L’interférométrie atomique, depuis ses premières démonstrations expérimentales, s’est révélée être une technique extrêmement sensible pour les mesures de haute précision. Actuellement, cette technique offre des perspectives prometteuses dans le but de tester la physique fondamentale [Dimopoulos et al., 2009, Müntinga et al., 2013, Graham et al., 2013] : principe d’équivalence, relativité générale, détection des ondes gravitationnelles et électrodynamique quantique. L’enjeu principal pour la réalisation expérimentale de tels tests est de repousser la sensibilité et la précision au-delà de l’état de l’art des mesures de haute précision de la gravité g et des effets inertiels, de la constante de gravité G et de la constante de structure fine α.
Dans cet objectif, de nouvelles approches ont été proposées pour la construction d’une nouvelle génération d’interféromètres atomiques extrêmement sensibles et s’affranchissant au maximum des effets systématiques : séparatrices à large transfert d’impulsion (Large Momentum Transfer Beamsplitters) utilisant la diffraction de Bragg ou les oscillations de Bloch [Müller et al., 2008, Cladé et al., 2009, Chiow et al., 2011, McDonald et al., 2013], nouvelles stratégies de détection [Graham et al., 2013, Sugarbaker et al., 2013], développement de sources lasers de puissance importante [Chiow et al., 2012, Sané et al., 2012]. Dans cette optique, le condensat de Bose-Einstein semble être la source atomique idéale. De telles sources combinent un faible étalement aussi bien spatial qu’en vitesse à une grande brillance. Cependant, les interactions entre atomes dans de telles sources constituent leur inconvénient majeur, étant donné qu’elles donnent naissance à des déplacements des niveaux atomiques dépendant de la densité du gaz, et donc entraînent des déphasages au sein de l’interféromètre.
Interférométrie atomique
La découverte de la nature ondulatoire de la matière par de Broglie en 1923 a ouvert la voie à de nouveaux domaines d’investigation. En effet, appliquer les méthodes d’optique ondulatoire aux ondes de matière devenait alors envisageable. Cependant, la longueur d’onde associée à une particule étant inversement proportionnelle à son impulsion, il a fallu attendre un certain temps avant de disposer de sources de particules suffisamment cohérentes. Les premiers interféromètres à ondes de matière ont été réalisés à partir de faisceaux d’électrons [Marton, 1952] et de neutrons [Rauch et al., 1974] diffractés. Le développement des techniques de refroidissement laser ont permis de réaliser les premiers interféromètres atomiques [Keith et al., 1991, Kasevich and Chu, 1992]. Dans cette section, nous rappelons le principe de l’interférométrie atomique utilisant des séquences d’impulsions laser. Nous donnons un bref aperçu des outils permettant de manipuler les atomes, ainsi que des configurations interférométriques les plus courantes. Nous rappelons les principales applications de ces configurations, et enfin, nous présentons les perspectives qu’offrent les condensats de Bose-Einstein.
Principe de l’interférométrie atomique
Le principe de l’interférométrie atomique consiste, comme son homologue optique, à faire emprunter à un paquet d’onde atomique incident deux chemins différents. A la fin de l’interféromètre, ces deux chemins se recombinent, laissant apparaître une figure d’interférences, qui dépend de la différence entre les phases accumulées le long de chacun des deux chemins.
Manipulation cohérente des paquets d’onde atomiques
Les bras d’un interféromètre atomique sont réalisés en manipulant les atomes grâce à l’interaction entre un champ laser et ces derniers. Il est ainsi possible d’obtenir des analogues aux miroirs et séparatrices utilisés dans les interféromètres optiques. Le principe repose sur la conservation du moment cinétique entre le champ laser et l’atome. Ainsi, lorsqu’un atome absorbe (émet) un photon de moment ~k, une impulsion de ~k (−~k) lui est transmise. La plupart des interféromètres actuels utilisent des transitions stimulées à deux photons afin de réaliser leurs séparatrices atomiques : transitions Raman ou Bragg. Dans le cas d’une transition Raman, deux lasers de fréquences ω1 et ω2 sont fortement désaccordés par rapport à une transition optique (entre les niveaux |gi et |ii), tandis que leur différence de fréquence est, elle, résonante avec une transition micro-onde de fréquence ωSHF/2π entre deux niveaux hyperfins |gi et |ei. Le désaccord de la fréquence des deux lasers par rapport à la transition entre |gi et |ii permet d’éviter que le niveau |ii soit peuplé et donc que les atomes retombent dans |gi par émission spontanée. Ainsi, l’atome absorbe un photon dans la première onde et émet un photon par émission stimulée dans la seconde. Une impulsion totale de ~(k1−k2) lui est donc transmise. Ce système se comporte sous certaines conditions comme un système à deux niveaux effectifs, où la population atomique effectue des oscillations de Rabi entre les deux niveaux hyperfins |gi et |ei [Moler et al., 1992]. Le couplage effectif Ωeff entre ces deux niveaux est proportionnel au produit des deux pulsations de Rabi des transitions à 1 photon et à l’inverse du désaccord ∆ à la transition à 1 photon. La population d’atomes oscillera alors à la fréquence Ωeff/2π entre les deux états.
Configurations interférométriques
Nous présentons ici les deux configurations les plus courantes d’interféromètres atomiques utilisant des impulsions lasers, qui sont utilisées dans les expériences actuelles. Il s’agit des configurations Mach-Zehnder ainsi que RamseyBordé, auxquelles nous appliquons le formalisme décrit au paragraphe précédent pour le calcul de leur déphasage.
Configuration Mach-Zehnder L’analogue atomique de l’interféromètre de Mach-Zehnder est réalisé à l’aide d’une série de trois impulsions lasers. La première et la troisième correspondent à la condition π/2 et permettent respectivement d’ouvrir et de refermer les deux bras de l’interféromètre. La seconde impulsion, à la condition π, joue le rôle de miroir, et permet aux deux chemins de s’intersecter lors de la troisième impulsion. Cette configuration a été mise en œuvre expérimentalement en 1992 par Mark Kasevich et Steven Chu [Kasevich and Chu, 1992].
Principales motivations pour l’utilisation d’un condensat de Bose-Einstein
L’utilisation des interféromètres atomiques afin de réaliser des mesures de grande précision se heurte depuis quelques années à certaines limites. En effet, différents effets systématiques limitent l’exactitude atteinte. Parmi ceux-ci, l’effet de la courbure des fronts d’onde s’avère particulièrement important. De plus, si l’on veut gagner en précision, il faut augmenter la sensibilité des interféromètres.
Effet de courbure des fronts d’onde et phase de Gouy
Les interféromètres que l’on a décrits utilisent le transfert d’impulsion de ~k réalisé entre un photon et un atome. Ainsi, on a considéré le champ laser comme une onde plane de vecteur d’onde k. Si l’on utilise un faisceau gaussien, deux effets émergent:
– Phase de Gouy : le faisceau gaussien est une superposition d’ondes planes. La dispersion des vecteurs d’onde k constituant le faisceau est à l’origine de la phase de Gouy.
– Courbure des fronts d’onde : les vecteurs d’onde ne sont pas parallèles à la direction de propagation du faisceau.
Pour tenir compte de ces deux effets sur l’impulsion transférée aux atomes, on doit calculer un vecteur d’onde effectif dans la direction de propagation du faisceau.
Amélioration de la sensibilité
Différentes approches ont été proposées afin de réaliser des interféromètres à LMT (Large Momentum Transfer). La première technique consiste à appliquer une séquence d’impulsions π effectuées grâce à des transitions Raman à deux photons. En effet, les impulsions supplémentaires sont effectuées en changeant le sens de propagation des deux lasers. De cette façon, une impulsion 2~k supplémentaire est transférée aux atomes. Cette approche a permis de réaliser des séparations en impulsion de 6~k [McGuirk et al., 2000]. Une seconde approche consiste à utiliser des transitions de Bragg d’ordre supérieur. Avec cette solution, une séparatrice (ou un miroir), ainsi qu’un transfert d’impulsion plus important peuvent être réalisés en une seule impulsion. Une séparation de 24~k a ainsi pu être réalisée [Müller et al., 2008]. Il est aussi possible de mélanger les deux approches précédentes, en utilisant une séquence de transitions de Bragg. Ainsi, chaque séparatrice est constituée de plusieurs impulsions Bragg, transférant elles-même une impulsion supérieure à 2~k. Une telle approche a permis d’atteindre une séparation de 102~k avec des séparatrices constituées de 17 impulsions Bragg transférant 6~k [Chiow et al., 2011]. Enfin, une dernière approche consiste à utiliser les oscillations de Bloch au sein d’un réseau optique accéléré afin de transmettre des reculs supplémentaires aux atomes [Cladé et al., 2009]. La technique consiste à charger les atomes auxquels on veut transférer de l’impulsion dans un réseau optique. Lorsque le réseau est accéléré, les atomes subissent une force constante et uniforme et donc acquièrent une impulsion qui varie linéairement avec le temps. Cependant, étant donné que l’on ne veut accélérer qu’un seul bras de l’interféromètre, le chargement des atomes dans le réseau Bloch doit dépendre de l’état des atomes dans l’espace des impulsions. Une séparation de 80~k a été démontrée [McDonald et al., 2013]. C’est cette dernière technique qui a été choisie pour l’expérience h/m du Laboratoire Kastler Brossel, conjuguée à un schéma de double diffraction, qui permet de doubler la surface de l’interféromètre. En effet, pour réaliser une diffraction de Bragg à l’ordre n, la puissance laser nécessaire est en n2 , aussi la technique reposant sur les oscillations de Bloch semble plus prometteuse. Elle est cependant très sensible à la décohérence due aux fluctuations d’intensité.
Dans les deux cas, le nuage d’atomes doit être le plus froid possible si l’on veut réduire la décohérence. Plus les temps d’interrogation sont longs, plus les nuages auront tendance à s’étendre spatialement, changeant ainsi l’efficacité des impulsions lasers, ainsi que l’impulsion communiquée aux atomes. Si l’on veut augmenter l’impulsion transférée aux atomes, on doit disposer de nuages d’atomes très localisés, si l’on veut éviter la décohérence résultant des fluctuations d’intensité.
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Table des matières
Introduction
1 Interférométrie atomique avec un condensat de Bose-Einstein : enjeux et défis
1.1 Interférométrie atomique
1.1.1 Principe de l’interférométrie atomique
1.1.2 Applications de l’interférométrie atomique aux mesures de haute précision
1.1.3 Principales motivations pour l’utilisation d’un condensat de Bose-Einstein
1.2 Condensat de Bose-Einstein comme source pour l’interférométrie
1.2.1 Test du principe d’équivalence
1.2.2 Test de l’électrodynamique quantique
2 Condensation de Bose-Einstein
2.1 La condensation de Bose-Einstein
2.1.1 Condensation de Bose-Einstein dans un piège harmonique
2.1.2 Effet des interactions : équation de Gross-Pitaevskii
2.2 Refroidissement évaporatif au sein d’un piège conservatif
2.2.1 Lois d’échelle pour un piège harmonique
2.2.2 Piège dipolaire optique
3 Interférométrie atomique en champ moyen
3.1 Effet du champ moyen d’interactions au cours de la séquence interférométrique
3.1.1 Phases acquises lors d’une impulsion Raman
3.1.2 Phases acquises par libre propagation
3.1.3 Effet combiné : étude d’une interrogation de Ramsey
3.2 Effet systématique lié à la présence d’interactions
3.2.1 Détermination de la différence de phase finale
3.2.2 Influence de la durée des impulsions Raman
3.2.3 Influence de l’extension spatiale du nuage
3.2.4 Configuration « gravimètre »
3.2.5 Interféromètre de Ramsey-Bordé utilisant des séparatrices à double diffraction
4 Conception d’un nouveau dispositif expérimental
4.1 Gravimètre compact fondé sur les oscillations de Bloch : Mesures absolues des fréquences
4.1.1 Laser étalon de fréquence
4.1.2 Contrôle des fréquences
4.2 Nouveau dispositif pour la condensation
4.2.1 Enceinte à vide
4.2.2 Sources lasers pour le piégeage et le refroidissement
4.2.3 Piège magnéto-optique 2D
4.2.4 Piège magnéto-optique 3D
4.3 Piège dipolaire et évaporation
4.3.1 Chargement du piège
Conclusion
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