Le foncier pastoral dans les régions de savanes soudaniennes d’Afrique subsaharienne est un objet d’étude qui reste peu abordé dans la littérature scientifique. Cette thèse s’inscrit dans cette thématique et vise à répondre à la problématique suivante : quelle place pour l’élevage et les éleveurs dans des espaces sous pression foncière ? La pression foncière résulte de l’augmentation des densités rurales et des difficultés croissantes pour avoir accès aux ressources naturelles. Cette introduction vise à justifier la pertinence de cette problématique. Je montrerai d’abord la spécificité et les enjeux épistémologiques d’une étude sur l’élevage en savane humide dans la littérature scientifique. Puis, je présenterai les évolutions de l’élevage dans le contexte de l’Ouest du Burkina, régions agricoles sous pression foncière, en montrant que la problématique met en lumière les enjeux géographiques majeurs de la région. J’expliquerai ensuite comment les outils théoriques de la géographie du pouvoir seront mobilisés dans l’argumentation. Enfin, je détaillerai la méthodologie utilisée pour le recueil des données sur le terrain.
Positionnement bibliographique : foncier pastoral et pression sur les ressources
Le foncier pastoral dans les régions agricoles de savanes humides est une thématique très peu abordée dans la littérature. Elle permet pourtant de poser la question des conséquences de la croissance démographique sur les ressources naturelles dans les régions rurales dans toute sa complexité .
Une approche bibliographique peu documentée : le foncier pastoral dans les régions de savanes
D’une part, la thématique du foncier pastoral a été largement étudiée dans les régions arides et semiarides d’Afrique subsaharienne. D’autre part, la littérature sur l’élevage dans les régions humides (approximativement entre 600 mm, limite nord de la zone soudanienne et 1500 mm, limite sud de l’élevage pastoral) où l’agriculture est majoritaire n’aborde que très peu la question du foncier pastoral. La question de la place de l’élevage et des éleveurs dans les régions humides sous pression foncière paraît donc un angle d’approche original peu étudié, qui lie deux bibliographies qui ne se recoupent que très peu.
Le foncier pastoral, une littérature fondée sur des études de cas de régions arides et semiarides
La mobilité comme adaptation à l’incertitude pluviométrique. Dans les régions arides et semiarides d’Afrique subsaharienne, (Demangeot 1999). les précipitations (de 100 mm à 400 mm pour la zone sahélienne) sont concentrées en deux à quatre mois de saison des pluies. Durant le reste de l’année, les précipitations sont nulles. Les troupeaux se déplacent en suivant ces pluies. En saison sèche, ils se trouvent dans les pâturages où la pluie est tombée le plus abondamment, là où la saison humide a été plus longue. En saison des pluies, ils quittent les pâturages plus arrosés où les maladies sont plus nombreuses et se dirigent vers les zones plus sèches, où il ne pleut que durant cette courte période et où le fourrage est particulièrement nutritif (Boudet 1975, Daget et Godron 1995). Ces mouvements d’échelle régionale ont été abondamment décrits dans la littérature. Ainsi, en Afrique de l’Ouest, les troupeaux effectuent des transhumances entre les pâturages sahéliens au nord où il pleut moins et les pâturages soudaniens au sud où il pleut plus et plus longtemps (Boutrais 1994, Welte 1997, Marty et al. 2009, Boureima et Boutrais 2012, Gonin et Tallet 2012a). Ce schéma nordsud général est parfois perturbé lorsque les configurations du milieu sont particulières. Dans les montagnes de l’Adamaoua camerounais (en zone soudanienne), les troupeaux descendent dans les vallées en saison sèche et remontent sur les versants en saison des pluies (Boutrais 1995). Dans le delta intérieur du Niger, les transhumances s’effectuent entre les pâturages de décrue du fleuve en saison sèche et les pâturages sahéliens du nord en saison des pluies (Gallais 1984). Mais les précipitations à l’échelle locale ne sont pas aussi régulières que le laisse présager le régime annuel des pluies. Audelà du schéma régional de transhumance, les pasteurs s’adaptent à la très grande variabilité dans la répartition des pluies et gèrent ainsi l’incertitude sur l’état du fourrage qui en découle (Jullien 2006). Au quotidien, ils aménagent leurs parcours en fonction de l’état de l’eau (quantité, qualité, accessibilité) et du fourrage (qualité, fréquentation des pâturages, repousses…) (Adriansen et Nielsen 2002, Adriansen 2008, Butt et al. 2009).
Le foncier pastoral comme adaptation à la mobilité. La mobilité pastorale est la meilleure réponse à la variabilité pluviométrique ; le foncier pastoral dans les régions arides et semiarides doit donc être assez flexible pour s’adapter à la mobilité des troupeaux, tout en garantissant l’accès à des ressources incertaines (Fernández Giménez 2002). Dans le cas des régions arides et semiarides, l’appropriation sur une base territoriale des ressources par les éleveurs ne répond pas à ces exigences: « il y a très peu d’avantage à maîtriser parfaitement des territoires étendus et à la productivité aléatoire » (Thébaud 2002, p. 229). Les pasteurs possèdent bien un terroir d’attache mais ils n’y cantonnent pas les mobilités de leur troupeau. Le terroir d’attache correspond à l’espace où ils sont installés depuis le plus longtemps, où ils reviennent le plus régulièrement et où ils ont le réseau social le mieux structuré (Marty 1993, Thébaud 2002). Dans cet espace, ils ont un accès privilégié, mais non exclusif, aux ressources. Par exemple l’accès au puits est géré par celui qui l’a creusé ; il y possède un accès prioritaire (Diallo 1999a). Mais en aucun cas l’accès à l’eau n’est exclusif (Kintz 1982). Tout troupeau, même étranger au terroir d’attache, peut demander à avoir accès au puits. L’aîné du lignage qui gère le puits lui accorde, sauf s’il estime que le troupeau étranger présente un risque de maladie infectieuse ou si son séjour a trop duré au regard de l’état des pâturages environnants. L’accès au pâturage en zone aride découle de la disponibilité en eau et est donc en grande partie régulé via l’accès au puits. S’il y a un paiement, il est symbolique et l’étranger paye par exemple du thé et du sucre à celui qui lui a accordé l’accès au puits (Thébaud 1995). Surtout, ce système repose sur la réciprocité au sein d’une communauté très large de pasteurs et permet ainsi la mobilité à grande distance, gage de succès du pastoralisme dans des régions où l’incertitude pluviométrique est grande. Ce système est perturbé lorsqu’un Etat ou un projet de développement creuse des puits cimentés sans se poser la question de la gestion des droits d’accès (Thébaud et Batterbury 2001, Bonnet et al. 2005). En l’absence d’autorité locale légitime pour gérer le puits, le risque est grand de surfréquentation des pâturages aux alentours et de nonentretien des infrastructures hydrauliques. Quand une autorité ne vient pas perturber le jeu des mobilités, malgré la règle de la liberté d’accès aux ressources, il n’y a généralement pas de surpâturage (Scoones 1994). Dans le cas des transhumances sahélosoudaniennes, contrairement à la théorie de « la tragédie des communs » (Hardin 1968), la propriété commune n’entraîne pas la dégradation des ressources. En effet, il existe des formes de régulation par la concertation des éleveurs au sein du groupe familial puis entre familles d’une même communauté sur le choix des destinations lors des transhumances (Marty, Eberschweiler, et Dangbet 2009; Welte 1997). Quand un pâturage devient très fréquenté à une certaine période, les éleveurs préfèreront partir plus loin, vers un autre pâturage. Le système foncier pastoral s’appuie donc fondamentalement sur une forme d’autorégulation. Par ailleurs, d’autres systèmes fonciers existent pour des ressources plus stratégiques à plus haute valeur fourragère et/ou plus rares, telles que les pâturages humides de basfond (bourgoutière) ou les résidus de récolte. Leur accès est étroitement contrôlé par des groupes locaux, qu’ils soient éleveurs ou agriculteurs (Thébaut 2002). Dans certains cas très spécifiques, l’accès est historiquement géré par des institutions puissantes, comme les chefs peuls (diaro) qui régulent l’accès aux pâturages de décrue du delta intérieur du Niger (Gallais 1984).
Les axes de recherche sur l’élevage dans les régions agricoles de savanes
Si le foncier pastoral est un thème important dans la bibliographie sur le pastoralisme dans les régions arides et semiarides, il est beaucoup moins traité dans la bibliographie sur l’élevage dans les régions de savanes, où la pression foncière est plus forte, comme l’Ouest du Burkina Faso. La bibliographie sur l’élevage dans les régions de savanes humides se structure en trois thèmes principaux : l’intégration agricultureélevage ; la diversification des activités et l’émergence de l’agroélevage et de l’agropastoralisme ; les conflits agricultureélevage.
L’intégration agricultureélevage. Agronomes et géographes ont produit une littérature abondante sur l’intégration agricultureélevage. Cette thématique est une antienne depuis les premiers écrits des vétérinaires coloniaux (Curasson 1947). Les agronomes souhaitent transposer en l’Afrique subsaharienne le modèle intégré de la ferme européenne en polyculture élevage (Landais et Lhoste 1990). A partir du début des années 1990, l’intégration n’est plus pensée seulement à l’échelle de l’exploitation mais aussi à l’échelle du terroir, avec des échanges entre pasteurs et agriculteurs (Dugué et Dongmo 2004). Il faut au préalable que les deux communautés cohabitent pacifiquement sur le même territoire qu’elles se sont chacune appropriées et qu’elles aient eu l’occasion de tisser des liens économiques et sociaux solides (Gautier, AnkoguiMpoko, et al. 2005). Cela suppose que les éleveurs de la zone agricole se soient sédentarisés (Dongmo, Djamen, et al. 2007, Dongmo, Havard, et al. 2007). La majorité des études théorise l’intégration sur un plan plus technique, en termes d’échanges entre fumure animale pour amender les champs et résidus de récolte pour alimenter le bétail. Au NordCameroun, les flux de fumure et de fourrage entre agriculture et élevage ont même été quantifiés (Dugué 2000, Picard 2000). Mais les études de cas concluent le plus souvent à une intégration décevante de l’agriculture et de l’élevage, par manque de fumure pour fertiliser les champs, ou par manque de fourrage, ou encore par un mauvais aménagement de l’espace, ou enfin par manque d’intégration sociale (Dugué, Koné, et al. 2004, Vall et al. 2006).
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Table des matières
Introduction
0.1 Positionnement bibliographique : foncier pastoral et pression sur les ressources
0.1.1 Une approche bibliographique peu documentée : le foncier pastoral dans les régions de savanes
0.1.2 Les relations hommesenvironnement en zone soudanienne par le prisme du foncier pastoral
0.2 Région et objet d’étude : l’élevage dans une région en recomposition
0.2.1 « Du vide au plein » : les recompositions de l’Ouest
0.2.2 Les mutations de l’élevage prises dans les contradictions des recompositions
0.3 Problématisation : quelle place pour l’élevage dans des espaces sous pression foncière ?
0.3.1 Problématique
0.3.2 Positionnement épistémologique : une géographie du pouvoir
0.3.3 Hypothèses de recherche et plan
0.4 Méthodologie de recherche et recueil des données sur le terrain
0.4.1 Le choix des terrains d’enquête
0.4.2 Difficultés de recherche en milieu rural africain
0.4.3 Des entretiens pour comprendre les jeux de pouvoir
0.4.4 Trianguler l’information : les méthodes complémentaires aux entretiens
1« La brousse est (presque) finie ! » : recul des espaces de parcours à l’échelle régionale
1.1 Les dynamiques de recul des espaces de parcours
1.1.1 Une première appréhension des espaces de parcours
1.1.2 L’évolution des parcours depuis l’ouverture du front pionnier (1970 – 2002)
1.1.3 Les dynamiques récentes (années 2000)
1.2 Le front pionnier agricole et la réduction des espaces de parcours
1.2.1 L’augmentation de la population rurale
1.2.2 L’augmentation des superficies agricoles
1.2.3 L’augmentation des besoins pastoraux
Conclusion du chapitre 1
2. A l’échelle locale, la fragilisation des territorialités pastorales
2.1 Espaces de parcours : des catégories des experts aux territorialités des éleveurs
2.1.1 La diminution des parcours à l’échelle locale : une revue critique de la littérature
2.1.2 Une autre approche des espaces de parcours : les territorialités pastorales
2.2 L’évolution de la géographie des parcours à l’échelle locale
2.2.1 L’analyse de la diminution des espaces de parcours dans la zone pastorale de Samorogouan
2.2.2 Pression sur les parcours et difficultés de conduite des troupeaux
Conclusion du chapitre 2
3. Pression sur les parcours et recomposition des mobilités pastorales
3.1 Des mobilités confinées dans les territoires locaux : un cheptel sédentaire sous pression
3.1.1 Les logiques des mobilités locales
3.1.2 La recomposition des mobilités locales face à la réduction des parcours
3.2 La fragilisation de la transhumance régionale
3.2.1 La transhumance, une réponse aux conditions pluviométriques
3.2.2 La recomposition des transhumances face à la réduction des parcours
Conclusion du chapitre 3
Conclusion
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