nโ€™est ni le produit dโ€™une recherche des origines de lโ€™humanitรฉ ni le produit de lโ€™imagination mais un modรจle ร  la fois thรฉorique et hypothรฉtique obtenu par lโ€™analyse de lโ€™รฉtat actuel ce qui, chez les hommes, appartient ร  leur nature propre et ce quโ€™ils ont acquis par la socialisation. Pour lui, lโ€™รฉtat originel nโ€™est ni le produit dโ€™une recherche des origines de lโ€™humanitรฉ ni le fruit de lโ€™imagination mais un modรจle thรฉorique, cโ€™est-ร -dire une hypothรจse de recherche pour comprendre la construction de la vie sociale. Donc pour dire en fin de compte le produit de cette analyse ร  savoir lโ€™homme ร  lโ€™รฉtat de nature nโ€™est pas une rรฉalitรฉ mais une abstraction. Par consรฉquent, cโ€™est un รฉtat neutre dans lequel lโ€™homme, sans รชtre encore perfectionnรฉ nโ€™est pas encore perverti. Autrement dit, cโ€™est un รฉtat sans impรฉratif moral ni loi encore moins sans justice institutionnalisรฉe. Dans lโ€™รฉtat de nature de Rousseau, le problรจme de la justice ne se posait mรชme pas, car lโ€™homme, ร  lโ€™รฉtat originel vivait dans le bonheur, dans une indรฉpendance totale, et sans contraintes qui puissent enfreindre sa libertรฉ. Lโ€™รฉtat de nature au sens rousseauiste est lโ€™รฉtat dans lequel les hommes ne sont soumis ร  aucune autoritรฉ politique. Comme le souligne Derathรฉ : ยซ lโ€™รฉtat de nature est celui dans lequel se trouve les hommes avant lโ€™institution des sociรฉtรฉs civilesยป. Il sโ€™agit selon lโ€™auteur dโ€™un รฉtat non historique et non chronologique, mais qui aurait prรฉexistรฉ ร  toute sociรฉtรฉ organisรฉe. Au dรฉbut de lโ€™รฉtat de nature, lโ€™homme ignorait tout ce qui est relatif ร  la violence, ร  lโ€™injustice. ร€ lโ€™รฉtat sauvage, la justice existait, mais celle-ci รฉtait synonyme de justice naturelle que lโ€™homme ignorait. Cโ€™est pour cette raison, Raymond Polin dans son ouvrage la Politique de la solitude affirme que ยซ lโ€™existence naturelle de lโ€™homme est tout entiรจrement pรฉnรฉtrรฉe de justice, mais il nโ€™y pense jamais 38ยป. Pour Rousseau, ร  lโ€™รฉtat primitif, la justice nโ€™รฉtait pas connue du tout par lโ€™homme. En effet, il nโ€™avait aucune idรฉe de ce qui peut รชtre juste ou injuste. En dโ€™autres termes, ร  lโ€™รฉtat de nature la justice existait, mais lโ€™homme nโ€™avait pas la moindre notion, ni aucun sentiment de lโ€™existence de cette justice. Dans le Discours sur lโ€™origine et les inรฉgalitรฉs parmi les hommes, Rousseau explique dans un passage que : ยซ dans lโ€™รฉtat de nature, lโ€™homme nโ€™avait pas de connaissance sur ce qui est la vertu, quโ€™il nโ€™avait pas la moindre notion de ce qui lui revient ou de ce qui revient ร  autrui ยป, cโ€™est-ร -dire, a cette pรฉriode, lโ€™homme nโ€™avait aucune notion des rรฉalitรฉs et des valeurs humaines, ni ยซ aucune vรฉritable idรฉe de la justice 40ยป. Nรฉanmoins Rousseau, dans lโ€™Emile montre en effet que ce sentiment de justice รฉvolue en fonction des stades du dรฉveloppement humain. Car selon lโ€™auteur, le sentiment de justice รฉtait auparavant un sentiment innรฉ ร  lโ€™homme originel. Rousseau dans sa thรฉorie de lโ€™รฉtat nature, compare lโ€™homme ร  un animal stupide et bornรฉ. Car selon lui, la seule chose qui distinguait lโ€™homme de lโ€™animal dans cette sphรจre originelle, cโ€™est la perfectibilitรฉ, cette facultรฉ latente en puissance. Toutefois Rousseau ne reconnait que deux sentiments naturels chez lโ€™homme : lโ€™amour de soi qui consiste ร  tout faire pour se conserver soi-mรชme et la pitiรฉ qui porte lโ€™homme ร  compatir aux souffrances dโ€™autrui.

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Table des matiรจres

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : JUSTICE ET LIBERTE : DE LA CONCEPTION A Lโ€™APPLICATION
1. Historicitรฉ de la notion de justice
2. Lโ€™รฉvolution du concept
3. Lโ€™apologie de la libertรฉ chez Rousseau
CHAPITRE II : DIAGNOSTIC DES RAPPORTS ENTRE LA JUSTICE
ET LA LIBERTE CHEZ ROUSSEAU
1. Justice et libertรฉ dans lโ€™รฉtat originel
2. Genรจse de la propriรฉtรฉ : fin de lโ€™รฉtat dโ€™indรฉpendance
3. genรจse de la sociรฉtรฉ civile et des premiรจres lois
CHAPITRE III : LES FONDEMENTS DE LA JUSTICE DANS LA PENSEE POLITIQUE DE J-J. ROUSSEAU
1. Le pacte social, cause efficiente de la justice et de libertรฉ
2. la loi civile une condition ร  la justice et de la libertรฉ
3. souverainetรฉ et dรฉmocratie dans lโ€™organisation sociale
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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