Standardisation versus personnalisation
Le siècle dernier a connu un grand enthousiasme pour la production et la distribution de masse. Selon [Belmokhtar 2006], la démonstration théorique de l’intérêt de cette stratégie a été présentée, pour la première fois, par K. Bücher, en 1910. En notant le coût fixe a, la quantité fabriquée x et le coût variable bx, on déduit le coût total f(x) = a + bx et le coût unitaire u(x) = ax + b. Cette dernière expression montre bien que le coût unitaire u(x) diminue avec l’augmentation du volume fabriqué x. D’où l’intérêt de la production de masse. [Lampel et Mintzberg 1996] rapportent que certaines grandes sociétés ont construit leur fortune en transformant des marchés fragmentés et hétérogènes en des industries unifiées. La Ford T3, par exemple, était produite en couleur noire uniquement [Batchelor 1994]. Dans cet environnement industriel rigide et largement accepté, considérer le client comme un élément unitaire était perçu comme contre-productif, voire économiquement suicidaire et une route vers l’enfer [Urwick 1943]. Toutefois, dans les dernières décennies, les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) ont réalisé une grande percée technologique. En parallèle à cela, l’industrie et le marché se sont mondialisés et les consommateurs sont devenus plus exigeants sur la qualité, le prix et la personnalisation des produits [Viñals 2006]. Par conséquent, l’interaction complexe entre ces éléments a créé un nouvel environnement concurrentiel où les entreprises sont forcées d’améliorer continuellement leurs processus et de repenser leurs stratégies. La prise en compte des différences entre les marchés, les catégories de consommateurs, voire les consommateurs d’une façon individuelle, n’est plus considérée comme un gaspillage de temps et d’argent. Aujourd’hui, il s’agit d’un avantage concurrentiel. Néanmoins, et heureusement, l’optimisation de la production et la recherche de la performance, héritage du siècle dernier, ont laissé des traces indélébiles sur les approches utilisées pour gérer la chaîne de production et la chaîne logistique. L’économie d’échelle et l’élimination des gaspillages à tous les niveaux (coûts, temps, ressources…) sont des notions toujours d’actualité. Ainsi, la personnalisation moderne est différente de la personnalisation des siècles précédents. Aujourd’hui, on parle de mass customization traduit par adaptation ou personnalisation de masse en français. [Tseng et al. 2010] définissent l’adaptation au client (customization) comme la différenciation du produit pour des segments distincts du marché et ils l’opposent à la personnalisation qui vise à satisfaire chaque client individuellement. [Viñals 2006], par contre, ne différencie pas les 1996]. Dans une illustration de la standardisation la plus extrême, on reprend souvent la phrase de Henry Ford à ce propos : « any colour you want, as long as it’s black. » En plus de son avantage concurrentiel lié au choix offert au client, la personnalisation permet de réduire considérablement les stocks et les invendus, voire de les éliminer. Cependant, la durée d’attente du client croît de façon significative, puisque le délai de fabrication est inclus dans cette durée d’attente. D’autres inconvénients de la personnalisation consistent en des processus plus complexes et une variabilité plus grande des paramètres liés à la fabrication et à la distribution (durée de processus, besoin en ressources, demande des clients, etc.). Par conséquent, plusieurs entreprises ont opté pour le compromis en adoptant des stratégies hybrides alliant des étapes où les produits sont standardisés et fabriqués sur stock et d’autres étapes où les produits sont personnalisés et fabriqués à la demande du client. A ce sujet, de nombreux articles abordent la question intéressante du point de découplage de la commande du client4 [van Donk 2001], appelé aussi point de pénétration de la commande5 [Olhager 2003]. En d’autres termes, il s’agit d’optimiser le choix de l’étape avant laquelle les produits sont fabriqués sur stock et à partir de laquelle les commandes des clients sont prises en compte et le produit fabriqué à la demande. Dans ce contexte, [Kerkkanen 2007] présente un processus de décision destiné à une usine d’acier voulant passer d’une stratégie où la fabrication est, uniquement, faite à la demande à une stratégie incluant une partie standardisée dans le processus de fabrication. Par ailleurs, [Lampel et Mintzberg 1996] affirment qu’il y a une continuité de stratégies hybrides entre la standardisation pure et la personnalisation pure. Ils séparent le processus de production en quatre étapes (conception, fabrication, assemblage et distribution). Ensuite, ils classent les stratégies de production dans cinq catégories, de la standardisation pure à la personnalisation pure (voir Figure 1.3). Les stratégies contiennent des étapes standardisées et d’autres personnalisées. Le nombre d’étapes personnalisées augmente à l’approche de la personnalisation pure. On notera que, dans les stratégies incluant des étapes standardisées, on commence toujours par la partie standardisée du processus, pour ensuite entamer la personnalisation après le point de découplage.
Le besoin de traçabilité et de moyens pour l’assurer
La traçabilité est le fait d’associer systématiquement un flux d’information aux flux physiques pour assurer le suivi d’un produit. Cela est fait au moyen de procédures et de contrôles effectués à différentes étapes de la production et de la distribution du produit, voire après (e.g. cas du service après vente). Depuis quelques décennies, la traçabilité des produits s’est immiscée dans l’environnement industriel jusqu’à devenir une véritable nécessité, dans un contexte industriel caractérisé par une concurrence féroce. En effet, la mondialisation a repoussé très loin les frontières de la compétitivité. Les produits locaux et étrangers se partagent les mêmes marchés, la main d’œuvre est cherchée de plus en plus loin pour baisser les coûts de production, la vente en ligne agrandit considérablement le périmètre géographique des ventes… Les industriels se trouvent donc confrontés à des concurrents plus nombreux, plus grands et plus puissants, et leur survie dépend de leur capacité à s’adapter à cet environnement nouveau. Dans ces circonstances, la traçabilité des produits permet aux entreprises d’améliorer la qualité du service offert au client, de réduire les risques (e.g. cas des produits dangereux), de répondre aux imprévus au plus tôt, d’acquérir une meilleure connaissance de leurs propres processus et de les améliorer (e.g. études statistiques basées sur les données recueillies). Toutes ces mesures permettent aux industriels de faire face aux concurrents, de conserver leurs parts de marché et de rester compétitifs. On notera qu’une entreprise n’est, en général, qu’un maillon d’une chaîne logistique ou d’un réseau. La performance individuelle de l’entreprise est donc liée à la performance de ses collaborateurs (fournisseurs, distributeurs, transporteurs…), et le manque d’information et de visibilité entre les maillons d’une même chaîne logistique peut provoquer des problèmes notables (e.g. effet Bullwhip expliqué dans la Section 1.5.3.2). Il est par conséquent nécessaire de prendre en compte la chaîne logistique dans sa globalité et de favoriser les échanges d’information entre les différents collaborateurs. La traçabilité des produits, dans ce contexte, permettrait une visibilité accrue des flux internes, aval et amont. Cela contribuerait à améliorer la planification des activités, à réduire les stocks, à réagir aux imprévus au plus tôt et à augmenter la productivité globale de l’ensemble des collaborateurs… De surcroît, en raison de plusieurs évolutions idéologiques et technologiques telles que l’avènement d’Internet ou plus généralement le développement des TIC, ainsi que la concurrence industrielle ci-avant expliquée, le client s’est, graduellement, transformé en un consommateur exigeant, infidèle et aux goûts diversifiés et évolutifs. La qualité, la personnalisation et la traçabilité du produit font maintenant partie de ses exigences. En ce qui concerne la traçabilité, les consommateurs veulent connaitre l’origine des produits qu’ils achètent. Le secteur alimentaire présente un exemple concret à cela (e.g. les produits AOC26, le label rouge, les produits biologiques, les produits du terroir, les produits de l’UE27, les produits locaux…). Dans d’autres industries également, l’origine et le parcours des produits peut être un gage de qualité (e.g. les voitures allemandes…) ou présenter un intérêt tout aussi valable pour le client comme l’encouragement de l’industrie locale ou la réduction des émissions de CO2 liées aux longues distances de transport. Quant à la personnalisation des produits, expliquée dans les sections 1.2 et 1.3, elle induit des processus de production et de transport généralement complexes qui nécessitent des flux d’information considérables. Par conséquent, un suivi et une traçabilité maîtrisés sont de rigueur, dans ce cas. Par ailleurs, la réglementation sur la traçabilité des produits est en cours d’évolution et devient de plus en plus exigeante. Les industriels se voient donc contraints à mettre en place des systèmes de suivi de leurs produits afin de respecter la loi ou d’anticiper son évolution. Les organismes de normalisation, de leur côté, ont publié plusieurs normes relatives à la traçabilité dans différents secteurs comme la chaîne alimentaire (e.g. ISO 22005 :2007, voir page 20).
La RFID et les problèmes d’incohérence du stock
La cohérence entre le stock physique et sa représentation dans le système d’information est rarement parfaite. [Kang et Gershwin 2005] rapportent que la meilleure situation rencontrée chez les détaillants est celle où 75% à 80% des enregistrements dans la base de données correspondent exactement au stock réel. Ils rapportent aussi que dans certains cas, l’incohérence atteint 65% des enregistrements. [Dolgui et Proth 2008] classent les raisons de l’incohérence entre le stock réel et l’information qui le représente en quatre catégories : La perte de stock est, apparemment, la cause la plus répandue pour expliquer la différence entre le stock physique et l’information qui le décrit dans le SI33. La perte de stock peut être due au vol, à la détérioration des produits en raison d’une mauvaise manutention, ou à leur obsolescence. La non détection de ces pertes, surtout en cas de vol ou de mauvaise manutention, mène à une incohérence entre le stock physique et le stock dans le SI. Les erreurs de transaction se produisent, par exemple, lorsque l’arrivée d’une marchandise ne fait pas l’objet d’une vérification avant l’entrée en stock. Cela arrive aussi quand les vérifications sont trop approximatives ou quand l’étiquetage est erroné. L’emplacement inapproprié Il s’agit de produits qui se trouvent effectivement dans le stock réel mais qui ne sont pas placés à l’endroit indiqué par le SI, il est donc difficile, voir impossible de les trouver lorsque l’on en a besoin. On peut citer aussi le cas de produits placés dans des emplacements inaccessibles ou difficiles d’accès. L’étiquetage incorrect c’est par exemple le cas où l’étiquette collée sur le produit identifie, en réalité, un autre produit ou contient de fausses informations (nombre d’articles, type…). Les mêmes auteurs donnent l’exemple d’une chaîne logistique simplifiée, à trois niveaux et constituée d’un producteur, d’un centre de distribution et de trois détaillants. A chacun des trois niveaux se trouve un stock avec un problème de perte non détectée de produits. Une expérimentation par simulation montre que l’augmentation du taux de pertes non détectées de produits, au niveau de chaque maillon de la chaîne logistique, provoque une augmentation considérable du nombre de ruptures de stock. L’utilisation d’une technologie RFID, à l’échelle des articles permet de réduire la perte de produits stockés mais ne la supprime pas complètement (e.g. les produits endommagés font partie du stock réel mais sont inutilisables). Par conséquent, cette réduction de la perte de produits aura une influence positive sur la baisse du nombre de ruptures de stock. Il existe plusieurs autres études qui analysent l’impact des technologies RFID sur l’incohérence du stock due à des pertes non détectées de produits. Dans ce contexte, [Sarac et al. 2008] étudient une chaîne logistique à trois échelons, où il est question de trois produits différents. L’incohérence de l’information relative aux stocks est due à des problèmes tels que le vol, ou le placement inapproprié des produits. Les performances de plusieurs systèmes RFID, obtenus en combinant des lecteurs, des étiquettes et des niveaux d’étiquetage différents, sont comparées et montrent de grandes différences en termes de coûts et de profit potentiel. Par ailleurs, [Kang et Gershwin 2005] étudient un système de stockage et observent que même un taux de perte de stock faible peut provoquer une rupture de stock significative (e.g. 1% et 2.4% de perte de stock provoquent un niveau de rupture de stock de 17% et 50%, respectivement, de la demande perdue totale). Pour pallier à ce problème, les auteurs proposent, par la suite, différentes solutions telles que le stock de sécurité, l’inventaire manuel et l’utilisation de technologies RFID. Ils concluent que même sans technologie d’identification sophistiquée, il est possible de contrôler, efficacement, le problème d’incohérence de l’information relative au stock, à condition de connaître le comportement stochastique de la perte de stock. [Lee et al. 2004] proposent une étude par simulation où une chaîne logistique à trois échelons (producteur, distributeur et détaillant ayant un magasin pour le stockage et des rayons pour exposer les produits aux clients) est modélisée. Plusieurs scénarios sont analysés et l’apport de l’introduction de la RFID est évalué sur différents niveaux. On notera que la RFID, dans cette étude, ne réduit pas la diminution non désirée du stock mais permet une information plus cohérente qui elle même permet de mieux gérer les approvisionnements. Les résultats obtenus montrent que l’introduction de la RFID peut réduire de 23% le niveau de stock au centre de distribution, et éliminer totalement les commandes différées (back orders). Par ailleurs, une réduction de la quantité de commande, possible grâce à la RFID, peut provoquer une diminution du niveau de stock au centre de distribution de 47%. Néanmoins, les auteurs affirment que leurs scénarios ne sont pas complètement réalistes en raison de leur simplicité et conseillent de ne pas utiliser leurs résultats numériques de façon directe.
Le photocopieur configuré à la demande
L’activité qui nous intéresse, dans cette étude, est la configuration à la demande. Le produit concerné par cette activité est le photocopieur multifonctions TOSHIBA, appelé MFP6 chez l’industriel (voir Figure 2.2). Ce produit peut avoir plusieurs fonctions telles que l’impression, la photocopie, la numérisation d’images par scanner, et la télécopie de documents (fax). Le produit est composé d’un photocopieur de base sur lequel seront montées des options selon la configuration choisie par le client. Les options peuvent avoir plusieurs fonctionnalités : Cassette supplémentaire Il s’agit d’un élément qui permet d’alimenter le photocopieur en papier. Le rajout de cassettes supplémentaires permet d’agrandir la réserve de papier du photocopieur. RADF 7 Désigne un élément qui permet de charger et de retourner automatiquement les documents. Finisseur Elément qui permet d’obtenir des modes de finition de documents variés tels que l’agrafage simple, double ou en mode livret… Carte réseau Elément permettant la connexion d’un photocopieur multifonctions à un réseau informatique. Il y a aussi d’autres options telles que les extensions de mémoire, les modules WIFI et Bluetooth… Le coût du photocopieur configuré varie entre quelques centaines et quelques milliers d’euros. Le photocopieur de base se décline en une trentaine de modèles qui peuvent être classés en trois catégories : les grands, les moyens et les petits.
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Table des matières
Introduction générale
1 Etat de l’art
1.1 Introduction
1.2 Standardisation versus personnalisation
1.3 CTO et autres stratégies de production hybrides
1.4 Les lignes d’assemblage
1.4.1 Qu’est ce qu’une ligne d’assemblage ?
1.4.2 Quelques caractéristiques des lignes d’assemblage
1.4.3 Le problème d’équilibrage des lignes d’assemblage
1.4.4 Allocation du travail dans les lignes d’assemblage
1.5 IDentification par Radio-Fréquences
1.5.1 Le besoin de traçabilité et de moyens pour l’assurer
1.5.2 Les technologies d’identification par radio-fréquences (RFID)
1.5.3 Quelques applications de la RFID
1.6 Conclusion du chapitre
2 Présentation du cas industriel et de l’approche utilisée
2.1 Introduction
2.2 Le projet GEOCOLIS
2.3 Objectifs de l’étude
2.4 Le photocopieur configuré à la demande
2.5 Description des processus CTO réels à Toshiba
2.5.1 Les processus liés à la CTO au centre logistique (TLC)
2.5.2 Les processus liés à la CTO au centre de configuration (TSC)
2.6 État du système de production actuel de Toshiba et points améliorables
2.7 Approche utilisée
2.7.1 Les différentes approches qui existent pour étudier un système
2.7.2 La simulation
2.7.3 La simulation à évènements discrets
2.7.4 Pourquoi avons nous choisi la simulation à évènements discrets ?
2.7.5 Les différentes étapes d’une approche par simulation
2.8 Conclusion du chapitre
3 Modélisation et simulation de l’introduction d’une technologie RFID
3.1 Introduction
3.2 Indicateurs de performance
3.2.1 Rendement
3.2.2 Taux d’utilisation des ressources
3.2.3 Temps de séjour (ouvré)
3.2.4 Taux de commandes en retard
3.3 Analyse des données industrielles
3.3.1 Modélisation de la demande
3.3.2 Les durées de processus
3.3.3 Agrégation des types d’articles
3.3.4 Les temps de séjour réels et les temps de séjour ouvrés
3.4 Entités et structure du modèle
3.5 Description des processus modélisés
3.5.1 En amont et dans le centre logistique
3.5.2 Dans le centre de configuration
3.6 Dimensionnement et affectation des ressources au TSC
3.6.1 Estimation mensuelle
3.6.2 Estimation quotidienne
3.7 Mise en œuvre de la simulation
3.7.1 Les outils d’analyse et de modélisation utilisés
3.7.2 Développement du modèle
3.7.3 Vérification du modèle
3.7.4 Validation du modèle
3.7.5 Validation du scénario de base
3.7.6 Validation des scénarios RFID
3.7.7 Nombre de réplications
3.8 Expérimentation RFID
3.8.1 Présentation des expérimentations
3.8.2 Résultats
3.8.3 Bilan
3.9 Conclusion du chapitre
4 Amélioration du dimensionnement et de l’affectation des ressources
4.1 Introduction
4.2 Le modèle de simulation et les nouvelles simplifications
4.2.1 Nouvelles simplifications et hypothèses
4.2.2 Indicateurs de performance
4.2.3 Données d’entrée du modèle
4.2.4 Vérification du « modèle réduit »
4.2.5 Validation du « modèle réduit »
4.3 Choix des meilleurs coefficients de répartition des ressources
4.3.1 Optimisation des coefficients de répartition des ressources pour le scénario de base (système actuel)
4.3.2 Optimisation des coefficients de répartition des ressources pour le scénario intégrant une technologie RFID
4.4 Nouvelles méthodes de dimensionnement et d’affectation des ressources
4.4.1 Hypothèses et données
4.4.2 Méthodes en deux phases
4.4.3 Méthode 3
4.5 Comparaison des différentes méthodes de dimensionnement et d’affectation des ressources
4.6 Expérimentation sur l’éventuelle reconfiguration de l’atelier
4.7 Conclusion du chapitre
Conclusion générale et perspectives de recherche
Conclusion générale
Perspectives de recherche
Temps ouvré et temps réel
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