Intérêt d’une nouvelle voie de recherche dans le traitement du cancer de la prostate
Même s’il apparaît un léger ralentissement dans l’augmentation de l’incidence du cancer de la prostate en France (168 850 cas en 1980, 319 380 en 2005, 346 900 en 2009 et 357 700 en 2010) (Fig. 1), cette pathologie reste la première cause de mortalité avec, en 2010, près de 150 000 décès. Sur la base d’une connaissance, en perpétuel progrès, de la maladie, la recherche essaie d’innover dans le traitement de cette pathologie liée à une dérégulation du programme génétique en intervenant aux différents stades de la progression tumorale.
La multiplication anarchique qui apparaît à la suite d’une dérégulation du processus de division cellulaire (altération génétique au niveau des oncogènes et des gènes suppresseurs de tumeurs impliqués dans la survenue, la progression du processus tumoral et le contrôle du cycle cellulaire) a, depuis plusieurs dizaines d’années, constitué la cible des traitements dits « cytotoxiques » (anti-métabolites, agents alkylants, intercalants…). A l’heure actuelle, des stratégies faisant appel à des traitements dits « cytostatiques » sont ainsi développées et présentent l’intérêt de jouer sur l’aspect «vitesse de multiplication» et donc de pallier ainsi le manque de spécificité de la chimiothérapie.
Il est cependant maintenant bien connu qu’après une première phase de croissance locale, la tumeur induit la formation de nouveaux vaisseaux dans le but de s’approvisionner en nutriments et en oxygène nécessaires à sa survie et son extension. Cette phase, responsable de la dissémination des cellules cancéreuses et de la formation de métastases, constitue une cible essentielle pour parvenir à ralentir le cancer dans l’organisme. Les traitements antiangiogéniques et/ou anti-vasculaires qui visent la production de facteurs pro-angiogéniques (en particulier le VEGF) ou, plus directement, la cellule endothéliale, constituent un complément indispensable à la chimiothérapie anti-proliférative (Schultz et al, 2011). C’est cette nouvelle stratégie « couplée » qui nous a intéressés dans le cas particulier du cancer de la prostate.
Présentation du cancer de la prostate
Les chiffres
Le cancer de la prostate constitue le cancer le plus fréquent chez l’homme dans la grande majorité des pays occidentaux. Une certaine stabilisation de son incidence a pu être observée depuis 2005 (Fig. 2) mais avec plus de 71 500 nouveaux cas (Fig. 3) recensés en 2010 (soit 35% des nouveaux cas de cancer, tous types confondus chez l’Homme (InVS)), le cancer de la prostate est devenu, en France, la pathologie tumorale la plus fréquente, tous sexes confondus. En terme de mortalité, le cancer de la prostate est la troisième cause de décès par cancer chez l’homme dans l’Union Européenne après le cancer du poumon et le cancer colorectal. Avec 8 791 décès, ce cancer se situe, en France, au 3ème rang des décès par cancer chez l’homme, et il est la 4ème cause de décès par cancer dans l’ensemble de la population. Le taux de mortalité standardisé est de 11,2 pour 100 000. Il est responsable d’environ 70 % de l’augmentation globale des cancers chez l’Homme en France ces 25 dernières années.
Les causes
L’étiologie du cancer de la prostate reste encore méconnue, mais il n’existe pas vraiment de doutes sur le fait que cette pathologie soit le résultat d’interactions entre des facteurs génétiques de susceptibilité, les hormones stéroïdiennes et des déterminants environnementaux (Gronberg, 2003 ; Bostwick et al, 2004). Bien que d’énormes progrès aient été réalisés au niveau thérapeutique ces dernières années, peu d’avancées ont été constatées sur l’identification de facteurs de risque (Sonn et al, 2005). A l’heure actuelle, il existe un grand débat sur le fait que l’environnement chimique généré par l’activité humaine contribuerait à la survenue du cancer de la prostate. Cette activité s’est fortement développée au niveau industriel et agricole au cours du siècle dernier, coïncidant, malgré une amélioration sanitaire des populations, avec l’augmentation de l’incidence du cancer de la prostate. Il faut de plus signaler que cette augmentation peut être reliée, surtout dans les pays développés avec l’allongement de l’espérance de vie et le diagnostic précoce limité à l’heure actuelle au dosage sanguin de l’antigène spécifique prostatique (PSA).
Ce dosage de PSA constitue avec l’évaluation de l’extension de la maladie (classification TNM définie par l’OMS) et de l’aspect microscopique du tissu prostatique (score de Gleason) (Partin et al, 2001), les bases de la classification de d’Amico qui conditionne les niveaux de risque de progression du cancer et donc les stratégies thérapeutiques qui pourront être envisagées.
Les stades d’évolution
Le cancer est localisé au niveau de la portion périphérique de la glande, au contraire de l’hypertrophie prostatique bénigne qui se situe dans la zone centrale, péri-urétrale. La plupart des cancers de la prostate se développent chez des hommes âgés, évoluant très lentement, restant au début localisés et ne dépassant pas la capsule qui entoure la prostate. Cependant, il a été constaté que le cancer prostatique touche également des sujets plus jeunes avec une plus grande agressivité. Quand le cancer évolue, il peut s’étendre au-delà de cette capsule prostatique, par envahissement direct des tissus et organes situés à proximité de la prostate (vessie, vésicules séminales). Il peut ensuite essaimer par voie vasculaire ou lymphatique dans d’autres organes à distance et former des lésions secondaires ou métastases au niveau des os, des poumons, du foie ou du cerveau. Cette progression est « quantifiée » par le système TNM qui traduit l’évolution de la Tumeur primaire, des Nodules et des Métastases. La structure tissulaire des cancers de la prostate varie de formes différenciées (cellules cancéreuses ressemblant aux cellules saines), dites de grade 1, aux formes les moins différenciées (cellules cancéreuses présentant beaucoup de caractères atypiques par rapport aux cellules saines), dites de grade 5. Plusieurs grades peuvent se rencontrer au sein d’un même tissu. Le score de Gleason donne la somme des grades les plus représentés. Si la somme est de 6 ou moins, le cancer est dit bien différencié, donc de meilleur pronostic ; 7 : le cancer est moyennement différencié ; 8 ou plus : le cancer est peu différencié, donc de moins bon pronostic. Enfin, le dosage de PSA couramment utilisé, présente un nombre significatif de faux positifs puisque le marqueur utilisé est également présent dans d’autres affections non cancéreuses comme une augmentation de taille ou une inflammation de la prostate. Par conséquent, beaucoup d’hommes subissent des biopsies inutiles, invasives, chères, pouvant provoquer des infections (Eberlin et al, 2010).
Les traitements
La généralisation du test PSA permet le plus souvent (84 % des cas) de diagnostiquer le cancer de la prostate à un stade localisé qui peut être traité efficacement par la chirurgie et la radiothérapie. Néanmoins, dans 10 à 20 % des cas, la maladie n’est révélée qu’à un stade localement avancé voire métastasique. De plus, le cancer peut dans certains cas progresser en dépit de la chirurgie, de la radiothérapie et de la privation hormonale. La mise au point de traitements adaptés aux CRPC (Castration-Resistant Prostate Cancer) demeure donc un challenge à l’heure actuelle. La castration chirurgicale ou clinique, par le biais des agonistes LH RH reste le premier traitement au stade métastasique avancé mais, après 12 à 20 mois, apparaît ce qui semble être une hormono-indépendance (Heinlein et Chang, 2004) mais, qui peut, en fait, être le résultat d’autres mécanismes (Fig. 4). De façon très résumée, des mutations au niveau du récepteur aux androgènes et des altérations de l’expression des co-régulateurs de ces récepteurs contribuent, avec l’augmentation de la production de facteurs de croissance, à la reprise de la progression tumorale (c’est ce qu’on appelle aussi le phénomène d’échappement) (Heinlein et Chang, 2004). Après les progrès qu’ont constitué successivement l’utilisation, à la fin des années 90, de la Mitoxanthrone (agent intercalant, inhibiteur de la topoisomérase II) et, à partir de 2004, du Docétaxel (agissant sur la polymérisation de la tubuline) un nombre important de nouveaux agents thérapeutiques ont été testés en essais cliniques (revue de Fizazi et al, 2010).
Nouvelles thérapies hormonales
L’apparition d’une progression tumorale malgré une castration chimique ne traduit pas systématiquement une hormono-indépendance. Une surexpression de récepteurs aux androgènes peut alors être compensée par une nouvelle génération d’antagonistes plus efficace que le Flutamide, le Bicalutamide ou le Nilutamide. Deux nouvelles molécules font, en particulier, l’objet d’essais cliniques : la MDV3100 et la RD162. D’autre part, l’Abiraterone, inhibiteur du cytochrome P17 impliqué dans la synthèse de testostérone, donne des résultats prometteurs sur les patients traités par chimiothérapies notamment lorsque ceuxci sont traités par le Docétaxel (Attard et al, 2009).
Nouveaux agents de chimiothérapie
Trois bases de réflexion ont conditionné la recherche de nouveaux composés thérapeutiques :
1) une efficacité relative du Docétaxel permettant une survie prolongée des patients par rapport au traitement Mitoxanthrone / Prednisone,
2) une meilleure connaissance des voies de signalisation impliquées dans le cancer de la prostate (Fig. 5) mettant en évidence le « cross-talk » entre les voies de survie et les récepteurs aux androgènes,
3) la prise en compte de l’importance du phénomène d’angiogenèse dans la progression de la pathologie cancéreuse.
Ceci a débouché sur l’utilisation de molécules en association avec le Docétaxel ou en traitement de « deuxième intention » dans le cas d’une apparition de résistance à ce composé (Seruga et al, 2011) (Fig. 6). Un autre taxane, le Cabazitaxel, et des molécules de mécanismes d’action très proches telles que les épothilones (moins de phénomènes de résistance liés à la glycoprotéine P (Multi Drug Resistance) sont en phase I/II d’essais cliniques. D’autre part, des composés capables d’agir au niveau des différents stades des voies de signalisation sont en cours d’étude :
– Des inhibiteurs tyrosine-kinase des récepteurs à l’IGF (Insulin Growth Factor), au VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) ou à Src (Dazatinib, AZD0530).
– Des inhibiteurs Akt (MK-2206, GSK690693), mTOR (mammalian Target Of Rapamycin). La phosphorylation d’Akt peut également être empêchée par l’utilisation d’inhibiteurs d’histone désacétylase (Vorinostat, Trichostatine A, Panobinostat), composés capables d’inhiber l’expression des récepteurs aux androgènes.
Il faut également citer les essais réalisés avec des inhibiteurs du protéasome (induit in vitro la mort de cellules tumorales puisque le protéasome est nécessaire à la survie cellulaire), d’HSP90 (Heat Shock Protein) qui participe au repliement des protéines une fois synthétisées ou de PARP (Poly ADP Ribose Polymerase) impliqué dans la réparation de l’ADN.
Le rôle prépondérant du VEGF dans l’angiogenèse a conduit à la conception d’inhibiteurs du VEGF-R (Sorafenib, Sunitinib), de « VEGF Trap » (Aflibercept) et à l’utilisation d’anticorps anti-VEGF (Bevacizumab). Le thalidomide et son dérivé Lenalidomide montrent une activité anti-angiogénique sans que leur mécanisme d’action ne soit encore bien identifié.
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Table des matières
Introduction
Présentation générale du travail de thèse
ÉTAT ACTUEL DU SUJET
PARTIE 1 : INTÉRÊT D’UNE NOUVELLE VOIE DE RECHERCHE DANS LE TRAITEMENT DU CANCER DE LA PROSTATE
I. Présentation du cancer de la prostate
1. Les chiffres
2. Les causes
3. Les stades d’évolution
4. Les traitements
4.1. Nouvelles thérapies hormonales
4.2. Nouveaux agents de chimiothérapie
4.3. Autres cibles moléculaires
4.4. Justification de la cible moléculaire retenue dans notre projet
II. Intérêt de concevoir de nouveaux modulateurs de la polymérisation de la tubuline
1. Structure et rôle des microtubules
2. Mécanismes d’action des poisons du fuseau
3. La Combrétastatine A-4 (CA-4) et ses dérivés
PARTIE 2 : IMPLICATION DE LA MÉTABOLISATION VIA LES CYTOCHROMES P450 SUR LE DEVENIR D’UNE MOLÉCULE A VISÉE THÉRAPEUTIQUE
I. Métabolisme des xénobiotiques – Implication des cytochromes P450
1. Généralités – structures et mécanismes d’action des cytochromes P450
2. Classification
II. Importance clinique et toxicologique des dérégulations du métabolisme par les CYPs
1. Inductions – Inhibitions
2. Polymorphisme génétique des cytochromes P450
3. Pharmacoépigénétique
III. La prostate : siège d’une métabolisation extra-hépatique
PARTIE 3 : INFLUENCE DU CADMIUM SUR LA MÉTABOLISATION DES XÉNOBIOTIQUES
I. Sources d’exposition au cadmium et métabolisme
II. Toxicité du cadmium
1. Intoxications aigüe et chronique
2. Mécanismes d’action au niveau cellulaire
3. Cas particulier de l’implication du cadmium dans le cancer de la prostate
III. Effets du cadmium sur les enzymes de métabolisation des xénobiotiques
PARTIE EXPÉRIMENTALE
Objectifs du travail
Matériels et Méthodes
I. Évaluation pharmacologique de la Phenstatine et de ses métabolites
1. Mesure de l’inhibition de la polymérisation de la tubuline
1.1. Principe
1.2. Protocole
2. Mesure de l’inhibition de la prolifération cellulaire
2.1. Modèles cellulaires utilisés
2.2. Test d’évaluation de la prolifération cellulaire
II. Étude in vitro de la métabolisation de la Phenstatine par des microsomes hépatiques de rat et humains
1. Incubation des microsomes hépatiques
2. Identification et quantification des métabolites
3. Identification des CYPs intervenant dans la métabolisation de la Phenstatine
3.1. Utilisation de supersomes
3.2. Utilisation d’inhibiteurs sélectifs des CYPs
III. Suivi de l’expression des gènes et des protéines correspondant aux CYPs impliqués dans la métabolisation de la Phenstatine
1. Détermination de l’expression protéique
1.1. Dosage de protéines
1.2. Western blot
2. Détermination du profil d’expression des gènes
2.1. Extraction des ARNs totaux et détermination de leur qualité
2.2. RT-PCR quantitative en temps réel
a. Rétro-transcription ou Transcription inverse
b. PCR quantitative en temps réel sur TaqManTM Low Density Arrays
2.3. Quantification de l’expression des gènes sélectionnés
IV. Identification de microARNs exprimés lors d’un traitement au cadmium
1. Extraction des microARNs et détermination de leur qualité
2. RT-PCR quantitative en temps réel
2.1. Rétro-transcription ou Transcription inverse
2.2. PCR quantitative en temps réel sur TaqManTM Low Density Arrays
3. Quantification de l’expression des microARNs sélectionnés
Résultats
Conclusion
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