INVIOLABILITE DE LA PERSONNE ET DIGNITE HUMAINE CHEZ KANT

La loi morale détermine objectivement la volonté par le devoir

    On ne peut comprendre le fondement de la morale chez Kant en négligeant le rôle important que la philosophie empiriste anglaise notamment celle de Hume, Hutcheson et Shaftesbury, a eu à jouer dans la pensée morale kantienne. En effet, durant la période précritique, Kant fut très influencé par la doctrine anglaise du sentiment morale ou « moral sens ». C’est une doctrine selon laquelle toute connaissance découle de l’expérience, elle fait du sentiment une source spécifique et autonome de la connaissance. Autrement dit, c’est à travers le sentiment moral que nous pouvons identifier les qualités morales belles, comme l’atteste ces propos de David Hume dans Traité de la nature humaine : « la morale est plus sentie que jugée ». Cette théorie présente un double intérêt chez Kant. D’une part, elle tranche avec la morale intellectualiste et rationaliste de Leibniz et Wolff, d’autre part, elle fonde la vertu comme une faculté commune présente en tout homme. Pour les empiristes anglais, nous ne disons pas ce qui est moral, mais nous ne faisons qu’approuver en dernière instance la moralité d’une action chez quelqu’un, approbation motivée par un sentiment moral que nous possédons tous. Ce sentiment s’accompagne d’une émotion esthétique devant la beauté, devant la sublimité des actes vertueux. En d’autres termes, la moralité et la vertu sont ancrées dans des principes généraux et non dans des règles relevant d’une connaissance rationnelle. Ces principes généraux sont pour ces moralistes anglais des sentiments qui sont à la fois originaires et universels comme l’affirme Francis Hutcheson dans Recherches sur l’origine des idées que nous avons de la beauté et de la vertu : Ce sentiment moral, non plus que les autres sens, ne présuppose ni d’idée innée, ni connaissance, ni proposition pratique. On n’entend par là qu’une détermination de l’esprit à recevoir les idées simples de louange ou de blâme à l’occasion des actions dont il est témoin, antérieure à toute idée d’utilité ou dommage qui peut nous en revenir. Pour Kant, le principal mérite des empiristes anglais est le fait d’avoir mis en évidence la force du sentiment moral. Ce dernier est non seulement une faculté qui nous permet de connaître objectivement les choses mais aussi il nous aide à distinguer la vertu du vice. C’est pourquoi, dans les Observations sur le sentiment du beau et du sublime, Kant à l’instar des empiristes anglais voit dans le sentiment moral un principe infaillible d’évaluation des actions. Il déclare à cet effet : « Je crois tout englober si je dis que c’est le sentiment de la beauté et de la dignité de la nature humaine ». Le sentiment moral qui se manifeste essentiellement comme un sentiment du plaisir et du déplaisir s’articule de deux manières. D’abord, comme un sentiment de la beauté qui fonde la bienveillance à l’égard des autres personnes. Ensuite, comme un sentiment de la dignité humaine qui fonde le respect vis-à-vis des autres hommes. Ainsi, bienveillance et respect constituent à ce stade de l’évolution de la morale kantienne les vraies vertus. Kant montre par cet effet que le sentiment moral témoigne de l’ouverture de l’homme vers l’universel. Le sentiment fait sentir de la compassion pour les maux d’autrui et permet à l’homme de s’ouvrir aux autres, de lier son action à des motifs généraux pour le bien commun de tous. Cependant, Kant va très tôt relativiser ses positions sur le sentiment moral et va refuser d’en faire le principe ou la cause de la moralité. C’est pourquoi, il soutient que : « les principes empiriques sont toujours impropres à servir de fondement à des lois morales », parce que la doctrine anglaise du sentiment moral est un sentiment hétéronomique, c’est-à-dire c’est un sentiment qui désigne une dépendance d’une loi naturelle étrangère. Or pour Kant, la source d’une morale universelle ne peut se trouver que sur l’obéissance de la volonté à sa propre loi, c’est-à-dire l’autonomie de la volonté. Par conséquent, la morale ne peut prendre sa source sur un quelconque sentiment, car quoique fut-il moral, le sentiment ne peut être ni la source ni le principe de la moralité. Le sentiment n’est qu’un phénomène sur la sensibilité du sujet et ne saurait être le fondement de la morale. Pour assurer la souveraineté de la morale sur la sensibilité de l’homme, il faut qu’elle soit fondée sur une propriété indépendante de la sensibilité humaine. C’est la raison pour laquelle, Kant considère le sentiment moral des empiristes anglais comme un sentiment qui dépend de la sensibilité du sujet. Le sentiment moral des Empiristes est donc impropre à servir d’auxiliaire au principe de la moralité. Le sentiment est un principe subjectif dépourvu d’universalité et ne saurait donc servir de principe objectif d’action. C’est ce qui justifie cette affirmation suivante du philosophe des Lumières qui déclare que : C’est précisément parce que ce fondement matériel de détermination ne peut être connu qu’empiriquement par le sujet, il est impossible de considérer cette tache comme une loi, parce qu’il faudrait que celle-ci, en tant qu’objective, contînt dans les cas et pour tous les êtres raisonnables précisément le même fondement de la détermination de la volonté. La philosophie morale de Kant se construit contre la morale empiriste qu’il qualifie de subjective. Pour Kant, celui qui juge par ses sentiments ne peut pas juger valablement pour tous les autres. Les principes empiriques sont non seulement contingents mais influencent négativement le sujet. La morale fondée sur le sentiment est préjudiciable à la pureté des mœurs. Le sentiment quoique faisant partie des qualités morales belles, ne saurait en rien fonder objectivement la morale. Ainsi, le philosophe de Königsberg commence à se distancer des positions du « moral sens », en procédant à une critique du fondement de la morale par un sentiment. Le sentiment moral des empiristes anglais à l’inconvénient d’être hétéronomique et dépourvu d’universalité. Or, la morale pour être universelle doit reposer sur un principe objectif et universalisable. C’est ainsi que s’impose la recherche d’un principe objectif opposé au sentiment désormais considéré comme un principe subjectif et singulier. C’est pourquoi, Kant considère qu’: « aucun principe moral ne se fonde en réalité comme il arrive qu’on se l’imagine sur un quelconque sentiment ». Il faut par conséquent rechercher un principe suprême de la moralité. Un principe différent de celui des Empiristes. Pour se faire, Kant part du savoir immédiatement évident à la conscience commune, c’est-à-dire une connaissance commune de la moralité à partir de laquelle une volonté moralement bonne est la seule et unique chose qui soit bonne absolument et sans restriction. Celle-ci, s’oppose aux autres talents ou qualités de l’esprit qui ne sont bons que relativement. C’est ainsi que Kant désigne la « BONNE VOLONTE » comme le principe suprême de la moralité. La bonne volonté n’est déterminée par aucune recherche du bonheur, mais d’après la seule raison pure pratique. Kant estime que si l’homme s’interroge sincèrement, il trouvera en lui le jugement moral et s’il se demande ce qui est bon absolument et sans restriction, il dira que rien n’est bon en ce monde si ce n’est une bonne volonté. La bonne volonté contrairement aux autres qualités de la nature humaine, n’est déterminée que d’après la seule raison pure pratique. Elle possède la particularité bien à elle d’être bonne sans restriction. Cette particularité est ce qui lui procure le privilège d’être la faculté au centre de la moralité. C’est d’ailleurs, ce qui justifie les premières lignes des Fondements de la métaphysique des mœurs, où Kant y va de cette affirmation suivante : « De tout ce qu’il est possible de concevoir dans le monde, et même en général hors du monde, il n’est rien qui puisse sans restriction être tenu pour bon, si ce n’est seulement une bonne volonté ». La bonne volonté est bonne en soi et ne dépend d’aucune fin, ni du résultat de ses actions, mais seulement du vouloir intérieur, sans se référer à des mobiles sensibles ou subjectifs.

La loi morale détermine subjectivement la volonté par le respect

   Dans la Critique de la raison pratique, au début du chapitre III de L’analytique de la raison pure pratique, Kant déclare que : « Ce qui est essentielle dans toute valeur morale des actions consiste en ce que la loi morale détermine immédiatement la volonté ». Ce présupposé est absolument important et fondamental, car si le sentiment était le principe déterminant de la volonté, alors l’action perdrait sa moralité. La déduction du respect pour la loi morale doit être subordonnée à ce présupposé sine qua non : la loi morale est première dans toute détermination de la volonté. Il faut donc que la détermination subjective de la volonté soit comprise comme absolument a priori dans la détermination objective. La détermination qu’exerce la loi morale sur la volonté est le mobile moral que Kant appelle respect. Le respect est un mobile qui rend nécessaire l’action du sujet moral. Il constitue l’instance par laquelle la loi morale devient effective sur la sensibilité du sujet agissant. Le sentiment de respect est alors une libre soumission du sujet morale à l’égard de la loi objective. Ce que reconnait Kant dans la Critique de la raison pratique, lorsqu’il affirme que : « la conscience d’une libre soumission de la volonté à la loi, en tant qu’accompagnée néanmoins d’une coercition inévitable imposée aux inclinations, mais seulement par notre propre raison, est ainsi le respect pour la loi ». Le respect pour la loi est lié de façon a priori à la représentation de la loi. Il n’est pas indépendant ou autonome par rapport à la loi, mais c’est la loi morale elle-même qui se manifeste sous une forme sensible. Donc, la loi morale est première et le mobile lui est immédiatement relié. Les empiristes anglais considéraient qu’en chaque être humain, il existe un sens moral inné qui provoque des sentiments moraux et constitue un mobile pour agir moralement. Ce qui en fait un sentiment pathologique, c’est-à-dire un sentiment qui n’est pas produit par la volonté mais qui dépend de notre sensibilité aux yeux de Kant. Cependant, le respect quoique s’agissant d’un sentiment, se singularise des autres sentiments en ce qu’il n’est pas causé par quelque chose de sensible. Le respect désigne chez Kant un sentiment produit par la raison pure pratique. Donc, il ne s’agit pas d’un sentiment pathologique produit par nos penchants ou nos désirs, mais d’un sentiment produit par une cause intellectuelle. Kant écrit dans ce sens que : « le respect pour la loi est un sentiment, lequel est l’effet d’un fondement intellectuel, et ce sentiment est le seul que nous connaissons entièrement à priori ». En d’autres mots, le respect est un sentiment où le sujet sensible se voit lui-même comme un sujet moral sans envisager une récompense ou un châtiment. Il permet une soumission de la volonté du sujet à la loi. C’est d’ailleurs ce que Jean-Cassien Billier reconnait dans livre Kant et le kantisme, où il a analysé le sens du respect chez Kant. Selon le philosophe Français, le respect chez Kant est : « certes un sentiment, mais à l’instar de celui du devoir, non sentimental, bref intellectuel ». Ce respect désigne le fondement de la détermination de la volonté en tant qu’il est déterminé uniquement par la raison. Il s’agit uniquement d’un sentiment de la raison humaine, il est pur et non pathologique. Le sentiment de respect est complètement a priori dans lequel la loi morale nous donne un exemple à suivre. Celle de ne se laisser déterminer que par la loi morale. La bonne volonté apparaît ainsi comme étant la volonté déterminée immédiatement par la loi morale, c’est-àdire la volonté dont la loi morale et le fondement objectif et le fondement subjectif de la détermination. Autrement dit, une volonté dont la loi morale est le seul fondement de la détermination. Kant dira à ce sujet que : La loi morale donc, de même qu’elle est le fondement formel de la détermination de l’action par la raison pure pratique, de même qu’elle est aussi le fondement matériel certes, mais seulement objectif de la détermination des objets de l’action sous le nom de bien et de mal, de même elle est également le fondement de la détermination subjectif, c’est-à-dire le ressort pour cette action, en tant qu’elle exerce sur la sensibilité du sujet une influence et produit comme effet un sentiment qui va promouvoir l’influence de la loi sur la volonté.

Le respect de soi-même

   Comprendre le sens du respect envers soi-même dans la pensée de Kant revient à établir la différence entre les devoirs juridiques d’avec les devoir éthiques dans la Métaphysique des mœurs. En effet, le droit y est défini comme : « l’ensemble conceptuel des lois pour lesquelles une législation extérieure est possible». Une action est considérée juste lorsqu’elle permet une coexistence de la liberté de chacun avec celle des autres. Le principe du droit est donc un principe dérivé de la valeur universelle de l’humanité. Ce terme désigne la capacité et la liberté de chaque homme à choisir et à poursuivre les fins qu’il se donne à soi-même. Les devoirs juridiques tels qu’ils sont étalés dans la Doctrine du droit ne concernent que la liberté extérieure de l’homme dans ses relations avec autrui. C’est pourquoi, il est possible de faire appel à la coercition de l’État afin de les faire respecter, c’est-à-dire on peut sanctionner juridiquement celui qui à viole les droits d’autrui. Les devoirs éthiques contrairement aux devoirs juridiques concernent la liberté intérieure de l’homme et vise à traiter l’humanité en soi et en autrui toujours comme une fin et jamais simplement comme un simple moyen. Les devoirs éthiques exigent du sujet qu’il ait de l’autorité sur soi-même dans l’accomplissement de ses devoirs. En fait, les devoirs éthiques ne contiennent pas de contrainte extérieure mais seulement celle exercée sur la personne ellemême par la seule représentation de la loi morale. L’éthique n’est donc pas le droit, car dans l’éthique nous dit Kant : « la loi est pensée comme la loi de ta volonté propre, et non comme de la volonté en général ». Ainsi, les devoirs éthiques exigent non seulement que l’homme accomplisse ses devoirs par devoir et cela avec l’intention morale appropriée. Les premiers devoirs de l’homme sont donc ceux qu’il reconnaît envers lui-même parce que c’est en lui que l’homme découvre en premier lieu ce qu’est la personnalité et l’humanité disait Oumar Dia dans son article « dignité de la personne humaine chez Kant ». Ces devoirs que la personne reconnaît en elle-même en tant que sujet moral sont ceux qui fondent les devoirs envers les autres. En fait, sans les devoirs envers soi-même, il n’y aurait pas de devoirs du tout, pas même ceux envers les autres. Kant dira à ce sujet que : Je ne peux me reconnaître comme obligé vis-à-vis d’autres hommes que dans la mesure où je m’oblige en même temps moi-même – cela parce que la loi, en vertu de laquelle je me considère comme obligé, procède dans tous les cas de ma propre raison pratique, par laquelle je suis contraint, en même temps que je suis, vis-à-vis de moi-même, celui qui exerce la contrainte. Les devoirs envers soi-même introduisent dans la pensée kantienne, l’idée selon laquelle l’humanité en chaque personne doit être respectée. Une personne incapable de respecter l’humanité dans sa propre personne ne saurait être en mesure de respecter celle des autres. Kant dans les Leçons d’éthique, dira que celui qui ne respecte pas l’humanité dans sa propre personne : « rejette du même coup l’humanité ». Le respect de soi-même est le socle du respect envers les autres. Mais au sein des devoirs envers soi-même Kant distingue, d’une part, les devoirs restrictifs qui ordonnent de manière rigoureuse l’action à l’agent. D’autre part, les devoirs larges qui contrairement aux devoirs restrictifs sont laissés à l’appréciation de l’agent. Les devoirs restrictifs imposent à l’homme l’autoconservation de sa nature animale, c’est-à-dire que l’homme doit protéger sa vie par respect pour l’humanité dans sa personne. L’humanité en notre personne est absolument inviolable. Donc, il faut toujours se conformer à sa nature animale qu’on ne doit jamais violer. L’autoconservation de sa personne est un devoir négatif, en ce qu’elle interdit toute dégradation de sa nature animale. L’homme en tant qu’un être de devoir possède la responsabilité de sa vie. C’est la raison pour laquelle il ne doit jamais porter atteinte à son intégrité physique, ni s’autodétruire. Il doit exclure par restriction toute forme de dégradation de sa nature animale. Ces devoirs comme l’affirme Kant : « interdisent à l’homme, par considération de la fin de sa nature, d’agir à l’encontre de celle-ci, et ne vise que la conservation morale de soi ». Les devoirs restrictifs portent sur la préservation de notre corps et exigent son respect, l’humanité de l’homme est toujours une fin en soi. C’est dans cette logique que Kant fait du suicide la plus grande violence physique qu’un homme puisse perpétrer sur lui-même. Le suicide est un homicide volontaire, c’est-à-dire un crime commis volontairement contre sa propre personne. Il est donc un acte hautement immoral. Déjà, dans l’Antiquité, Platon montrait l’importance de la vie humaine. En effet, pour Platon, l’homme habite la vie comme une demeure qui lui est prêtée par les dieux et qu’il ne doit pas s’en affranchir. C’est pourquoi Platon affirme qu’ : « il n’est pas permis d’attenter à sa vie ». Le suicide est donc un acte hautement condamnable.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
Chapitre I. Respect de la loi morale
1.1 La loi morale détermine objectivement la volonté par le devoir
1.2 La loi morale détermine subjectivement la volonté par le respect
Chapitre II. Le respect de la personne
2.1 Le respect de soi-même
2.2. Le respect des autres.
Chapitre III. Le respect de la loi morale comme respect de la personne
3.1 L’humanité de l’homme
3.2 La personnalité de l’homme
CONCLUSION

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