Interférences de une à deux particules : de la première à la seconde révolution quantique
A la fin du 18ème siècle, deux théories sur la nature de la lumière semblent opposées : celle de Newton, affirmant qu’elle est corpusculaire et celle de Huygens, affirmant qu’elle est ondulatoire. L’expérience des fentes d’Young suivie par les travaux de Fresnel et de Foucault dans la première moitié du 19ème siècle semblent clore le débat, donnant raison à la nature ondulatoire de la lumière. Un siècle plus tard, le débat se trouve de nouveau au centre de l’attention grâce aux travaux de physiciens tels que Bohr, Einstein, Schrödinger. Ni Newton, ni Huygens, n’avaient raison. Ou serait-ce l’inverse ? L’interprétation dite de Copenhague sur la lumière, toujours la plus admise aujourd’hui, est surprenante : la lumière est à la fois onde et particules.
Cette propriété ne se restreint pas seulement au cas de la lumière, elle s’applique à toute particule. En modifiant la source et le détecteur à l’émission et à la détection de particules uniques, l’expérience des fentes d’Young met en exergue cette dualité. Un phénomène d’interférence persiste après de nombreuses détections alors que celles-ci semblent indiquer qu’une seule particule passe au travers des fentes.
Un objet mathématique répond à cette observation : c’est la fonction d’onde de la particule dont l’évolution est décrite par l’équation de Schrödinger. Elle correspond à l’amplitude de probabilité de présence de la particule. Dans ce formalisme, la figure d’interférence observée s’explique. La particule est passée par les deux fentes en même temps, elle est alors dans une superposition d’états, donnant ainsi une preuve tangible de l’existence de la fonction d’onde associée à une particule.
L’essor de la mécanique quantique au 20ème siècle est principalement dû à cette notion de fonction d’onde. Les liaisons chimiques, l’effet photo-électrique, les semi-conducteurs et d’autres phénomènes microscopiques s’expliquent par ce nouveau concept, donnant naissance à des applications nombreuses et variées comme les lasers, la RMN, les panneaux photovoltaïques, les transistors, les circuits intégrés, etc. On parle de première révolution quantique.
Une seconde révolution est en marche depuis la fin du 20ième siècle et porte quant à elle sur le concept d’intrication entre deux ou plusieurs particules. Conceptuellement semblable à l’expérience des fentes d’Young pouvant mettre en évidence une interférence à particule unique, des expériences peuvent être conçues pour montrer des phénomènes d’interférences entre particules intriquées. Les expériences de violation des inégalitées de Bell que nous étudierons par la suite s’inscrivent dans ce contexte. Des phénomènes d’interférences entre particules ne nécessitant pas forcément d’intrication sont aussi observés dans l’expérience de Hanbury Brown and Twiss (HBT) , l’expérience Hong-Ou-Mandel (HOM) et d’autres . Les applications arrivent ou ne tarderont pas à arriver en métrologie, en simulation quantique , en calcul quantique , en cryptographie et communication , etc.
En résumé les révolutions sont basées sur deux types d’interférences prédits par la mécanique quantique : l’interférence à une particule qui se produit entre les coefficients de sa propre fonction d’onde et l’interférence entre deux particules intriquées qui provient de l’échange entre leurs fonctions d’ondes.
Théorème EPR et théorème de Bell
En 1935, Einstein, Podolsky et Rosen (EPR) proposent dans un article devenu célèbre un raisonnement par l’absurde mettant en défaut la mécanique quantique à partir de quelques hypothèses . En supposant qu’il est possible d’effectuer une mesure locale , les auteurs montrent à partir d’un système de deux particules intriquées spatialement séparées, qu’il est possible de violer l’inégalité de Heisenberg. EPR en arrive par ce raisonnement à énoncer un théorème dont l’énoncé serait le suivant :
Si toutes les prédictions de la mécanique quantique sont correctes (même pour des systèmes constitués de plusieurs particules éloignées) et si la réalité physique peut être décrite dans un cadre local (ou séparable), alors la mécanique quantique est nécessairement incomplète : il existe dans la Nature des «éléments de réalité» qui sont laissés de côté par cette théorie.
Le terme « éléments de réalité » reste à définir et a malheureusement caché le sens profond de l’article. Pour certains scientifiques dont Born, cet article est un autre argument d’Einstein en faveur du déterminisme. Ils imaginaient que l’élément de réalité que cherchait Einstein permettait de prédire le résultat d’une expérience de mécanique quantique dont le résultat ne serait alors plus aléatoire .
Or la portée du théorème est bien plus vaste car elle s’applique à tous les paramètres locaux, même non déterministes. Bohr quant à lui, sans remettre en cause la validité du théorème, émet un doute sur la possibilité d’une telle mesure .
Pour lui il n’y a pas de sous-système dans cette expérience et la possibilité de mesurer séparément ces quantités est remise en question. Il faut bien comprendre que le théorème EPR est vrai et que sa puissance vient du fait qu’il nous informe sur un comportement de la nature. Le théorème nous dit que si les hypothèses mises en jeu sont exactes, ces «éléments de réalités» existent. La contraposée du théorème indique que si il n’existe pas d’«éléments de réalité» comme sous entendu par EPR alors il faut abandonner au moins une des hypothèses du théorème. Le débat est laissé à l’état philosophique jusqu’en 1964 où J. Bell l’exprime sous une forme mathématique. La puissance du raisonnement de Bell est d’avoir englobé ces «éléments de réalité» dans un ensemble (au sens mathématique) donnant ainsi un sens concret à la contraposée du théorème EPR. C’est ce que l’on appellera par la suite l’ensemble des variables cachées.
Expérience historique Hong-Ou-Mandel
L’expérience historique est réalisée sur des photons et est publiée en 1987 . L’expérience est présentée par les auteurs comme pouvant mesurer un décalage inférieur à la pico-seconde entre les temps d’arrivée de deux photons sur une séparatrice. En réalité le résultat surprenant qu’ils obtiennent est un effet d’interférence entre deux photons!
Pour obtenir ce résultat, les auteurs utilisent un cristal de KDP permettant de convertir un photon incident, appelé dans la littérature «photon pompe», en deux photons sortant, appelés «photon signal» et «photon complémentaire». Les photons sont donc émis par paires et un état |1, 1〉 est créé, du même type que celui formulé en (1.20). Après une étape de filtrage pour éliminer les photons pompe résiduels, le signal et le complémentaire sont envoyés sur une séparatrice mobile. Un diaphragme, un filtre puis deux détecteurs sont positionnés pour détecter les photons en sortie de la séparatrice. Les deux détecteurs sont reliés à un compteur de coïncidences . Le résultat est 0 si au moins un des deux détecteurs ne détecte pas de photons et 1 si les deux détecteurs détectent chacun un photon.
Si la séparatrice est bien positionnée, les chemins des deux photons sont indiscernables et ils partent du même côté de la séparatrice. C’est l’effet présenté plus haut et qui est obtenu expérimentalement par HOM : pour une position de la séparatrice aux alentours des 300 µm le nombre de coïncidences dans un temps donné est proche de 0. Pour le même temps d’acquisition , plus la séparatrice s’éloigne de la position précédente, plus le nombre de coïncidences augmente, jusqu’à saturer entre 800 et 900 coïncidences. Le fait de déplacer la séparatice correspond à faire interagir les photons via la séparatrice à différents instants : si un photon arrive trop tôt ou trop tard par rapport à l’autre, les photons sont discernables et l’effet HOM n’est plus visible, les chemins sensés interférer destructivement donnent un nombre de coïncidences non nul. Si la séparatrice est positionnée correctement de telle manière à ce qu’il soit impossible de distinguer l’origine des deux photons, les deux chemins interfèrent donnant un nombre de coïncidences nul. La largeur du trou HOM est due à la largeur temporelle des photons détectés. Dans le cas de cette expérience, c’est la largeur en fréquence des filtres qui fixe la largeur temporelle des photons.
Une façon de contrôler l’indiscernabilité peut être de changer la polarisation. D’autres phénomènes surprenant comme dans présentés dans la référence montre que l’indiscernabilité ne se produit pas forcément au niveau de la séparatrice et montre que ce phénomène est aussi lié au processus de détection.
L’atome d’hélium
L’hélium a été découvert en 1868 par l’astronome français Jules Jassen alors qu’il étudiait le spectre de la chromosphère du Soleil lors d’une éclipse. Son nom lui a été donné quelques années plus tard en référence au Soleil en Grec, helios. Composé de deux protons, deux électrons et un (He3) ou deux (He4) neutrons suivant l’isotope, l’hélium est l’atome le plus simple après l’hydrogène. Il est un candidat de choix pour la métrologie : sa structure simple permet de donner une valeur théorique précise de ses niveaux d’énergies et temps de vie, qui peuvent être vérifiées par spectroscopie. Il est notamment possible de mesurer la constante de structure fine par des dispositifs à atomes froids .
Nous utilisons dans notre expérience de l’hélium 4, qui est un boson. Les seules expériences réalisées par l’équipe avec de l’hélium 3 ont été menées en collaboration avec l’équipe d’Amsterdam en 2007 . L’hélium 4 a un spin nucléaire nul et n’a donc pas de structure hyperfine. Les configurations excitées de l’hélium sont de la forme (1s,n’l’). Il existe des états où l’atome prend l’état (nl,n’l’) avec n et n’ > 1 mais l’énergie associée à ces états est supérieure à l’énergie d’ionisation, ce qui le rend instable et conduit à une auto-ionisation de l’hélium dans la plupart des cas. Les notations spectroscopiques de l’hélium sont alors n 02S+1LJ où n’ représente le niveau électronique dans la configuration (1s,n’l’), S le spin total, L le moment orbital total et J le moment cinétique total des électrons. En absence de champ magnétique, les états sont dégénérés 2J+1 fois. Le premier état excité (1s,2s) conduit à l’état singulet 21S0 et à l’état triplet 23S1, le plus bas en énergie. L’état 23S1 est remarquable car il a une durée de vie de 7900 secondes .
Avantages et inconvénients de l’hélium métastable dans les expériences d’atomes froids
Une source d’hélium métastable, pour des expériences d’atomes froids, est plus contraignante qu’une source d’alcalins principalement pour deux raisons :
Son obtention se fait en créant un plasma d’hélium qui doit être préalablement refroidi (au moins par de l’azote liquide) pour avoir une taille de ralentisseur Zeeman acceptable .
L’utilisation d’un état atomique excité (énergétiquement élevé) va de paire avec l’inconvénient des collisions dites ionisantes et associatives . Dans un nuage froid d’hélium métastable piégé, la désexcitation d’un atome vers son niveau fondamental entraîne sa sortie du piège (il n’est pas «repompable»), accompagné en partie d’un chauffage des atomes restants.
L’hélium métastable a cependant plusieurs propriétés dont nous pouvons tirer parti. Nous présentons ici celles qui nous concernent et qui sont abordées dans ce manuscrit :
La valeur élevée de son énergie interne par rapport au niveau fondamental (∼ 20 eV) conduit à l’expulsion d’un électron énergétique lorsqu’il touche une surface. Tout comme un photo-multiplicateur peut détecter un photon, un atome d’hélium métastable peut-être détecté par un principe similaire : il suffit d’amplifier le signal créé par l’électron émis en utilisant le phénomène d’avalanche électronique. La détection est alors possible en utilisant une galette de micro-canaux (MCP 1) soumise à une différence de potentiel de l’ordre de 2,2 kV .
Le retour vers l’état fondamental peut être considéré comme un avantage puisque les lasers utilisés pour ralentir et piéger n’interagissent pas avec cet état. Le repompage optique n’est pas utilisé et la détection n’est donc pas bruitée à cause de l’hélium ambiant, contrairement aux alcalins qui utilisent le niveau fondamental ou des états de courte durée de vie. Le bruit de fond due au détecteur est faible ce qui permet la détection d’atomes uniques.
Le moment magnétique de l’hélium métastable est deux fois plus élevé que les alcalins, créant des effets plus marqués lorsqu’ils sont soumis à des champs magnétiques .
La faible valeur de l’intensité de saturation permet une manipulation (refroidissement et piégeage) de l’hélium métastable avec peu de puissance optique. Pendant plusieurs années, des diodes (délivrant entre 20 et 90 mW de puissance optique) ont été utilisées sur l’expérience sans étage d’amplification.
La valeur importante de la vitesse de recul permet de construire des réseaux de diffraction en impulsion efficace. Nous en utilisons abondamment, à travers les transitions Bragg et Raman.
Les collisions ionisantes peuvent être utilisées pour détecter un signal d’ions qui dépend de la densité du nuage d’atomes piégés. Ainsi les étapes de piégeage et de chargement peuvent être suivies en temps réel sans détruire le nuage, contrairement à l’utilisation de l’imagerie .
Malgré ces avantages, peu de groupes utilisent l’hélium par rapport aux alcalins dans la communauté des atomes froids. Nous pouvons citer les groupes en Australie , au Pays-Bas , au Japon, aux Etats-Unis d’Amérique et enfin en France.
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Table des matières
Introduction
1 De l’effet Hong-Ou-Mandel aux inégalités de Bell : comment passer des photons aux atomes?
1 Introduction
1.1 Interférences de une à deux particules : de la première à la seconde révolution quantique
1.2 Théorème EPR et théorème de Bell
2 Effet Hong-Ou-Mandel
2.1 Théorie et formalisme
2.2 Expérience historique Hong-Ou-Mandel
2.3 Comment passer aux atomes ?
3 Violation des inégalités de Bell
3.1 Théorie et formalisme
3.2 Tester l’intrication entre variables externes : expérience de Rarity et Tapster
3.3 Comment passer aux atomes ?
4 Conclusion
2 Obtention et détection d’un nuage froid d’hélium métastable
1 L’atome d’hélium
1.1 Avantages et inconvénients de l’hélium métastable dans les expériences d’atomes froids
1.2 Obtention de l’hélium métastable
1.3 Désexcitation de l’état métastable
1.4 Levée de dégénérescence : application d’un champ magnétique
1.5 Collision élastique et longueur de diffusion
2 Séquence expérimentale
2.1 Mélasse transverse et ralentisseur Zeemann
2.2 Piège magnéto-optique, mélasse et pompage optique
2.3 Piège magnétique et refroidissement Doppler 1D
2.4 Compression et évaporation radio-fréquence
2.5 Piège Dipolaire
2.6 Taille des nuages, temps de vol et détection
3 Détection
3.1 MCP
3.2 Imagerie
4 Difficultés expérimentales rencontrées
4.1 Remplacement d’une pompe turbo-moléculaire
4.2 Remplacement du piège dipolaire
4.3 Installation d’une caméra
4.4 Ce qu’il reste à remplacer
4.5 Conséquences sur le contenu de ce manuscrit
3 Etude d’une source d’atomes corrélés en impulsion
1 Mise en place d’une source d’atomes corrélés en impulsion
1.1 Mélange à quatre ondes
1.2 Réglages expérimentaux et étalonnages
2 Etude de la loi de distribution locale
2.1 Loi de probabilité locale : étude théorique
2.2 Loi de probabilité locale : étude expérimentale
3 Corrélations
3.1 Formalisme
3.2 Mesures
3.3 Discussion
4 Interférences à deux particules dans deux modes d’impulsions
1 Séparatrices et miroirs de Bragg : système à deux niveaux
1.1 Formalisme
1.2 Approximations
1.3 Evolution du système
1.4 Dépendances au désaccord
2 Réalisation expérimentale
2.1 Montage optique
2.2 Etalonnages
3 Interféromètre de type Hong-Ou-Mandel
3.1 Protocole expérimental
3.2 Effet Hong-Ou-Mandel
5 Interférences à deux particules dans quatre modes d’impulsions
1 Interféromètre multiple de type Rarity-Tapster
1.1 Amplificateur paramétrique multi-modes et réseau de Bragg
1.2 Calcul du corrélateur E
2 Interférences à quatre modes et deux particules
2.1 Montage et conditions de l’expérience
2.2 Expérience
6 Vers un interféromètre adapté : optimisation des séparatrices et du contrôle de phase
1 Problématique
1.1 Contexte : optiques à atomes par diffraction de Bragg
1.2 Cahier des charges
2 Subtilités de la diffraction de Bragg : théorie
2.1 Système à N niveaux
2.2 Pulsation de Rabi à 1 et 2 photons dépendant du temps
3 Subtilités de la diffraction de Bragg : cas de la fonction porte
3.1 Cas 1
3.2 Cas 2
4 Cas d’une pulsation Rabi à deux fréquences
4.1 Formalisme et discussion
4.2 Comment étudier ce cas ?
4.3 Simulations et observations
4.4 Discussion
4.5 Modifications du montage optique
5 Cas de d’une pulsation Rabi en sinus cardinal
5.1 Position du problème
5.2 Simulations
5.3 Contrôle de phase
Conclusion
A Valeurs des paramètres expérimentaux
B Reconstruction des temps d’arrivées sur le MCP
1 Système de détection : entre le MCP et l’ordinateur
2 Résolution du détecteur
2.1 Incertitudes sur l’acquisition et la mise en forme
2.2 Incertitudes sur l’échantillonnage et le codage
2.3 Incertitudes de reconstruction
3 Limitations : bruit et saturations
4 Carte de détectivité
4.1 Détectivité relative
4.2 Détectivité absolue
C Guide expérimental pour le refroidissement
1 Formulaires pratiques
1.1 Formulaire sur l’interaction atome-champs
1.2 Formulaire sur les faisceaux gaussiens
1.3 Formulaire sur l’expansion et temps de vol d’un nuage d’atomes froids
2 Caractérisation expérimentale du piège dipolaire
2.1 Potentiel du piège dipolaire
2.2 Mesures du waist
D Calculs supplémentaires sur les distributions
1 Détectivité et distribution
1.1 Distribution de Poisson
1.2 Distribution Thermique
1.3 Distribution multi-mode thermique
Bibliographie
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