Autrefois, les infections sexuellement transmissibles (IST) portaient le nom de maladies vénériennes, provenant de Vénus, déesse de l’amour dans la mythologie romaine. Le terme fut remplacé par celui de maladies sexuellement transmissibles (MST) avant d’être progressivement remplacé par celui d’IST au début du XXIème siècle, du fait que certaines de ces infections sont asymptomatiques. Ces IST représentent un important problème de santé publique dans le monde malgré le fait que la plupart peuvent être diagnostiquées et traitées facilement si prises en charge précocement.
Parmi les plus fréquentes en France, les IST à Chlamydiae trachomatis et Neisseria gonorrhoeae sont particulièrement redoutées en raison des complications graves qu’elles peuvent entraîner telles que la maladie pelvienne inflammatoire (MPI), les grossesses extra utérine, les périhépatites secondaires, l’arthrite réactionnelle et la stérilité à plus long terme (2,3,11,13). En effet, le taux d’infertilité rapporté après un épisode de MPI se rapproche de 10% dans certaines études, ce qui fait de l’infection à Chlamydia la principale étiologie évitable d’infertilité tubaire (12). L’émergence de souches résistantes et l’existence d’échecs de traitement des infections gonococciques font parties des complications émergentes de ces IST (14,15). Les manifestations cliniques sont extrêmement variables et peu spécifiques (3). Entre 70 et 95% des femmes et 50% des hommes porteurs d’une infection ne présentent aucun symptôme alors que leur taux de transmission peut atteindre jusqu’à 70% lors d’un rapport sexuel non protégé (2-4,6). Des échantillons aléatoires de la population européennes ont retrouvé une prévalence à Chlamydiae variant de 3.5 à 7% chez les moins de 26 ans avec une vie sexuelle active (2,3). En découle une importante augmentation de l’incidence de ces infections, pareillement aux syphilis précoces et infections à gonocoques dans la population Française selon un recensement de l’Institut de Veille Sanitaire réalisé en 2015 (1). Les facteurs de risques sexuels pour les IST incluent les nouveaux partenaires sexuels, un cas antérieur d’IST ainsi qu’une utilisation incohérente et insuffisante du préservatif malgré des décennies de sensibilisation (7). Les IST concernent tout particulièrement les adolescents et les jeunes adultes avec des taux d’infection plus élevés parmi les personnes âgées de 15 à 24 ans (6).
Parmi les facteurs empêchant les jeunes de se protéger, on retiendra le manque de connaissances sur la prévalence des IST, la nature asymptomatique de l’infection, la confusion entre contraception et protection contre les IST (8,9). Le dépistage des IST est réalisé dans différentes situations. Il est évident lorsque les patients se présentent pour une relation sexuelle non protégée ou une pathologie génitale. La difficulté du diagnostic réside dans le dépistage précoce des consultants asymptomatiques selon certaines situations de recours aux soins. Celui-ci est indispensable pour interrompre la transmission et la prévalence des IST. Il doit être accompagné d’un dépistage de toutes les IST, d’un dépistage des partenaires et suivi d’un traitement rapide (3,5).
Le haut degré de corrélation entre ces infections et les abus sexuels pose chez les adolescents la question au-delà du traitement médical, de l’évaluation et de la prise en charge du traumatisme psychique et de ses conséquences futures. L’expérience d’un abus sexuel au cours de l’enfance prédispose à une plus grande vulnérabilité sur le plan sexuel au cours de l’adolescence (10,16). Les abus sexuels ont été associés à des débuts sexuels précoces, un nombre croissant de partenaires sexuels, des rapports non protégés, la consommation d’alcool et de drogues pendant les rapports sexuels et les tentatives de suicide pouvant atteindre 8,4% dans certaines études (17-19). Un traitement contraceptif d’urgence est proposé lorsqu’un patient exposé à un risque sexuel est examiné dans les 72h suivant le rapport. Une trithérapie prophylactique contre le VIH doit être initiée, la vaccination contre l’hépatite B, l’injection d’immunoglobulines anti-HBs doit être envisagée pour les hommes et les femmes non vaccinés, et le vaccin contre le Papillomavirus humain doit être proposé aux candidats et aux candidates dont l’âge le justifie. L’antibiothérapie prophylactique quant à elle, n’est pas recommandée en l’absence d’antibiotique unique efficace contre tous les agents bactériens incriminés et du fait qu’un traitement initié précocement après diagnostic permette d’éviter les séquelles (20). L’indication d’une hospitalisation est à évaluer au cas par cas et peut répondre à d’autres impératifs, notamment du fait de réactions émotionnelles très vives de la part de la victime ou de son entourage et la nécessité d’identification de l’agresseur (22).
Matériel et Méthodes
Cette étude visait à décrire l’incidence de ces IST parmi une cohorte monocentrique d’adolescents dans différents services de l’AP-HM à Marseille, au cours des 7 dernières années, de 2013 à 2019. Elle s’intéressait plus spécifiquement à décrire les modes de dépistage, la présentation clinique, la prise en charge diagnostique et thérapeutique en les comparant avec une cohorte de patients non infectés dépistés pour ces mêmes IST Les Hôpitaux Marseillais concernés étaient les suivants : l’Hôpital de la Timone, L’Hôpital Nord, l’Hôpital de la Conception, l’Hôpital de Sainte Marguerite et l’Hôpital de la Prison des Baumettes. Les patients inclus étaient les patients mineurs chez qui un bilan à la recherche d’IST a été réalisé sur échantillon de sang, prélèvement urinaire, vaginal ou bien rectal entre 2013 et 2019, dans le laboratoire de microbiologie de l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Méditerranée infection, à Marseille. Les IST recherchées par PCR et / ou sérologies concernaient les germes suivants : Chlamydiae trachomatis, Neisseria gonorrhoeae, Mycoplasma genitalium, Trichomonas vaginalis, Treponema pallidum, ainsi que les virus de l’hépatite B, de l’hépatite C et du VIH. La syphilis (Treponema pallidum) était la seule IST pour laquelle ont été sélectionnées les prélèvements de type sérologies et PCR. Ces données ont été extraites à partir du logiciel nextlab. Ont été exclus : les patients majeurs, ceux ayant une IST congénitale ou néonatale, ceux ayant eu un prélèvement ORL, pneumologique, LCR, ophtalmique, cutané ou d’origine indéterminée. Ont aussi été exclus les patients pour lesquelles la seule IST positive était une syphilis d’immunité acquise. Les critères d’évaluation étaient les suivants : Motifs de consultation, lieux de prise en charge, examens cliniques, bilans sanguins, imageries complémentaires et prise en charge thérapeutique. Ils ont pu être recueillis grâce à la consultation des dossiers patients informatisés via le logiciel DPI-Axigate. Chacun des patients positifs à un test IST inclus au sein de notre étude était apparié selon son âge, son sexe et lieu de consultation à 2 patients négatifs pour le même test IST. Tous les patients ont été anonymisé dès leur inclusion ou leur appariement.
Aspects légaux et éthiques
Une demande de dérogation concernant l’information des patients mineurs et de leurs représentants légaux a été réalisé dans un contexte où ces infections sont souvent ignorées des familles des patients et patientes. Cette étude a été qualifiée par la CNIL locale de recherche n’impliquant pas la personne humaine et l’investigateur a été mandaté par écrit par chaque chef de services concernés par l’étude (n° 2019-143). Sur le plan éthique, un accord du comité d’éthique de l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Méditerranée infection a été obtenu (n°2019-010).
Statistiques
Compte-tenu de la nécessité de comparer deux groupes et de leurs effectifs, le test du Chi2 et le test exact de Fischer ont été utilisés pour l’analyse statistique des données qualitatives. Pour les données quantitatives, le test de Mann-Whitney et le test t de Student ont été utilisés. La significativité était définie par p < 0,05 .
Résultats
Entre janvier 2013 et mars 2019, sur les 8526 Bilans réalisés chez 4188 patients, 252 ont été exclus, 120 patients ayant une IST diagnostiquée ont été inclus au sein de notre étude .
Description clinico-biologique des 120 cas de patients avec un test IST positif :
L’âge moyen des patients inclus était de 16.22 ans, la population étudiée étaient composée de 77.5% (n=93) de femmes. Les lieux de consultation les plus fréquents étaient les services de gynécologie et de Pédiatrie (urgences, consultations, services) : respectivement 33.3%(n=40) et 30.0% (n=36). (Tableau 1) Le motif le plus fréquent de consultation retrouvé était la présence de douleurs abdominales (15.8%, n=19), suivi des violences sexuelles (9.1%, n=11) et des motifs psychiatriques telle que les idées noires ou les tentatives de suicide (5%, n=6).
Parmi les éléments de l’anamnèse on retrouvait 64.4% (n=29/45 patients pour lesquels la donnée était disponible) de patients avec des antécédents psychiatriques dont 31.1%(n=14) avec des antécédents de tentative de suicide. La moitié des patients étaient des fugueurs connus, 86,2%(n=50) avaient une consommation de tabac active et 65.2% (n=30) avaient une consommation de cannabis régulière. Seulement 18.7%(n=9) des patients utilisaient un moyen de contraception et 31.9 (n=15) étaient victimes d’abus sexuel.
Les éléments les plus fréquents retrouvés à l’examen clinique étaient les douleurs abdominales (56.9%, n=33), la présence d’un écoulement vaginal (33.3%, n=19), la fièvre (21.4%, n=12) l’asthénie (18.2%, n=10) et la fugue du service de consultation ou d’hospitalisation (17.6%, n=9). (Tableau 3) Les IST les plus fréquentes étaient celles à chlamydia (67.5%, n=77) et à gonocoque (29%, n=34) avec un examen réalisé chez 95% (n=114) des patients. La recherche de Mycoplasme était réalisée chez 78.3%(n=94) des patients avec un taux de positivité à 23.4% (n=22). La recherche de syphilis était réalisée chez 62.5% (n=75) des patients, 13 cas sont revenus positifs (17.3%) dont 8 étaient des immunités anciennes découvertes dans un contexte d’autres IST positives. Les recherches d’hépatites et de VIH étaient plus fréquentes dans le groupe apparié, dont le bilan IST était négatif. (Figure 2) Seulement 1 patiente avait une sérologie VIH positive. C’était une patiente de 17,8 ans avec un VIH congénital connu et suivi régulièrement, inclus pour un test positif à chlamydia. Le bilan des IST était complet pour seulement 60.8% (n=73) des patients. (Tableau 4) Le dosage des βHCG était réalisé chez 39% (n=30) des patientes ayant un diagnostic positif d’IST. Un syndrome inflammatoire était présent avec une CRP moyenne à 40.4 mg/L. L’hémogramme ne présentait en général pas d’anomalie avec une moyenne d’hémoglobine à 12.23 g/Dl et une moyenne des leucocytes à 9.8 G/L. Une Infection génitale haute de type salpingite ou abcès a été diagnostiquée dans 31.6% des cas alors que dans 41.1% des cas le portage était asymptomatique. (Tableau 5) 68% (n=30) des hospitalisations étaient réalisées par des services de pédiatrie, contre 27% (n=12) par des services de gynécologie. La durée moyenne d’hospitalisation était de 5.95 jours. Concernant la prise en charge thérapeutique, la majorité des patients recevaient une antibiothérapie adaptée (83.3%, n=45). La trithérapie et la contraception d’urgences étaient beaucoup moins fréquentes (respectivement 25.0%, n=12 et 21.7%, n=10). Le suivi des IST telles que le VIH et le VHB était réalisés dans plus de 43% des cas et plus de la moitié des patients inclus bénéficiaient d’un suivi psychiatrique (52.9%, n=27). (Tableau 6) A noter que 19.1% (n=13) des patients ont reçu une chirurgie dont 4 étaient pour raison infectieuses et 6 pour des IVG. Aucun décès n’a été observé dans les suites de la prise en charge de ces IST.
Comparaison des 2 groupes appariés : IST positive versus IST négative :
Il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes pour les données démographiques. (Tableau 1) En analyse univariée, pour les données de l’anamnèse, les deux groupes différaient par leur lieu de résidence avec un risque significatif d’avoir une IST positive en résidant dans un foyer ou une famille d’accueil (respectivement p= 0.034 et p= 0.04). Sur le plan clinique, la présence d’un écoulement vaginal étaient significativement plus élevées dans le groupe IST positive (p= 0.006). Le bilan IST différait par le fait qu’il était significativement plus complet lorsqu’une IST était diagnostiquée (p= 0.001) et l’échographie abdominale était réalisée plus fréquemment chez ces patients(p=0.019) .
Concernant la prise en charge des patients, la durée d’hospitalisation différait de manière significative en univarié entre les deux groupes avec une moyenne de 5.95 jours pour le groupe IST positive contre 3.7 jours pour le groupe apparié (p= 0.002). La prise en charge différait uniquement par la réalisation d’une antibiothérapie plus fréquente dans le groupe d’IST positive (p= 0.012). Il n’y avait pas de différence significative concernant les complications au sein des 2 groupes. Concernant l’analyse multivariée, les critères suivants ont été ajustés : Hospitalisation, Bilan IST complet avec écoulement génital puis résidence en foyer (indépendamment). Une fois ajusté, il en ressort que le fait de résider dans un foyer ou d’avoir un écoulement génital restent des critères significatifs pour suspecter une IST chez un patient mineur.
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Table des matières
INTRODUCTION
MATERIEL ET METHODES
RESULTATS
DISCUSSION
CONCLUSION
ANNEXES
REFERENCES