Historicitรฉ de la notion de justice
ย ย La justice est une notion commune, cโest-ร -dire nous croyons tous pouvoir donner notre opinion dโun acte juste ou injuste. Pourtant, on observe une grande diversitรฉ des lois et des pratiques en matiรจre de justice. Et si on rรฉflรฉchit un peu, on dรฉcouvre vite des difficultรฉs et des contradictions dans notre intuition spontanรฉe de la justice. La notion de justice trouve sa source dans une pรฉriode qui se situe bien avant Rousseau. En effet elle fut et demeure lโune des toutes premiรจres questions de la philosophie. Cโest la raison pour laquelle Elisabeth Clรฉment dans sa collection souligne que ยซ la philosophie antique, depuis Platon, jusquโaux stoรฏciens, a admis quโil existe ร lโรฉchelle cosmique une justice naturelle cโest-ร -dire un ordre et une harmonie naturels entre les รชtres et les choses ยป. Cela montre que la justice est lโune des plus anciens requรชtes des hommes. Dans lโantiquitรฉ, elle รฉtait considรฉrรฉe comme un retour ร lโordre. Un ordre basรฉ sur une hiรฉrarchie naturelle entre les diffรฉrentes composantes de lโunivers. En outre, elle รฉtait traditionnellement comptรฉe parmi les vertus cardinales, la vertu la plus complรจte, cโest-ร -dire la vertu par excellence. La vertu ici apparait en tant que disposition consistant ร faire le bien qui concourt ร la vie harmonieuse et ร fuir le mal. A la question quโest-ce que la justice ? les rรฉponses ne manquent pas et chacun sur cette question ร son opinion. Par consรฉquent, toute opinion sur la justice doit au moins รชtre dรฉbattue. Cependant, accepter le dรฉbat, se placer sur le plan de la discussion, tel est au fond lโessence de la philosophie. La dรฉfinition de la justice ne fait pas lโunanimitรฉ parce que le contenu de ce concept est trรจs diffรฉrent suivant lโopinion philosophique de chaque auteur. En effet, elle est un concept moral, fondamental prรฉsent dans toute conscience. Selon Moural et Millet, elle dรฉsigne ยซ le caractรจre des lois et conduites qui respectent rigoureusement le droit de chacun ยป. En dโautres termes, elle est aussi ยซ une vertu de lโhomme qui sโefforce de penser selon la vรฉritรฉ avec une loyautรฉ parfaite, et dโagir non seulement conformรฉment aux lois et aux droits, mais ร une exigence intรฉrieure qui lui rend sensible et clairvoyant ร lโรฉgard de chacun et de lโordre des chosesยป. Pour les anciens grecs, la justice รฉtait considรฉrรฉe comme une disposition fondamentale de lโรขme vertueuse. Elle serait entendue au sens classique du terme, cette รฉgalitรฉ de proportion consistant ร donner ร chacun son dรป. La premiรจre forme de justice cโest-ร -dire celle liรฉe au sentiment et ร la vertu des hommes remonte ร lโantiquitรฉ Grecque. En effet, dans cette รฉpoque, elle dรฉsignait un idรฉal universel et en mรชme temps une vertu personnelle. Cette forme de justice avait pour vocation de maintenir lโordre, cโest-ร -dire lโharmonie entre les choses. En outre, elle cherchait par consรฉquent ร procurer ร lโhomme lโataraxie. Lโhomme juste รฉtait celui qui se laissait gouverner par sa raison, qui se conduisait avec mesure et ne se laissait pas entrainer par les passions. La justice dans lโantiquitรฉ Grecque รฉtait considรฉrรฉe comme un retour ร lโordre une rรฉparation. Un ordre guidรฉ non pas par les hommes mais par une force extรฉrieure organisant les diffรฉrentes composantes de la nature. La philosophie antique depuis Platon admettait quโil existe dans lโespace cosmique une justice naturelle cโest-ร -dire un ordre et une harmonie naturels entre les รชtres et les choses. Cette forme de justice รฉtait considรฉrรฉe comme une vertu suprรชme, cโest-ร -dire la vertu la plus absolue et la plus parfaite. Ceci montre que la justice correspond ร lโune des plus anciennes requรชtes des hommes selon la forme dโorganisation des sociรฉtรฉs ou ils vivent, et le rรฉgime politique auquel ils appartiennent. Il faut aussi reconnaitre quโelle nโest pas une vertu comme les autres, elle est en effet la vertu dans sa totalitรฉ. Car selon Jocelyne Saint-Arnaud, dans son article, Les dรฉfinitions aristotรฉliciennes de la justice : leurs rapports ร la notion dโรฉgalitรฉ, admet que : ยซ la justice est la plus parfaite des vertus ; elle garantit lโordre et lโharmonie au sein de la citรฉยป. La Rรฉpublique est le dialogue que Platon a entiรจrement consacrรฉ ร la question de la justice. Les interrogations quโest-ce que la justice ? Quโest-ce quโun homme juste ? , trouvent leurs assises dans un contexte politique qui se prรฉoccupe sur les conditions auxquelles la citรฉ juste pourrait advenir. Platon souligne que la justice consiste ยซ ร rendre ร chacun le sien ยป. En effet, la justice consiste ร ce que chaque individu dans la sociรฉtรฉ remplisse une fonction et une seule. En ses termes : ยซ On fait mieux et aisรฉment lorsque chacun ne fait quโune chose, celle ร laquelle il est propre, dans le temps, sans sโoccuper des autres. La nature nโa prรฉcisรฉment donnรฉ ร chacun de nous les mรชmes dispositions, mais elle a diffรฉrenciรฉe les caractรจres et fait de lโun pour une chose et de lโautre pour une autre ยป. Dans ce cas, selon Platon, si la sociรฉtรฉ nโest pas organisรฉe de cette maniรจre, elle nโest donc pas juste, cโest plutรดt le rรจgne de lโinjustice qui consiste ร lโempiรจtement du bien et de la tรขche dโautrui. En dโautres termes, lโhomme ne peut รชtre juste que dans la mesure oรน il rรจgle ses rapports avec les autres selon la loi. Lโhomme juste cโest celui qui agit avec justice, et qui possรจde รฉgalement la vertu de justice comme une seconde nature. Platon est si on peut dire, lโun des penseurs par excellence de la justice. En effet dans le livre de la Rรฉpublique, il souligne que la justice cโest la santรฉ de lโรขme cโest-ร -dire lโharmonie qui rรจgne entre les diffรฉrentes parties de lโรขme. Voici ses propos: Engendrer la santรฉ, cโest รฉtablir entre les รฉlรฉments du corps une hiรฉrarchie qui les subordonne les uns aux autres conformรฉment ร la nature ; au contraire engendrer la maladie, cโest รฉtablir une hiรฉrarchie qui les subordonne les uns aux autres contrairement ร lโordre naturel. – En effet – De mรชme, repris-je, engendrer la justice, cโest รฉtablir entre les parties de lโรขme une hiรฉrarchie qui les subordonne les unes aux autres conformรฉment ร la nature ; au contraire engendrer lโinjustice, cโest รฉtablir une hiรฉrarchie qui les subordonne les unes aux autres contrairement ร lโordre naturel. Platon, dans ces lignes a tranchรฉ entre ce qui relรจve de la justice et ce qui ne lโest pas. En effet pour lui tout ce qui corrompt lโรขme, cโest-ร -dire tout ce qui empรชche la hiรฉrarchie entre les diffรฉrentes parties de lโรขme ne peut รชtre qualifiรฉ de juste. Il fait dans ce sens lโรฉloge dโun idรฉal de justice vers lequel on doit sโefforcer de tendre sans quโon puisse vraiment prรฉtendre lโatteindre. Selon Jean-Franรงois Balaudรฉ, ยซ la recherche platonicienne sur la justice a toujours visรฉ lโordre. Mais au lieu de le penser sous la forme dโun ensemble hiรฉrarchisรฉ, la classe des philosophes-gouvernants รฉtant placรฉe au sommet 10ยป. Cela dรฉmontre que la prรฉoccupation de Platon รฉtait le maintien de lโordre aussi bien chez lโindividu mais aussi dans la citรฉ. Lโordre ici est assimilรฉ ร la justice dans sa totalitรฉ. A lโimage de la justice dans lโรขme, Platon a aussi รฉvoquรฉ la question de la justice dans la citรฉ. En effet il a dโailleurs รฉtabli un parallรฉlisme entre la justice dans lโรขme et celle de la citรฉ. Dans la mesure oรน, selon lui, la justice de celle-lร engendre la justice de celle-ci. Autrement dit, la justice dans la citรฉe nโest que le reflet de celle que lโon retrouve dans lโรขme. Par exemple si lโรขme est juste la sociรฉtรฉ lโest aussi ; mais si par contre lโรขme nโest pas juste la sociรฉtรฉ devient injuste. En ses termes : ยซ Un homme est juste de la mรชme maniรจre que lโรtat est juste ยป. Dans ce contexte, il montre lโidentitรฉ qui existe entre la justice chez lโhomme et celle de la citรฉ. Celle-ci est composรฉe de trois classes, ร savoir : les philosophes, les gardiens, les artisans. La premiรจre doit commander, la seconde et la troisiรจme doivent obรฉir. La justice consiste ainsi en ce que chaque classe occupe la place qui lui revient. Ainsi, Dans la Rรฉpublique. Au livre IV, il parvient ร la dรฉfinition suivante de la justice : ยซ chacun ne doit sโoccuper dans la citรฉ que dโune seule tรขche, celle pour laquelle il est le mieux douรฉ par la nature ยป. La justice consiste donc, pour une citรฉ, ร รชtre structurรฉe selon un ordre ร la fois naturel et rationnel. Il en va exactement de mรชme pour lโindividu car pour Platon, lโhomme juste est celui dont chaque facultรฉ de lโรขme occupe sa fonction propre. La justice en dโautres termes, consiste alors ร respecter lโordre en donnant ร chacun la place qui lui revient dans la citรฉ.
Lโรฉvolution du concept
ย ย La conception traditionnelle de la justice sera remise en question voire dรฉpassรฉe par les penseurs de la pรฉriode du XVIIรจme siรจcle. Dans cette pรฉriode, la question de la justice nโest plus envisagรฉ en tant que donnรฉ naturel, en tant que vertu par excellence, mais plutรดt une convention, cโest-ร -dire une rรฉalitรฉ ร construire. Ainsi on dรฉduit de ce qui prรฉcรจde quโil y a un changement de perspective du point de vue de la conception de la justice. La justice divine รฉtant inaccessible ร lโhomme, incapable de saisir totalement cette justice, les philosophes de lโรฉpoque des Lumiรจres, nous invitent ร tourner notre regard sur la justice humaine. En effet, ce qui รฉtait au dรฉpart attribuรฉ ร la nature sera dรฉsormais lรฉguรฉ ร lโhomme. Cโest dโailleurs, ce quโAlain nous apprend, quand il affirme : ยซ la justice nโest pas une donnรฉe, elle est ร construireยป Autrement dit elle ne rรฉsume pas la vertu dans son intรฉgralitรฉ, elle est toutefois un processus qui rรฉsulte dโune convention. La conception traditionnelle de la justice (celle des Grecs et de la religion chrรฉtienne) est particuliรจrement diffรฉrente de celle qui existe dans les sociรฉtรฉs contemporaines. Dans la mesure oรน, de nos jours, elle nโest plus considรฉrรฉe comme un principe รฉmanant dโun ordre naturel et rationnel de la sociรฉtรฉ et, ou de lโindividu, cโest-ร -dire comme respect dโune inรฉgalitรฉ justifiรฉe par une hiรฉrarchie naturelle ou thรฉologique, mais en tant quโinstitution. En tant institution, elle est aussi un mode dโorganisation de la vie collective conforme ร un ensemble de principes propres ร une sociรฉtรฉ politique donnรฉe. En dโautres termes, la justice dans le milieu politique cherche ร rรฉguler et ร pacifier les relations entre les citoyens. Dans la terminologie de Rousseau, elle vise lโรฉgalitรฉ de tous les hommes en droit. Cโest tout le sens des propos de Polin, dans son ouvrage, la Politique de la solitude, ยซ la justice concerne prรฉcisรฉment cette sorte dโรฉgalitรฉ cโest-ร -dire lโรฉgalitรฉ dans le droit ยป. La justice peut aussi avoir un sens juridique cโest-ร -dire en tant quโinstitution. En effet, par son รฉtymologie, elle est de prime abord la dรฉcision dโun juge, qui prononce selon le droit. Cela dans la mesure ou le terme justice vient du latin jus qui veut dire ยซ droit ยป ou judicaire cโest-ร -dire ยซ dire le droit ยป. Dโune maniรจre gรฉnรฉrale, elle dรฉsigne alors lโinstitution dont la fonction est dโappliquer les lois รฉtablies. La justice en tant quโinstitution a pour finalitรฉ de dire le droit mais aussi de corriger lโinjustice commise et de rรฉparer un dommage subi. Dans ce sens on considรจre plutรดt la justice comme lโinstitution qui juge des crimes mais รฉgalement qui rรจgle des conflits entre les citoyens selon la loi en vigueur. Cela montre en principe quโelle a pour vocation le respect de la loi et la punition ร celui qui sโy oppose. Ainsi, en tant quโinstitution, elle a pour mission essentielle dโappliquer les rรจgles de droit, de veiller ร la sรฉcuritรฉ et ร la protection des citoyens du point de vue de leur libertรฉ ainsi que de leur bien-รชtre. Sur ce, elle est cet ordre social judiciaire et politique qui impose des contraintes ร lโexercice de la libertรฉ individuelle. Elle permet dโรฉtablir ou de maintenir lโรฉquilibre des relations sociales. Dans la perspective de Rawls, elle dรฉsigne ยซ la premiรจre vertu des institutions sociales comme la vรฉritรฉ est celle des systรจmes de pensรฉe ยป. La justice dans ce sens, est une vertu รฉminemment politique, elle est en effet, un principe cardinal de lโordre politique. Des lors, pour รชtre libre, on doit obรฉir aux exigences de la justice. En effet, aucune sociรฉtรฉ ne peut รชtre stable sans la justice, parce que cโest elle qui rรฉglemente les rapports sociaux et permet aux citoyens de mener harmonieusement leur vie en communautรฉ. Cโest ร cet effet, que Rawls รฉcrit ceci : ยซ une sociรฉtรฉ ne peut se prรฉtendre ordonnรฉe que lorsquโelle nโest pas seulement conรงue pour favoriser le bien de ses membres, mais lorsquโelle est dรฉterminรฉe par une conception publique de la justice ยป. Celle-ci permet de maintenir lโรฉquilibre entre les diffรฉrentes composantes de la communautรฉ, mais aussi de veiller surtout sur lโapplication de la loi dans la sociรฉtรฉ. Toutefois, malgrรฉ les inรฉgalitรฉs de faits, les hommes ont droit ร une รฉgale reconnaissance de leur libertรฉ et de leur dignitรฉ humaine. Cโest dโailleurs, ce que Rousseau montre dans le Contrat social, pour lui, un rรฉgime politique nโest juste et lรฉgitime que sโil garantit ร ses citoyens le respect de ce qui fonde la dignitรฉ humaine, ร savoir la libertรฉ. Ainsi, elle est le respect et la dรฉfense des droits de lโhomme et des contrats passรฉs librement entre les hommes, y compris le contrat social tacite par lequel une institution politique est reconnue et obรฉie dans la mesure oรน elle garantit, en รฉchange, la satisfaction des intรฉrรชts et aspirations de ses membres. Rousseau constate trois sortes dโinรฉgalitรฉs dans la sociรฉtรฉ civile entre les hommes : la richesse, la noblesse et la puissance. Toutefois, pour gommer ces inรฉgalitรฉs, ou bien pour maintenir lโรฉquilibre social entre les hommes, lโinstitution des rรจgles de justice devient donc nรฉcessaire dans la sociรฉtรฉ politique. En dโautres termes, lโรฉtat civil est rendu nรฉcessaire par lโinsรฉcuritรฉ et lโinjustice que traversent les hommes dans cet รฉtat. Des lors, la justice permet dans ce sens de garantir la sรฉcuritรฉ, de protรฉger les libertรฉs de chaque citoyens mais รฉgalement de prรฉserver la propriรฉtรฉ de chacun. La justice occupe aussi une position particuliรจre dans le systรจme politique de Rousseau. Mรชme sโil nโa pas รฉcrit de traitรฉ sur la justice dans son projet politique, on sent pertinemment son intention ร vouloir dรฉfendre la justice au sein de la communautรฉ des hommes. Cโest dans ce sens, Polin dans son ouvrage en parlant de la philosophie de Rousseau, รฉcrit ceci : ยซ faute de pouvoir รชtre effectivement une philosophie du bonheur, la philosophie de Rousseau est, de faรงon primordiale, une philosophie de la justice. Avec le bonheur, faute de bonheur, la justice est la fin suprรชme. Avec le bonheur, la justice est, pour Rousseau, la prรฉoccupation la plus constante, le souci sous-jacent ร toute ses rรฉflexionsยป La justice est une vertu de lโhomme en sociรฉtรฉ, en effet, elle nโa de sens que dans la sociรฉtรฉ politique. Celui-ci est lโรฉtat dans lequel lโhomme acquiรจre une dimension intellectuelle qui lui permet de vivre convenablement avec ses semblables par lโentremise dโun contrat. Toutefois, pour Rousseau cโest seulement dans le milieu politique, dans la sociรฉtรฉ civile, que la justice trouve de maniรจre concrรจte son efficacitรฉ. Ainsi lโhomme ne peut sโadapter ร la vie sociale sans faire appel ร sa raison au lieu de se faire guider uniquement par lโinstinct, sans sโimposer de suivre les maximes de la justice raisonnรฉe, ร savoir la justice civile.
Justice et libertรฉ dans lโรฉtat originel
ย ย Lโรtat de nature a รฉtรฉ une formule employรฉe en philosophie politique par dโรฉminents philosophes des Lumiรจres tels Thomas Hobbes, John Locke et Jean-Jacques Rousseau. Cet รฉtat est une reprรฉsentation, que se font ces philosophes, de lโรชtre humain prรฉcรฉdant la sociรฉtรฉ ou en des termes plus contemporains, lโรtat. Ces trois auteurs ont tentรฉ chacun dโexposer lโhomme tel quโil รฉtait avant lโavรจnement de la vie sociale. Dans cette logique, ces penseurs ont aussi essayรฉ de retracer comment le passage ร lโรtat sโest manifestรฉ, ou en dโautres mots, comment lโhomme a-t-il rรฉussi ร se socialiser tout en laissant derriรจre lui, un รฉtat animal et sans artifice. Rousseau lโa mรชme citรฉ dans le Second discours : ยซ les philosophes, qui ont examinรฉ les fondements de la sociรฉtรฉ, ont tous senti la nรฉcessitรฉ de remonter jusquโร lโรฉtat de nature ยป Lโรฉtat originel nโa pas reรงu des contenus semblables. En effet, chaque thรฉoricien lui a attribuรฉ une connotation en fonction de la fin recherchรฉe dans la sociรฉtรฉ. Il est considรฉrรฉ pour certains comme un รฉtat ou il y a absence totale de rรจgles. Autrement dit, un รฉtat dans lequel, les hommes possรฉdaient des droits naturels (droit de se nourrir, droit de se protรฉgerโฆ) et une libertรฉ naturelle caractรฉrisรฉe par une absence de contraintes. Et pour dโautres comme un รฉtat hostile et contraignant. Toutefois, les thรฉoriciens du contrat ร savoir, Hobbes, Locke et Rousseau ont tous รฉlaborรฉ une conception anthropologique pour comprendre les conditions dโexistences de lโhomme naturel ainsi que son mode dโรฉvolution dans la sociรฉtรฉ originelle. Lโรฉtat de nature est donc une hypothรจse dans la perspective de Rousseau. Un รฉtat hypothรฉtique dans lequel lโhomme vivait conformรฉment ร sa nature premiรจre et authentique. Pour le citoyen de Genรจve : Quelque important quโil soit, pour bien juger de lโรฉtat de nature de lโhomme, de le considรฉrer dรจs son origine et de lโexaminer, pour ainsi dire, dans le premier embryon de lโespรจce, je ne suivrai point son organisation ร travers ses dรฉveloppement successif : je ne mโarrรชterai pas ร rechercher dans le systรจme animal ce quโil est. Je nโexaminerai pas si, comme le pense Aristote, ses ongles allongรฉs ne furent point dโabord des griffes crochues; sโil nโรฉtait point velu comme un ours et sโil marchait ร quatre pieds, ses regards dirigรฉs vers la terre et bornรฉs ร un horizon de quelques pas, ne marquaient point ร la fois le caractรจre et les limites de ses idรฉes. Je ne pourrai former sur ce sujet que des conjectures vagues et presquโimaginaires. Dans ce sens il faut reconnaitre que cet รฉtat nโest pas une rรฉalitรฉ historique mais un outil de rรฉflexion. Pour Rousseau, lโรฉtat de nature nโest ni le produit dโune recherche des origines de lโhumanitรฉ ni le produit de lโimagination mais un modรจle ร la fois thรฉorique et hypothรฉtique obtenu par lโanalyse de lโรฉtat actuel ce qui, chez les hommes, appartient ร leur nature propre et ce quโils ont acquis par la socialisation. Pour lui, lโรฉtat originel nโest ni le produit dโune recherche des origines de lโhumanitรฉ ni le fruit de lโimagination mais un modรจle thรฉorique, cโest-ร -dire une hypothรจse de recherche pour comprendre la construction de la vie sociale. Donc pour dire en fin de compte le produit de cette analyse ร savoir lโhomme ร lโรฉtat de nature nโest pas une rรฉalitรฉ mais une abstraction. Par consรฉquent, cโest un รฉtat neutre dans lequel lโhomme, sans รชtre encore perfectionnรฉ nโest pas encore perverti. Autrement dit, cโest un รฉtat sans impรฉratif moral ni loi encore moins sans justice institutionnalisรฉe. Dans lโรฉtat de nature de Rousseau, le problรจme de la justice ne se posait mรชme pas, car lโhomme, ร lโรฉtat originel vivait dans le bonheur, dans une indรฉpendance totale, et sans contraintes qui puissent enfreindre sa libertรฉ. Lโรฉtat de nature au sens rousseauiste est lโรฉtat dans lequel les hommes ne sont soumis ร aucune autoritรฉ politique. Comme le souligne Derathรฉ : ยซ lโรฉtat de nature est celui dans lequel se trouve les hommes avant lโinstitution des sociรฉtรฉs civilesยป. Il sโagit selon lโauteur dโun รฉtat non historique et non chronologique, mais qui aurait prรฉexistรฉ ร toute sociรฉtรฉ organisรฉe. Au dรฉbut de lโรฉtat de nature, lโhomme ignorait tout ce qui est relatif ร la violence, ร lโinjustice. ร lโรฉtat sauvage, la justice existait, mais celle-ci รฉtait synonyme de justice naturelle que lโhomme ignorait. Cโest pour cette raison, Raymond Polin dans son ouvrage la Politique de la solitude affirme que ยซ lโexistence naturelle de lโhomme est tout entiรจrement pรฉnรฉtrรฉe de justice, mais il nโy pense jamais 38ยป. Pour Rousseau, ร lโรฉtat primitif, la justice nโรฉtait pas connue du tout par lโhomme. En effet, il nโavait aucune idรฉe de ce qui peut รชtre juste ou injuste. En dโautres termes, ร lโรฉtat de nature la justice existait, mais lโhomme nโavait pas la moindre notion, ni aucun sentiment de lโexistence de cette justice. Dans le Discours sur lโorigine et les inรฉgalitรฉs parmi les hommes, Rousseau explique dans un passage que : ยซ dans lโรฉtat de nature, lโhomme nโavait pas de connaissance sur ce qui est la vertu, quโil nโavait pas la moindre notion de ce qui lui revient ou de ce qui revient ร autrui ยป, cโest-ร -dire, a cette pรฉriode, lโhomme nโavait aucune notion des rรฉalitรฉs et des valeurs humaines, ni ยซ aucune vรฉritable idรฉe de la justice 40ยป. Nรฉanmoins Rousseau, dans lโEmile montre en effet que ce sentiment de justice รฉvolue en fonction des stades du dรฉveloppement humain. Car selon lโauteur, le sentiment de justice รฉtait auparavant un sentiment innรฉ ร lโhomme originel. Rousseau dans sa thรฉorie de lโรฉtat nature, compare lโhomme ร un animal stupide et bornรฉ. Car selon lui, la seule chose qui distinguait lโhomme de lโanimal dans cette sphรจre originelle, cโest la perfectibilitรฉ, cette facultรฉ latente en puissance. Toutefois Rousseau ne reconnait que deux sentiments naturels chez lโhomme : lโamour de soi qui consiste ร tout faire pour se conserver soi-mรชme et la pitiรฉ qui porte lโhomme ร compatir aux souffrances dโautrui.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : JUSTICE ET LIBERTE : DE LA CONCEPTION A LโAPPLICATION
1. Historicitรฉ de la notion de justice
2. Lโรฉvolution du concept
3. Lโapologie de la libertรฉ chez Rousseau
CHAPITRE II : DIAGNOSTIC DES RAPPORTS ENTRE LA JUSTICE
ET LA LIBERTE CHEZ ROUSSEAU
1. Justice et libertรฉ dans lโรฉtat originel
2. Genรจse de la propriรฉtรฉ : fin de lโรฉtat dโindรฉpendance
3. genรจse de la sociรฉtรฉ civile et des premiรจres lois
CHAPITRE III : LES FONDEMENTS DE LA JUSTICE DANS LA PENSEE POLITIQUE DE J-J. ROUSSEAU
1. Le pacte social, cause efficiente de la justice et de libertรฉ
2. la loi civile une condition ร la justice et de la libertรฉ
3. souverainetรฉ et dรฉmocratie dans lโorganisation sociale
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
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