L’ensemble des travaux décrits dans les pages qui suivent s’articulent autour de la réactivité des isonitriles, composés dont la réactivité est tout à fait originale. Les isonitriles sont avant tout connus pour leur utilisation dans des réactions multicomposants (IMCR pour Isocyanide MultiComponent Reactions), les réactions de Ugi et de Passerini étant les plus fameuses d’entres elles. Ce ne sont cependant pas les seules applications des isonitriles à avoir été développées. La réaction de Nef, notamment, semble connaître un certain regain d’intérêt.
Réactions multicomposants
Définition, aperçu historique
A l’heure où le terme « chimie » semble faire peur, accusé de nombre de maux (maladies, pollution…) de manière plus ou moins justifiée, le concept de synthèse idéale (fig A.20) est avancé pour répondre au défi d’une chimie plus compatible avec les inquiétudes de la société actuelle. La synthèse idéale tient compte des préoccupations économiques (rapidité du processus, rendements élevés…), sociales (sûreté des procédures…) et environnementales (réactions sans solvant, absence de déchets de réaction…).
Les réactions multicomposants (MCR), définies comme des réactions en un pot dans lesquelles 3 composés ou plus réagissent entre eux pour former un produit unique incorporant l’essentiel des atomes des réactifs de départ, sont une avancée certaine vers cette synthèse idéale puisqu’elles sont économiques en atomes, généralement simples à mettre en œuvre et permettent l’accès à des structures complexes en un minimum d’étapes.
La première réaction multicomposant est attribuée à Strecker. Il s’agit de la condensation d’ammoniaque, d’un aldéhyde et de cyanure de potassium pour obtenir, après hydrolyse, un acide α-aminé.
Hantzsch, en 1882, par condensation d’un aldéhyde, d’ammoniaque et de deux équivalents de β-cétoesters pour la formation d’une dihydropyridine, propose ce qui est souvent considérée comme la première synthèse multicomposant d’un hétérocycle.
La synthèse d’imidazole par Radziszewski est probablement la première réaction à plus de trois composants.
Découverte de nouvelles réactions multicomposants
S’il est toujours possible de créer de nouvelles réactions multicomposants à partir de “rien”, des approches plus systématiques peuvent en favoriser l’émergence. Une méthode possible consiste en la modification des réactions multicomposants préexistantes. Altération après altération, ce qui n’était que de simples variantes deviennent de véritables nouvelles réactions multicomposants.
Ces modifications peuvent être de plusieurs ordres : remplacement d’un réactif par un autre réactif, avec ou sans changement du mécanisme réactionnel, utilisation de réactifs multifonctionnels, combinaison de différentes réactions multicomposants… Ces approches, bien entendu, peuvent se recouper et le classement que nous proposons pourra être considéré comme parfaitement arbitraire. Nous allons dans ce paragraphe donner quelques exemples de cette approche à travers quelques variantes des réactions de Ugi et Passerini. L’exhaustivité en la matière étant probablement illusoire, nous n’y prétendrons pas et nous ne choisirons, à chaque fois, que quelques exemples que nous espérons les plus éloquents possibles.
Remplacement d’un réactif par un réactif proche
Il s’agit ici de remplacer l’un des réactifs mis en jeu dans une réaction multicomposant par un autre réactif arborant une réactivité proche ou identique. Cette méthode a été théorisée par Ganem sous le sigle SRR (Single Reactant Replacement). Ainsi, on peut notamment considérer que la réaction de Ugi est une sorte de réaction de Passerini où une imine prend la place d’un aldéhyde. La réaction de Ugi à son tour fut l’objet d’un travail sur les différents composants y intervenant. Ainsi, des oximes pour aboutir à des acides hydroxamiques (fig. A.32), des hydrazides et hydrazines et des urées ont été impliquées avec succès dans des réactions de Ugi.
De même, des acides thiocarboxyliques ont été utilisés dans des réactions de Ugi pour aboutir à des α-amido-thioamides.
Réactions multicomposants avec mécanismes similaires
L’étude du mécanisme proposé pour la réaction de Ugi nous montre que ce n’est pas une imine mais un iminium (obtenu par protonation de la dite imine) qui interagit avec l’isonitrile. La formation de cet iminium peut être également directement achevée par l’utilisation d’une amine secondaire. Le réarrangement de Mumm a alors lieu sur l’azote de l’amide.
A la suite de travaux sur l’addition d’isonitriles sur des acétyléniques appauvris, la réaction entre un isonitrile, un acide carboxylique et un allène appauvri par un groupement électro-attracteur a été envisagée après une étude mécanistique de la réaction de Passerini. Le transfert final d’acyle a ici aussi lieu sur l’azote de l’amide.
Passer d’une réaction n-composants à une réaction n+1-composants
Certains réactifs mis en jeu dans une réaction multicomposant peuvent être formés directement dans le milieu réactionnel. On augmente alors le nombre de réactifs mis en jeu dans la réaction multicomposant et avec lui, le degré de variabilité du produit. Ceci est particulièrement intéressant dans le cas de réactifs insuffisamment stables pour être isolés. Par exemple, des carbamates ont été synthétisés par une réaction de Ugi à cinq composants où l’acide carbonique est formé in situ par addition d’alcool (utilisé comme solvant) sur du dioxyde de carbone. (fig. A.42) La méthode a été étendue à CS2 et à COS avec plus ou moins de réussite.
Combinaison de réactions multicomposants
La méthode précédente peut être étendue à la formation par une réaction multicomposant d’un des réactifs mis en jeu dans une réaction multicomposant. Il est alors parfois possible, en mélangeant dès le départ les composés nécessaires aux deux réactions multicomposants d’obtenir une nouvelle réaction multicomposant. Ainsi, le produit d’une réaction d’Asinger (ou plutôt de l’une de ses variantes) à quatre composants est une thiazoline. La partie imine de cet hétérocycle peut ensuite être utilisée dans une réaction de Ugi à trois composants. On obtient ainsi une réaction à sept composants.
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Table des matières
Introduction générale
Isonitriles et réactions multicomposants
A.1 Isonitriles, généralités
A.2 Réaction de Nef
A.3 Réactions multicomposants
A.3.1 Définition, aperçu historique
A.3.2 Découverte de nouvelles réactions multicomposants
Réaction de Ugi-Smiles avec des équivalents d’ammoniaque
1.0 Introduction
1.0.1 Retour sur la réaction de Ugi-Smiles
1.0.2 Utilisation d’équivalents d’ammoniaque dans la réaction de Ugi
1.0.3 Cadre de l’étude et objectifs
1.1 Utilisations d’amines convertibles – Equivalents d’ammoniaque
1.2 Post-condensations
1.2.0 Réaction de Ugi-Smiles et réactions de post-condensation
1.2.1 Réduction du groupement nitro
1.2.2 Benzotriazoles
1.2.3 Benzimidazoles
1.2.4 Hétérocycles à six chaînons
Phosphates et phosphonates
B.1 Eléments de la chimie des phosphates et des phosphonates
B.2 Réaction de Michaelis-Arbuzov et réaction de Perkow
Réactions de Passerini sur les phosphonates d’acyle
2.0 Cadre de l’étude, objectifs
2.1 Réactions de Passerini avec un phosphonate d’acyle
2.1.1 Formation des phosphonates d’acyle
2.1.2 Réaction de Passerini
2.1.3 Autres réactions de type Passerini
2.1.3.1 Passerini-Smiles
2.1.3.2 Réaction de Passerini avec un azoture
2.1.4 Conclusion sur la réaction de Passerini
2.2 Extension à la réaction de Ugi ? – Formation de phosphonates d’imidoyle
2.3 Obtention de phosphates
2.3.0 Réarrangement de phospha-Brook
2.3.1 Application du réarrangement de phospha-Brook aux produits de Passerini
2.3.2 Tentatives de piégeage de l’anion intermédiaire
2.4 Conclusion sur le chapitre
Séquence Nef / Perkow pour la synthèse de cétène-imines
3.0 Introduction, cadre de l’étude et objectifs
3.1 Synthèse de cétène-imines
3.1.1 Réaction de Nef
3.1.2 Réaction de Perkow – Obtention de cétène-imines
3.1.3 Hydrolyse des cétène-imines
3.2 Applications en synthèse hétérocyclique
3.2.0 Réactivité des cétène-imines
3.2.1 Formation d’hétérocycles par réaction sur la liaison C=N
3.2.1.1 Synthèse de tétrazoles
3.2.1.2 Synthèse de triazoles
a – 1,2,3-triazoles
b – 1,2,4-triazoles
3.2.1.3 Autres essais d’activation de la partie imine
3.2.2 Synthèse d’hétérocycles par réaction sur la liaison C=C
3.2.2.1 Synthèse d’indolizines
3.2.2.2 N-oxyde de pyridinium
3.2.3 Compétition entre la liaison C=C et la liaison C=N – Synthèse de pyridines, de dihydropyridines et de dihydropyrimidines
3.3 Perspectives
3.3.1 Action d’un organomagnésien sur les cétène-imines
3.3.2 Réaction multicomposant sur les cétène-imines
3.4 Conclusion sur les chapitres 2 et 3
Conclusion générale
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