Les infections et plus particulièrement le sepsis, défini comme étant l’association d’une infection à une dysfonction aigüe d’organe (1), sont reconnues comme étant un problème majeur de santé publique au niveau mondial. Avec 48,9 millions de cas et 11 millions de décès en 2017, il représente près de 20% de la mortalité mondiale (2). C’est l’une des priorités de l’OMS (3) qui exhorte les états membres à accroître leurs efforts pour identifier, traiter et prévenir le sepsis. En réanimation les pathologies infectieuses sont encore plus complexes. La sévérité des infections, les résistances bactériennes et les altérations physiopathologiques d’un patient en situation critique compliquent sa prise en charge. Malgré les progrès effectués ces 30 dernières années, l’incidence des infections et la mortalité associée en réanimation restent très importantes (4–6). En France, l’incidence du choc septique en réanimation est établie entre 10 et 30% avec une mortalité hospitalière aux alentours de 50% (7,8). Il est établi que la précocité d’initiation d’une antibiothérapie adaptée joue un rôle majeur sur la mortalité des chocs septiques (9–11). Une étude multicentrique européenne a établi que près de 64% des patients hospitalisés en soin intensif recevaient une antibiothérapie durant leur séjour (12), faisant des services de médecine intensive en France les 2ème consommateurs d’antibiotique après les services de maladie infectieuse .
En réanimation, les β-lactamines représentent à elles seules 69% des antibiotiques consommés (13). Depuis qu’elles ont démontré leur efficacité sur bon nombre de pathogènes communautaires et nosocomiaux, les β-lactamines (pénicilline, céphalosporine, carbapénème) sont en effet fréquemment utilisées pour traiter les infections sévères. Tirant leur nom de leur cycle β-lactame qu’elles possèdent en commun, ces molécules se lient aux protéines de liaison des pénicillines (PLP), bloquent la synthèse des peptidoglycanes de paroi et déclenchent ainsi une mort bactérienne médiée par les autolysines. Elles exercent une activité « temps dépendante », c’est-à-dire que leur activité bactéricide est corrélée au temps (T) durant lequel la concentration en antibiotique au niveau du site d’infection est supérieure à la concentration minimale inhibitrice (CMI) du germe incriminé. Ce sont des molécules hydrophiles de petit poids moléculaire avec une faible fixation protéique, une bonne diffusion tissulaire et dépourvues d’effet post-antibiotique. Leur élimination est principalement rénale sous forme inchangée. Elles sont en partie filtrées par les dispositifs d’épuration extra-rénale.
Design de l’étude
Cette étude prospective, multicentrique, comparative et interventionnelle, évalue l’impact d’un STP protocolisé et systématique au sein de services de réanimation. Elle est financée suite à l’appel d’offre AORC APHM 2016 et est enregistrée au sein du registre clinicaltrials.gov sous le numéro : NCT03339869. Cette étude a reçu l’accord favorable du comité de protection des personnes du sud-est. Elle a été réalisée au sein de deux services de réanimation (Réanimation polyvalente, hôpital de La Timone – Pr. Nicolas BRUDER ; Réanimation polyvalente et traumatologique, hôpital Nord – Pr. Marc LEONE) parmi lesquelles deux cohortes ont été constituées sans randomisation, incluant un total de 120 patients. Les deux cohortes (60 patients chacune) se répartissent en parallèle comme suit :
• Cohorte 1 : Suivi avec le STP en place dans le service (Pr. BRUDER) avec une mise à disposition des résultats et un conseil téléphonique d’adaptation de la posologie de l’antibiotique.
• Cohorte 2 : Suivi sans STP, dosages tels que réalisés au sein de la cohorte 1, résultats non communiqués aux cliniciens (Pr. LEONE) .
Les antibiotiques étudiés sont 5 β-lactamines couramment utilisées en soins intensifs: méropénème, piperacilline, céfépime, céfotaxime, ceftazidime.
Patients
Les patients inclus dans cette étude sont recrutés dans deux services de réanimation de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (Réanimation polyvalente, hôpital de La Timone – Pr. Nicolas BRUDER ; Réanimation polyvalente et traumatologique, hôpital Nord – Pr. Marc LEONE). Une information claire, loyale et appropriée a été donnée et le consentement éclairé du patient, ou de la personne de confiance si l’état de conscience ne le permettait pas, a été obtenu après un délai de réflexion de 48H.
Cette étude interventionnelle est non-randomisée et implique des dosages plasmatiques avec au décours, une adaptation ou non, des posologies d’antibiotique. Pour être inclus les patients devaient respecter des critères stricts d’inclusion, et de non-inclusion. Critère d’inclusion :
• Age ≥ 18 ans
• Durée prévisionnelle d’hospitalisation en réanimation > 7 jours.
• Traité par méropénème, piperacilline, céfépime, céfotaxime, ceftazidime par perfusion continue.
Critère de non-inclusion :
• Patient mineur
• Consentement non obtenu
• Non affilié au régime de sécurité sociale
• Femme enceinte
• Allergie à l’une des β-lactamines .
Collecte de données et résultats
Le recueil informatisé des données a été réalisé prospectivement par les internes et les praticiens des différents services à l’aide du logiciel de gestion de données FileMakerPro12 développé par le service de réanimation de La Timone. Cette base de données est sécurisée, accessible uniquement par les praticiens des services concernés via le réseau intranet de l’AP-HM et sécurisée par identifiant et mot de passe. Toute modification de cette base de données est tracée informatiquement. Les données démographiques ont été recueillies à l’introduction de l’antibiothérapie. Les données cliniques et biologiques ont été recueillies à l’introduction de l’antibiothérapie puis à 24H (J1), à quatre jours (J4) et à sept jours (J7). Elles ont été anonymisées avec attribution d’un numéro d’observation à l’inclusion par ordre d’entrée dans l’étude. Les données biologiques recueillies sont : hémoglobine, leucocytes sanguins, plaquettes, ionogramme sanguin et urinaire, créatinémie, créatinurie, bilirubine, transaminase, albuminémie, hématocrite, protéine C réactive, procalcitonine. Les données cliniques regroupent : les défaillances d’organe via les scores SOFA et IGSII, la clairance de la créatinine mesurée indexée (Creatinine urinaire (mg/dl) * volume urinaire (ml) * 1.73/ Créatinines sanguines (mg/dl) * minutes * Surface corporelle), l’existence ou non d’une épuration extra rénale (EER) ou d’une assistance circulatoire (ECMO/ECLS), la durée sous ventilation mécanique, l’apparition d’un délirium, l’existence d’une réponse microbiologique à J4 et l’état de la réponse clinique à J7 selon les critères de De Waele et al (72). Les données démographiques comprennent : age, sexe, poids, taille, indice de masse corporelle, surface corporelle. En outre, sont également recueillis la date d’admission, le siège de l’infection, les bactéries incriminées, la mortalité à J28 et la durée du séjour en réanimation.
Modalité d’administration des beta-lactamines
Les prescriptions sont effectuées selon les pratiques habituelles de chaque service. L’antibiotique choisi était à la discrétion du praticien au vu de la situation clinique et de l’infection suspectée. La β-lactamine était administrée en perfusion continue par pousse-seringue électrique après une dose de charge initiale sur 30min. Cette administration est cadrée selon un protocole commun aux deux services de réanimation :
• Céfépime : dose de charge de 2 grammes puis 6 grammes par jour
• Ceftazidime : dose de charge de 2 grammes puis 6 grammes par jour
• Céfotaxime : dose de charge de 2 grammes puis 6 grammes par jour
• Méropénème : dose de charge de 2 grammes puis 4 grammes par jour
• Tazocilline : dose de charge de 4 grammes puis 16 grammes par jour .
La posologie était adaptée à la fonction rénale du patient et à la présence ou non d’une EER . Selon les résultats bactériologiques, l’antibiothérapie pouvait être adaptée. L’administration des antibiotiques et la préparation des seringues se sont faites selon les modalités déjà en place dans les services de réanimation, établis à partir d’une revue de la littérature et d’une base de données européenne spécialisée sur la stabilité médicamenteuse .
Suivi Thérapeutique Pharmacologique
Les déterminations des concentrations plasmatiques en β-lactamine ont été effectués à J1, J4 et J7 dans les 2 cohortes de patient. Les prélèvements sont réalisés au lit du patient sur un point de ponction différent du site d’injection de l’antibiothérapie. Ils sont ensuite analysés au laboratoire de pharmacologie clinique du Pr. BLIN. Les résultats sont rendus dans les 24H suivant le dosage. La concentration déterminée par le laboratoire de pharmacologie est communiquée aux cliniciens par téléphone et est consultable sur le logiciel « Visual Patient ». Une adaptation des posologies est ensuite réalisée en fonction de la concentration. De manière générale lorsqu’une concentration est infrathérapeutique, la posologie est augmentée de 30%. Lorsqu’une concentration est toxique, la posologie est diminuée de 30%. Des adaptations plus précises sont également réalisées en fonction de l’appréciation du clinicien et du pharmacien. Les dosages de la cohorte 2 (Pr. LEONE) ont été analysés à posteriori et aucune adaptation pharmacologique n’y a été réalisée.
Les tubes héparinés ont été transportés dans les 5 heures suivant le prélèvement du patient au laboratoire d’analyse, centrifugés pendant 10min à 3,000 g et 4°C, une solution d’acide 4-morpholinoéthanosulfonique (MES) était ajoutée en cas de dosage de méropénème. Une précipitation des protéines a été réalisée sur les prélèvements à l’aide d’acétonitrile puis s’en est suivie une extraction liquide-liquide par dichlorométhane. L’étalon choisi en interne comme standard pour les différentes β-lactamines était le MIAA (5-Acide méthoxyindole3-acétique). Les concentrations en antibiotiques étaient évaluées par la chromatographie liquide haute performance (CLHP) couplée à la détection ultraviolet (CLHP Dionex Ultimate 3000) (75). Pour tous les antibiotiques, la limite de quantification était de 0,5 µg/mL. La limite supérieure de linéarité validée était : 50 µg/mL pour le méropénème et 100 µg/mL pour les autres β-lactamines. Si les concentrations observées étaient supérieures, l’échantillon était dilué avant d’être de nouveau analysé. Le protocole est adapté de la méthode de Verdier et al, et en accord avec les recommandations de l’EMA .
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Table des matières
I. Résumé
II. Introduction
III. Matériel et Méthodes
⮚ Design de l’étude
⮚ Patients
⮚ Collecte de données et résultats
⮚ Modalité d’administration des bêta-lactamines
⮚ Suivi thérapeutique pharmacologique
⮚ Critère d’évaluation principal
⮚ Critères d’évaluation secondaire
⮚ Calcul de la taille de l’échantillon
⮚ Analyses statistiques
IV. Résultat
⮚ Caractéristiques de la population
⮚ Critère d’évaluation principal
1. Atteinte des concentrations cibles en analyse univariée
2. Facteurs prédictifs de non-atteinte des concentrations cibles
⮚ Critères d’évaluations secondaires
1. Succès clinique et bactériologique
2. Neurotoxicité et effets secondaires
⮚ Evolution des concentrations entre J1, J4 et J7
V. Discussion
VI. Conclusion
VII. Références
VIII. Annexes
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