Intérêt d’étudier la dynamique de structure forestière
Problématique
Depuis plus de deux décennies, la préservation de la forêt et l’avenir de la foresterie sont devenus des enjeux écologiques et socioéconomiques d’envergure de la communauté internationale (MEA, 2005; FAO, 2011). Ceci s’est traduit par l’impulsion donnée à la certification forestière et à l’adoption de projets de loi sur l’aménagement durable des forêts exigeant, particulièrement, le maintien de leur productivité et de leur résilience (Loyche Wilkie et al., 2003). Pour assurer la gestion durable de ses forêts, le Québec privilégie désormais l’aménagement écosystémique
dans sa récente Loi sur l’aménagement durable de son territoire forestier.
L’aménagement écosystémique des forêts s’appuie sur la compréhension des patrons spatiaux et dynamiques de la forêt naturelle afin de pratiquer une foresterie plus respectueuse de son fonctionnement et du maintien de sa biodiversité (Coulombe et al., 2004). Il s’agit de favoriser dans le paysage aménagé le maintien d’une structure et d’une composition de peuplements semblables à celles caractérisant le paysage naturel (Franklin, 1993; Gauthier et al., 1996). Parce que le feu constitue l’agent principal de perturbation naturelle en forêt boréale (Payette, 1992; Haeussler et Kneeshaw, 2003), et puisqu’il agit de manière non sélective en laissant des îlots intacts de végétation sur place (DeLong et Tanner, 1996; Bergeron et al., 2001; Lindenmayer, 2006), il est le
plus souvent utilisé comme modèle pour aménager de façon durable la forêt boréale.Toutefois, 1 ‘évaluation de la pérennité de ces îlots résiduels de végétation pose un défi de l’évaluation préalable de leur dynamique temporelle (Franklin, 1993; Gauthier et al., 1996).Alors que le feu constitue une partie intégrante du fonctionnement et de l’évolution de la forêt boréale (Payette, 1992; Hunter, 1993; Bergeron et al., 1998), la coupe forestière lui reste une perturbation complètement étrangère. Un paysage aménagé présente généralement une organisation spatiale différente de celle caractérisant un paysage naturel (Belleau et al., 2007; Bergeron et al., 2007; Gauthier et al., 2008b ). Cette différence est principalement liée à la taille, la forme et 1 ‘arrangement après perturbation des legs biologiques dans le paysage. La coupe forestière telle qu’elle est actuellement pratiquée reproduit habituellement la même sévérité uniformément partout (Belleau et al., 2007; Bergeron et al., 2007). En revanche, la sévérité des feux est spatialement beaucoup plus variable, les zones épargnées ou faiblement affectées par le feu peuvent recouvrir jusqu’à 51 % de la superficie consumée (Bergeron et al., 2007). C’est pourquoi on se questionne sur le maintien de rétention suffisante à l’intérieur des paysages aménagés. D’autant plus que la rétention de legs biologiques est susceptible dejouer un rôle important dans la recolonisation des parterres de coupe.En forêt boréale canadienne, les études scientifiques s’intéressant à ces aspects sont rares et les comparaisons directes entre îlots de feu versus îlots de coupe sont fragmentaires. Afin de bénéficier davantage des services écosystémiques de la forêt boréale, il importe, désormais, de mettre au point des stratégies alternatives d’aménagement qui soient centrées sur le maintien de la biodiversité. La problématique générale de cette thèse s’inscrit dans cette perspective. Afin de comprendre jusqu’à quel point les rétentions générées par la coupe sylvicole s’apparentent aux îlots résiduels post-feu, nous comparons la structure et la dynamique des peuplements d’îlots résiduels post-feu et de rétentions post-coupe de taille et âges variables, autant à l’intérieur qu’en lisière en considérant les structures de la forêt continue d’origine
comme témoins.
Intérêt d’étudier la dynamique de structure forestière
La structure interne d’un peuplement forestier se définit comme étant l’arrangement vertical et horizontal des arbres (Brokaw et Lent, 1999). Elle peut aussi être caractérisée par des attributs structuraux, à savoir les arbres vivants et morts debout (chicots) et les débris ligneux au sol. Ces attributs reçoivent un intérêt particulier, car ils sont facilement mesurables (surface terrière, volume, diamètre moyen) et sont souvent considérés comme des indicateurs de la biodiversité (McElhinny et al., 2005). Les arbres de grand diamètre (vivants et morts), et le bois mort au sol peuvent fournir pour la faune des sources d’alimentation, des sites de reproduction, des aires d’hivernage et
des abris contre les prédateurs et les aléas climatiques (Thompson et Curran, 1995; 0kland, 1996; Spence et al., 1996).En contexte naturel, la configuration et composition des mosaïques forestières boréales est essentiellement déterminée par les régimes de perturbations naturelles comme les feux (Hunter Jr, 1990). La complexification de la structure interne des peuplements se fait au fil du temps. La complexité structurale est donc liée à la sénescence du peuplement forestier ou de l’occurrence des perturbations naturelles secondaires telles que les chablis et les épidémies d’insectes. En forêt boréale, la dynamique de maturation et de succession d’un peuplement forestier se traduit d’une part, par un remplacement d’essences pionnières par des essences de succession plus compétitives et tolérantes à l’ombre, puis par une dominance d’espèces de fin de succession supposée être stable sur le plan de la structure et de la composition (Larson et Oliver, 1996; Frelich, 2002), et d’autre part, par un apport continuel de débris ligneux grossiers au sol. Simultanément, des changements structuraux dans la taille des arbres se traduisent par un passage d’une structure diamétrale unimodale dépourvue de gros arbres à bimodale puis multimodale incluant des arbres de diamètre et âge variables (Larson et Oliver, 1996; Brassard et Chen, 2006). Plusieurs facteurs sont susceptibles d’influencer la dynamique de la structure forestière, à savoir le type de perturbation d’origine (Hunter Jr, 1990); le temps passé depuis la dernière perturbation et les caractéristiques du sol (Lindenmayer et al., 1999); ou les conditions initiales du peuplement avant perturbation (Smith, 2010; Ouarmim et al., 2014a; Bolton et al.,2015).Du point de vue floristique et faunique, ces changement de structure peuvent avoir des conséquences sur plusieurs organismes, à savoir les plantes et les mousses occupant le sol forestier (Fenton et Frego, 2005; Lachance et al., 2013), ou les espèces d’oiseaux et d’insectes associées, surtout, aux gros arbres ou au bois mort grossier (Gandhi et al., 2004; Bouchard et Hébert, 2016). Il est donc de plus en plus reconnu que la préservation de la biodiversité dans le paysage aménagé passe par le maintien des attributs structuraux de l’habitat forestier (Hunter Jr, 1990; Kuuluvainen, 2002; Kimmins, 2004 ).
Intérêt de considérer la forêt continue comme témoin
La forêt boréale continue provient majoritairement de feux survenus à des périodes diverses. Par conséquent, la matrice forestière naturelle y est généralement constituée de peuplement de différents âges. En raison de cycle des feux relativement long en forêt boréale de l’est, la proportion de vieux peuplements de plus de 150 ans peut dépasser les 50 % du paysage (Bélisle et al., 2011). De plus, plusieurs études s’accordent sur le fait que les attributs structuraux uniques aux vieilles forêts (gros arbres et bois mort sénescent) procurent une diversité d’habitats assurant la survie de
plusieurs espèces vulnérables, notamment, d’oiseaux et de petits mammifères (Ferron et St-Laurent, 2005; Schmiegelow et al., 2006; Nappi et al., 2015), et le maintien de la régénération, de la productivité et de l’humidité du sol relativement stable de la forêt (Gagnon et Morin, 2001; Lee et Canada, 2003; Lee, 2007).
Îlots résiduels post-feu
Les feux brûlent rarement tout sur leur passage en forêt boréale (Perron et al., 2008; Perera et al., 2009; Madoui et al., 2011). Ceci se traduit par une mosaïque de peuplements d’âges, de compositions et de structures variables à l’échelle du paysage (Payette, 1992; Cyr et al., 2009). Le périmètre du feu inclut des peuplements entièrement brûlés, d’autres brûlés à différents degrés, et des peuplements épargnés (Van Wagner, 1983; Turner et al., 1997; Kafka et al., 2001; Perron et al., 2008; Madoui et al., 2011).Les peuplements épargnés à l’intérieur du périmètre du feu, ici qualifiés d’îlots résiduels, sont également appelées forêts ou habitats résiduels (Gasaway et DuBois, 1985; Eberhart et Woodard, 1987; DeLong et Tanner, 1996; Stuart-Smith et Hendry, 1998; Dragotescu et Kneeshaw, 2012), et ils enferment en plus des arbres vivants, des chicots et des débris ligneux, des plantes arbustives et herbacées. Certains de ces îlots résiduels pourraient avoir été épargnés par les feux depuis des millénaires, et n’avoir été brûlés que lors d’un feu particulièrement sévère (Cyr et al., 2005; Bergeron et Harper, 2009; Ouarmim et al., 2015), dans ce cas, ils peuvent être considérés comme des refuges permanents avec plus de complexité structurelle, c.-à-d., hotspot de biodiversité. D’autres ont échappé uniquement au dernier feu, probablement d’une façon aléatoire (Ouarmim et al., 20 14b) par des événements fortuits, comme le changement de direction de vent ou l’absence de combustibles limitant la propagation du feu.
Il est généralement admis que la sévérité, la fréquence et la taille des feux varient en réponse à une combinaison de facteurs, qui en retour modélise de façon hétérogène le paysage forestier (DeLong et Tanner, 1996; Turner et al., 1998; Miller et Urban, 1999; Bergeron et al., 2001). Parmi ces facteurs environnementaux, la topographie (configuration du terrain), le climat (le vent et l’humidité du sol) et les facteurs biotiques (qualité du combustible) sont les plus souvent avancés (V an Wagner, 1968; Hély et al., 2000; McRae et al., 2001; Cyr et al., 2007). En forêt boréale, la distance à un coupefeu peut être à l’origine de la persistance d’îlots résiduels (Larsen, 1997; Kafka et al., 2001; Cyr et al., 2007). Il appert aussi dans d’autres études que les caractéristiques des
peuplements de la forêt avant feu peuvent également être à l’origine de la présence ou de la persistance d’îlots résiduels (Foster, 1985; DeLong et Kessler, 2000; Kafka et al., 2001; Madoui et al., 2011; Ouarmim et al., 2014a).
Bien que l’étude des îlots résiduels post-feu remonte à un peu plus d’une trentaine d’années, on s’y intéressât davantage à leur configuration spatiale (Eberhart et Woodard, 1987; DeLong et Tanner, 1996; Stuart-Smith et Hendry, 1998; Madoui et al., 2011; Dragotescu et Kneeshaw, 2012; Madoui et al., 2015) et moins à leur dynamique après-feu. La proportion et la superficie d’îlots résiduels dans le périmètre brûlé peuvent varier dépendamment de la taille des feux, du territoire, ou des conditions locales (Eberhart et Woodard, 1987; DeLong et Tanner, 1996; Smyth et al., 2005).
Même si la moitié des feux produisent généralement des îlots de superficies inférieures à 2 ha, les grands feux consumant des milliers d’hectares produisent des îlots pouvant atteindre une dizaine d’hectares. De plus, à cause de leur forte probabilité à rencontrer des coupe-feux (colline, ruisseau), les grands feux épargnent généralement une proportion plus élevée d’îlots résiduels, alors que les petits feux en renferment rarement (Eberhart et Woodard, 1987; DeLong et Tanner, 1996). Les études rapportent des valeurs allant généralement de 1 à 37% de la superficie des feux en îlots résiduels en forêt boréale (Eberhart et Woodard, 1987; DeLong et Tanner, 1996; Perron et al., 2008; Madoui et al., 2011; Dragotescu et Kneeshaw, 2012).
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Table des matières
AVANT-PROPOS
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES ABRÉVIATIONS
RÉSUMÉ
CHAPITRE I INTRODUCTION GÉNÉRALE
1.1 Problématique
1.2 Intérêt d’étudier la dynamique de structure forestière
1.3 Intérêt de considérer la forêt continue comme témoin
1.4 Îlots résiduels post-feu
1.5 Îlots de rétention post-coupe
1.6 Effet de lisière
1. 7 Objectifs de la thèse
1.8 Territoire à l’étude
CHAPITRE II DEADWOOD ABUNDANCE IN POST-HARVEST AND POST-FIRE RESIDUAL PATCHES: AN EVALUATION OF PATCH TEMPORAL DYNAMICS IN BLACK SPRUCE BOREAL FOREST
2.1 Abstract
2.2 Résumé
2.3 Introduction
2.4 Material and methods
2.4.1 Study are a
2.4.2 Location of the study sites
2.4.3 Data collection
2.5 Data analyses
2.5.3 Estimation of deadwood abundance in residual patches
2.5.2 Comparison ofpost-fire residual patches versus post-harvest retention patches
2.5.3 Relationship between recent deadwood and initial stand volume
2.5.4 Factors influencing the abundance of recent deadwood in residual patches
2.6 Results
2.6.1 Abundance of deadwood after harvest and after fire
2.6.2 Effect of initial stand volume on recent deadwoodafter harvest and after fire
2.6.3 Factors influencing the abundance of recent deadwood in residual patch es
2.6.4 Recent deadwood recruitment versus temporal dynamics of residual patches
2.7 Discussion
2.7.4 Factors responsible ofvariations of abundance ofpost-disturbance deadwood39
2. 7.2 Recruitment dynamics of deadwood and patch temporal dynamics
2.8 Conclusions and implications for forestry and conservation biology
2.9 Acknowledgements
2.10 References
CHAPITRE III CAN RETENTION HARVEST MAINT AIN NATURAL STRUCTURAL COMPLEXITY? A COMPARISON OF POST-HARVEST AND POST-FIRE RESIDUAL PATCHES IN THE BOREAL FOREST
3.1 Abstract
3.2 Résumé
3.3 Introduction
3.4 Materials and methods
3.4.1 Study area
3.4.2 Location of the study stands
3 .4.3 Data collection
3 .4.4 Structural classification of stands
3.4.5 Description of structural types
3.4.5.1 Internai structure complexity
3.4.5.1 Forest canopy closure
3.4.6 Factors influencing stand structure
3.4.7 Structural types in post-harvest residual patches versus natural stands
3. 5 Results
3. 5.1 Structural classification of residual patch stands
3.5.2 Complexity of structural stand types
3.5.3 Influence of TSF on structure
3.5.4 Structural types: post-harvest versus post-fire residual patches
3.6 Discussion
3.7 Conclusions and silvicultural implications
3.8 Acknowledgements
3.9 Authors contributions
3.10 Conflits of interest
3.11 References
CHAPITRE IV EDGE INFLUENCE ON STRUCTURAL ATTRIBUTES IN POST-PIRE VERSUS POST-HARVEST RESIDUAL PATCHES: IMPLICATION FOR ECOSYSTEM-BASED MANAGEMENT IN BOREAL FOREST
4.1 Abstract
4.2 Résumé
4.3 Introduction
4.4 Materials and methods
4.4.1 Study area
4.4.2 Location of the study sites
4.4.3 Sampling design and data collection
4.4.4 Data analyses
4.5 Results
4.6 Discussion
4.7 Synthesis and applications
4.8 Acknowledgements
4.9 Supporting information
4.10 References
CHAPITRE V CONCLUSION GÉNÉRALE
5.1 Implications pour la gestion de la conservation des forêts
5.2 Limites et perspectives
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
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