Isolation et caractérisation des cellules souches gingivales

L’évolution des connaissances sur le fonctionnement cellulaire n’a cessé d’apporter un renouveau dans le domaine de la biologie cellulaire. La découverte de l’ADN et des mécanismes de transcription et de traduction de l’information génétique en protéines par l’intermédiaire de messagers a notamment permis l’avènement de la biologie moléculaire. Cependant, la notion selon laquelle les cellules d’un individu partagent le même patrimoine génétique et se distinguent les unes des autres non pas par ce patrimoine mais par l’expression sélective de certains gènes selon une dynamique finement régulée, témoigne de la nécessité d’une approche transversale des questions soulevées par les mécanismes cellulaires. En effet, les mécanismes de régulation de ces gènes font intervenir de nombreux intermédiaires qui relèvent de la signalisation interne à la cellule mais qui sont orientés par son environnement. Ainsi, de multiples niveaux de régulation agissent sur la cellule, guidant sa spécification et l’expression de ses fonctions.  La découverte de cellules souches à l’âge l’adulte (reprogrammées ou non) capables d’être réorientées vers un état indifférencié a modifié la façon d’appréhender les tissus adultes. Ainsi, ces cellules ont fait la preuve, à maturité, d’une plasticité insoupçonnée jusqu’alors, permettant de concevoir des cellules non pas figées, mais étant capable de réorienter leurs phénotypes, leurs fonctions, leurs activités, non seulement en fonction des conditions de leur environnement mais également selon leur potentiel intrinsèque.

Le fibroblaste 

Définition

Le fibroblaste est une cellule mésenchymateuse ubiquitaire impliquée dans de nombreuses fonctions vitales dont l’embryogénèse et le développement, l’homéostasie et la réparation tissulaire. Cellule mononuclée, non polarisée et isolée au sein d’une trame de collagène et de glycoprotéines matricielles qu’elle participe à synthétiser, le fibroblaste se présente globalement sous forme allongée selon le grand axe de la cellule (1-3). Cellule non inflammatoire, non vasculaire, non épithéliale, elle est la cellule majoritaire des tissus conjonctifs mous. Cette définition résulte de l’acquisition progressive des connaissances concernant cette cellule. Les premières descriptions du fibroblaste ont été réalisées par Schwann en 1847 puis par Virchow et Duvall à la fin du XIXème siècle (3). Au XXème siècle, les premières mises en culture de biopsies ont permis d’obtenir des lignées fibroblastiques améliorant la compréhension des fonctions de cette cellule. Cependant, définir une cellule reste un exercice délicat tant ses caractéristiques structurales et fonctionnelles sont soumises aux conditions environnementales, que ce soit in vitro ou in vivo. Ainsi faut-il privilégier une description rendant compte des dynamiques cellulaires plutôt qu’une définition statique qui serait forcément incomplète et aléatoire.

Fonctions du fibroblaste

Assurer l’homéostasie tissulaire
In vivo, le fibroblaste gingival (FG) établit peu de contacts avec ses congénères. Il est fusiforme suivant l’axe de la trame collagénique l’entourant et forme des projections vers les composantes de la matrice extra cellulaire (MEC). Il est constitué d’un volumineux noyau, d’un réticulum endoplasmique et d’un appareil de Golgi bien développé ainsi que de nombreuses mitochondries, vacuoles et vésicules témoignant d’une activité métabolique intense (4) (Figure 1A). In vitro, contrairement à sa situation in situ, le FG va rechercher les contacts intercellulaires. A faible densité, il va avoir un phénotype élargi et projeter des prolongements autour de lui, mais lorsqu’il est à forte densité, il est fusiforme et noue de nombreux contacts entre cellules par l’intermédiaire de gap jonctions et de junction adherens (par l’intermédiaire de cadhérines). Son cytosquelette est formé notamment de microfilaments d’actine et de vimentine (Figure 1B et 1C). Cellule quiescente à l’état physiologique, le fibroblaste est soumis à peu de signaux. Il ne prolifère pas mais reste métaboliquement actif synthétisant et dégradant les divers constituants de la MEC. Dans cet état, une interaction bidirectionnelle est entretenue entre les fibroblastes et les éléments de la MEC mais également avec les autres cellules environnantes. Ces interactions se font par l’intermédiaire de liaisons ligandrécepteurs, par des stimulations mécaniques, par des sécrétions de cytokines autocrines et paracrines et par des liaisons avec les hormones circulantes. Ces interactions permettent d’assurer l’homéostasie tissulaire, c’est-à-dire l’adéquation qualitative et quantitative des composants de la MEC nécessaires aux fonctions du tissu (5).

Assurer la cicatrisation tissulaire
Après une lésion, sous l’influence de conditions inflammatoires, le fibroblaste est apte à modifier son phénotype. Capable de proliférer, de migrer, de remodeler les éléments de la MEC et de synthétiser des cytokines impliquées dans la cicatrisation, cette cellule mésenchymateuse est au cœur des phénomènes de réparation tissulaire. Ce changement de phénotype est concomitant à une large modification de l’expression du transcriptome (6). Lors d’une lésion, la réponse inflammatoire est suivie de la formation d’un tissu de granulation synthétisé par les fibroblastes. Ce tissu contient les éléments d’une MEC transitoire sur laquelle vont pouvoir migrer les fibroblastes et synthétiser les éléments nécessaires à la génération d’une MEC mature. La synthèse de la MEC provisoire va également permettre la recolonisation des cellules en contact avec le tissu conjonctif. Par exemple, au niveau de la peau, elle va permettre la ré-épithélialisation de la plaie par les kératinocytes. Par ailleurs, sous l’influence de cytokines et notamment du Transforming Growth Factor-ȕ 1 (TGF-ȕ), le fibroblaste va se différencier en myofibroblaste (7) permettant d’assurer la contraction de la plaie. Cette contraction va accélérer la cicatrisation en rapprochant les berges de la lésion (6). L’implication dans les événements de réparation est liée principalement aux phénomènes en rapport avec d’une part, les interactions cellule/matrice, et d’autre part, celles entretenues avec les cellules inflammatoires. Par l’intermédiaire de protéoglycanes de surface et d’intégrines, le fibroblaste est capable de se lier aux éléments de la MEC de manière spécifique. Par exemple, les intégrines α1ȕ1 et α2ȕ1 sont capables de se lier au collagène alors que les intégrines α4ȕ1 et α5ȕ1 interagissent préférentiellement avec la fibronectine (8). Par l’intermédiaire du domaine intracytoplasmique de la sous-unité ȕ1, l’interaction entre une intégrine et son ligand déclenche des signaux intracellulaires modifiant l’activité du fibroblaste. C’est par l’intermédiaire de ce potentiel de transduction que des d’éléments issus de la dégradation de la MEC vont déclencher des modifications de conformation du cytosquelette du fibroblaste favorisant d’une part, la formation de lamellipodes permettant au fibroblaste de migrer et d’autre part, la modification de la synthèse des cytokines et des métalloprotéinases matricielles (MMPs). Deux types d’interactions avec les cellules inflammatoires coexistent: (a) soit par contact direct entre le fibroblaste et les cellules inflammatoires, c’est le cas par exemple des interactions entre les fibroblastes gingivaux et les lymphocytes qui induisent l’expression des ARNm de l’ interleukine (IL)-1α et d’IL-6 de la part du fibroblaste gingival (9) et d’autre part, l’expression de CD1γ (impliqué dans la dégradation des neuropeptides et des cytokines de l’inflammation) à la surface des lymphocytes T en  contact les fibroblastes gingivaux (10); (b) soit par l’intermédiaire de la libération de cytokines et de facteurs de croissance. Par exemple, les lipopolysaccharides (LPS) bactériens stimulent la sécrétion d’IL-6 par le fibroblaste gingival, laquelle induira la synthèse de la MMP-1 par les macrophages (11).

Dysfonctions du fibroblaste 

Une perturbation des processus normaux, lors de l’état quiescent, lors de la morphogénèse ou encore au cours de la cicatrisation d’une lésion peut conduire à divers types de pathologies. Plusieurs mécanismes peuvent être à l’origine de ces altérations. Ils incluent des facteurs génétiques, les effets de l’inflammation, des lésions répétés et des mécanismes d’autoimmunité (12). Interagissant avec les cellules inflammatoires, une altération dans ce dialogue peut conduire à des pathologies ou alors les renforcer. C’est le cas par exemple des polyarthrites rhumatoïdes ou encore des sclérodermies (13-16). Une altération dans la réparation tissulaire peut conduire à des cicatrices aberrantes. C’est le cas des chéloïdes qui se caractérisent par un excès de tissu fibreux cicatriciel au niveau cutané. D’autres types de fibrose sont imputables à une dérégulation du fibroblaste et peuvent compromettre la fonction de l’organe qui en est le siège (fibroses du foie, du rein,…). Enfin, comme toute cellule, une transformation maligne peut intervenir et produire un cancer du tissu conjonctif (sarcome, fibrosarcome). Ces propriétés générales sont communes à l’ensemble des fibroblastes. Cependant, il existe une variété phénotypique entre les fibroblastes issus de tissus différents (hétérogénéité inter tissulaire) ou au sein d’un même tissu (hétérogénéité intra-tissulaire).

Hétérogénéité fibroblastique 

La plupart des données scientifiques concernant le fibroblaste sont issues d’études réalisées in vitro. A partir de biopsies, les cellules sont récupérées soit par digestion enzymatique soit par contact direct de la biopsie avec la boite de culture (méthode par explant). Dans cette dernière technique, après adhésion de l’explant, les cellules migrent hors du prélèvement et colonisent la boite de Pétri. Or, par ces deux techniques, il est impossible d’être certain d’obtenir uniquement des fibroblastes. En effet, soumis aux conditions de culture classique (milieu contenant du DMEM et du sérum de veau fœtal à 10%, COβ à 5%, …) d’autres types cellulaires sont capables de survivre et de proliférer (5). Il s’agit des myofibroblastes, des cellules souches mésenchymateuses (CSM) du tissu conjonctif, des péricytes ou encore des fibrocytes (5). L’ensemble de ces cellules présente certaines propriétés phénotypiques et fonctionnelles communes qui leur permettent de se maintenir dans ces conditions. Par ailleurs, une grande partie des marqueurs membranaires sont identiques et aucun ne discrimine un type cellulaire des autres. De ce fait, la mise au point d’une technique de culture permettant une sélection stricte des fibroblastes reste à établir. En dehors de ces difficultés techniques, l’hétérogénéité au sein même des fibroblastes a été mise en évidence. Des différences peuvent être décrites à plusieurs niveaux. Il s’agit notamment des origines embryologiques de ces cellules. La plupart des fibroblastes dérivent, au niveau embryonnaire, du feuillet mésodermique comme c’est le cas des fibroblastes de la peau abdominale ou de la moelle osseuse du squelette axial. Mais d’autres fibroblastes, comme ceux présents au niveau de certaines structures craniofaciales (ligament parodontal, pulpe dentaire,…) dérivent des crêtes neurales. Par ailleurs, la localisation anatomique des fibroblastes à l’âge adulte est également un élément de discrimination. Les travaux de Chang ont mis en évidence un profil d’expression génétique qui dépend de leur localisation topographique et qui sont en lien avec les origines embryonnaires (17). L’expression de morphogènes et notamment des homéogènes HOX à l’âge adulte est corrélée aux situations anatomiques antéropostérieure, rostro-caudale et dermique/non-dermique (18). Ainsi, on retrouve plus de variations entre les transcriptomes de fibroblastes de deux régions anatomiques différentes provenant d’un même individu qu’entre les transcriptomes de fibroblastes issus d’une même localisation chez deux individus différents (17, 18). D’un point vu fonctionnel, les interactions avec les cellules environnantes sont différentes selon le type de fibroblastes. Par exemple, les interactions entre fibroblastes gingivaux (FG) et les cellules épithéliales de la muqueuse orale sont différentes de celles qu’entretiennent les fibroblastes dermiques avec les cellules épithéliales de la peau. La production d’une MEC spécifique à chacun des tissus va modifier le phénotype des kératinocytes. Par exemple, la production des collagènes de type III et V va être moins  abondante par les fibroblastes gingivaux que par les fibroblastes dermiques. Ils vont en revanche sécréter plus de keratinocyte growth factor (KGF), (HGF) et de vascular endothelial growth factor (VEGF) lors de la ré-épithélialisation (19, 20). Les fibroblastes gingivaux sont également moins sensibles aux effets pro-fibrotiques du TGF-ȕ1 que les fibroblastes dermiques. Ceci est dû à une moindre production d’endothéline-1 par les fibroblastes dermiques (21). Les différences entre fibroblastes vont influer sur les capacités de cicatrisation du tissu dans lequel ils siègent. Certainement lié à leur fonction et à leur ontogénie, les organes possèdent des capacités de cicatrisation très diverses dans le corps humain. Ainsi, le foie ou la peau présente un potentiel de réparation très supérieur aux artères ou au système nerveux. Ces différences nous ont amenées à étudier des fibroblastes issus de tissus présentant une cicatrisation optimale. L’objectif est de comprendre comment ces cellules présentent un tel potentiel afin de pouvoir les utiliser, à long terme, dans des protocoles de thérapie cellulaire. En somme, transférer des compétences de régénération accrues de certains tissus pour d’autres tissus faiblement efficaces pour cette fonction.

La gencive, un tissu aux propriétés de cicatrisation exceptionnelles

Situation anatomique
Parmi les tissus ayant un fort pouvoir cicatrisant, la muqueuse orale présente l’avantage d’être facilement accessible et donc de permettre l’étude des fibroblastes qui la peuplent. Au sein de cette muqueuse, la gencive est un tissu à part. Faisant partie des muqueuses masticatoires, elle se situe entre les collets dentaires et la ligne mucogingivale et présente un aspect festonné au niveau de sa crête. La gencive marginale se situe au niveau vestibulaire et lingual tandis que la gencive palatine, comme son nom l’indique recouvre le palais. Les espaces entre les dents sont comblés par les papilles gingivales inter-dentaires. Dans le sens corono-apical, la gencive est divisée en deux parties : libre et attachée. La première partie laisse un espace entre la gencive et la dent appelé sulcus. La seconde partie est en contact avec le périoste de l’os alvéolaire, os dans lequel s’ancrent les dents (Figure 2).

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Table des matières

I. INTRODUCTION
II. SITUATION DU SUJET
I.1. Le fibroblaste
I.1.1. Définition
I.1.2. Fonctions du fibroblaste
I.1.3. Dysfonctions du fibroblaste
I.1.4. Hétérogénéité fibroblastique
I.1.5. La gencive, un tissu aux propriétés de cicatrisation exceptionnelles
I.1.6. Le fibroblaste gingival
I.2. Les cellules souches
I.2.1. Définition
I.2.2. Critères de différenciation
I.2.3. Les cellules souches embryonnaires
I.2.4. Les cellules souches induites
I.2.3. Les cellules souches adultes
I.2.3. Cellules souches dérivées des crêtes neurales
I.3. Objectifs de la thèse
II. MATÉRIELS ET MÉTHODES
II.1. Culture cellulaire
II.1.1. Culture primaire
II.1.2. Culture secondaire
II.1.3. Génération des cellules souches gingivales (CSG)
II.1.4. Protocole d’adhésion
II.1.5. Protocole de prolifération
II.2. Protocoles de différenciation cellulaires
II.2.1. Différenciation adipocytaire
II.2.2. Différenciation ostéocytaire
II.2.3. Différenciation chondro/endochondrale
II.2.4. Cultures en neurosphères
II.3. Analyses protéiques
II.3.1. Zymogrammes
II.3.2. Western blot
II.3.3. Analyses par cytométrie en flux
II.4. Analyse des ARNm
II.4.1. Extraction des ARNm
II.4.2. Quantification des ARNm
II.4.3. Retro-transcription
II.4.4. PCR quantitative
II.4.5. Préparation des amorces
II.4.6. PCR
II.4.7. Efficacité des primers
II.5.4. Spécificité des primers
II.4.9. Analyse des résultats
II.5. Transfection des micromasses par ARN interférant
II.6. Expériences in vivo
II.7. Analyses histologiques
II.7.1. Méthodes de fixation
II.7.2. Colorations classiques
II.7.3 Immunohistochimie
II.7.4. Histologie par microscopie électronique à balayage
III. RÉSULTATS
III.1. Génération de colonies fibroblastique (CFU-F)
III.2. Prolifération, adhésion des CSG
III.3. Caractérisation membranaire par cytométrie de flux des CSG
III.4. Caractérisation crête neurale des GSC
III.4. Sécrétion de MMPs
III.5. Multipotence
III.5.1. Différenciation adipocytaire
III.5.2. Différenciation ostéogénique
III.5.3. Différentiation chondro/endochondrale
III.6. Utilisation du fibroblaste gingival comme outil de diagnostic moléculaire
IV. DISCUSSION
RÉFÉRENCES
ANNEXES

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