Il y a trois ans, au début de mon enseignement, une des premières séquences que j’ai enseignée était une introduction au calcul littéral. Les élèves ne comprenaient pas l’intérêt des lettres au milieu des nombres. Lettres qui rendaient les calculs mathématiques impossibles à leurs yeux. Malgré toutes les explications données, ces élèves n’ont pas compris le sens et l’utilité de l’algèbre. Les moments que j’ai vécu durant cette séquence m’ont profondément touché et ils sont certainement à l’origine de ce travail de mémoire. L’algèbre est en effet une matière appréhendée par la majorité des élèves. Les élèves passent de l’école primaire au secondaire avec des représentations purement arithmétiques lorsqu’ils abordent, au début du secondaire, l’enseignement de l’algèbre. Un profond fossé conceptuel sépare les deux modes de raisonnement, arithmétique et algébrique. Cette rupture conduit de nombreux élèves à travailler en algèbre tout en conservant un mode de pensée arithmétique. L’addition de termes non semblables, les erreurs de signes, une interprétation erronée de l’égalité… sont des erreurs commises par une majorité d’élèves, dont l’origine se trouve au niveau du manque de transition entre l’apprentissage de l’arithmétique et celui de l’algèbre. L’organisation classique des premiers apprentissages algébriques envisage le calcul littéral avant les équations. Le Plan d’Études Romand (PER, 2011) définit dans la progression des apprentissages l’élaboration d’expressions algébriques en 9ème HarmoS (9H) et des équations en 10H. Cette organisation des contenus est justifiée par le fait que chaque contenu enseigné est précédé de l’apprentissage des techniques auxquelles il fait référence. La résolution d’équations peut en effet nécessiter l’utilisation du calcul littéral. Néanmoins, cet agencement des apprentissages impose à l’élève de construire d’emblée une conception des expressions algébriques et du sens des lettres. Donner du sens aux concepts algébriques est donc une étape primordiale pour réussir la transition du mode de pensée arithmétique vers le mode de pensée algébrique pour les élèves au début du degré secondaire.
Les tendances pédagogiques actuelles, le Plan d’Études Romand et les nouveaux manuels de mathématiques (Mathématiques 9-10-11, 2012) proposent un modèle d’enseignement de type socio-constructiviste. L’apprentissage des mathématiques par la résolution de problèmes fait actuellement l’unanimité en matière de didactique. Des recherches issues de différents pays témoignent de cette volonté (Vlassis et Demonty, 2002). Charlot souligne que « cette option pédagogique n’est pas nouvelle dans l’absolu. Ce qui est nouveau, c’est qu’elle est aujourd’hui officielle » (Bkouche et al., 1991). Dans le cadre des mathématiques, certains savoirs à enseigner se prêtent bien à une approche socio-constructiviste : géométrie, grandeurs et mesures… , alors que d’autres sont plus difficiles à introduire comme dans le cas pour l’algèbre. Or, pour palier aux peines éprouvées par les élèves avec l’algèbre, il serait d’autant plus important de mettre en avant les erreurs et difficultés des élèves avec cette matière et donner du sens à ces apprentissages, comme préconisé par le modèle socio-constructiviste.
Les difficultés des élèves
L’organisation classique des premiers apprentissages algébriques envisage le calcul littéral avant les équations. Cet agencement des contenus impose à l’élève la construction de concepts algébriques très tôt. Un grand nombre d’erreurs a été constaté du fait que les élèves sont amenés à fonctionner en algèbre alors qu’ils conservent leur perspective arithmétique. Ce relevé d’erreurs est basé sur les résultats d’une épreuve d’algèbre soumise à des élèves de première année du secondaire en Belgique (Vlassis et Dumonty, 2000).
La réduction de termes non semblables
La réduction de termes non semblables est une des erreurs les plus fréquentes chez les élèves. Par exemple, l’expression 3x + 2x + 4y est souvent donnée 9xy au lieu de sa réponse correcte 5x + 4y. Cette erreur, qui pourrait être attribuée à un manque d’étude ou à la non-compréhension des termes semblables, témoigne du fonctionnement arithmétique des élèves. Ces élèves n’envisagent pas l’expression 5x + 4y comme réponse possible, car le symbole + est interprété comme une opération à effectuer.
Pour aider les élèves à ne plus additionner les termes non semblables, les adultes ont souvent recours à l’expression : « on n’additionne pas des pommes avec des poires ! ». Or, il s’agit d’une aide peu efficace, car pour certains élèves 9xy représente 9 pommes et poires. Cela renforce leur représentation erronée des expressions littérales et donne une interprétation incorrecte du sens des lettres qui sont perçues comme des nombres généralisés.
Les puissances
D’après les données de Vlassis et Demonty (2000), quand une même lettre se trouve plusieurs fois dans une expression littérale à réduire, entre 10% et 19% des élèves utilisent des puissances pour en donner une forme réduite. Par exemple, a+a+ a = a³ ou x + 5x = 5x².
La distributivité
En ce qui concerne la distributivité de la multiplication par rapport à l’addition et la soustraction, Vlassis et Demonty (1998) ont trouvé que seulement 23% à 27% des élèves répondent correctement aux questions, et que la majorité des élèves applique la distributivité que sur le premier terme entre les parenthèses. Par exemple, les élèves répondent 7(x + 3) = 7x + 3 ou 21x au lieu de la réponse correcte 7x + 21.
Ces difficultés témoignent encore une fois de la conception arithmétique des élèves dans l’algèbre, car en arithmétique, la règle des priorités des opérations exige que nous effectuions d’abord les opérations entre parenthèses puis que nous multipliions. La distributivité nécessite donc l’acquisition de prérequis algébriques que les élèves viennent à peine de découvrir (notamment, le fait qu’on ne puisse pas additionner des termes non semblables, x et 3 comme dans l’exemple ci-dessus). La distributivité représente un saut conceptuel important pour les élèves à ce niveau d’apprentissage.
La convention de l’omission du signe « ・ »
Une autre difficulté de l’algèbre réside dans le fait que les élèves sont confrontés à un nouveau langage qui comporte un certain nombre de conventions, notamment l’omission du signe « ・ » entre un nombre et une lettre, ou entre deux lettres, ou avant les parenthèses. Les nombreuses questions concernées par cette difficulté témoignent de la régularité de cette erreur quelque soit le contexte.
Les nombreuses erreurs en lien avec la transition entre l’arithmétique et l’algèbre mettent en évidence que les nouveaux apprentissages ne seront véritablement acquis que s’ils intègrent les connaissances antérieures des élèves. En effet, pour faire comprendre le sens des règles et des concepts algébriques, il est nécessaire de permettre aux élèves de les mettre en lien avec ce qu’ils savent déjà et de pouvoir les comparer. D’après l’analyse que nous venons de faire, les erreurs effectuées par les élèves ne deviennent plus un dysfonctionnement de l’élève mais des « symptômes » que nous devons désormais identifier pour pouvoir y remédier. Les laisser émerger permettra aux élèves de les dépasser si l’enseignant est sensibilisé à ces difficultés liées à l’algèbre. Dans cette perspective, l’enseignement par situations-problèmes constitue une approche intéressante.
Le modèle socio-constructiviste
Le courant socio-constructiviste s’est développé contre les approches transmissives et béhavioristes. Il fait l’hypothèse que les comportements mentaux jouent un rôle fondamental dans l’apprentissage, et s’inspire des travaux de recherches en psychologie, notamment ceux de Jean Piaget. Selon ce modèle d’apprentissage, apprendre, c’est passer d’une conception ancienne à une conception nouvelle plus utile (Charnay et Mante, 2011). La nouvelle conception permet à l’élève de résoudre d’avantage de problèmes ou de les résoudre plus efficacement. Ce passage se fait par une remise en cause des connaissances anciennes. La stratégie d’apprentissage consiste à provoquer, chez l’élève, un conflit cognitif interne par une contradiction entre ses connaissances antérieures et un démenti. Ce démenti peut être amené par une situation ou par ses pairs (conflit socio-cognitif). Les situations de classe qui favorisent la mise en place de ce processus sont appelées des situations-problèmes.
Selon Charnay et Mante (2011), l’approche constructiviste a de nombreux avantages. Elle prend réellement en compte les connaissances initiales des élèves dans la phase introductive, en particulier leurs erreurs. C’est la seule approche qui pose la question du sens des connaissances. Cette approche développe aussi la socialisation des élèves: apprendre à écouter, prendre en compte l’avis de l’autre, s’entraider, argumenter.
Les situations-problème
Les situations-problèmes sont plus larges et mieux calibrées que des problèmes d’application que nous proposons aux élèves pour entrainer des savoirs déjà institutionnalisés. Il s’agit d’alternatives aux cours eux-mêmes. Les situations-problèmes sont construites autour d’un obstacle à l’apprentissage, qui a été identifié et qu’il s’agira de franchir. Elles prennent comme point de départ un problème complexe à analyser, puis à résoudre autour de la pratique du « débat scientifique » dans la classe (Astolfi et al. 2008).
Selon Philippe Meirieu (1988), la pédagogie des situations-problèmes est opposée aux « pédagogies de la réponse » et aux « pédagogies du problème » : D’un côté. nous avons ce que, par simplification, nous pouvons appeler la « pédagogie de la réponse »: elle se contente de livrer des explications correctement agencées, elle fait des leçons qui, sans doute, à terme, permettront de résoudre des problèmes. (…) À l’autre bout de l’échiquier pédagogique, on trouve ce que, pour simplifier à nouveau, nous nommons les « pédagogies du problème » : méthodes actives, pédagogie du concret ou du projet, elles se proposent de mettre l’élève face à une tâche susceptible de le mobiliser, et à l’occasion de laquelle on cherchera à lui faire effectuer des apprentissages précis. (…)
Tout l’effort de la pédagogie des situations-problèmes est d’organiser précisément l’interaction pour que, dans la résolution du problème, l’apprentissage s’effectue. Cela suppose que l’on s’assure, à la fois, de l’existence d’un problème à résoudre et de l’impossibilité de résoudre le problème sans apprendre »
Dans ce type d’activité, l’élève est acteur de son propre apprentissage : il construit sa connaissance en agissant. Soit l’action aboutit au résultat attendu : Piaget parle alors d’assimilation; soit la tentative échoue : l’apprenant est en déséquilibre; l’élève est alors contraint à un réajustement, ce que Piaget appelle une accommodation (Charnay et Mante. 2011). Une situation-problème se caractérise par un type de problème conçu pour que l’élève puisse s’engager dans sa résolution en investissant ses conceptions anciennes. Dans une deuxième phase, l’élève prend conscience de l’insuffisance de ses conceptions et, idéalement, la situation devrait lui permettre de construire de nouvelles connaissances pour résoudre le problème. Cette dernière partie peut être plus difficile à atteindre car nous ne connaissons pas de situations-problèmes pour l’enseignement de tous les concepts. Dans certaines situations, nous nous contenterons de donner du sens à de nouveaux concepts que nous enseignerons ensuite. Le fait que l’élève ait pris conscience de l’insuffisance de ses outils va faciliter l’apprentissage de nouveaux concepts, car désormais ils font sens pour lui. C’est par exemple le cas lorsque nous proposons un problème multiplicatif que l’élève ne peut résoudre avec l’addition itérée, car il y a beaucoup trop d’additions à effectuer (Bachelard, 1983). Une situation-problème se caractérise aussi par une gestion de classe qui comporte plusieurs étapes; une première phase de travail individuel pour permettre à chacun de s’approprier la situation à son rythme, suivie d’un travail en sous-groupes qui se termine avec une production commune. L’enseignant s’occupe alors d’animer une mise en commun de toutes les productions de la classe. Finalement, l’enseignant officialise les nouvelles connaissances que les élèves doivent maintenant acquérir et savoir utiliser lors d’une institutionnalisation. En conclusion, dans le cadre de l’introduction à l’algèbre, l’apprentissage par des situations-problèmes permet de tenir compte des erreurs typiques liées à la transition du mode de pensée arithmétique vers le mode de pensée algébrique, de les mettre en évidence et de les dépasser. Les situations concrètes permettent aussi de donner du sens aux nouveaux concepts algébriques dès le début.
|
Table des matières
1. Introduction
2. Problématique
3. Question de recherche
4.Cadre conceptuel
4.1. Le sens de l’algèbre
4.2. Les difficultés des élèves
4.3. Le modèle socio-constructiviste
4.4. Les situations-problème
5. Méthodologie
5.1. La classe 10VP/1
5.2. Objectifs de la séquence
5.3. Planification de la séquence
5.4. Analyse apriori de la situation-problème 1 (algèbre par la géométrie)
5.5. Exercices de consolidation
5.6. Évaluation
6. Résultats
6.1. Situation-problème 1
6.2. Analyse des erreurs
7. Discussion
8. Bilan et conclusion
8.1. Apport personnel de la recherche sur mon développement professionnel
9. Bibliographie
10. Annexes
Télécharger le rapport complet