La recherche en instrumentation astronomique est gouvernée par deux demandes principales : plus de sensibilité pour détecter de nouveaux objets célestes moins brillants et plus de résolution pour obtenir des images plus complexes ou provenant d’objets plus éloignés. Ainsi de nombreuses thématiques scientifiques importantes comme l’étude de la formation des systèmes planétaires ou celle des trous noirs au cœur des galaxies actives ont un important besoin de résolution angulaire accrue. Si augmenter la taille de la surface collectrice d’un télescope permet d’améliorer en théorie ces deux points, la limitation principale de l’observation astronomique au sol provient en fait de l’instabilité de l’atmosphère qui dégrade la qualité des images obtenues. Même avec l’introduction ces dernières années de l’optique adaptative qui permet de s’affranchir partiellement en temps réel des turbulences atmosphériques, les plus gros télescopes actuels (10 m de diamètre) sont seulement capables de résoudre une petite dizaine d’étoiles parmi les plus grosses et les plus proches.
L’autre manière d’obtenir une meilleure résolution angulaire sur les sources lumineuses observées consiste à utiliser des méthodes de mesure interférométriques : en recombinant de manière cohérente la lumière provenant d’un ensemble de télescopes pointant la même source lumineuse, il est en effet possible d’obtenir des informations avec une résolution équivalente à celle d’un télescope virtuel qui engloberait les télescopes utilisés.
Si cette technique éminemment attractive fut envisagée dès le dix-neuvième siècle, elle connut des développements longtemps freinés par les difficultés instrumentales associées. En effet : pour produire des franges d’interférence, le réseau de télescopes doit contrôler les chemins optiques parcourus par les différents faisceaux à l’échelle d’une fraction de longueur d’onde, sachant que cette stabilité n’est déjà pas assurée par l’atmosphère avant même que la lumière ne parvienne à l’instrument.
Longtemps limitée à deux télescopes, cette technique connaît actuellement un nouvel essor avec la construction de plusieurs installations comprenant de deux à huit télescopes. Les progrès considérables en mécanique permettent maintenant d’assurer une bien meilleure stabilité. Les progrès non moins considérables en électronique permettent de réaliser les boucles de contre-réaction nécessaires à la correction de l’instabilité atmosphérique et des instabilités résiduelles de l’instrument. Enfin, la constante amélioration des détecteurs permet d’obtenir une meilleure sensibilité et un rapport signal sur bruit compatible avec le traitement de données nécessaire à la reconstruction d’images très haute résolution.
Interférométrie astronomique et optique intégrée
Historique
L’aventure débute avec Armand Hyppolyte Fizeau qui, le premier, en 1868 émit l’idée qu’il était possible d’obtenir des informations sur le diamètre angulaire des étoiles en réalisant des franges d’interférence au foyer des grands instruments d’observation astronomique de l’observatoire de Marseille. En 1873, Stephan mit l’idée de Fizeau en œuvre en réalisant des franges d’interférence au foyer du télescope de 80 cm de diamètre construit par Foucault 10 ans auparavant [1][2]. La séparation entre les faisceaux étant limitée à 65 cm, il ne put mesurer le diamètre d’une étoile, mais conclut que toutes les étoiles observées avaient un diamètre angulaire inférieur à 0,16 seconde d’arc. Outre Atlantique, Albert Michelson publia en 1890 une formalisation mathématique très précise de la mesure de diamètre angulaire de sources lumineuses [3], et publia les premières mesures de diamètre angulaire de corps célestes par interférométrie en 1891. Il utilisa pour cela un masque sur un télescope de 12 pouces (30,5 cm) et mesura la taille des quatre premiers satellites de Jupiter. En 1895, Karl Schwarzschild réalisa la première mesure sur une étoile binaire, mais il fallut ensuite attendre 1921 et la réalisation d’un interféromètre ayant une base de 20 pieds (6,1m) pour que Michelson et Pease publient la première mesure [4] de diamètre angulaire d’une étoile (Bételgeuse). Le projet suivant, un interféromètre ayant une base de 50 pieds se heurta aux difficultés inhérentes à l’interférométrie astronomique : une sensibilité accrue à la turbulence atmosphérique due à un plus grand diamètre des miroirs utilisés et une plus grande longueur de base, des vibrations mécaniques importantes, des problèmes de polarisation… C’est pourquoi cet instrument ne permit pas de fournir de résultats fiables.
Il fallut attendre 1974 pour que de tels problèmes instrumentaux soient résolus et que l’étape décisive suivante soit franchie : la réalisation de franges d’interférence en recombinant les faisceaux issus de deux télescopes séparés. Ainsi Johnson réalisa les premières franges à une longueur d’onde de 10!m [5] sur la planète Mercure et Labeyrie obtint les premières franges directes dans le domaine visible et proche infrarouge sur Vega [6]. Les progrès instrumentaux se succédèrent ensuite à un rythme plus rapide. En 1980 eurent lieu les premières mesures avec un système de suivi de franges [7] qui permet un temps d’intégration plus long sur le détecteur, donc une meilleure sensibilité. Au début des années 1980, l’idée d’utiliser des fibres optiques fut introduite par Froelhy [8], mise en oeuvre en laboratoire par Shaklan [9][10], et en 1996, Kern & Malbet introduisirent l’idée d’utiliser l’optique intégrée dans l’instrumentation pour recombiner plus efficacement les faisceaux .
Enfin, la première image par synthèse d’ouverture (de Capella) fut obtenue et publiée par Baldwin sur COAST (Cambridge Optical Aperture Synthesis Telescope) en 1996 [12] suivie de peu par Benson en 1997 sur NPOI (Navy Prototype Optical Interferometer) [13], et Monnier en 2004 a publié la première image obtenue à l’aide d’un instrument utilisant un recombineur optique intégré sur IOTA (Infrared Optical Telescope Array) [14]. Très récemment (2007), Monnier a publié une image de la surface d’Altair obtenue sur CHARA (Center for High Angular Resolution Astronomy) en utilisant quatre télescopes [15]. A ce jour, seuls ces quatre interféromètres ont fourni des images, mais les résultats scientifiques obtenus par interférométrie se multiplient ces dernières années : mesures d’étoiles naines ou géantes, évolution de la rotation des étoiles binaires, effet d’aplatissement des étoiles à rotation très rapide, présence d’enveloppes gazeuses autour de certaines étoiles, etc…
Turbulence atmosphérique
L’atmosphère est en effet constituée de masses d’air ayant des températures et des densités différentes et se déplaçant les unes par rapport aux autres. L’indice de réfraction de l’air qui dépend de la pression et de la température varie, donc les faisceaux lumineux traversent des couches d’air successives d’indice légèrement différent et sont déviés au cours de leur traversée de l’atmosphère. Il en résulte une formation d’image dégradée et en perpétuel mouvement au foyer du télescope.
Un traitement statistique des effets de turbulences atmosphériques [25] permet de décrire de manière simple le comportement de la formation d’image au foyer d’un télescope à l’aide d’un nombre réduit de paramètres. Ainsi, on définit le paramètre de Fried r0 qui correspond au rayon de corrélation de l’atmosphère : une surface de rayon r0 définit une zone dans laquelle on peut considérer que les rayons lumineux sont suffisamment peu déviés pour ne pas induire de défauts dans la formation d’image. Ceci revient à dire qu’un télescope de diamètre inférieur ou égal à r0 ne verra pas d’effet dû à la turbulence atmosphérique et que la résolution des images formées par ce télescope sera bien limitée par la diffraction. A contrario, un télescope de diamètre supérieur à r0 sera influencé par les turbulences atmosphériques et formera des images ayant une résolution dégradée. Les valeurs typiques de r0 sur de bons sites astronomiques sont de 10 cm dans le visible et d’environ 40 cm dans le proche infrarouge.
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Table des matières
Introduction
Chapitre I : Interférométrie astronomique et optique intégrée
I – A – Historique
I – B – Réseaux de télescopes existants
I – C – Principe de l’interférométrie astronomique
I – C – 1 – Résolution d’un télescope
I – C – 2 – Turbulence atmosphérique
I – C – 3 – Interférométrie astronomique
I – C – 4 – Cohérence
I – C – 5 – Influence de l’atmosphère et filtrage spatial
I – D – synthèse d’ouverture
I – D – 1 – Plan u,v
I – D – 2 – Clôture de phase
I – D – 3 – Reconstruction d’images
I – E – Apport de l’optique guidée en interférométrie astronomique
I – E – 1 – Rappels
I – E – 2 – Filtrage en optique guidée
I – E – 3 – Recombinaison en optique guidée
I – E – 3 – a – Le cas de deux télescopes
I – E – 3 – b – Le cas de trois télescopes et plus
I – F – Objectifs de la thèse
I – G – Conclusion
Chapitre II : Recombinaisons en optique intégrée
II – A – Introduction
II – B – Fonctions optiques intégrées
II – B – 1 – Introduction
II – B – 2 – Guidage unimodal ou « monomode »
II – B – 3 – Modes guidés
II – B – 4 – Courbures
II – B – 5 – Croisements de guides
II – B – 6 – Jonctions « Y »
II – B – 7 – Coupleurs asymétriques
II – B – 8 – Tricoupleurs
II – B – 9 – Recombinaison planaire
II – B – 10 – Recombinaison ABCD
II – C – Recombinaison interférométrique
II – C – 1 – Modes de recombinaison en optique classique
II – C – 2 – Modes de recombinaison en optique intégrée
II – D – Recombineurs optiques intégrés
II – D – 1 – Recombineurs à deux télescopes
II – D – 2 – Recombineurs à trois télescopes
II – D – 3 – Recombineurs à quatre télescopes
II – E – Conception du déphaseur
II – E – 1 – Déphaseur optique intégré
II – E – 2 – Intégration dans un recombineur à quatre télescopes
II – F – Conclusion
Chapitre III : Réalisations et caractérisations
III – A – Introduction
III – B – Optique intégrée silice sur silicium
III – B – 1 – Introduction
III – B – 2 – Empilement technologique
III – B – 3 – Procédé technologique des étapes de réalisation
III – B – 4 – Migration sur substrat de silicium de huit pouces
III – C – Puces réalisées
III – C – 1 – Recombineurs à quatre télescopes par paires
III – C – 2 – Recombineurs à deux télescopes ABCD
III – C – 3 – Recombineurs à quatre télescopes et cellule ABCD
III – D – Mesures photométriques fibrées
III – D – 1 – Dispositif expérimental utilisé
III – D – 2 – Pertes de propagation et transmission des puces
III – D – 3 – Validation du tricoupleur et du coupleur asymétrique
III – E – Mesures interférométriques
III – E – 1 – Description du banc du LAOG
III – E – 2 – Mesures photométriques spectrales
III – E – 3 – Contraste instrumental
III – E – 4 – Etude des déphaseurs
III – E – 4 – a – Méthode de mesure
III – E – 4 – b – Résultats des 2T-ABCD
III – E – 4 – c – Résultats des 4T-ABCD
III – F – Bilan des caractérisations
III – G – Conclusion
Chapitre IV : Prochaine génération d’instrument pour le VLTi..123
IV – A – Introduction
IV – B – Description de l’instrument
IV – C – Vers les bandes J et K
IV – C – 1 – Bande J
IV – C – 2 – Bande K
IV – C – 3 – Extension des résultats aux bandes J et K
IV – D – Vers plus de télescopes
IV – D – 1 – Recombinaison par paires
IV – D – 1 – a – Recombinaison à six télescopes
IV – D – 1 – b – Recombinaison à huit télescopes
IV – D – 2 – Recombinaison tout en un
IV – D – 2 – a – Description
IV – D – 2 – b – Distribution angulaire
IV – D – 2 – c – Dimensionnement du dispositif
IV – D – 2 – d – Vérification numérique
IV – D – 2 – e – Influence de la longueur d’onde
IV – D – 2 – f – Calcul de la bande spectrale
IV – D – 2 – g – Dispositif complet
IV – D – 3 – Choix de la configuration
IV – E – Perspectives d’améliorations possibles
IV – E – 1 – Amélioration de la cellule ABCD
IV – E – 2 – Cellule « ABC »
IV – F – Recombineur optique intégrée pour suiveur de franges
IV – G – Conclusion
Conclusion