Intérêts de l’hélium-4 solide métastable

Proposition initiale de la supersolidité

L’idée d’un solide aux propriétés superfluides est discutée par Thouless [4] au début de l’année 1969 au détour d’un article consacré aux fluides quantiques. Andreev et Lifshitz [5] élaborent le concept dans un article détaillé publié en 1969, puis Chester (en collaboration avec Reatto) [6] développe la même idée indépendamment dans un article soumis pour publication quelques mois plus tard, mais qui paraîtra seulement en 1970. Dans ces articles, les auteurs montrent que l’on peut imaginer un solide, c’est à dire un ensemble d’atomes possédant une périodicité et un module élastique de cisaillement, mais dont une fraction posséderait également des propriétés de superfluidité.

Dans ces scénarios, que nous désignerons dans la suite par « scénario ALC », les lacunes atomiques jouent un rôle important. Si dans un cristal parfait, on retire un atome d’un site de son réseau cristallin, on fabrique une lacune. La formation d’une lacune nécessite d’apporter une certaine énergie E0. Une fois créée, la lacune peut échanger sa place avec un atome voisin et cela même à température nulle. En effet, compte-tenu de l’énergie de point zéro des atomes, l’échange peut se faire par effet tunnel. Par effets tunnels successifs avec ses voisins, la lacune se délocalise dans tout le cristal et abaisse ainsi son énergie de ∆, l’énergie d’activation « physique » correspondante est Ev = E0 − ∆. Si cet abaissement ∆ est suffisant pour compenser l’énergie E0 d’une lacune localisée de sorte que Ev < 0, alors la création de lacunes délocalisées abaisse l’énergie du cristal par rapport à celle du cristal parfait. Le solide à température nulle contient alors une densité non nulle de lacunes.

Il est alors important de savoir quelles sont les interactions entre les lacunes. Si l’interaction entre lacunes est attractive, on peut avoir la formation d’état liés de dilacunes, et la situation devient compliquée. En revanche si le potentiel d’interaction est répulsif, ce que suggère Thouless, un « gaz » en équilibre se forme. La statistique à laquelle obéit ce gaz de lacunes est déterminée par la statistique des atomes qui composent le cristal. L’intérêt du scénario réside dans le cas d’une statistique bosonique, puisque les lacunes délocalisées sont alors susceptibles de former un condensat de Bose-Einstein et d’acquérir un comportement superfluide. Le déplacement superfluide des lacunes dans le cristal peut se voir d’un autre point de vue comme un déplacement superfluide d’une partie du solide. Ce « supersolide » posséderait à la fois l’ordre cristallin et la résistance au cisaillement d’un solide classique, ainsi que des propriétés de transport superfluide.

Recherches expérimentales de la supersolidité dans l’hélium-4 solide

Différentes équipes ont tenté de détecter un état supersolide dans l’hélium4 solide. Les premières expériences, par Andreev, Suzuki et Tsymbalenko [7–9], sont basées sur des techniques directes cherchant à déplacer des objets immergés dans le cristal. D’autres mesures, ont tenté de détecter la phase supersolide à travers des écoulements de masse [10], ou à bien à l’aide d’oscillateurs de torsion [11]. Leggett avait en effet proposé dès 1970 [12] de rechercher une anomalie dans l’inertie de rotation de l’hélium solide, similaire à celle observée 24 ans plus tôt dans l’hélium superfluide. La vitesse du condensat est en effet irrotationnelle et le condensat ne peut pas suivre la rotation du solide. Une revue détaillée de ces expériences est faite par Meisel en 1992 [13]. Aucune d’elles n’a été en mesure d’identifier une phase supersolide dans l’hélium solide. L’expérience en 2004 de Kim et Chan [14,15] a ranimé le sujet en découvrant finalement une anomalie de rotation dans l’hélium solide interprétée comme l’apparition d’un état supersolide. L’effet mesurable est une diminution de la période de leur oscillateur de torsion sous une température ∼ 200 mK. Suite à cette expérience d’autres propriétés du cristal ont été mesurées (capacité calorifique, constante diélectrique, courbe de fusion, . . ., qui sont discutées dans la revue [16]) afin de rechercher une autre signature de la supersolidité. En 2007, Day et Beamish [17] montrent qu’une variation du module de cisaillement existe dans l’hélium solide, à une température similaire à celle de l’anomalie de rotation. Des mesures plus récentes [18] ont mesuré une réduction du module de cisaillement allant jusqu’à 86 % de sa valeur initiale. L’explication de cette rigidification fait intervenir les dislocations du cristal et les impuretés d’hélium-3. Les lignes de dislocations peuvent être vues comme des lignes mobiles. À basse température les atomes d’hélium 3 sont piégés sur ces lignes avec une énergie de liaison de l’ordre de 0.73 K [19] et empêche leur déplacement, ce qui provoque une rigidification du cristal. À plus haute température, les atomes d’hélium 3 activés thermiquement se détachent et le solide voit son module de cisaillement diminuer. L’origine de l’anomalie élastique est donc liée à la présence de défauts cristallins (dislocations) dans le cristal. Savoir si les anomalies de l’élasticité permettent de rendre compte de l’ensemble des expériences récentes sur la supersolidité, ou si un transport superfluide lié aux défauts du cristal doit aussi être invoqué, reste encore discuté [20–22].

En attendant des conclusions plus définitives, on peut dire que les mécanismes invoqués aujourd’hui pour expliquer les résultats expérimentaux sont éloignés du scénario d’ALC pour la supersolidité. Il y a plutôt un consensus sur le fait que la phase supersolide proposée dans le scénario d’ALC n’est pas présente dans l’hélium solide. Un paramètre crucial pour la réalisation de ce scénario est l’énergie d’activation des lacunes que de nombreux travaux ont cherché à préciser.

Les lacunes dans l’hélium solide

Le scénario d’ALC repose sur l’existence de lacunes de point zéro dans le cristal à température nulle. A température finie, même si l’énergie de bas de bande des lacunes est positive, le solide contient un certain nombre de lacunes activées thermiquement. Leur densité varie avec la température T comme s(T)exp(−Ev/kBT), où s(T) est une contribution entropique dépendant de la forme de la densité d’état des lacunes [23]. La valeur de Ev est donc cruciale. De nombreuses expériences ont cherché à la mesurer pour l’hélium solide, et des simulations ont cherché à la calculer. Si au contraire, il y avait des lacunes de point zéro, il a été montré [24] que l’on doit s’attendre à une augmentation thermique de la densité de lacunes en T4 .

Mesures expérimentales de l’énergie d’activation

Le premier type de méthode consiste à mesurer directement la densité de lacunes d’un cristal en mesurant le paramètre de maille a par diffraction de neutrons ou de rayons X sur le solide. Les résultats des expériences réalisées par Fraass et al. [25] entre 0.8 et 1.4 K et par BlackBurn et al. [26] entre 0.14 et 0.8 K sont montrées sur la figure 1.2. Les deux expériences sont réalisées à des volumes molaires de l’ordre de 21 cm3 . Anderson [24] avait suggéré que les données de Fraas pouvaient également s’interpréter en terme de lacunes de point zéro, et avait prédit une variation en T 4 qui ne s’accorde pas avec les expériences de Blackburn. L’ajustement exponentiel visible sur la figure 1.2 permet de déduire une énergie d’activation de 8.7 K. Un deuxième type de méthode utilise la variation avec la température de la capacité calorifique ou de la pression qui contiennent une contribution des lacunes.

La dépendance de Ev avec le volume molaire Vm a été également étudiée expérimentalement par Fraas en utilisant ses données de diffraction de rayons X et des données sur la mobilité d’ions dans l’hélium-4 sur un large domaine allant de 17 à 21 cm3/mol. La figure 1.3 montre clairement une nette diminution de l’énergie d’activation des lacunes lorsque le volume molaire Vm augmente. La fusion du cristal à Vm = 20.97 cm3 limite cette diminution aux valeurs citées précédemment. L’hélium solide proche de la fusion ne semble pas ainsi remplir les conditions pour l’apparition de la supersolidité du scénario d’ALC [13].

Simulations numériques

En parallèle à ces mesures expérimentales, des simulations numériques ont cherché à prédire le comportement quantique de l’hélium. Une grande partie des techniques utilisées sont exposées et commentées dans la revue sur la supersolidité de Galli [30]. Parmi les quantités physiques calculées figure l’énergie d’activation Ev des lacunes et leur énergie de liaison mutuelle.

Énergie d’activation L’ensemble des valeurs de Ev calculées numériquement sont, malgré quelques différences, cohérentes entre elles compte-tenu de la diversité des techniques employées. Dans sa revue Galli [30] attribue les différences entre ses valeurs [31, 32] et celle de Clark et Boninsegni [33, 34] aux fonctions utilisées pour décrire le potentiel d’interaction. On notera la valeur trouvée par Cazorla et al. [35] de 6 K, en contraste avec toutes les autres valeurs supérieures à 10 K. Ces valeurs sont dans les mêmes ordres de grandeurs que les mesures expérimentales.

Énergie de liaison des lacunes S’il existe un certain consensus sur la valeur de l’énergie d’activation, la question de l’interaction entre les lacune est toujours débattue. Dans leur article de 2006, Boninsegni et al. [34] présentent une étude du comportement de trois lacunes atomiques formant un état lié, dont l’énergie d’interaction n’est pas calculée. Une énergie de liaison Eb entre deux lacunes de 1.4 K est calculée plus tard par Pollet et al. [40]. Ils déduisent qu’une séparation de phase doit se produire et mener à la formation d’un phase solide parfaite et d’une phase riche en lacune. L’idée de séparation de phase est également évoquée dans la revue sur la supersolidité de Prokof’ev [41]. D’autres simulations [33, 35, 37, 38] ont calculé l’énergie d’interaction entre les lacunes du cristal. Elles trouvent également une énergie de liaison entre 2 lacunes atomiques de l’ordre de 1 K (cf. tableau 1.1 pour des résultats détaillés), ce qui implique la formation de « dilacunes » à basse température. En revanche, l’idée d’une séparation en une phase riche et une phase pauvre en lacunes n’est pas unanime, avec pour argument que l’énergie de liaison dépend du nombre de lacunes. Ainsi, Lutsyshyn [36] estime à 4 mK l’énergie de liaison de quadruplet et commente que l’étude numérique d’une séparation de phase dépasse le potentiel de calcul actuel. Pessoa [38] trouve 1.21 K pour l’énergie de liaison d’un triplet. Une forte concentration de lacunes finit par déstabiliser le solide qui perd son organisation. Clark trouve une limite de stabilité du solide pour une concentration de 2 % de lacunes [33], concentration pour laquelle Lutsyshyn [36] trouve le cristal stable.

Conclusions

Au terme de cette revue, il apparaît que l’hélium-4 solide est le meilleur candidat pour l’application du scénario d’ALC de la supersolidité. Mais celleci n’a pas été trouvée expérimentalement malgré de nombreuses recherches. De plus, les mesures de l’énergie d’activation des lacunes expliquent ce résultat négatif par une valeur importante de Ev. Néanmoins, il apparaît aussi que l’énergie Ev décroît fortement lorsqu’on augmente le volume molaire Vm. S’il était donc possible d’accroître Vm au-delà du volume molaire de fusion Vmf en conservant la phase solide, on pourrait espérer se rapprocher d’une situation où Ev est assez faible pour autoriser le scénario d’ALC. La formule 1.2 ne semble pas autoriser le fait d’avoir Ev ≤ 0. Toutefois, on peut penser que l’extrapolation de cette formule jusqu’à l’infini n’est pas justifiée, et qu’au-delà d’un certain volume, on pourrait trouver une dépendance plus favorable. Nous allons donc nous intéresser à la possibilité d’observer un solide cristallin dans un état métastable avec Vm > Vmf par rapport à fusion, sur le cas particulier de l’hélium-4 solide.

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Table des matières

Introduction
1 Intérêts de l’hélium-4 solide métastable
1.1 Un supersolide potentiel
1.1.1 Propriétés quantiques de l’hélium-4 solide
1.1.2 Proposition initiale de la supersolidité
1.1.3 Recherches expérimentales de la supersolidité dans l’hélium4 solide
1.1.4 Les lacunes dans l’hélium solide
1.1.5 Conclusions
1.2 Un solide cristallin métastable par rapport à la fusion
1.2.1 Méthodes de production d’états métastables
1.2.2 Limites de stabilités d’un solide cristallin
1.2.3 Conclusions
1.3 Objectif de la thèse
2 Montage cryogénique et préparation des monocristaux
2.1 Montage cryogénique
2.1.1 Cryostat optique
2.1.2 Cellule expérimentale
2.1.3 Thermométrie
2.1.4 Mesures de pression
2.1.5 Nucléateur de germes cristallins
2.2 Orientation et préparation des monocristaux
2.2.1 Nucléation et contrôle de l’orientation cristalline
2.2.2 Croissance et refroidissement des monocristaux
3 Onde ultrasonore focalisée dans l’hélium solide hcp
3.1 Introduction
3.2 Géométrie pour un milieu solide anisotrope
3.3 Simulations numérique de la propagation sonore
3.3.1 Équations élastiques en coordonnées cylindriques
3.3.2 Résolution du problème par différences finies
3.3.3 Résultats de la simulation
3.4 Réalisation de l’émetteur sonore adapté à l’hélium-4 hcp
3.4.1 Fabrication de la céramique piézoélectrique
3.4.2 Contrôle du profil interne
3.4.3 Caractérisation électrique
3.5 L’émetteur acoustique dans la cellule
3.5.1 Fixation et alimentation électrique
3.5.2 Caractérisation électrique à basse température
3.5.3 Excitation électrique à haute tension
3.5.4 Dissipation thermique de l’émetteur
4 Mesure interférométrique des variations de densités
4.1 Introduction
4.2 Montage expérimental
4.2.1 Interféromètre de Jamin
4.2.2 Caractéristiques de l’éclairage et du système d’imagerie
4.2.3 Lame de phase
4.2.4 Synchronisation des appareils et acquisition des données
4.3 Extraction des cartes de variations de phase
4.3.1 Extraction des variations de phase brutes
4.3.2 Déroulement de la phase et soustraction de la phase initiale
4.3.3 Bruit de la mesure
4.4 Profil radial des variations de pression
4.4.1 Conditions de l’inversion d’Abel
4.4.2 Calcul de la pression
4.5 Comparaisons quantitatives
4.5.1 Confrontation à un hydrophone à fibre
4.5.2 Comparaison à une simulation dans l’hélium superfluide
Conclusion

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