La migration cellulaire est essentielle à divers processus biologiques comme l’embryogenèse, la réponse du système immunitaire ou encore la réparation des tissus. La dérégulation de cette motilité cellulaire est associée à de nombreuses maladies comme des syndromes auto-immuns ou encore la formation de métastases (Lambrechts et al., 2004; Wickramarachchi et al., 2010). C’est pourquoi il est important d’en comprendre les différents aspects. En outre, la migration cellulaire est un processus qui engage diverses structures et protrusions riches en actine.
En polymérisant, l’actine permet l’extension de protrusions membranaires : une extension large et plate appelée lamellipode et des extensions quasi unidimensionnelles, sortes de « doigts » qui s’étendent depuis le lamellipode et qui jouent un rôle dans l’exploration de l’environnement de la cellule : les filopodes. Pour ancrer ses protrusions, le front de migration de la cellule interagit avec la MEC : matrice extracellulaire. La matrice extracellulaire désigne l’ensemble de macromolécules extracellulaires du tissu conjonctif et des autres tissus. Elle est constituée en grande partie de glycoprotéines et de protéines pures, ainsi que de glycosaminoglycanes. Les cellules forment avec la MEC des adhésions naissantes ou complexes focaux connectés au réseau d’actine intracellulaire du lamellipode. Ces points d’adhésion sont dynamiques et peuvent se désassembler ou maturer en réponse aux forces du complexe actomyosine en de larges structures appelées adhésions focales. Ces adhésions focales assurent la formation de longs câbles contractiles constitués par le complexe actomyosine : les fibres de stress. En ce contractant sous l’effet de moteurs moléculaires : les myosines II, les fibres de stress détachent l’arrière de la cellule de son substrat rétractant vers l’avant le corps cellulaire. Cette contraction produit également un flux cytoplasmique vers l’avant de la cellule, nécessaire à la protrusion du lamellipode (Figure 1.1a-b).
L’actine
Généralités sur l’actine
Présente sous forme monomérique (actine-G) et capables de polymériser pour former des filaments (actine-F), l’actine est l’un des composés majeurs du cytosquelette des cellules eucaryotes et constitue 5 à 10% des protéines totales (jusqu’à 60% dans les cellules musculaires). Abondante et versatile, elle est indispensable à la motilité, et intervient dans des fonctions variées telles que la phagocytose, la division cellulaire et même la transcription. Dans les cellules eucaryotes, l’actine forme des structures variées comme des faisceaux statiques, des faisceaux contractiles, des réseaux bidimensionnels ou encore des gels tridimensionnels. La localisation, les structures et fonctions de ces assemblages dépendent de toute une ménagerie de protéines partenaires de l’actine qui lui sont associées. L’actine est une des protéines les plus conservées au cours de l’évolution. Ainsi, on ne compte que 15 acides aminés différents sur 375 entre l’actine-γ cytoplasmiques des mammifères et l’actine d’Acanthamoeba ou de Dictyostelium (des amibes), et la comparaison de l’actine du muscle squelettique de nombreux vertébrés ne révèle aucune différence. Cette forte conservation évolutive peut s’expliquer par le nombre élevé d’interactions de l’actine avec des protéines partenaires. En effet, il apparait difficile de modifier sa séquence sans affecter une ou plusieurs de ces interactions protéine/protéine et leurs fonctions associées dans la cellule.
Chez les mammifères, on dénombre six isoformes majeures d’actines (cytosquelettiques et musculaires) réparties en 3 familles qui diffèrent selon leur point isoélectrique : α (la plus acide) β et γ (Vandekerckhove and Weber, 1978). Toutes sont codées par une famille de gènes issue de la duplication d’un gène ancestral avant l’apparition des chordés. Leurs différences sont faibles et sont pratiquement indiscernables dans leur capacité à polymériser et à interagir avec d’autres protéines. Ainsi les actines cytoplasmiques et musculaires ne diffèrent que d’environ 23 acides aminés sur 375.
L’actine monomérique (actine-G)
L’actine monomérique ou actine-G est une protéine globulaire ubiquitaire composée d’une seule chaine polypeptidique de 375 acides aminés pour une masse moléculaire d’environ 42kDa et un diamètre de 5,5nm. Plutôt acide, son point isoélectrique se situe aux environs de pH 5,5. Le monomère d’actine est constitué par deux sous-domaines globulaires articulés entre eux et séparés par une fente. Cette fente est le site de liaisons de deux cofacteurs: un nucléotide : l’adénosine triphosphate (ATP) ou bien l’Adénosine Diphosphate (ADP), ainsi qu’un cation divalent : le Calcium (Ca++) ou le Magnésium (Mg++) (Figure 1.2). Ces cofacteurs participent aux dynamiques et à la stabilité de l’actine (De La Cruz et al., 2000). In vivo, la majorité des monomères d’actine sont complexés au magnésium et à l’ATP. De plus, dans la plupart des cellules examinées, l’actine porte deux modifications post traductionnelles : l’acétylation de ses résidus en N-terminal ainsi que la méthylation d’une de ses histidines. Le monomère d’actine présente quatre sites de liaison pour d’autres monomères d’actine. Mis en conditions favorables (présence d’ions divalents, d’ATP, concentration au-dessus du point critique de polymérisation) ces monomères s’assemblent de manière stéréospécifique, spontanément et de manière réversible en filaments de plusieurs micromètres de longueur.
Le filament d’actine (actine-F)
Le filament d’actine est une double hélice droite flexible composée de deux brins parallèles et qui tourne sur elle-même avec un pas de 37 nanomètres (Figure 1.3a et b). En polymérisant, les monomères s’assemblent avec la même orientation. Leur incorporation dans le filament s’accompagne de leur aplatissement par rotation relative des deux domaines globulaires de 20 degrés (Oda et al., 2009). Les deux extrémités du filament exposent alors des portions de monomère différentes, donc, des structures différentes, conférant ainsi sa polarité au filament. Cette polarité peut être mise en évidence grâce à des filaments d’actine décorés par des têtes S1 de myosine II et observés en microscopie électronique (Figure 1.3c) (Craig et al., 1985). En se fixant au filament d’actine, les têtes de myosine forment une série de projections latérales inclinées de 45° toutes dans la même direction, dessinant des « pointes de flèche ». L’extrémité vers laquelle pointent ces motifs est appelée bout pointu par opposition à l’autre extrémité appelée bout barbé. Le bout barbé, plus dynamique, est également appelé le bout plus. Le bout pointu est appelé le bout moins. Les deux sillons du filament d’actine formés par l’enlacement de ses deux brins sont stériquement identiques. Cela a pour conséquence la fixation latérale de partenaires comme la tropomyosine de manière indifférente sur les deux côtés du filament. La force de liaison entre monomères dépend de facteurs externes comme la force ionique du tampon. Cette propriété peut être avantageusement utilisée pour amener une préparation d’actine vers un état de polymérisation ou de dépolymérisation et ainsi étudier ses cinétiques par divers moyens physiques (suivi de la viscosité, utilisation de marqueurs fluorescents, etc…).
Les dynamiques de polymérisation de l’actine
La polymérisation de l’actine in vitro présente trois phases .
La phase de nucléation.
Une augmentation de la force ionique (ajout de KCl, MgCl2 ou CaCl2) d’une solution d’actine-G pure additionnée d’ATP déclenche la polymérisation. Celle-ci commence par une phase dite de nucléation et se traduit par un retard dont la durée (de plusieurs secondes à quelques minutes) dépend de la concentration en actine-G. Elle s’explique par le fait que les monomères doivent s’assembler en de courts oligomères d’actine instables composés de trois monomères : les noyaux de nucléation (Sept and McCammon, 2001). Ces noyaux, dont la formation constitue l’étape cinétiquement limitante car défavorable, sont nécessaires à l’initiation de la croissance des filaments d’actine. La phase de nucléation peut être supprimée en ajoutant à la solution d’actine-G des oligomères préformés.
Phase d’élongation.
Des expériences démontrent que les taux d’élongation des deux extrémités du filament d’actine ne sont pas égaux. Cela s’explique par la polarité du filament : les structures exposées aux deux bouts sont différentes. Ainsi, des fragments d’actine-F décorés par des têtes S1 de myosine II et mélangés à une solution d’actine-G initient l’élongation de filaments. Les filaments polymérisés sont récupérés et observés en microscopie électronique. Il apparait que ceux-ci grandissent de façon asymétrique de part et d’autre de la portion décorée. La région du côté barbé grandit environ dix fois plus rapidement que la région du côté pointu (Kondo and Ishiwata, 1976).
La phase d’élongation correspond à la somme des réactions d’association (kon, µM-1 .s-1) et de dissociation (koff, s-1) des monomères d’actine aux deux extrémités du polymère. Du fait de la différence structurale des deux extrémités du filament, les constantes d’association kon et de dissociation koff sont différentes pour les deux bouts.
• kon x C représente le taux de polymérisation proportionnel à la concentration C en monomères.
• koff représente le taux de dépolymérisation qui est indépendant de la concentration en monomères.
L’état stationnaire.
La concentration en actine-F croît, jusqu’à atteindre une valeur plateau : c’est l’état stationnaire. L’actine-G (à sa concentration critique Cc) est en équilibre dynamique avec l’actine-F et leur concentration ne varie plus. La concentration en actine-G est supérieure à la concentration critique au bout barbé (le filament polymérise au bout plus), mais inférieure à la concentration critique au bout pointu (le filament dépolymérisé au bout moins). Le taux de polymérisation au bout plus compense exactement le taux de dépolymérisation au bout moins et le filament est dans un état stationnaire où il garde une longueur constante. Il n’y a plus de croissance nette des filaments.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Introduction générale à la motilité cellulaire et à l’actine.
1.1 L’actine.
1.1.1 Généralités sur l’actine.
1.1.2 L’actine Monomérique (actine-G).
1.1.3 Le filament d’actine (actine-F).
1.1.4 Les dynamiques de polymérisation de l’actine.
1.1.5 Rôle du nucléotide dans la dynamique du filament.
1.2 Les protéines régulatrices de la polymérisation de l’actine.
1.2.1 Les ligands de l’actine-G.
1.2.2 Les protéines régulatrices de l’actine-F.
1.2.3 Les protéines de réticulation (les cross-linkers).
1.2.4 Les moteurs moléculaires.
1.2.5 Les protéines nucléatrices de l’actine
1.3 Les activateurs de la polymérisation de l’actine.
1.3.1 La famille WASP et N-WASP.
1.3.1.1 Activation des WASPs.
1.3.1.2 Recrutement des WASPs.
1.3.2 La famille Scar/WAVEs.
1.3.2.1 Différences avec les protéines WASPs.
1.3.2.2 Régulation des protéines WAVEs par le complexe WAVE.
1.3.2.3 Activation du complexe WAVE.
1.4 Les structures de la motilité cellulaire.
1.4.1 Le lamellipode.
1.4.2 Les filopodes.
1.4.3 Les adhésions focales.
1.4.4 Les fibres de stress.
1.5 Ena/VASP.
1.5.1 Généralités sur VASP.
1.5.2 Effets des protéines Ena/VASP sur la motilité.
1.5.3 Influence de VASP sur la formation des filopodes.
1.5.4 Influence de VASP sur le déplacement de La Listeria monocytogenes.
1.5.5 Des arguments en faveur d’une activité « anti protéine de coiffe » de VASP.
1.5.6 Des arguments à l’encontre d’une activité « anti protéine de coiffe » de VASP.
1.5.7 VASP réduit le nombre de branches formées par le complexe Arp2/3.
1.5.8 Contribution des différents domaines de VASP à sa fonction
1.5.8.1 Le domaine EVH1.
1.5.8.2 Le domaine Polyproline.
1.5.8.3 Le domaine EVH2.
1.5.8.4 Le site de liaison à l’actine-G.
1.5.8.5 Le site de liaison à l’actine-F.
1.5.8.6 Le domaine Coiled-coil ou TET.
1.5.8.7 Les protéines Ena/VASP et le cancer
1.6 Systèmes biomimétiques.
1.6.1 Listeria monocytogenes.
1.6.2 Mécanisme de polymérisation de l’actine à la surface de la Listeria
1.6.3 Des extraits cellulaires aux extraits reconstitués
1.6.4 De la Listeria à la bille.
1.6.5 Diversité des systèmes biomimétiques.
1.6.6 Modèle élastique de la génération du mouvement.
1.6.7 La brisure de symétrie.
1.8 Sujet de la thèse
Résultats
Chapitre 2 : Ena/VASP agit en synergie avec le complexe Arp2/3 lors de la motilité actine dépendante.
2.1 Ena/VASP affecte la croissance du gel d’actine sans augmenter la motilité.
2.2 Ena/VASP augmente la motilité uniquement lorsqu’il est lié à l’activateur du complexe Arp2/3.
2.3 L’activité de la famille des activateurs WASP mais pas WAVE est potentialisée par VASP.
2.4 La forme tétramérique de VASP a besoin de ses sites de liaison
à l’actine-F et à la profiline, mais pas de son site de liaison à l’actine-G pour potentialiser la motilité Arp2/3 dépendante.
2.5 L’effet de VASP ne passe pas uniquement par son activité anti protéine de coiffe.
2.6 Modèle de transfert moléculaire de VASP.
2.7 Bilan
2.8 Conclusions et perspectives
Article : Ena/VASP synergizes with the Arp2/3 complex via a molecular
hand-off mechanism during actin-based motility
Chapitre 3 : Etude rhéologique du rôle de VASP dans la mécanique des réseaux d’actine.
3.1 Brève introduction à la rhéologie.
3.2 Effet de VASP sur le module élastique des réseaux d’actine.
3.3 Contribution des domaines de VASP à l’augmentation de l’élasticité des réseaux d’actine.
3.4 Bilan
3.5 Conclusions et perspectives
Article : Multiple Actin Binding Domains of Ena/VASP Proteins
Determine Actin Network Stiffening
Chapitre 4 : Rôle de VASP dans la mécanique des comètes d’actine Arp2/3dépendantes étudié par AFM.
4.1 Brève introduction sur L’AFM.
4.2 Observation des comètes par AFM.
4.3 Effet du recrutement de VASP sur le module élastique des comètes.
4.4 Effet de la concentration en VASP sur le module élastique.
4.5 Effet de la force ionique du mix de motilité sur le module élastique.
4.6 Bilan
4.7 Conclusions et perspectives
Article : The role of VASP in an Arp3/3-complex-based motility assay
Conclusion générale
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