Jules Houël (1823-1886) et la circulation des mathématiques dans la seconde moitié du XIXe siècle

Le point de départ de cette thèse est le mémoire de master d’Histoires des sciences et techniques, à l’Université de Nantes, écrit sous la direction de la professeure Évelyne Barbin, qui m’a proposé de travailler sur Jules Houël – dont je ne connaissais rien – pour deux raisons. La première est géographique : des archives de Houël se trouvent à Caen depuis les années 1980 et j’y habite. La seconde réside dans le fait que Houël apparaissait de manière insistante dans des travaux assez récents sur la circulation des savoirs mathématiques ; nous pensons notamment à la thèse d’André-Jean Glière sur les quantités négatives, la thèse de Norbert Verdier sur le Journal de Liouville, dans des recherches consacrées à des mathématiciens contemporains, comme la thèse de Jérôme Auvinet sur Charles-Ange Laisant et celle sur Paul Tannery de François Pineau , dans les travaux de Rudolph Bkouche et d’Évelyne Barbin sur l’histoire des fondements et l’enseignement de la géométrie.

Notre mémoire de master portait sur la correspondance (complète) entre Jules Houël et le mathématicien suédois Gösta Mittag-Leffler sur la période 1872-1883. Nous en avions fait une analyse prosopographique à partir des thématiques, des nombres propres de mathématiciens et des publications scientifiques rencontrés. Cette étude avait montré l’importance des thématiques de l’analyse complexe et la théorie des fonctions elliptiques (et de leur enseignement), des journaux mathématiques (notamment le Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques), de la politique française (la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur et les débuts de la IIIe République), de l’organisation de l’enseignement en France et en Europe (organisation de l’enseignement supérieur de Napoléon Ier, les universités allemandes, suédoises, finlandaise, russes). Ce qui apparaissait, de prime abord, dans cette correspondance, était l’ouverture européenne de Houël, ses multiples contacts (Darboux, Hermite, Dillner, Gordan, etc.) et sa volonté de diffuser les savoirs mathématiques au travers des journaux, de l’enseignement et des traductions.

La formation mathématique de Jules Houël : de l’École normale au doctorat ; les années de professorat (1823-1859)

Une jeunesse isolée, tournée vers les langues, les arts et les sciences (1823-1846)

Les ascendants de Jules Houël

Origines du nom et question de l’orthographe de Houël
Dans les ouvrages, les lettres, les imprimés et les manuscrits, où il est question de Jules Houël, de son vivant ou de nos jours, on peut lire son patronyme orthographié différemment : Houel, Hoüel, Hoûel ou Houël . Cette question de l’orthographe nous a été souvent posée. La réponse est à la fois simple et complexe. D’un point de vue administratif, l’orthographe de son patronyme est clairement Houël, comme l’atteste l’extrait de son acte de naissance reproduit , ainsi que dans la plupart des papiers administratifs de sa carrière d’enseignant. Remarquons d’ailleurs que parmi ses deux prénoms, l’usuel est Jules : la plupart du temps à cette époque le deuxième est le prénom usuel.

Cependant, Jules Houël signe, et ce depuis les années de « lycée », avec l’orthographe « Hoüel » comme on peut le remarquer sur le registre de passage du baccalauréat, en 1841, . En effet il signe ainsi, tout au long de sa vie, ses articles et ouvrages scientifiques, de sorte que tous les gens s’y intéressant, l’orthographient « Hoüel ».

Quelques ascendants lointains : Nicolas dit « le salé », son fils Nicolas et Louis Houël

La famille Houël se convertit au protestantisme dès ses débuts en Normandie, au XVIe siècle. Tous les Houël jusqu’à Guillaume Jules furent protestants, plus ou moins pratiquants. Il est très probable que les Houël étaient d’anciens nobles déchus , qui furent pour certains de riches commerçants, d’autres notaires ou avoués ou simplement propriétaires, en tous cas des bourgeois normands. Le fait que les Houël étaient protestants n’est pas fortuit et même du temps de Jules ; pour cette raison, il nous semble nécessaire de donner une chronologie de la Réforme à Caen, mélangeant histoire locale et histoire nationale du protestantisme .

Nous donnons ci-après un arbre généalogique simplifié, reconstitué des premiers ascendants de Jules Houël, attestés, jusqu’à Louis Houël, arrière-grand-père de Jules Houël – du côté de son grand-père paternel. Pour des raisons de commodité, nous présentons ledit arbre en deux parties. La première partie comporte peu de renseignements mais nous indique cependant le changement de patronyme de « Hoel » à « Houël » au XVe siècle ; de plus, il manque plusieurs générations entre les deux Jehan Houël – indiquée par un trait coupé en deux entre les deux Jehan. La seconde partie de l’arbre est plus précise ; le trait de contour de Nicolas Houël dit « le salé », de son fils Nicolas et de Louis Houël est plus épais car nous nous intéresserons plus en détails à ces trois ascendants. Enfin, les pointillés du trait de contour indiquent les jonctions entre les sous-arbres.

Louis Houël (1717-1794), son père Nicolas Houël (1663-1762) et le père de son père Nicolas Houël (1612-1686) ont, pour notre étude, chacun un intérêt particulier. En effet, l’histoire de Nicolas Houël dit « le salé » montre le sort réservé aux protestants de 1685 à l’époque de l’Édit de Fontainebleau , et pourquoi son fils Nicolas acheta plus tard une grande propriété permettant à la famille de vivre isolée et repliée sur elle-même ; enfin, les armoiries qu’arborait Louis Houël semblent apporter la preuve d’origines nobles anciennes aux Houël. Nicolas Houël (1612-1686) était notaire ; son fils Nicolas (1663-1752), un riche marchand de papier, bourgeois de Caen et son fils Louis (1717-1794) un riche mercier joaillier, bourgeois de Caen.

Nicolas Houël, décédé en 1686, soit un an après la révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV, était surnommé « le salé » ; l’histoire justifiant ce surnom posthume montre de quelle façon les protestants étaient traités en France à la fin du XVIIe siècle et justifie un repli des familles protestantes sur elles-mêmes, alors que catholiques et protestants vivaient en bonne intelligence auparavant à Caen et ses environs . Dès 1685, la religion protestante fut interdite en France et les huguenots pourchassés par les compagnies de dragons dans toute la France ; à Caen et ses environs, il y eut de sanglantes dragonnades à la mi-novembre 1685. Les protestants n’avaient alors plus le droit d’être enterrés et à leur mort, leurs biens étaient confisqués par les représentants du roi.

Nicolas Houël, notaire, décéda le 26 juin 1686, dans sa maison familiale de Maisy, dans les environs de Caen. Il fut immédiatement dénoncé au substitut du Procureur de la haute justice seigneurial Charles Le Roy comme étant mort « apostat », bien que Nicolas Houël ait signé une abjuration de sa foi en 1685. Charles Le Roy prétendit que ledit Nicolas Houël n’avait « donné aucune marque de chrétienté n’ayant fait aucune fonction catholique » . S’en suivit un procès à l’encontre du cadavre de Nicolas Houël afin de décider ou non s’il était mort catholique ou protestant. Son corps fut éviscéré puis salé – comme on faisait pour la viande à l’époque –, en attente du rendu de la Cour de Rouen, puis conduit en prison tandis que des scellés étaient apposés sur ses meubles. Nicolas Houël, fils du défunt, présenta un appel le 24 juillet 1686 à Maître Jean Latelle, Greffier au siège du tribunal et produisit le 27 de ce même mois une attestation du Vicaire de l’église Saint Pierre de Caen certifiant que « le défin Houël aurait fait depuis quelques temps profession d’être un bon et véritable catholique, s’étant approché des saints sacrements de l’église avec beaucoup d’édification et de foi » et une autre du sieur curé d’Estanville, sa paroisse. Finalement, le 31 octobre 1686, le Parlement de Rouen rendit un arrêt ordonnant que « le corps de Nicolas Houël fût inhumé en Terre Sainte et qu’il était accordé la mainlevée sur les biens saisis ».

Le fils de Nicolas Houël « le salé », Nicolas Houël (1663-1752), marchand de papier, s’enrichit de manière importante malgré un contexte antiprotestant notoire. Afin d’assurer à sa famille et à ses amis un lieu de repli – comme le firent nombre de familles protestantes aisées  , il acheta au marquis Bernardin de Nathan, le 31 mars 1723, un manoir à Bombanville pour la somme exorbitante de 50 000 livres plus une rente annuelle de 750 livres. Bombanville était alors un hameau de la commune de Thaon, à dix kilomètres au nord de Caen. Ce manoir de Bombanville, resta dans la famille Houël jusqu’en 1950, ce qui explique divers dons de la famille à différentes archives dès cette époque.

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Table des matières

Introduction générale
PARTIE I : La formation mathématique de Jules Houël, de l’École normale au doctorat ; les années de professorat (1823-1859)
Chapitre 1 : Une jeunesse isolée, tournée vers les langues, les arts et les sciences (1823-1846)
Introduction
1. Les ascendants de Jules Houël
a) Origines du nom et question de l’orthographe de Houël
b) Quelques ascendants lointains : Nicolas dit « le salé », son fils Nicolas et Louis Houël
c) Parents et grands-parents de Jules Houël
2. La jeunesse de Jules Houël
a) Un enfant à la santé fragile, éduqué par son grand-père paternel et son père
b) Octobre 1838 – Août 1841. Brillante scolarité au Collège royal de Caen
c) Octobre 1841- Octobre 1843. Deux années en mathématiques spéciales au Collège Rollin à Paris
3. Novembre 1843 – Octobre 1846. À l’École normale
a) Sur l’organisation de la vie à l’École normale
b) Scolarité de Houël et de sa promotion, à l’École normale
c) Houël et ses condisciples de l’École normale
d) Les cours de Houël à l’École normale
e) Agrégation de sciences mathématiques de 1846
Conclusion
Chapitre 2 : Les années d’enseignement en lycée : une période faite d’instabilité et d’inquiétudes (1846-1859)
Introduction
1. Octobre 1846-Avril 51. Les années d’enseignement en lycée, loin de la Normandie
a) 1846-1847. Une année scolaire plutôt satisfaisante au Collège royal de Bourges
b) 1847-1849. Deux années scolaires difficiles au Collège royal/Lycée de Bordeaux
c) Une année scolaire et demie au Lycée de Pau : une attente intolérable
2. De 1851 à 1855. Quatre années scolaires et demie au Lycée d’Alençon
a) Une année scolaire et demie d’enseignement en classe de mathématiques supérieures
b) Trois années scolaires en mathématiques élémentaires au Lycée d’Alençon et écriture de ses thèses
3. 1855-1859. Du doctorat à l’obtention de la chaire de mathématiques pures à la Faculté des sciences de Bordeaux : une période de doute
a) Thèses en mécanique et astronomie pour obtenir le doctorat ès sciences mathématiques
b) Premières activités de recherche et recherche d’un poste dans l’enseignement supérieur
Conclusion
PARTIE II : Une circulation mathématique déployée à partir d’une société savante et d’un journal : traductions et réseaux
Chapitre 3 : Jules Houël à Bordeaux : enseignements et activités à la Société des sciences physiques et naturelles. Premières traductions et premier réseau international (1859-1869)
Introduction
1. L’enseignement de Houël à la Faculté des sciences de Bordeaux
a) Qu’est-ce qu’enseigner les mathématiques pures en 1859 à la Faculté des sciences de Bordeaux ?
b) Ce que l’on apprend de Houël et de son travail à la Faculté, d’après les rapports de sa hiérarchie (1859-1869)
2. La manière d’enseigner le calcul différentiel et intégral de Houël (1859- 1869)
a) Analyse des cours de calcul différentiel et intégral de 1859 à 1869
b) Un enseignement du calcul infinitésimal dans l’esprit de Duhamel
3. L’implication de Houël à la Société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux
a) La Société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux, de 1850 à 1866
b) 1866-1869. Les activités de Houël à la Société des sciences physiques et naturelles : archiviste et contributeur
c) Les tomes IV, V, VI et VII des Mémoires de la Société des sciences physiques et naturelles : la place des écrits de Houël
4. Les traductions et publications de Houël dans les Mémoires de la SSPN : géométries non euclidiennes et quantités complexes (1866 -1869)
a) Les écrits fondateurs des géométries non euclidiennes dans les Mémoires de la Société des sciences physiques et naturelles
b) La Théorie des quantités complexes publiée par Houël : une exposition claire et efficace de théories encore mal connues en France, de la méthode houëlienne
5. Le réseau mathématique de Houël en 1869
Conclusion
Chapitre 4 : Activités de corédaction du Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques, en cumul de celles de Bordeaux : reconnaissances universitaire et ministérielle. Deuxième réseau international (1870 – 1881)
Introduction
1. Les activités de Houël dans les premiers numéros du Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques
a) Création du Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques
b) Analyse des interactions entre les réseaux mathématiques personnels de Houël et de Darboux relativement au réseau des participants du Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques, de sa création au numéro de juillet 1870
2. De la difficulté de Houël à conserver des collaborateurs réguliers au Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques (1870- 1875)
a) Constats de Houël et Darboux à propos du Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques du début de l’année 1875
b) De Tilly : un collaborateur sérieux et arrangeant, mais qui ne plaît pas à Darboux
c) L. L. Lindelöf : une collaboration prometteuse qui s’arrête en raison de changement professionnel
d) Lipschitz : une correspondance de collaboration ponctuelle au Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques
3. Poursuite des activités scientifiques de Houël à Bordeaux et répercussions de son travail au Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques sur la Société des sciences physiques et naturelles
a) À la Faculté des sciences de Bordeaux
b) Les activités de Houël à la Société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux
4. Études prosopographique et globale des correspondances de Houël en lien avec son activité au Bulletin des sciences mathématiques
a) L’activité épistolaire de Houël en lien avec la publication du Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques
b) Étude prosopographique
5. Lien entre les comptes-rendus d’ouvrages de Houël au Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques, ses propres travaux et son réseau mathématique ; réseau de Houël en 1879
a) Importance des centres d’intérêts mathématiques de Houël et de ses réseaux dans les ouvrages qu’il analyse dans le Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques
b) Réseau de Houël en 1879
Conclusion
PARTIE III : Étude du réseau thématique lié aux fondements de la géométrie et du réseau géographique scandinave
Chapitre 5 : Les fondements de la géométrie : dans les correspondances et les écrits de Jules Houël
Introduction
1. Les fondements de la géométrie dans les correspondances de Houël
a) Tableau des lettres de Houël de notre corpus, en lien avec la géométrie
b) Étude prosopographique dans les correspondances de Houël à propos de la géométrie en général et des fondements de la géométrie élémentaire
2. Les écrits de Houël sur les fondements de la géométrie
a) L’ « Essai d’une exposition rationnelle des principes fondamentaux de la Géométrie élémentaire » (1863)
b) Essai critique sur les principes fondamentaux de la géométrie élémentaire ou commentaire sur les XXXII premières propositions d’Euclide (1867)
c) Note sur l’impossibilité de démontrer par une construction plane le principe de la théorie des parallèles dit postulatum d’Euclide (1870)
d) « Du rôle de l’expérience dans les sciences exactes » (1875- 1876)
e) Seconde édition de l’Essai critique sur les principes fondamentaux de la géométrie élémentaire ou commentaire sur les XXXII premières propositions d’Euclide (1883)
3. Deux correspondances italiennes de Houël : entre enseignement de la géométrie élémentaire, recherche sur le postulat des parallèles et approche des axiomes dans l’expérience
a) Les échanges entre Houël et Cremona en 1869-1870 à propos de l’« affaire Wilson » sur l’utilisation des Éléments d’Euclide dans l’enseignement
b) Les lettres de Houël à Genocchi, suite à l’ « affaire Valat » et l’« affaire Carton », autour du postulat des parallèles et l’approche expérimentale des axiomes de la géométrie élémentaire
Conclusion
Conclusion générale

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