Couplages croisés catalysés par le nickel
Depuis les années 1970, les catalyseurs au palladium ont été largement utilisés en raison de leur diversité, leur stabilité en conditions oxydantes et aqueuses, leur préparation facile et l’isolement des intermédiaires réactionnels lors d’études mécanistiques. Cependant, à l’heure actuelle, l’abondance du palladium a considérablement baissé et ce métal est très onéreux. De plus, le palladium est toxique et l’essor du concept d’une chimie respectueuse de l’environnement, «chimie verte», depuis une vingtaine d’années, a encouragé les chercheurs à utiliser des métaux de transition peu toxiques. Il est devenu important de développer des couplages croisés catalysés par d’autres métaux de transition que le palladium, et le nickel fait partie de ces métaux. Le nickel fait partie du groupe 10 du tableau périodique comme le palladium et le platine, mais il est plus abondant et donc économiquement plus abordable. En effet, lorsque l’on compare les prix de ces métaux par mole, le nickel est 3700 fois moins cher que le palladium et 6000 fois moins cher que le platine .
Couplages croisés catalysés par le nickel
Plusieurs types de couplages croisés C(sp2)-C catalysés par le nickel ont été développés en utilisant des partenaires électrophiles halogénés et différents partenaires organométalliques.C’est ainsi que, les halogénures d’aryle et de vinyle (X = Br, Cl, F) peuvent être engagés dans des couplages de type Kumada-Corriu (RMgX’), Negishi (RZnX’) et Suzuki-Miyaura (RBZ2) .
Malgré leur utilisation prépondérante due à leur grande réactivité, les électrophiles halogénés n’en restent pas moins génotoxiques et leur synthèse, parfois difficile, implique généralement des composés toxiques et dangereux.
Différents groupements oxygénés peuvent être utilisés dans des couplages croisés catalysés et il est possible de les regrouper selon leur réactivité vis-à-vis du nickel. Cette réactivité correspond à la facilité d’insertion du métal dans la liaison C-O, et au pouvoir nucléofuge des groupements oxygénés : triflates, phosphonates/sulfonates/sulfamates, carboxylates/carbamates et éthers . Les premières fonctions oxygénées à avoir été utilisées dans les couplages sont les triflates, qualifiés de composés « pseudo-halogénés » en raison du pouvoir électro attracteur du groupe trifluorométhylsulfonyle qui rend leur réactivité comparable à celle de leurs homologues bromés dans les couplages croisés métallo-catalysés. Cependant, ces composés sont relativement instables et leur synthèse nécessite souvent l’utilisation de réactifs coûteux, tel que la N,N bis(trifluorométhylsulfonyl)aniline. Les sulfonates et les phosphonates sont les partenaires électrophiles les plus utilisés dans les couplages croisés. Ils sont plus stables que les triflates et leur réactivité vis-à-vis des métaux de transition est similaire aux dérivés chlorés. Néanmoins, ces composés génèrent des quantités stœchiométriques de déchets soufrés ou phosphorés de haut poids moléculaire. D’autres partenaires moins réactifs que les précédents ont également été utilisés tels que les carbamates et les esters.
Malheureusement l’utilisation des esters est limitée à cause de leur réactivité vis-à-vis des partenaires organométalliques utilisés qui sont en général très nucléophiles tels que les réactifs de Grignard, pouvant ainsi concurrencer le couplage. Signalons que les partenaires les moins réactifs vis-à-vis du nickel, mais les plus intéressants, sont les éthers. Les éthers silylés aromatiques ou vinyliques sont faciles à synthétiser mais ils sont peu utilisés comme partenaires dans les couplages croisés catalysés par le nickel. De plus, le choix de ces éthers silylés aromatiques ne permet pas d’éviter la génération de déchets de haut poids moléculaire. En revanche, l’utilisation d’éthers d’alkyle aromatiques ou vinyliques représente une alternative intéressante. En effet, ces éthers d’alkyle sont faciles d’accès et génèrent des déchets de faible poids moléculaire.
Activation des liaisons C(sp2 )-O d’éthers d’alkyle par le nickel
Mécanisme général d’activation des liaisons C(sp2 )-O par le nickel
Le mécanisme des couplages croisés métallo-catalysés impliquant, des partenaires électrophiles oxygénés, est généralement similaire à celui des composés halogénés. Dans le cas d’une catalyse au nickel, le couplage croisé est basé sur un cycle catalytique Ni(0)/Ni(II) faisant intervenir trois grandes étapes élémentaires : addition oxydante (augmentation de l’état d’oxydation du métal de 0 à +II), transmétallation (ou échange de ligands) et élimination réductrice (diminution de l’état d’oxydation du métal de +II à 0). Sachant que si un catalyseur de Ni(II) est utilisé, il doit être réduit in situ par le partenaire organométallique pour donner un complexe de Ni(0), qui sera l’espèce catalytique active nécessaire au couplage croisé.
Dans un mécanisme de type neutre, la première étape est une addition oxydante qui implique l’insertion de l’espèce catalytique active Ni(0)Ln dans la liaison C-O du substrat oxygéné. Lors de cette étape, le Ni(0) s’oxyde en Ni(II) en donnant deux de ses électrons d au carbone et à l’oxygène pour former deux liaisons de coordination générant ainsi le complexe intermédiaire B1.2 (Schéma 6a). L’étape suivante met en jeu une transmétallation, entre l’espèce B1.2 et un partenaire organométallique R-M permettant de former le complexe de Ni(II) B1.3 et un sel métallique M-OR’. La dernière étape est une élimination réductrice, au cours de laquelle le nickel, à l’état d’oxydation +II dans le complexe B1.3, est réduit entraînant la formation du produit de couplage B1.4 et la régénération de l’espèce catalytique B1.1. Cependant, il existe très peu de preuves expérimentales ou théoriques permettant de valider chaque étape de ce cycle catalytique, en particulier celui de l’addition oxydante. Récemment, le groupe d’Itami a pu isoler et caractériser pour la première fois un complexe de Ni(II) de type Ar-Ni(II)-OC(O)R, obtenu par addition oxydante de Ni(0) dans la liaison Ar-O d’un ester aromatique.
Il est également possible de proposer un autre mécanisme de type «anionique» rendant compte du couplage croisé catalysé par le nickel, faisant intervenir un partenaire organométallique très réactif tel qu’un réactif de Grignard RMgX. Du fait de sa forte nucléophilie, le partenaire organométallique R-M attaquerait l’espèce catalytique active B1.1 pour conduire à un «ate» complexe de nickel B1.5 dans lequel le nickel garderait son état d’oxydation initial et aurait une densité électronique plus importante. La nature anionique de ce complexe le rendrait plus réactif pour effectuer l’addition oxydante dans la liaison C-O du partenaire électrophile oxygéné .
Activation de liaisons C(sp2 )-O d’alkoxyarènes
Couplage de Kumada-Corriu
Les premiers exemples de couplage croisé de méthoxyarènes avec des réactifs de Grignard ont été rapportés en 1979 par Wenkert et al. en utilisant le catalyseur NiCl2(PPh3)2. Le couplage croisé entre un méthoxyarène et le bromure de phénylmagnésium a pu être réalisé avec des rendements compris entre 30% et 77%. En partant de l’α- et du β-méthoxynaphtalène, les produits B1.7a et B1.7b ont été obtenus avec de bons rendements. Lorsque le naphtalène est substitué par deux groupements méthoxy, le bis couplage sur les deux groupements méthoxy s’est avéré peu efficace puisque B1.7c n’a été isolé qu’avec un rendement modeste de 45%. De plus, l’utilisation de dérivés méthoxybenzène, moins réactifs que les dérivés méthoxynaphtalènes, n’a permis d’obtenir les produits désirés B1.7d et B1.7e qu’avec de faibles rendements.
A partir de 2004, les méthodes de couplage croisé de méthoxyarènes catalysées par le nickel ont commencé à prendre de l’importance. Suite à un résultat rapporté par l’équipe de Dankwardt qui concerne un couplage croisé d’alkoxyarènes avec des aryles Grignard, utilisant les complexes NiCl2(PCy3)2, NiCl2(PhPCy2)2 et NiCl2(PMe3)2 dans des solvants éthérés, plusieurs groupements alkoxy ont été impliqués dans des couplages croisés tels que des groupements méthoxy, éthoxy et alkoxy fonctionnalisés. Cette méthode tolère des alkoxyarènes dont le cycle aromatique est enrichi ou appauvri en électrons, ce qui permet d’accéder à des composés biaryliques B1.9 avec de bons rendements (61-93%) (Schéma 10). Il faut noter que le produit B1.9c, contenant deux groupements hydroxyles libres, a été obtenu à partir du 4-chromanol avec un rendement de 80% via un processus d’addition oxydante/ouverture de l’hétérocycle.
|
Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 : Couplage croisé d’éthers d’énol méthyliques par activation de liaisons C(sp2)-OCH3 catalysée par le nickel
1. Etude bibliographique
1.1. Introduction sur les couplages croisés catalysés par le nickel
1.1.1. Couplage croisé catalysés par le nickel
1.1.2. Partenaires électrophiles oxygénés
1.2. Activation des liaisons C(sp2)-O d’éthers d’alkyle par le nickel
1.2.1. Mécanisme général d’activation des liaisons C(sp2)-O par le nickel
1.2.2. Activation de liaisons C(sp2)-O d’alkoxyarènes
1.2.2.1. Couplage de Kumada-Corriu
1.2.2.2. Couplage de Suzuki-Miyaura
1.2.2.3. Couplage de Negishi
1.2.2.4. Autres couplages
1.2.3. Activation de liaisons C(sp2)-O d’éthers d’alkyle vinyliques
1.2.3.1. Couplage de Kumada-Corriu
1.2.3.2. Couplage de Suzuki-Miyaura
1.2.3.3. Autre couplage
1.3. Bilan
2. Objectifs de l’étude
3. Résultats et Discussion
3.1. Synthèse des éthers d’énol méthyliques
3.1.1. Par réaction de Wittig
3.1.2. Synthèse d’éthers d’énol méthyliques de configuration (E)
3.2. Etude du couplage
3.2.1. Faisabilité de la réaction
3.2.2. Etendues et limites du couplage
3.2.2.1. Les éthers d’énol méthyliques
3.2.2.2. Les réactifs de Grignard
3.2.2.3. Limites de la réaction
3.2.3. Etude du couplage avec des éthers d’énol méthyliques de configuration(E)
3.2.3.1. Modification des conditions réactionnelles
3.2.3.1. Généralisation de la réaction
3.3. Synthèse d’un anti tumoral
3.4. Etudes mécanistiques
3.4.1. Mécanisme de la réaction de couplage
3.4.2. Stéréosélectivité de la réaction
3.4.3. Mécansimes de la réaction d’homocouplage
4. Conclusion
5. Perspectives
Chapitre 1 : Partie Expérimentale
1. General information
2. Synthesis of alkenyl methyl ethers by Wittig reaction
3. Synthesis of (E)-alkenyl methyl ethers
a. Synthesis of diphenylphosphine oxide derivatives
b. Synthesis of (E)-alkenyl methyl ethers by elimination reaction
4. Nickel-catalyzed Kumada-type coupling of alkenyl methyl ethers
Chapitre 2 : Synthèse d’amines α-trifluorométhylées acycliques optiquement actives par réarrangement de β-aminoalcools α-trifluorométhylés
1. Introduction
2. Etude bibliographique
2.1. Synthèse d’amines α-trifluorométhylées acycliques
2.1.1. Transformation de composés trifluorométhylés
2.1.1.1. A partir de nitronates α-trifluorométhylés
2.1.1.2. A partir d’amino-dithiocarbonates α-trifluorométhylés
2.1.1.3. Addition de nucléophiles sur des imines α-trifluorométhylées
2.1.1.4. Réduction d’imines et d’oximes α-trifluorométhylées
2.1.1.5. Amination réductrice de cétones α-trifluorométhylées
2.1.1.6. Ouverture d’aziridines et d’azétidines α-trifluorométhylées
2.1.1.7. A partir d’azétidinones trifluorométhylées
2.1.2. Introduction du groupement trifluorométhyle
2.1.2.1. Trifluorométhylation nucléophile d’imines
2.1.2.2. Trifluorométhylation nucléophile d’iminiums
2.1.2.3. Trifluorométhylation électrophile de composés nitrés
2.2. Bilan sur la synthèse d’amines α-trifluorométhylées acycliques
3. Objectifs de l’étude
4. Résultats et discussion
4.1. Préparation des β-aminoalcools α-trifluorométhylés optiquement enrichis
4.2. Synthèse d’amines α-trifluorométhylées par réarrangement de β-aminoalcools α-trifluorométhylés
4.2.1. Etude sur un substrat modèle
4.2.1.1. Traitement par le DAST
4.2.1.2. Autres conditions réactionnelles
4.2.1.3. Etude de la stéréosélectivité du réarrangement
4.2.2. Généralisation du réarrangement
4.2.2.1. Utilisation du DAST
4.2.2.2. Synthèse de β-aminoalcools β-trifluorométhylés
4.2.3. Variation des nucléophiles
4.3. Transformation des produits obtenus
4.3.1. Hydrogénolyse
4.3.2. Couplage peptidique
5. Conclusion
6. Perspectives
Chapitre 2 : Partie Expérimentale
1. General information
2. Preparation of the starting materials
a. Synthesis of N,N-dibenzylaminoalcohols
b. Swern oxidation
c. Trifluoromethylation reaction
3. Treatment with DAST
4. Rearrangement of β amino-α-trifluoromethyl alcohols
5. Hydrogenolysis of benzyl groups
6. Application to a peptidic coupling
Conclusion générale
Télécharger le rapport complet