Jeux d’écriture : vers une réconciliation de l’adolescent avec l’écrit

Les concepts de scription et de scripturation (PEYTARD J.l

   Notre système de traces institué (alphabet) ne permet pas, comme nous venons de le voir, une traduction parfaite de l’oral car un grand nombre de signes qui accompagnent le message oral ne peuvent se réaliser à l’écrit: en particulier tous les phénomènes intonatifs et tous les mouvements des yeux, du visage ou de la main 3Il ne prend en charge que le niveau segmental et, par le biais de la ponctuation, une partie du niveau suprasegmental. Cet encodage s’àppelle la scription. Dès lors, comment { ..) donner à l’énoncé oral tous les éléments nécessaires pour que, transcrit, il devienne porteur de toutes les informations qu’il comportait initialement ? Comment pallier l’absence d’intonations? de pauses? Comment marquer le rythme? Comment apporter au texte scriptural tout ce que le geste investissait dans l’énoncé oral ? Comment redonner à l’écrit tout ce que l’entourage situationnel cOliférait de sens implicite au message articulé ? Nous avons pour cela recours à la langue qui traduit ce qui est spécifique de la situation d’ordre oral car les caractéristiques propres de la situation de communication à l’écrit impliquent la nécessité pour la langue dans son usage écrit de se conformer à des règles supplémentaires, de compenser un certain nombre de manques par d’autres moyens linguistiques.J. PEYTARD parle à ce propos d’un « surplus de discours» nécessaire à (‘écrit.D. BOURGAIN nous rend compte également de cette nécessité du recours à la langue à l’écrit: Si la finalité de l’écrit tient dans la possibilité qu’il donne de produire des messages linguistiques en l’absence de son (ses) destinataire(s), il n’en donne cependant pas tous les moyens et c’est le travail scriptural qui doit suppléer ce déficit. Pour rendre compte du suprasegmental, du kinésique, du situationnel, brefde tout ce que les interlocuteurs auraient d’emblée en partage dans une situation de communication orale en face à face, référent compris, le scripteur doit transformer en mots et en phrases tous les composants non-linguistiques qui auraient été simplement là, hic et nunc, lors de la production des messages oraux enface à faces. Tout ce qui n’est pas pris en charge par notre système de traces institué devra par conséquent être mis en langue, c’est ce qu’on appelle la scripturation. Il faut donc différencier la capacité de transcription (maîtrise de l’encodage faisant appel à des capacités d’analyse au niveau des unités sans signification, capacité de segmentation des mots au niveau morphémique, connaissance de l’habillage = savoir-faire primaires) de la capacité de production (maîtrise de la gestion textuelle = savoir-faire secondaire). Ecrire est un méta-savoir-faire, c’est-à-dire le savoir-faire de l’organisation convergente des différents savoir-faire primaires et secondaires.

Quelle est donc la caractéristique de la communication à travers l’écrit ?

   E. CHARMEUX aborde ce problème en opposant la communication directe caractéristique de l’oral à la communication différée propre à l’écrit. Ces deux types de communication auraient un fonctionnement différent relatif à un déplacement du référent: En situation de communication directe, le référent se trouve à l’intérieur de la situation, créant entre les partenaires une connivence qui pennet l’implicite, notamment en ce qui concerne les catégories de temps, de lieu, de personne. Par contre, en situation différée, le référent devient extérieur à la situation et la compréhension n’est possible que par une explicitation de ces catégories c’est-à-dire par un autre type de fonctionnement linguistiques. Ainsi, pour E. CHARMEUX, écrire c’est tenir le rôle d’émetteur dans une situation de communication différée, situation qui fait de la notion d’absence l’une des caractéristiques essentielles de la communication écrite. Cette notion d’absence doit être considérée, comme le souligne J. PEYTARD, comme double: en effet il y a absence du destinataire lors du travail d’écriture et également absence du scripteur lors de la réception. Pour M. FRUMHûLZ, c’est cette double absence qui va être le lit du travail scriptural 9. En plus de la prise en compte du suprasegmental, du non-verbal et du situationnel,l’écrivant va donc devoir se représenter un lecteur modèle afin de pouvoir envisager un éventuel savoir commun et de pouvoir évaluer ce qu’il est nécessaire de préciser ou pas pour que le message soit bien compris par le futur lecteur. Quand le texte satisfait aux exigences que s’est fixées le scripteur, alors il lâche le texte et celui-ci va vivre en tant que texte en l’absence du scripteur. C’est pourquoi le scripteur doit expliciter la façon dont il souhaite que soit compris son message. Le destinataire (lecteur) va quant à lui reconstruire le sens du message en l’absence de l’émetteur. Nous assistons donc, comme dans toute forme de communication, à une double construction de sens à chaque extrémité de la chaîne de communication: émission et réception. Seulement, à l’écrit, il ne peut y avoir comme à l’oral de véritable négociation. A l’écrit, il n’y a pas ce dialogue et c’est pourquoi le scripteur averti recourt souvent à une anticipation de ce que sera la réception de son récit. On ne gère donc pas son discours de la même façon dans les deux ordres.
– Dans l’ordre oral, on parlera de polygestion dans le sens où les échanges sont co-construits au moins à deux, les participants étant présents ensemble dans le même lieu et au même moment. Nous assistons alors à un véritable dialogue avec possibilité de vérifier si le message transmis est correctement compris.
– Dans l’ordre scriptural, le discours doit être construit en l’absence de l’autre dont il faudra parvenir à se construire une image. On parlera alors de monogestion qui va consister notamment à replacer le contexte situationnel, se construire une représentation du lecteur potentiel, cerner ce qui est connu et ce qui ne l’est pas et anticiper les réactions du lecteur. Apprendre à écrire, c’est donc apprendre à monogérer son discours. Formulé différemment, c’est apprendre à gérer l’absence de l’autre, apprendre à fonctionner dans l’ordre scriptural où l’autre n’est présent en chair et en os ni à la production du discours ni à sa réception.

Rôle et construction des représentations

   Depuis J. PIAGET, il est habituel de considérer que l’apprenant possède déjà des connaissances. Parler de représentations, c’est conserver cette même hypothèse puisque, selon D. JODELET, les représentations sont des savoirs que l’apprenant a construits pour un besoin immédiat: organiser le monde qui l’entoure. En effet, tout individu doit nécessairement clarifier son monde environnant en le structurant. Ainsi quand nous parlons de prise en compte de l’apprenant, il s’agit de considérer le fait que le sujet a déjà des connaissances, une culture. C’est pourquoi en préalable à tout apprentissage, il semble essentiel d’essayer de préciser les représentations des apprenants par rapport à un domaine de savoir enseigné. A. GIORDAN et G. DE VECCm préfèrent le terme de « conception» à celui de représentation car il met en valeur l’idée d’élément moteur entrant dans la construction d’un savoir et permettant même les transformations nécessairel-°. Ils définissent une conception comme un modèle explicatif organisé, simple, logique, utilisé le plus souvent par analogie. Les enfants en possèdent un certain nombre, et c’est avec eux qu’ils tentent d’interpréter le monde qui les entoure. Les représentations ou conceptions des sujets ne sont pas figées mais évoluent au cours du processus d’apprentissage. Elles sont la résultante d’une activité de construction mentale du réel et servent à interpréter le monde qui entoure l’apprenant. Elles sont également le fruit de toutes les expériences vécues par l’apprenant: expériences qui précèdent son entrée à l’école, puis expériences scolaires et extra-scolaires. Grâce au processus des représentations, l’apprenant va structurer les connaissances qu’il intègre. La prise en compte des représentations de l’apprenant est un point essentiel dans la compréhension du processus d’apprentissage. On ne peut ignorer les représentations de l’apprenant, sous peine de ne lui fournir qu’une connaissance plaquée qui ne sera pas intégrée et sera oubliée. C’est ce qu’exprime P. MEIRIEU en ces termes: Certes, on peut faire abstraction de ce « savoir » [préalable] et engager un apprentissage comme s ‘iln ‘en était rien .. on a alors toutes les chances de simplement Sl/perposer à ce « savoir » antérieur un « savoir scolaire « , vernis superficiel qui craquera dès que la situation scolaire qui l’a mis en place disparaîtrc?l. Or le véritable savoir est un ensemble de connaissances qui sont intégrées et qui peuvent être utilisées dans différentes situations. Il est important également de souligner l’intérêt de la motivation ou du moins du sentiment d’ « utilité» du savoir. L’apprenant est d’autant plus actif qu’il est motivé par l’apprentissage: il n y a « transmission » que quand un projet d’enseignement rencontre un sujet d’apprentissage, quand se tisse un lien, même fragile, entre un sujet qui peut apprendre et un SI/jet qui veut enseigner. Il serait utopique d’imaginer une situation où les désirs et les intérêts de l’apprenant correspondraient de façon exacte aux projets et exigences de 1’« enseignant». Il s’agit plutôt de trouver, comme le souligne P. MEIRIEU, un point d’appui dans le sujet, même ténu, un point où articuler un apport, où placer un levier pour aider le sujet à grandir…

Déroulement des chantiers et de la logothérapie de groupe

   Les chantiers d’écriture s’insèrent dans le cadre de la logothérapie de groupe. Il s’agit d’un rassemblement de 8 à 10 adolescents âgés de 9 à 18 ans tous « dyslexiquesdysorthographiques» qui ont la plupart du temps déjà suivi un ou plusieurs traitements rééducatifs individuels. Chaque participant doit venir librement dans un groupe sur la base d’un examen individuel qui comporte, outre des épreuves de lecture et d’orthographe (niveau de rendement), la recherche des stratégies mentales utilisées (niveau de fonctionnement) ainsi que la recherche de ses connaissances métalinguistiques et de sa représentation du langage écrit (niveau d’attitude, de représentation). A l’issu du bilan, on laisse donc le choix à l’adolescent entre logothérapie de groupe et rééducation individuelle. Au terme des trois séances d’essai, l’adolescent s’engage par un contrat collectif vis à vis du groupe (ponctualité…) et un contrat individuel dans lequel il détermine les objectifs qu’il poursuit en venant dans le groupe et ce qu’il va mettre en oeuvre pour les atteindre. Les logopèdes s’engagent quant à eux à mettre à la disposition des participants leur personne, leur temps, leurs compétences, à proposer des moyens pour que chacun parvienne à ses fins. On rejoint là la notion de contrat selon l’analyse transactionnelle: c’est un engagement mutuel à oeuvrer ensemble pour que la personne atteigne un objectif de réussite réaliste et réalisable, déterminè d’un commun accord sur la base de l’examen des lacunes et des ressources. Ce contrat est donc une décision traduite en termes clairs, précis, concrets, de partager les responsabilités, pour atteindre un but précis, en se donnant une limite de temps et en établissant ensemble les moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir. Cela suppose une formulation positive, concrète, réaliste et spécifique

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Table des matières

Introduction
PARTIE THEORIQUE Il
I- L’activité scripturale 
1- Les concepts d’ordre oral et d’ordre scriptural
2- Les concepts de scription et de scripturation
3- Les concepts de polygestion et de monogestion
4- La gestion concomitante de quatre pôles
5- Visibilité et durabilité de la trace écrite
6- La notion de travail
II- Centration sur l’apprenant et prise en compte de ses représentations 
1- Rôle et construction des représentations
2- Notion de situation – problème
3- Représentations de l’écrit
III- Rééduquer le langage écrit sur un mode ludique 
A- Une approche possible à travers les chantiers d’écriture de Françoise DEJONG-ESTIENNE
1- Vers une conception globale de l’individu
a) L’écrit et sa pathologie
b) La rééducation.’ susciter l’écriture ou comment passer de la dysorthographie à l’ « eugraphie »
2- Les chantiers d’écriture: se percevoir positivement dans ses rapports à l’écrit
a) Déroulement de chantiers et de la logothérapie de groupe
b) Objectifs et stratégies des chantiers
c) Principes directeurs
d) Plaisir et créativité
e) Décadrage et paradoxe
j) Egalité et réussite
B- Des jeux sur la langue aux ateliers d’écriture
1- Jeu et travail
2- Place du jeu en orthophonie
3- Les jeux sur la langue
4- Les ateliers d’écriture
a) Historique des ateliers d’écriture
b) Caractéristiques des ateliers d’écriture
c) Lesjeux littéraires de type Oulipien
d) Adaptation en situation duelle
PARTIE METHODOLOGIQUE 
I- Présentation de la population 
1- Choix de la population
2- Présentation et profil scolaire des adolescents
II- Description de l’expérimentation proprement dite 
1- Les entretiens
a) Techniques d’entretien utilisées
b) L’entretien initial
c) L’entretienfinal
2- Séances articulées autour de jeux d’écriture
a) Modalités de temps
b) Objectifs des séances
c) Déroulement d’une séance
d) Les propositions d’écriture
e) Vn cadre particulier
PARTIE ANALYTIQUE
I- Analyse des entretiens initiaux
1- Ecrire: une expérience très scolaire
a) Représentations à propos de la norme
b) Représentations à propos de l’acculturation
2- Ecrire: un vécu extra-scolaire
a) L’écrit comme moyen de communication
b) Visibilité et durabilité de l’écrit
c) Ecrire, expression de soi
d) Ecrire, plaisir de création
3- Plaisir du langage écrit
II- Analyse des séances de jeux d’écriture
1- Représentations sur la norme élargies
2- Rapport à l’écrit et plaisir
III- Analyse des derniers entretiens
1- Vécu des séances et apport desjeux d’écriture
2- Evolution des représentations
a) RéSltrgence des représentations initiales
b) Représentations en cours de construction
IV-Modalités, intérêts et limites des jeux d’écriture 
1- Entretiens menés auprès d’orthophonistes pratiquant les jeux d’écriture
a) Motivations des orthophonistes
b) Population cible des jeux d’écriture.’ âge et pathologie
c) Objectifs
d) Modalités de fonctio/lnement
e) Progrèsfavorisés par lesjeux d’écriture
j) Limites, difficultés
g) Plaisir du thérapeute
2- Entretiens menés auprès d’orthophonistes ne pratiquant pas les jeux d’écriture
a) Jeux d’écriture et rééducation symptomatique
b) Intérêt pour les jeux d’écriture
Conclusion
Repères bibliographiques
Annexes

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