Interprétation et évaluation des paramètres biochimiques du liquide d’ascite 

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Physiopathologie de l’ascite

La formation d’une ascite résulte d’un déséquilibre entre production et résorption de liquide péritonéal. L’équilibre des fluides est influencé par la pression portale, la pression oncotique, l’équilibre hydrosodé et la perméabilité des canaux vasculaires pour les macromolécules et les cellules. Ainsi, toute pathologie modifiant ces équilibres peut conduire à l’ascite. Classiquement, on distingue deux entités physiopathologiques responsables de la formation du liquide d’ascite : l’excès de production et le défaut de résorption (figure 5) [28].

Excès de production du liquide péritonéal

La physiologie des compartiments liquidiens obéit à la loi de Starling qui régit les échanges plasmatiques : un liquide se dirige d’un milieu à pression hydrostatique élevée vers un milieu à pression hydrostatique basse, et d’un milieu à pression oncotique basse vers un milieu à pression oncotique élevée. Un excès de production de liquide péritonéal s’observe donc dans les causes de rétention hydrosodée, par augmentation de la pression hydrostatique, ainsi que dans les cas d’une baisse de la pression oncotique, par diminution de la production ou fuite de l’albumine et de protides. Dans cette entité physiopathologique, on retrouve la cirrhose qui représente 80% des causes d’ascite dans les pays développés, vient ensuite l’IC, et plus rarement le SN et le syndrome de Budd-Chiari. Une autre cause de formation d’ascite est la rupture d’un canal lymphatique ou urinaire. Dans ces cas exceptionnels, les capacités de résorption du liquide péritonéal sont dépassées par l’afflux de liquide provenant de la rupture du canal [28].

Cirrhose

Le principal facteur contribuant au développement de l’ascite chez un patient atteint de cirrhose est l’hypertension portale. Celle-ci résulte d’une résistance intra-hépatique accrue au flux sanguin, aggravée par une vasodilatation splanchnique, résultant de la production locale de vasodilatateurs. La cirrhose est la conséquence d’un traumatisme hépatique caractérisé par une distorsion de l’architecture hépatique et par un remplacement du tissu sain, fonctionnel, par du tissu fibreux. L’augmentation de la résistance au flux sanguin portal, résultant de la cirrhose par bloc intra-hépatique, entraine la formation progressive d’une hypertension portale. La vasodilatation splanchnique se développe lorsque l’hypertension portale persistante entraine une surproduction locale de vasodilatateurs tels que l’oxyde nitrique. La vasodilatation artérielle splanchnique et l’accumulation du sang qui en résulte entrainent une diminution du volume sanguin artériel effectif et de la pression artérielle. En réponse à cette modification de la volémie, des mécanismes compensateurs se mettent en place : activation du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA), activation du système nerveux sympathique et sécrétion de l’hormone antidiurétique. Ils ont pour but de corriger la volémie par réabsorption d’eau et de sodium par le rein. Ces mécanismes in fine entrainent un état d’hyperhydratation avec hyponatrémie de dilution et une augmentation de la pression hydrostatique. Par conséquent, la pression dans les capillaires sinusoïdes augmente, conduisant à un excès d’ultra filtrat vers le réseau lymphatique. En complément, le foie génère également de la lymphe participant au dépassement des capacités de résorption du système lymphatique (figure 6) [29].
En effet, lorsque la formation de liquide péritonéal dépasse les capacités des vaisseaux lymphatiques à le remettre en circulation, l’excès de liquide est alors maintenu dans la cavité péritonéale, formant l’ascite. Un cercle vicieux se met en place, l’ascite provoque une hypovolémie qui entraîne une activation des mécanismes vasoconstricteurs qui affectent les reins. Cette mauvaise adaptation conduit à une réabsorption de sodium et d’eau entretenant l’ascite. Dans les formes les plus exacerbées, elle induit le syndrome hépatorénal [30,31].

Insuffisance cardiaque

Le foie est hautement vascularisé et reçoit jusqu’à 25% du volume sanguin partant du cœur. Par conséquent, il est très sensible aux variations hémodynamiques liées à l’insuffisance cardiaque. Celle-ci conduit à :
– La diminution du débit sanguin hépatique
– L’augmentation de la pression dans la veine cave
– La diminution des apports en oxygène aux tissus hépatiques.
En résultante, le foie est congestionné. L’élévation de la pression sanguine dans la veine cave mène à une élévation de la pression sanguine des veines sus-hépatiques et des capillaires sinusoïdes. Au contraire de la cirrhose, leurs fenestrations s’élargissent permettant le passage d’un ultra filtrat riche en protéine dans l’espace de Disse. Quand l’excès de lymphe ne peut plus être drainé entièrement par le réseau lymphatique, celle-ci stagne dans la cavité péritonéale formant l’ascite. Par ailleurs, la diminution du débit cardiaque provoque une diminution du débit rénal, activant le SRAA. Un cercle vicieux se met en place, la réabsorption de sodium et d’eau conduit à un état d’hyperhydratation extracellulaire, contribuant à augmenter la volémie et donc le travail cardiaque. Le cœur, à terme, réduit de plus en plus son débit, accentuant l’activation du SRAA et l’hyperhydratation extracellulaire. En conséquence, l’ascite entretient, à l’état chronique, la congestion et l’hypoxie hépatique [32] qui sont les causes : d’une atrophie de l’hépatocyte, de l’inhibition de la régénération du tissu, et de la stimulation de l’angio-fibrogenèse. On parle alors de cirrhose cardiaque. Toutefois, la fibrose est hétérogène et se développe faiblement. Ainsi, l’hypertension portale, bien qu’existante, est rarement importante [33,34,35].

Syndrome néphrotique

La formation d’ascite, dans un contexte de syndrome néphrotique, est rare. Elle est généralement associée à un œdème généralisé : l’anasarque. Cet état se retrouve plus souvent chez les enfants que chez les adultes. Le mécanisme de la formation de l’ascite est le même que celui de la formation d’œdème. Celui-ci associe une diminution de la pression oncotique, en lien avec une protéinurie/albuminurie massive, et une augmentation de la pression hydrostatique, liée à une réabsorption de sodium et d’eau. Il s’ensuit un passage de liquide des capillaires sanguins vers le tissu interstitiel. Lorsque le drainage lymphatique est dépassé, il y a alors formation d’œdème, puis d’ascite, lorsque le réseau lymphatique péritonéal est atteint [28,36,37,38].

Syndrome de Budd-Chiari

Le syndrome de Budd-Chiari est une maladie rare, définie par une altération de l’écoulement sanguin veineux du foie, par bloc sus-hépatique, principalement au niveau des veines supra-hépatiques ou de la veine cave inférieure. Les étiologies notables comprennent les états d’hypercoagulabilité et les maladies myéloprolifératives. La diminution de l’écoulement sanguin, en lien avec une thrombose ou une stase leucocytaire, entraîne une augmentation de la pression dans les capillaires sinusoïdes hépatiques. En réponse, ceux-ci se dilatent, entraînant une extravasation érythrocytaire altérant les échanges bidirectionnels entre les hépatocytes et le sang. Ce dysfonctionnement déclenche en parallèle une réaction inflammatoire qui, à l’état chronique, conduit à la fibrogenèse et à la cirrhose. L’ascite, dans un premier temps, est liée au déséquilibre des forces hydrostatiques dans les veines supra-hépatiques, puis va dans un second temps suivre les mêmes processus physiopathologiques que précédemment décrits dans la cirrhose [39,40].

Rupture canalaire

La rupture canalaire est rare. La présence d’ascite est ici en lien avec un afflux liquidien péritonéal supérieur aux capacités de résorption. Les principales étiologies sont :
– La rupture du canal lymphatique mésentérique.
– La rupture du canal lymphatique hépatique
– La rupture du canal excréteur du pancréas
– La rupture de l’uretère
Ces ruptures sont le plus souvent liées à un traumatisme chirurgical, à une hyperpression lymphatique en rapport avec un obstacle (infectieux ou tumorale), à une hyperviscosité dans la maladie de Waldenström, ou encore à une complication de la cirrhose [1,2].

Diminution de la résorption du liquide péritonéal

Physiologiquement, près des 2/3 du liquide péritonéal sont réabsorbés par les canaux lymphatiques sous-diaphragmatiques. La résorption peut être gênée en cas d’obstruction des canaux lymphatiques, le plus souvent d’origine tumorale ou infectieuse. La baisse du retour du liquide lymphatique dans le canal thoracique entraîne également la baisse de la volémie efficace, activant le SRAA, favorisant une rétention hydrosodée et l’ascite. Les étiologies notoires sont : la carcinose péritonéale, le mésothéliome péritonéal et la tuberculose péritonéale [28].

Carcinose péritonéale

La formation d’ascite dans un contexte de carcinose péritonéale (CP) résulte de trois mécanismes. Le premier est la conséquence de la croissance tumorale dans la cavité abdominale, en lien avec la dissémination de métastases issues d’un cancer primitif tel que le cancer de l’ovaire, du poumon, du colon, du pancréas ou de la thyroïde. Cette dissémination entraine l’obstruction des vaisseaux lymphatiques drainant le liquide péritonéal. Dès lors, il y a accumulation de liquide en amont de l’obstacle. Le deuxième mécanisme est propre au processus tumoral, qui sous l’action du facteur de croissance vasculaire, de métalloprotéases matricielles et de l’inflammation, provoque une augmentation de la perméabilité des capillaires sanguins majorant la formation de liquide péritonéal. Le troisième mécanisme implique le SRAA entretenant l’ascite [41]. La présentation d’une CP varie en fonction du cancer primitif, de son agressivité et de son stade. L’ascite apparait le plus souvent à un état avancé de la maladie. Elle représente environ 10% des cas d’ascite dans les pays développés.

Mésothéliome péritonéal

Le mésothéliome péritonéal, du fait de sa fréquence, est une cause exceptionnelle d’ascite.
À l’inverse, l’ascite est présente dans 70% des cas de mésothéliome péritonéal. Les mécanismes de formation de l’ascite dans ce cas sont similaires à ceux de la CP. En effet, ce sont deux entités physiopathologiques proches. Alors que, la CP est le plus souvent secondaire à un processus tumoral métastatique, le mésothéliome péritonéal est, quant à lui, lié à un envahissement primitif de la séreuse péritonéale. De ce fait, il a une évolution principalement locorégionale, sans atteinte ganglionnaire et métastatique. En pratique, la distinction avec une CP est difficile [42].

Tuberculose péritonéale

D’après le rapport de l’OMS sur la tuberculose dans le monde en 2019 [43], le nombre de nouveaux cas pour l’année 2018 est estimé à 10 millions. La répartition des cas est inégale à l’échelle mondiale. En effet, si l’Asie du sud-est et l’Afrique regroupent la majorité des cas (respectivement 44% et 24%), l’Europe quant à elle, en dénombre seulement 3%. La TBP représente 1 à 2 % des formes de tuberculoses. Ainsi, le poids statistique rend cette localisation de tuberculose beaucoup plus prégnante dans les pays en développement, comparativement aux pays développés. Les signes cliniques sont aspécifiques regroupant la triade : fièvre, douleur abdominale et ascite. Dans leur revue de la littérature regroupant 35 études sur la TBP, Sanai et Bzeizi ont retrouvé une ascite dans 73% des cas [44]. La TBP fait le plus souvent suite à une dissémination secondaire par voie hématogène ou lymphatique à partir d’un foyer primaire pulmonaire. Mais, elle peut également survenir à la suite d’une infection de proximité intestinale ou gynécologique. Le mécanisme de formation de l’ascite est lié à l’obstruction des vaisseaux lymphatiques sous-péritonéaux entrainant un blocage de la résorption du liquide péritonéal et à la perméabilité accrue du péritoine en raison de l’inflammation. Par ailleurs, il est intéressant de noter que 5 à 43% des patients présentant une TBP dans les pays occidentaux ont également une cirrhose sous-jacente [45,46].

Interprétation et évaluation des paramètres biochimiques du liquide d’ascite

Le diagnostic d’ascite est aisé lorsque le volume de liquide péritonéal accumulé dépasse 1 litre. Il est alors très fortement suggéré lorsque s’associent une augmentation du volume de l’abdomen et une matité des flancs. Pour les ascites de moindre importance, le diagnostic est aidé par l’imagerie telle que l’échographie. La ponction du liquide d’ascite permet d’avoir un diagnostic formel, sans toutefois, déterminer une étiologie précise. Bien que la cause sous-jacente soit souvent considérée comme cliniquement évidente, il n’en demeure pas moins nécessaire d’établir un diagnostic définitif. Ainsi, tout en considérant des critères cliniques, l’étude biologique du liquide d’ascite à l’aide de marqueurs biochimiques à son importance pour étayer des pistes étiologiques. En ce sens, l’American Association for the Study of Liver Disease stipule que l’analyse du liquide d’ascite est la méthode la plus rapide et la plus rentable pour diagnostiquer la cause d’une ascite. L’évaluation des paramètres présentés dans cette thèse se fonde essentiellement sur des critères de performance diagnostique présents dans la littérature.

Marqueurs dosés au laboratoire

Protides

Concept transsudat-exsudat

L’idée de classer les liquides entre exsudat et transsudat n’est pas nouvelle. Déjà en 1895, le médecin italien Fabio Rivalta mettait au point un test qualitatif permettant de faire la distinction entre les deux [47]. Le test éponyme consiste à laisser tomber quelques gouttes de sérosité dans de l’eau distillée, à laquelle on ajoute de l’acide acétique permettant d’abaisser le pH et de faire précipiter les protéines. Le liquide devient donc trouble quand il provient d’un exsudat et reste limpide quand il provient d’un transsudat. Depuis, les protides sont dosés de manière quantitative. En 2019, au CHU de Rouen, la détermination de la concentration en protides dans le liquide d’ascite (CPRO), avec 998 demandes, est l’examen le plus demandé sur le liquide d’ascite. La détermination de la concentration de protéines dans ce liquide a pour objectif de distinguer les mécanismes de formation de l’ascite. Historiquement, les ascites sont classées en deux catégories associées à des étiologies: exsudat et transsudat (tableau 2).

Cirrhose

Pour parfaire le concept transsudat-exsudat, Hoefs a démontré en 1983 que la concentration en protides dans le liquide d’ascite chez des patients atteints d’une pathologie hépatique chronique est corrélée directement à la protidémie, à l’albuminémie et négativement corrélée à la pression portale [58]. En accord avec ces résultats, dans leur série, Runyon et Epps ont constaté que la CPRO chez des patients cirrhotiques sous diurétiques augmente significativement, passant en moyenne de 15 à 27 g/L, et ce en lien avec l’augmentation de la protidémie [59]. En complément, Witte et al ont constaté chez 5 patients atteints de cirrhose compliquée d’ascite, qu’après réduction de la pression portale par un shunt porte cave, la teneur en protide de l’ascite passait en moyenne de 6 g/L à 29 g/L, sans modifications significatives de l’albuminémie et de la protidémie [60]. Cela souligne l’idée que la CPRO de patients cirrhotiques est liée à la protidémie, à l’albuminémie et à l’hypertension portale. Dans le plus grand nombre de cas, l’ascite des patients ayant une hépatopathie chronique est pauvre en protides. Comme vu précédemment, la formation d’ascite dans ce contexte est liée à un excès de production de liquide péritonéal dont l’origine est double :
– Excès de production de lymphe d’origine mésentérique en lien avec l’hypertension portale
– Excès de production de lymphe d’origine hépatique en lien avec la fibrose du tissu
La lymphe mésentérique, à l’état physiologique, a une teneur en protides de 30 à 35 g/L. En présence d’une hypertension portale sévère, la teneur en protide peut être inférieure à 5 g/L. En effet, à la suite de l’hypertension portale, de l’eau et du sodium s’échappent de manière disproportionnée des capillaires sinusoïdes vers le système lymphatique mésentérique diluant les protides s’y trouvant. En conséquence, l’ascite est pauvre en protide. De plus, le foie est le seul à pouvoir fabriquer de l’albumine, donc, lorsqu’il n’est plus fonctionnel, l’albuminémie et la protidémie diminuent, accentuant la baisse de pression oncotique, favorable à la formation d’ascite. En outre, dans un contexte de cirrhose, la lymphe hépatique, bien qu’ayant une concentration en protides plus élevée que dans le liquide d’ascite, a une teneur en protides plus faible qu’à l’état physiologique. On l’explique par une modification de la morphologie des capillaires sinusoïdes hépatiques qui perdent leurs fenestrations. Les protides passent donc plus faiblement dans la lymphe hépatique. Ce mécanisme permettrait de lutter contre la formation d’ascite en fournissant à la circulation sanguine une quantité de protéine minimale, afin de rééquilibrer la balance entre la pression oncotique et hydrostatique [61,62].
Si ces mécanismes physiopathologiques dans un contexte d’hépatopathie chronique expliquent bien une concentration en protides basse dans les liquides d’ascites, ils n’en demeurent pas moins en contradiction avec un taux de protides élevé, se produisant dans environ 10 à 15% des cas. L’une des explications est que lorsque la pression portale est modérément augmentée, ou que la protidémie et l’albuminémie sont conservées, alors l’équilibre entre la pression hydrostatique et oncotique est partiellement maintenu. En conséquence, les protides se trouvant dans la lymphe mésentérique sont moins dilués. La résultante est un liquide d’ascite modérément pauvre en protide pouvant être 25 g/L. Autrement dit, un processus transsudatif générera une concentration relativement élevée en protide dans le liquide d’ascite, à condition que la pression oncotique, déterminée par la protidémie et l’albuminémie soit préservée et que l’hypertension portale soit modérée [58].
De plus, chez ce type de patient avec une hépatopathie modérée, les capillaires sinusoïdes restent fenestrés, ainsi, la lymphe d’origine hépatique participant à l’ascite a une teneur en protide plus élevée qu’en cas d’hépatopathie avancée, dans laquelle les capillaires sinusoïdes perdent leurs fenestrations [63].

Atteintes péritonéales

Les atteintes péritonéales sont le plus souvent liées à une pathologie infectieuse telle que la tuberculose ou liées à une cause tumorale primitive (mésothéliome) ou secondaire (carcinose péritonéale). Les mécanismes physiopathologiques entrainant l’ascite y sont similaires : augmentation de la perméabilité vasculaire du péritoine et obstruction du réseau lymphatique. Ainsi, la teneur en protide y est classiquement élevée et catégorisée en exsudat.
Dans la grande majorité des cas, l’ascite liée à la TBP est exsudative. Pour exemple, dans les cohortes de Gupta et Zhu comptabilisant 56 TBP, la CPRO est dans 98% des cas supérieure à 25 g/L [52,54].
Pour les causes tumorales, bien qu’il soit établi que la concentration en protide dans le liquide d’ascite soit supérieure à 25 g/L, il est également décrit des liquides d’ascite avec une teneur plus faible. En illustration, dans leurs séries portant sur les ascites d’origines malignes incluant 124 patients, Zhu et al comptabilise 11% d’ascite avec une teneur en protide inférieure à 25 g/L [54]. En effet la multitude des cancers, leurs stades, leurs agressivités, la localisation d’éventuelles métastases sont propices à des résultats discordants.
Un biais de classement est parfois présent dans les articles : certains auteurs ne font pas clairement la distinction entre la CP et des causes tumorales sans atteintes du péritoine (métastase hépatique massive ou hépatocarcinome), pourtant les mécanismes physiopathologiques menant à l’ascite y sont différents. Par conséquent, ils comptabilisent à tort toute ascite liée à un processus tumoral comme étant exsudative, ce qui finalement fausse les performances diagnostiques de la CPRO.
Il convient de distinguer deux sous-groupes pour traiter les « ascites malignes » : celles liées à une CP et celles liées à des métastases hépatiques massives sans implication du péritoine. En cas de CP, la valeur en protides dans le liquide d’ascite est le plus souvent supérieure à 30 g/L alors que cela est rare en cas de métastase hépatique isolée ou associée [64,65] (figure 7).
MLM : Métastase hépatique massive ; d’après Runyon [64]
Il s’avère que le gradient de pression dans les veines hépatiques en cas de métastase hépatique est similaire à celui du patient cirrhotique. Cela suggère que les mécanismes physiopathologiques entrainant l’ascite y sont communs et qu’en conséquence les résultats biochimiques du liquide d’ascite soient similaires. Concernant l’hépatocarcinome, il devrait être considéré comme une complication de la cirrhose et ne doit donc pas entrer dans la catégorie des ascites exsudatives [66].

Insuffisance cardiaque

Sur la base du concept transsudat-exsudat, la CPRO devrait être faible dans un contexte d’insuffisance cardiaque, car le mécanisme physiopathologique responsable de l’ascite est lié à un désordre des forces hydrostatiques et est sans lien avec un processus inflammatoire du péritoine. Or, il s’avère qu’elle est le plus souvent supérieure à 25 g/L [1]. Pour preuve, une revue de la littérature retrouve dans 100% (95/95) des cas une CPRO supérieur à 25g/L [67].
Comme vu précédemment, l’insuffisance cardiaque exerce une congestion hépatique, sans atteinte de la structure du foie. Les protéines passent à travers les fenestrations des capillaires sinusoïdes. Par conséquent, l’ascite est riche en protide. Lorsque l’évolution de l’insuffisance cardiaque est particulièrement prolongée, une fibrose et éventuellement une cirrhose peuvent se constituer. Pourtant, la CPRO reste supérieure à 25 g/L. Cela suggère que la formation de l’ascite dans l’insuffisance cardiaque relève d’un mécanisme qui lui est propre et que la composante liée à l’hypertension portale, contrairement à la cirrhose, est minime [68].
Par ailleurs, l’utilisation de diurétique dans cette pathologie pourrait contribuer à maintenir une CPRO élevée [69].

Origines mixtes

Les ascites dites « mixtes » représentent environ 5% des cas d’ascite. Les principaux mécanismes de formation associent le plus souvent une cause liée à une hypertension portale (cirrhose ou métastase hépatique massive) et une cause liée à une atteinte péritonéale [49] :
– Cirrhose et tuberculose péritonéale
– Cirrhose et carcinose péritonéale
– Métastase hépatique massive et carcinose péritonéale
Dans ces situations, l’interprétation de la teneur en protide dans le liquide d’ascite est hasardeuse et les études sont contradictoires. Pour exemple, Runyon estime que 69,8% des ascites mixtes ont une CPRO inférieure à 25 g/L suggérant que la présence de l’hypertension portale est la composante principale du mécanisme physiopathologique des ascites mixtes [49]. En ce sens, dans leur série Witte et al, observent que chez des patients atteints d’ascite exsudative, la CPRO est en moyenne plus faible quand s’ajoute une hypertension portale passant parfois de 36 à 5 g/L [60].
Mais au contraire, une autre étude estime que l’atteinte péritonéale est la composante principale. Dans celle-ci, la CPRO des patients atteints d’ascite mixte associant atteinte péritonéale et hypertension portale est supérieure à 25 g/L dans 73% des cas. Ces résultats montrent la complexité d’interprétation de la teneur en protide dans le liquide d’ascite dont l’origine est multiple. Dans ces contextes, la CPRO dépend de l’équilibre entre l’hypertension portale qui tend à la diminuer et les causes impliquant l’intégrité du péritoine qui ont tendance à l’augmenter [54].

Triglycérides

Le dosage des triglycérides dans le liquide d’ascite permet de définir les ascites chyleuses. L’ascite chyleuse, a un aspect laiteux en raison de la concentration en chylomicron qui y est élevée, le dosage des triglycérides est le reflet de la concentration en chylomicrons [70]. L’apparition de cette forme d’ascite est rare, l’incidence est estimée à 1/20 000 admissions. Mais elle a tendance à augmenter en raison de la diminution de la mortalité des patients atteints de cancer et de l’augmentation des opérations chirurgicales qui sont les principales causes de ce type d’ascite. Ce dosage a été demandé 64 fois en 2019 au CHU de Rouen. Les mécanismes décrits sont les suivants :
– Fuite de chyle en raison d’une obstruction ou d’une compression des vaisseaux lymphatiques faisant suite à un processus tumoral ou à une infection. Les causes tumorales incluent la maladie de Waldenström qui induit une hyperviscosité de la lymphe, le lymphome et les tumeurs abdominales solides.
– Fuite de chyle en raison d’une fistule du système lymphatique péritonéal. Les causes sont majoritairement post opératoires et traumatiques.
– Fuite de chyle en raison d’un défaut anatomique du système lymphatique. Ces causes sont congénitales.
– La cirrhose qui produit une augmentation du débit lymphatique mésentérique en raison de l’hypertension portale.
– L’insuffisance cardiaque en augmentant le débit lymphatique et en diminuant le drainage du canal thoracique
Les ascites chyleuses doivent être distinguées des ascites chyliformes qui ont un aspect trouble lié à une infection, mais avec une concentration en triglycérides faibles [71]. Comme vu précédemment, la présence d’une ascite chyleuse n’est pas pathognomonique d’une pathologie. En effet, les étiologies donnant cet aspect sont multiples.
On retrouve dans les pays développés une majorité de causes néoplasiques malignes et particulièrement les lymphomes, mais elle peut dans de rares cas survenir au décours d’une cirrhose, d’une thrombose de la veine porte, de pancréatite, d’un traumatisme abdominal. Dans les pays en voie de développement, les causes infectieuses prédominent (tuberculose, filariose…). D’autres étiologies sont également décrites, mais moins fréquentes (congénital, post opératoire, syndrome néphrotique, insuffisance cardiaque) [72]. L’examen de référence pour diagnostiquer les ascites chyleuses est l’électrophorèse des lipides, cependant il n’est pas réalisé en routine. Il lui est substitué le dosage des triglycérides [73].
En 1980, Staats et al ont établi un seuil à 1,25 mmol/L (1,10 g/L) pour définir l’ascite chyleuse, mais il a le défaut d’avoir été établi uniquement à partir de liquide pleural [74]. Le seuil de 2,28mmol/L (2 g/L) est également présent dans la littérature.
Il apparait pour la première fois en 1982 dans l’étude de Press et al pour différencier les ascites chyleuses des non chyleuses. Cependant, comme précisé dans leur article, il est choisi de manière arbitraire [75]. L’utilisation de ces seuils est donc critiquable en pratique.
Une étude de 2016 tenant compte uniquement de liquide d’ascite propose un seuil à 2,11 mmol/L (1,87 g/L). Celui-ci donne la meilleure performance avec une sensibilité de 87%, une spécificité de 90% et une efficacité diagnostique globale à 89% pour les ascites chyleuses. Deux autres seuils sont également proposés à 1,68 mmol/L (1,48 g/L) ou 2,80 mmol/L (2,46 g/L) pour avoir respectivement une sensibilité ou une spécificité supérieure à 95% [73].
L’intérêt du dosage des triglycérides dans le liquide d’ascite pour diagnostiquer une ascite chyleuse n’est pas discuté, cependant, il est important de noter que son étiologie restera à définir le cas échéant. Du fait de sa rareté, l’utilisation des triglycérides devrait être réservée aux ascites d’aspect douteux pour distinguer les ascites chyleuses des chyliformes.
Cependant, il est important de noter que l’aspect laiteux de l’ascite chyleuse est mal corrélé au taux de triglycérides et dépend aussi de la taille des chylomicrons [75].

Cholestérol

De nombreuses études relatent que la mesure du cholestérol dans le liquide d’ascite permet de discriminer les ascites d’origines malignes des hépatopathies chroniques. Les mécanismes conduisant à l’augmentation du cholestérol sont mal définis, toutefois, cela serait lié à une augmentation de la synthèse du cholestérol in situ par les cellules cancéreuses et à la dégradation de leurs membranes cellulaires contenant du cholestérol.
Une autre possibilité est la diminution du drainage lymphatique qui provoquerait une séquestration du cholestérol dans l’espace péritonéal [76]. Une dernière hypothèse est que le cholestérol plasmatique se dirigerait vers l’ascite de manière disproportionnée en cas de carcinose péritonéale en comparaison à la cirrhose [157].
La moyenne du cholestérol dans le liquide d’ascite des patients cirrhotiques est significativement plus basse que celle des patients atteints d’ascite maligne (tableau 4).

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Table des matières

Glossaire
1. Introduction
2. Définition de l’ascite et repères historiques
3. Le péritoine
3.1. Anatomie du péritoine
3.1.1. Le péritoine pariétal
3.1.2. Le péritoine viscéral
3.1.3. L’espace péritonéal
3.2. Physiologie du péritoine
3.2.1. Le mésothélium
3.2.2. La membrane basale
3.2.3. Le sous-mésothélium
3.2.4. Le liquide péritonéal
4. Les causes de l’ascite
5. Physiopathologie de l’ascite
5.1. Excès de production du liquide péritonéal
5.1.1. Cirrhose
5.1.2. Insuffisance cardiaque
5.1.3. Syndrome néphrotique
5.1.4. Syndrome de Budd-Chiari
5.1.5. Rupture canalaire
5.2. Diminution de la résorption du liquide péritonéal
5.2.1. Carcinose péritonéale
5.2.2. Mésothéliome péritonéal
5.2.3. Tuberculose péritonéale
6. Interprétation et évaluation des paramètres biochimiques du liquide d’ascite 
6.1. Marqueurs dosés au laboratoire
6.1.1. Protides
6.1.1.1. Concept transsudat-exsudat
6.1.1.2. Cirrhose
6.1.1.3. Atteintes péritonéales
6.1.1.4. Insuffisance cardiaque
6.1.1.5. Origines mixtes
6.1.2. Triglycérides
6.1.3. Cholestérol
6.1.4. Lactate déshydrogénase
6.1.5. Glucose
6.1.6. Bilirubine
6.1.7. Amylase pancréatique et Lipase
6.1.8. pH
6.2. Marqueurs non dosés au laboratoire
6.2.1. Gradient albumine
6.2.2. Alfa Foeto-Protéine
6.2.3. Antigène Carcino-Embryonnaire
6.2.4. Carbohydrate Antigène 125 (CA 125)
6.2.5. Carbohydrate Antigène 19 (CA19-9)
6.2.6. Lactate
6.2.7. Adénosine désaminase
6.2.8. Urée et Créatinine
6.2.9. Autres marqueurs
7. Synthèse et discussion
7.1. Synthèse de l’intérêt des paramètres biochimiques
7.2. Proposition de commentaires
7.3. Arbre diagnostic
8. Conclusion
Bibliographie

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