Les premiers isonitriles ont été formés par Lieke en 1859 : en alkylant le cyanure d’argent avec des dérivés halogénés et notamment l’iodure d’allyle, il souhaitait obtenir le nitrile correspondant. Or, lors de l’hydrolyse de ce composé, il a obtenu le N-allylformamide et non l’acide carboxylique attendu. Il a donc été le premier à synthétiser, certes de manière fortuite, les ‘isonitriles’, classés parmi les isomères des nitriles. Mais assez rapidement, il a été contraint d’abandonner ses recherches à cause de leur odeur fort désagréable.
Les travaux sur les isonitriles n’ont été repris que dans les années 1880-90, par Gautier et Hoffmann, souvent considérés comme les vrais pionniers en matière de recherche sur les isonitriles. En particulier, Gautier s’est longuement intéressé à la structure et la toxicité de tels composés. Hoffmann, de son côté, a développé une synthèse d’isonitrile encore largement utilisée aujourd’hui, que nous exposerons ultérieurement. Leur odeur caractéristique, désagréable et persistante, et la difficulté de les synthétiser avec un rendement et une pureté satisfaisants, ont particulièrement ralenti leur étude. Longtemps vus comme des curiosités de laboratoire sans utilisation pratique bien définie , ce n’est qu’au début des années 1960 qu’ils font l’objet d’études approfondies, notamment en raison de la découverte de la réaction de Ugi en 1959.
SYNTHÈSES D’ISONITRILES
Il existe de nombreuses méthodes pour synthétiser les isonitriles ; les deux méthodes les plus générales sont la synthèse par déshydratation de formamide et la voie carbylamine.
Méthode carbylamine
Parallèlement aux travaux de Gautier sur la structure et la toxicité des isonitriles, Hoffman a développé une nouvelle approche de synthèse, dite réaction carbylamine, qui fait intervenir une amine primaire réagissant sur le chloroforme en présence d’une base comme l’hydroxyde de potassium en solution éthanolique. Cette technique était notamment utile pour l’identification de composés : l’odeur de l’isonitrile, même en infime proportion, permettait de prouver la présence d’une amine primaire.
Cette voie de synthèse, bien qu’assez ancienne, ne s’est réellement développée qu’avec les travaux importants de Weber, Ugi et Gokel et l’apparition de la catalyse de transfert de phase, qui permet de générer de manière simple et propre un dichlorocarbène. Elle est en effet basée sur la réaction entre une amine primaire et un dichlorocarbène, généré à partir du chloroforme, en présence d’une base forte (potasse, soude ou tert-butanolate de potassium). L’adduit subit ensuite une β-élimination d’une molécule d’acide chlorhydrique, puis l’α-élimination d’une autre molécule d’HCl conduit à l’isonitrile.
Déshydratation de formamide
Inverse de l’hydrolyse d’un isonitrile, la réaction de déshydratation d’un formamide fournit l’isonitrile correspondant. Cette voie de synthèse est très répandue car elle est compatible avec un assez grand nombre de fonctionnalisations et donc de substrats.
Le formamide N-monosubstitué est facilement accessible à partir de l’amine primaire et de formiate de méthyle. Un agent déshydratant est nécessaire à la réaction, et une large gamme de réactifs peut être utilisée : phosgène, oxychlorure de phosphore, chlorure de thionyle en association avec le DMF, tribromure de phosphore ou pentoxyde de phosphore, toujours en combinaison avec une base (trialkylamine, pyridine, hydroxyde de sodium, carbonate de potassium ou tert butoxylate de potassium). Les associations phosgène/triéthylamine, ou oxychlorure de phosphore/pyridine sont des combinaisons particulièrement efficaces.
PROPRIÉTÉS ET RÉACTIVITÉ
Les isonitriles sont des composés à la réactivité unique et ambiguë. Ce sont des composés organiques stables qui portent un atome de carbone divalent. Sensibles aux acides comme nous le verrons par la suite, mais stables en milieu basique, la plupart des isonitriles peuvent être conservés plusieurs jours à 5°C sans se dégrader.
α-addition d’électrophiles et de nucléophiles
Les propriétés intéressantes des isonitriles peuvent s’expliquer au niveau de leur diagramme orbitalaire. Ainsi, pour un isonitrile, au niveau de son orbitale la plus basse vacante (π*), le coefficient orbitalaire le plus important est situé sur l’atome de carbone. L’attaque d’un nucléophile sous contrôle orbitalaire se fera donc préférentiellement sur l’atome de carbone.
L’orbitale la plus haute occupée de l’isonitrile (σ) est développée uniquement sur le carbone. Encore une fois, sous contrôle orbitalaire, un électrophile réagira donc avec l’atome de carbone. Cet atome de carbone possède donc la remarquable propriété de pouvoir se lier à la fois à un électrophile et à un nucléophile. D’autres groupements fonctionnels peuvent réagir à la fois avec un nucléophile et un électrophile, mais cela a alors lieu sur deux centres distincts. Ainsi, les nitriles peuvent subir une addition nucléophile sur l’atome de carbone, et réagir avec un électrophile par l’atome d’azote (coefficient le plus élevé dans l’orbitale π, l’orbitale la plus haute occupée). Mais les isonitriles concentrent ces propriétés sur un même atome, grâce à la nature carbénique de cet atome.
Ainsi, dans un premier temps on observera souvent une attaque du carbone de l’isonitrile sur un électrophile (l’isonitrile a un caractère nucléophile plus marqué), ce qui génère un intermédiaire nitrilium, qui sera plus électrophile et va donc réagir avec un nucléophile pour donner un carbone trivalent, qui peut ensuite subir d’autres réarrangements.
Par exemple, l’addition d’un chlorure d’acide sur un isonitrile, décrite par Nef dès 1894, conduit à la formation d’un chlorure d’imidoyle, qui après hydrolyse donne un α-cétoamide.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 : ISONITRILES ET REACTIONS MULTI-COMPOSANTS
I. SYNTHÈSES D’ISONITRILES
1. Méthode carbylamine
2. Déshydratation de formamide
II. STRUCTURE
III. PROPRIÉTÉS ET RÉACTIVITÉ
1. α-addition d’électrophiles et de nucléophiles
2. Acidité en α
3. Interaction avec radicaux
4. Cycloaddition formelles
IV. REACTIONS MULTI-COMPOSANTS IMPLIQUANT DES ISONITRILES
1. Réaction de Passerini
2. Réaction de Ugi
3. Variantes des réactions de Passerini et de Ugi
4. Variantes de Smiles : réactions de Passerini- et Ugi-Smiles
5. Post-condensations d’adduits de la réaction de Ugi-Smiles
CHAPITRE 2 : ETUDE D’UNE NOUVELLE SYNTHESE D’ISONITRILE
I. SYNTHESES D’ISONITRILES
1. Réactions rédox
2. Ouverture de cycle
3. Réarrangement
4. Thermolyse
5. A partir d’isonitriles préexistants
II. SYNTHESES D’ISONITRILES A PARTIR D’IONS CYANURES
1. Synthèses à partir de cyanure d’argent
2. Synthèses à partir de cyanure d’origine organique
3. Synthèses à partir de sels de dicyanoargentates
III. ETUDE DE LA SYNTHESE D’ISONITRILES AVEC DU CYANURE D’ARGENT
1. Choix de l’agent alkylant témoin
2. Choix du cyanure métallique et du solvant
3. Variations
4. Proposition de mécanisme
CHAPITRE 3 : SYNTHESES D’ISONITRILES IN SITU ET REACTIONS MULTICOMPOSANTS
I. VERS UNE SEQUENCE EN UN POT AVEC DES ISONITRILES IN SITU : LES SYNTHESES D’OXAZOLES
1. Le cas des 2-bromoacétophénones
2. La synthèse d’oxazoles à partir de chlorures d’acide
II. IMCR AVEC REARRANGEMENT DE SMILES
1. Ugi-Smiles
2. Passerini-Smiles
III. REACTION DE UGI
1. Optimisation des conditions expérimentales
2. Variations autour de la réaction de Ugi
IV. RÉACTION DE PASSERINI
V. AUTRES RÉACTIONS MULTI-COMPOSANTS
1. Ugi-TMSN3
2. Bienaymé-Groebke-Blackburn
CHAPITRE 4 : CYCLISATIONS AUTOUR DE LA REACTION DE UGI-SMILES
I. ETUDE DES ADDUITS DE UGI-SMILES EN CONDITIONS BASIQUES
1. Migration de l’amine
2. Déprotonation en α de l’amide
II. REARRANGEMENT DE SMILES
1. Mécanisme et caractéristiques
2. Exemples de réarrangement de Smiles
3. Réarrangements de Truce-Smiles
III. REARRANGEMENT DE SMILES SUR UN ADDUIT DE UGI-SMILES
1. Premiers essais avec un phénol présentant un seul groupe électroattracteur
2. Avec des composés bis-activés
3. Avec le salicylate de méthyle
4. Avec le 4-nitrosalicylate de méthyle
5. Avec des hétérocycles
IV. REARRANGEMENT DE SMILES AVEC D’AUTRES COMPOSES
1. Avec des adduits de Passerini-Smiles
2. Avec des composés cycliques
CONCLUSION GENERALE
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