Interférométrie atomique
En 1923, L. de Broglie [De Broglie, 1923] introduit le concept de dualité ondeparticule en associant à chaque particule de quantité de mouvement p une onde de longeur d’onde λ = h/p. Cette idée conduit par la suite E. Schrödinger à formuler une physique quantique ondulatoire [Schrödinger, 1926]. La diffraction d’ondes de matière prévue par cette nouvelle théorie est d’abord vérifiée en 1927 avec des électrons [Davisson and Germer, 1928], en 1930 avec des atomes [Estermann and Stern, 1930], puis à partir de 1946 avec des neutrons [Wollan and Shull, 1948]. Par la suite, les techniques de manipulation cohérente d’atomes associées à celles du refroidissement laser ont permis le développement et la réalisation d’interféromètres atomiques de grande sensibilité.
Depuis leur preuve de principe dans les années 90 [Berman, 1997], ces instruments ont pu atteindre des performances remarquables et ont permis d’ouvrir la voie à des applications très variées, notamment en gravimétrie de précision [Peters et al., 2001], [Louchet-Chauvet et al., 2011], [Hu et al., 2013], [Freier et al., 2016], [Karcher et al., 2018] ainsi qu’en navigation inertielle [Jekeli, 2005], [Geiger et al., 2011], [Cheiney et al., 2018]. En effet, les interféromètres atomiques peuvent mesurer de très faibles variations d’accélérations et de rotations [Barrett et al., 2014], [Savoie et al., 2018], [Zahzam et al., 2022], [Gautier et al., 2022], ainsi que des gradients de gravité [McGuirk et al., 2002], [Sorrentino et al., 2014], [Janvier et al., 2022] permettant la réalisation de capteurs inertiels de grande sensibilité. L’interférométrie atomique donne également lieu à des mesures de constantes fondamentales telle que la constante de structure fine [Parker et al., 2018], [Morel et al., 2020], ou la constante de gravitation [Fixler et al., 2007], [Rosi et al., 2014]. Par ailleurs, la sensibilité de ces instruments peut être utilisée pour réaliser des tests de physique fondamentale comme des tests du principe d’équivalence [Hu et al., 2013], [Schlippert et al., 2014], [Zhou et al., 2015], [Asenbaum et al., 2020]. Une sensibilité accrue de ces dispositifs permettrait la détection d’ondes gravitationnelles de basses fréquences [Dimopoulos et al., 2008], [Canuel et al., 2018], [Coleman, 2018], l’exploration de nouveaux modèles de gravitation [Wacker, 2010], [Alauze et al., 2018], [Carney et al., 2021], [Overstreet et al., 2022a], et permet d’envisager de nouveaux tests de relativité générale [Dimopoulos et al., 2007], [Tino, 2021] ainsi que des études de matière et d’énergie noires [Sabulsky et al., 2019], [Hamilton et al., 2015], [Jaffe et al., 2017], [El-Neaj et al., 2020], [Arvanitaki et al., 2018]. Enfin, nous verrons qu’au delà des tests de la gravitation, les interféromètres atomiques comme ceux que nous développons au LCAR peuvent apporter de nouvelles contraintes sur la neutralité de la matière [Arvanitaki et al., 2008], [Champenois et al., 2007].
Principe de l’interférométrie atomique
L’interféromètre atomique que nous développons est un interféromètre à deux ondes analogue à l’interféromètre de Mach-Zehnder optique (fig 1). Dans sa version optique, la séparation spatiale de l’onde lumineuse en deux chemins cohérents est réalisée à l’aide d’une lame semi-réfléchissante. Après propagation, ces deux chemins sont défléchis par une paire de miroirs puis recombinés sur une deuxième lame semi-réfléchissante. Il est alors possible de mesurer un signal d’interférences S dépendant de la phase φ accumulée le long des deux bras de l’interféromètre (1), et correspondant à une modulation sinusoïdale de l’intensité lumineuse .
S = S0 [1 + V cos(∆φ)] , (1)
où les termes S0 et V représentent respectivement l’amplitude et la visibilité des franges d’interférences. Dans la version atomique, la séparation spatiale de l’onde de matière est réalisée par diffraction, et le signal interférométrique S correspond à une variation du nombre d’atomes mesurés dans chacun des deux ports de sortie de l’interféromètre.
Lame séparatrice et miroir à atomes
Un élément essentiel pour l’obtention d’interféromètres atomiques est la création de lames séparatrices, qui peuvent être réalisées par des doubles puits de potentiel [Schumm et al., 2005], par diffraction sur des réseaux matériels [Keith et al., 1991] ou encore sur des réseaux magnéto-optiques [Pfau et al., 1993]. Aujourd’hui, la plupart des expériences à visée métrologiques utilisent des séparatrices optiques [Borde, 1997] car elles présentent l’avantage d’une excellente transmission et d’un très bon contrôle de la phase. Dans ce cas, la séparation spatiale se fait par échange d’impulsion lors de l’interaction entre l’atome et les faisceaux laser.
Afin de mieux comprendre ce processus, nous nous intéressons dans un premier temps au modèle de l’atome à deux niveaux avec une onde laser, puis nous verrons l’intérêt d’utiliser des transitions multi-photoniques induites dans une onde laser stationnaire, i.e. un réseau optique.
Transitions de Bragg
Parmi les transitions à deux photons, nous distinguons les transitions élastiques, appelées transitions de Bragg , pour lesquelles deux états d’impulsion sont couplés dans le même état interne, et les transitions de Raman inélastiques qui couplent deux états internes différents . Les transitions Raman sont aujourd’hui largement utilisées pour les mesures de précision en interférométrie atomique [Hartmann et al., 2020], [Dickerson et al., 2013], [Fang et al., 2016]. Elles présentent notamment l’avantage d’une détection par spectroscopie des états internes, et ne nécessitent donc pas d’avoir des nuages spatialement séparés. La diffraction de Bragg possède néanmoins plusieurs caractéristiques intéressantes pour les expériences d’interférométrie. En effet, les atomes se propagent dans le même état interne, ce qui rend la phase atomique moins sensible aux champs externes (e.g. gradients de champ magnétiques, déplacements lumineux). Cette propriété peut être avantageuse pour réaliser des capteurs inertiels de haute précision [Altin et al., 2013]. Les interféromètres avec un seul état interne peuvent également être utilisés pour des mesures de propriétés atomiques (e.g. mesure de la polarisabilité électronique dans l’état fondamental [Décamps et al., 2020], [Miffre et al., 2006]) qui ne peuvent être mesurées par spectroscopie, ou encore pour des mesures de phases géométriques telles que les phases de type Aharonov-Bohm (AB) gravitationelles [Overstreet et al., 2022b] ou électriques [Lepoutre et al., 2013] [Gillot et al., 2013a] . Par ailleurs, contrairement aux transitions Raman, il est possible avec les transitions de Bragg d’augmenter la séparation spatiale d’un interféromètre en réalisant des transitions à 2n-photons, permettant ainsi un transfert en impulsion de 2nhk [Müller et al., 2008b] . Ces transitions permettent d’améliorer la sensibilité des interféromètres, puisque cette dernière est en partie liée à la séparation en impulsion entre les deux bras de l’interféromètre. L’ordre de diffraction le plus élevé en interférométrie atomique a été réalisé à ce jour par l’équipe de H. Müller [Müller et al., 2008b] avec un transfert de 24 hk.
Interféromètres à grande séparation spatiale
L’utilisation des transitions de Bragg à ordre élevé (typiquement n > 5) est néanmoins difficile à réaliser en pratique, puisque la puissance laser nécessaire augmente très rapidement avec l’ordre n de diffraction. Pour augmenter la quantité de mouvement transférée avec une puissance laser limitée, une solution consiste à accélérer les deux bras de l’interféromètre après la séparatrice atomique. Deux méthodes sont principalement utilisées :
— L’accélération séquentielle, proposée par M.Kasevich [McGuirk et al., 2000] : une succession d’impulsions π est appliquée afin d’accélérer de façon discrète les bras de l’interféromètre . Des séquences utilisant cette méthode ont déjà été réalisées et ont permis d’obtenir de très bons résultats. Par exemple, dans le groupe de M.Kasevich à Stanford, des interféromètres de 102 ¯hk ont été réalisés à l’aide de transferts successifs de 6 ¯hk [Chiow et al., 2011]. Plus récemment, un interféromètre de 112 ¯hk a également été réalisé avec des atomes d’Ytterbium [Phy, ]. Par la même méthode que celle utilisée dans ces deux expériences, nous avons réalisé un interféromètre de 178 ¯hk. Ce transfert présente à notre connaissance la séparation en impulsion la plus élevée obtenue à partir de cette méthode . La diffraction séquentielle a également été réalisée avec des transitions à un photon sur des atomes de strontium, en utilisant une nouvelle méthode basée sur une modulation temporelle de l’amplitude des laser, nommée sépatrice de Floquet. A partir de cette méthode, l’équipe de J.Hogan a obtenu des interféromètres avec des sépratrices allant jusqu’à 400 ¯hk [Wilkason et al., 2022].
— Les oscillations de Bloch : les atomes sont chargés dans un réseau optique après une séparatrice puis accélérés continûment et adiabatiquement. A partir de cette technique, une séparatrice de 240 ¯hk a été réalisée dans l’équipe de H.Müller [Pagel et al., 2020]. Plus récemment, un transfert de 408 ¯hk a été démontré dans le groupe de E.Rasel [Gebbe et al., 2021].
Interféromètres à longs temps d’interrogation
Une autre solution pour augmenter la sensibilité des interféromètres (e.g. aux effets inertiels) est d’augmenter la durée de vol libre T pendant l’interféromètre. A ce jour, l’amélioration de cette sensibilité est en partie limitée par la chute des atomes soumis à l’accélération gravitationnelle. Pour cela, des interféromètres de très grande dimension sont développés, c’est le cas par exemple de la tour de 10 m à Stanford, qui a permis d’obtenir un temps d’interrogation de 2T = 2.3 s [Dickerson et al., 2013]. D’autres expériences de fontaines atomiques sont actuellement en construction, tel que le dispositif MAGIS-100 à Stanford [Abe et al., 2021], le projet AION en Grande-Bretagne [Badurina et al., 2020], celui d’Hanovre [Hartwig et al., 2015] et le projet chinois [Zhou et al., 2011]. Au delà des interféromètres en vol libre, la réalisation d’interféromètres dans lesquels les atomes sont maintenus dans un réseau optique tel que le dispositif FORCAG [Pelle et al., 2011], ou encore [Xu et al., 2019] permettraient d’augmenter la durée de l’interféromètre jusqu’à plusieurs secondes.
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Table des matières
Introduction
1 Interférométrie atomique
1.1 Principe de l’interférométrie atomique
1.1.1 Lame séparatrice et miroir à atomes
1.1.2 Transitions multi-photoniques
1.1.3 Interféromètres à grande séparation spatiale
1.1.4 Détermination de la phase de l’interféromètre
1.2 Test de neutralité de la matière
1.2.1 Historique des mesures
1.2.2 Mesure par interférométrie atomique
1.2.3 Dimensionnement des électrodes
1.3 Dimensionnement de notre interféromètre
1.3.1 Géométrie envisagée
1.3.2 Nécessité source ultra-froide
Conclusion
2 Source d’atomes ultra-froids
2.1 Condensation de Bose-Einstein
2.2 Refroidissement laser et piège dipolaire
2.2.1 Refroidissement laser
2.2.2 Système de détection
2.2.3 Chargement dans le piège dipolaire
2.3 Refroidissement par évaporation
2.3.1 Réalisation expérimentale
2.3.2 Transfert dans le piège le moins confinant
2.3.3 Purification du condensat par distillation de spin
2.4 Réseau de lancement
2.4.1 Principe des oscillations de Bloch
2.4.2 Critère d’adiabaticité
2.4.3 Mise en place expérimentale
2.4.4 Résultats expérimentaux
2.5 Collimation du nuage d’atomes
2.5.1 Principe du DKC
2.5.2 Loi d’échelle dans un potentiel harmonique
2.5.3 Cas d’un potentiel gaussien
2.5.4 Résultats expérimentaux
Conclusion
3 Diffraction et interférométrie dans le régime de quasi-Bragg
3.1 Modèle de diffraction de Bragg par un réseau
3.1.1 Principe de la diffraction de Bragg
3.1.2 Régime de quasi-Bragg
3.1.3 Interactions courtes et longues dans le régime de quasiBragg
3.1.4 Influence de la dispersion en vitesse
3.2 Dispositif expérimental
3.2.1 Configuration verticale rétro-réfléchie
3.2.2 Verticalité du réseau
3.2.3 Détection par état d’impulsion
3.3 Résultats expérimentaux
3.3.1 Détermination de la profondeur du réseau
3.3.2 Diffraction à ordre élevé dans le régime de quasi-Bragg
3.3.3 Efficacité de l’impulsion miroir dans les sous-régimes IC et IL
3.4 Interféromètre de quasi-Bragg
3.4.1 Visibilité dans les sous-régimes IC et IL
3.4.2 Cas particulier de l’interféromètre n = 2
3.4.3 Phase multi-chemins
Conclusion
4 Interféromètres à grands transferts d’impulsion
4.1 Interféromètre de Bragg séquentiel
4.1.1 LMT avec des impulsions n = 1
4.2 Visibilité d’un interféromètre LMT
4.2.1 Contraintes temporelles
4.2.2 Interféromètres parasites
4.3 Réalisation expérimentale d’un interféromètre 178¯hk
Conclusion
Conclusion