Le démarrage de cette thèse a été motivé par la forte inquiétude pour la santé des bovins d’Afrique de l’ouest que souleva la confirmation au cours des années 2000 de l’invasion de la sous-région ouest africaine par la tique asiatique du bétail Rhipicephalus (Boophilus) microplus (Madder et al. 2007, 2012). Au cours des 150 années précédentes, cette espèce s’était avérée particulièrement invasive dans toutes les zones où des importations de bovins l’avaient introduite (Barré & Uilenberg 2010). De plus, dans toutes ces régions récemment envahies, R. (B.) microplus est rapidement apparue comme l’espèce associée aux plus fortes pertes économiques en élevage bovin (Frisch 1999), et ce, pour trois raisons principales : (i) la très faible réponse immunitaire de certaines races taurines vis-à-vis de cette tique, (ii) sa compétence vectorielle pour des agents pathogènes virulents pour le bétail (i.e. Babesia bigemina, B. bovis et Anaplasma marginale), et (iii) le développement récurrent et rapide dans ses populations de résistances à tous les acaricides utilisés en lutte (Frisch 1999; Chevillon et al. 2007a). A titre d’exemple, les pertes économiques annuelles causées par R. (B.) microplus furent estimées, au niveau mondial, entre 13 et 18 milliards de dollars US (de Castro 1997), et pour le seul sud du continent africain, à 160 millions de dollars US (Dold & Cocks 2001). Parallèlement, son installation a parfois profondément modifié les situations épidémiologiques dans les élevages bovins. Ainsi, son invasion du sud de l’Afrique à la fin du XIXème siècle s’est-elle accompagnée de l’exclusion compétitive de l’espèce-sœur autochtone, R. (B.) decoloratus dont les effets délétères directs sur la santé et la croissance des bovins étaient plus modérés (Theiler 1962; Tønnesen et al. 2004). Ce remplacement d’espèces s’est en outre accompagné de l’émergence d’un agent pathogène d’origine asiatique particulièrement virulent pour le bétail africain et dont R. (B.) microplus s’avérait le seul vecteur : B. bovis (Theiler 1962; Tønnesen et al. 2004; Zeman & Lynen 2010).
Or, l’élevage constitue une ressource clef pour le développement économique de la région sub-saharienne. Si sa contribution aux produits intérieurs bruts (PIB) nationaux y varie de 5% en Côte d’Ivoire à 44% au Mali (CEDEAO & CSAO/OCDE 2008), l’élevage fournit 34% des revenus monétaires des ménages ruraux au Burkina Faso (CAPES 2003; Zonon 2004). Même s’il ne permet pas encore à chaque pays de l’Afrique de l’ouest d’atteindre son autosuffisance en protéines animales, l’élevage permet de partiellement satisfaire les besoins internes à cette sous-région et d’exporter progressivement vers les marchés extérieurs (FAO 2012). Par ailleurs, la production de viande bovine en Afrique de l’ouest est à 95% fournie par des systèmes extensifs à faibles intrants qui ne peuvent en aucun cas soutenir les achats d’acaricides nécessaires aux programmes de lutte contre R. (B.) microplus (CEDEAO & CSAO/OCDE 2008; CORAF/WECARD 2010).
Dès lors, comprendre les mécanismes mis en jeu dans l’installation de R. (B.) microplus dans ces élevages à faibles intrants et les conséquences épidémiologiques d’une telle installation devenait alors un enjeu prioritaire pour l’économie de l’élevage et la production de protéines animales nécessaires aux populations d’Afrique de l’ouest. Cette thèse avait donc pour objectif de relever ce défi sachant que, contrairement à d’autres régions africaines, les données sur les communautés de tiques du bétail et des agents pathogènes associés restaient encore relativement rares dans la littérature.
L’élevage bovin en Afrique de l’ouest
L’importance économique et sociétale de l’élevage en Afrique de l’Ouest se traduit par différents indicateurs. Ainsi, il fournit 34% des revenus monétaires des ménages ruraux contre 14% pour la production de végétaux au Burkina Faso (CAPES 2003; Zonon 2004). Sa contribution au PIB agricole national varie de 5% en Côte d’Ivoire à 44% au Mali (CEDEAO & CSAO/OCDE 2008). L’élevage permet à l’Afrique de l’ouest de partiellement satisfaire ses besoins internes et d’exporter progressivement vers les marchés hors de la sous-région, voire du continent (FAO 2012). Dans certains pays, la potentialité économique du secteur est considérable : c’est par exemple le cas du Niger où il a permis de dégager une valeur ajoutée de 155 milliards FCFA en 2004 (FAO 2012). Le Nigeria, le Mali et le Burkina Faso disposent aussi de fortes potentialités.
En 2013, le cheptel bovin de la sous-région ouest-africaine comptait 66 662 751 bovins, dont 51% (~20 000 000 têtes) au Nigéria, 13.63% (~8 800 000 têtes) au Burkina Faso et 3.17% (~2 116 000 têtes) au Bénin (FAOSTAT 2015). Ces nombres résultaient de deux décennies de croissance du cheptel, notamment du fait des grands pays pourvoyeurs de bovins que sont le Nigeria et le Mali . En dépit de cet accroissement de la production, l’offre reste inférieure à la demande de viande du fait de la croissance démographique. Selon une étude conduite en 2005 (MRA 2005), on attend en 2016 un déficit entre l’offre et la demande de viande bovine de -97 000 tonnes dans le bassin ivoirien (Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Togo) et -226 000 tonnes dans le bassin nigérian (Bénin, Nigéria, Niger, Tchad, République centrafricaine, Cameroun).
Les systèmes de production d’élevage en Afrique de l’ouest
La majorité des systèmes de production d’élevage de cette sous-région est traditionnelle (i.e., de types pastoraux et agro-pastoraux) et se caractérise par leurs faibles intrants. Il existe toutefois quelques systèmes impliquant de plus forts investissements en matière d’intrants.
Les systèmes pastoraux
Le Burkina Faso, le Mali, et le Niger sont les principaux pays concernés par ces systèmes de zones arides et semi-arides qui s’étendent jusqu’au nord du Sénégal et de la Mauritanie (FAO 2012). Ils représentent un tiers des élevages bovins et la moitié des élevages de petits ruminants, mais ils fournissent 60% de la viande de bovine, 40% de la viande de petits ruminants et 70% du lait de la sous-région (CORAF/WECARD 2010). Il s’agit de systèmes traditionnels extensifs où la production animale dépend en grande partie de l’usage des ressources naturelles de terres non-appropriées aux cultures. Le bétail se retrouve dans des troupeaux généralement mixtes de bovins, moutons, chèvres, chameaux, ânes et/ou chevaux (CEDEAO & CSAO/OCDE 2008). Parmi les bovins, les zébus prédominent dans ces systèmes qui sont principalement contraints par les problèmes fonciers, les droits de propriété et la pénurie de ressources fourragères, notamment pendant la grande saison sèche s’écoulant d’octobre à mai-juin selon les pays. Ici, c’est la disponibilité des zones de pâturage qui guide les mouvements des troupeaux (CORAF/WECARD 2010). Le nomadisme et la transhumance constituent les deux sous-systèmes majeurs. Le premier, en déclin, est caractérisé par un déplacement des éleveurs et de leur famille en fonction de la disponibilité locale de fourrages. La transhumance se définit par un mouvement saisonnier des troupeaux, bergers et éleveurs sur des distances plus longues. On distingue la petite et la grande transhumance. En majorité locale, la petite transhumance vise à valoriser les résidus de récoltes, à accéder aux meilleurs pâturages à tout moment ou à laisser place aux cultures de produits vivriers ou non. La grande transhumance correspond quant à elle à des mouvements de centaines de kilomètres de troupeaux de plus grandes tailles (FAO 2012). En Afrique de l’ouest, la grande transhumance se pratique en saison sèche et n’obéit à aucune structuration fixe du point de vue de ses modalités, de son organisation ou de sa fréquence. Les longues distances parcourues dépassent régulièrement les frontières du pays d’origine . Par exemple, les bovins de Kayes (Mali) et leurs bouviers parcourent plus de 1 300 km pour rejoindre Dakar (Sénégal) (Sy 2010). Du fait de leurs demandes quantitatives et qualitatives en fourrages, les bovins sont les premiers concernés par la grande transhumance.
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre 1- Introduction : Problématique et Etat de l’art
Problématique
Plan du document
I.1 L’élevage bovin en Afrique de l’ouest
I.1.1 Les systèmes de production d’élevage en Afrique de l’ouest
I.1.1.1 Les systèmes pastoraux
I.1.1.2 Le système agropastoral
I.1.1.3 Le système de ranch et stations étatiques
I.1.1.4 Les systèmes hors-sols
I.1.2 Les races bovines en Afrique de l’ouest
I.1.3 Un bref aperçu de l’élevage au Burkina Faso et au Bénin
I.1.3.1 L’élevage au Burkina Faso
I.1.3.2 L’élevage au Bénin
I.2 Les tiques du bétail en Afrique de l’ouest
I.2.1 Les communautés de tiques du bétail
I.2.2 Dynamique saisonnière d’infestation
I.2.3 Les maladies associées aux tiques du bétail
I.2.4 La lutte contre les tiques et les agents pathogènes transmis
I.2.4.1 La lutte contre les tiques
I.2.4.2 Lutte contre les agents pathogènes transmis par les tiques
I.3 Deux espèces de tiques d’importance vétérinaire majeure au Bénin et au Burkina Faso
I.3.1 Amblyomma variegatum
I.3.2 Rhipicephalus (Boophilus) microplus
I.3.3 Conséquences des invasions de R. (B.) microplus
Chapitre 2 : Actualisation des connaissances sur les communautés de tiques en Afrique de l’ouest
II.1 Progression de R. (B.) microplus
Encart N°1: Adakal H., Biguezoton A., Zoungrana S., Courtin F., De Clercq E
Madder M. 2013 – Alarming spread of the Asian cattle tick Rhipicephalus microplus in
West Africa-another three countries are affected: Burkina Faso, Mali and Togo. Exp
Appl Acarol 61(3): 383-386
II.2 Abondance et incidence de R. (B.) microplus au Bénin et au Burkina Faso
II.3 Facteurs régulant les assemblages d’espèces de tiques du bétail
Encart N°2: Biguezoton A., Adehan S., Adakal H., Zoungrana S., Farougou S.,
Chevillon C. 2016. Community structure, seasonal variations and interactions between
native and invasive cattle tick species in Benin and Burkina Faso. Parasites & Vectors
Chapitre 3 : Agents pathogènes du bétail transmis par les tiques en Afrque de l’ouest
III.1 Diversité génétique d’E. ruminantium : une information utile ?
Encart N°3 : Biguezoton A, Adakal H, Farougou S, Agbangla C, Chevillon C
Genetic structure of Ehrlichia ruminantium based on MLST: particularities of WestAfrica within the African continent
En préparation pour soumission à Infection, Genetics and Evolution
III.2 Communauté d’agents pathogènes transmis par les tiques du sous-genre Boophilus en Afrique de l’ouest
Encart N°4: Abel S Biguezoton, Safiou Adehan, Hassane Adakal, Honorine
Badolo, Mamadou Toure, Sébastien Zoungrana, Souaïbou Farougou, Christine
Chevillon. Interaction between Rhipicephalus (Boophilus) tick-borne pathogens in the
cattle from Benin and Burkina Faso. En préparation
III.3 Probable transmission d’Ehrlichia ruminantium par R. (B.) microplus
Encart N°5: Biguezoton A, Noël V, Adéhan S, Adakal H, Zoungrana S, Farougou
S, Chevillon C. Ehrlichia ruminantium infects Rhipicephalus microplus in West-Africa
Accepté pour publication dans Parasites & Vectors en tant que ‘short note’
Chapitre 4 : Apport de l’analyse de la génétique des populations de R. (B.) microplus
Encart N°6: Biguezoton A, Noël V, Adéhan S, Adakal H, Zoungrana S, Farougou
S, Chevillon C. Population genetics of the invasive tick Rhipicephalus (Boophilus)
microplus in Benin and Burkina Faso (West Africa). En préparation
Chapitre 5 : Discussion générale, perspectives & conclusions
5.1 Dynamique spatio-temporelle et interactions complexes des tiques du bétail en Afrique de l’ouest
5.1.1 Variations des abondances et de la richesse spécifique de tiques
5.1.2 : Diminution temporelle de la charge parasitaire de tiques au Centre du Burkina Faso en dépit de l’absence de R. (B.) microplus
5.1.3 Interactions complexes entre les espèces de tiques du bétail en Afrique de l’ouest
5.1.4 Utilité des informations d’interactions de tiques : cas des prédictions de distribution géographique
5.2 Agents pathogènes transmis par les tiques du bétail : interactions interspécifiques, diversité génétique et probable nouveau vecteur
5.2.1 Disparité entre les patrons d’interactions entre agents pathogènes et tiques vectrices
5.2.2 Impact de l’invasion de R. microplus sur l’épidémiologie des maladies transmises en
Afrique de l’ouest : des traces d’une co-introduction de souches de B. bovis
5.2.3 Absence de corrélation significative entre R. (B.) microplus & B. bovis dans les sites d’expansion (récemment envahis) par R. (B.) microplus : résultante d’une coévolution hôtevecteur?
5.2.4 E. ruminantium : de la diversité génétique chez le vecteur habituel à la transmission par une espèce invasive en Afrique de l’ouest
5.2.4.1 Diversité génétique d’E. ruminantium en Afrique de l’ouest et développement de vaccin contre la cowdriose
5.2.4.2 Rhipicephalus (Boophilus) microplus : un nouveau vecteur de Ehrlichia ruminantium en Afrique de l’ouest ?
5.3 Génétique des populations de R. (B.) microplus et intérêts pour la lutte en Afrique de l’ouest
CONCLUSION
Références bibliographiques