Intérêt des cristaux photoniques en diamant pour des applications de transduction optique label-free
Depuis une dizaine d’années seulement, l’étude des cristaux photoniques pour le développement de biodétecteurs optiques connait un réel essor. Bien que les recherches en soient encore à un stade précoce, nous verrons l’intérêt que présentent ces structures photoniques pour une telle application, et en quoi le fait de choisir le diamant comme matériau pour la réalisation peut se révéler être avantageux.
Intérêt des capteurs dits « label-free »
Définition d’un capteur biochimique
Un capteur est un dispositif qui permet de sonder ou quantifier une grandeur physique observée et de la convertir en une grandeur facilement exploitable pour l’utilisateur (souvent, il s’agit d’un signal électrique, optique ou acoustique). D’une manière générale, un capteur est composé de trois éléments principaux : un élément sensible, un transducteur, et une interface de commande entre le signal et l’utilisateur. Un capteur biochimique a pour fonction de détecter une molécule d’intérêt biologique, e.g. une protéine, ou une molécule issue de la biologie, e.g. le glucose. Pour ce faire, il est constitué d’une couche sensible chimiosélective ou biosélective chargée de reconnaître sélectivement l’espèce chimique ou biochimique présente dans l’analyte. En général, les espèces utilisées pour la reconnaissance spécifique sont des molécules issues du métabolisme, comme des protéines, des anticorps, ou encore des brins d’ADN. Cependant, même si la capacité de reconnaissance spécifique d’analytes est assurée par la couche sensible, un capteur doit être capable de traduire la reconnaissance de ces espèces chimiques en un signal physiquement mesurable. C’est le rôle assuré par le transducteur.
Une méthode de transduction doit donner des informations non seulement sur la qualité de la reconnaissance mais aussi sur la quantité d’analytes reconnus. Le choix du transducteur va également dépendre de l’application du capteur, du type de réaction, et de la substance détectée. Les différentes méthodes de transduction permettent de catégoriser les capteurs selon la nature de la propriété physique exploitée pour la reconnaissance moléculaire. A titre d’exemple, on distingue ainsi les biocapteurs basés sur des changements de propriétés optiques, électriques, magnétiques, thermiques, électrochimiques ou massiques. Dans le cas des transducteurs électrochimiques par exemple, les interactions biologiques sont détectées via l’enregistrement des variations de densité de charges présentes en solution ou sur une surface comprise entre deux électrodes. Les transducteurs acoustiques, quant à eux, sont des dispositifs gravimétriques qui mesurent la masse d’un échantillon déposé sur la surface d’un matériau par l’intermédiaire de la fréquence de résonance caractéristique. Les interactions biologiques se déroulant à la surface du détecteur acoustique entraînent une variation de la masse à la surface du matériau, ce qui induit une diminution de sa fréquence de vibration. On distingue notamment les capteurs à ondes de surface (ou SAW, pour Surface Acoustic Wave), ou les microleviers. Enfin, la transduction optique est celle qui nous intéresse dans le cadre de ces travaux de thèse. De nombreux paramètres tels que les variations d’absorbance, de la fluorescence ou de l’indice de réfraction à la surface d’un capteur peuvent affecter les propriétés optiques d’un faisceau lumineux. Ces informations, transportées par la lumière, sont à la base des capteurs optiques qui forment un vaste groupe de transducteurs.
Utilisation de marqueurs
Parmi les biocapteurs optiques, on distingue deux protocoles de détection. Le premier repose sur une détection indirecte via l’utilisation de molécules, appelées marqueurs, qui interagiront avec la molécule cible à sonder. La détection se fait via l’exploitation d’une propriété optique de ces molécules, comme la fluorescence par exemple. Le principal avantage des marqueurs fluorescents est qu’ils sont disponibles à peu près à n’importe quelle longueur d’onde dans le spectre visible, mais aussi de l’UV à l’infrarouge. Les protocoles d’analyse bien rodés et les technologies associées pour la détection rendent ce procédé fiable et pratique, bien qu’il nécessite une étape supplémentaire pour greffer le marqueur. Ces capteurs sont très sensibles, possédant des limites de détection pouvant atteindre quelques fg/mL. Il est également possible de fonctionnaliser différentes zones d’un capteur, afin de réaliser une détection multi-paramétrique à partir d’un seul échantillon analytique. C’est le cas par exemple des bio-puces d’ADN où différentes séquences d’ADN sondes sont greffées.
Cependant, les capteurs utilisant des marqueurs présentent différents inconvénients qui limitent ainsi leur utilisation dans plusieurs domaines. Il est courant d’observer un phénomène de photoblanchiement ou de diminution de la quantité de signal au fur et à mesure de l’analyse (vieillissement). Cela peut s’avérer problématique dans le cas d’une analyse quantitative en temps réel. Le marqueur peut parfois interagir avec d’autres fonctions chimiques présentes dans le milieu analytique, ce qui peut altérer sa fonctionnalité, sa conformation, voire même sa réactivité. Dans le pire des cas, le site actif du marqueur est alors occupé par une autre molécule ce qui entraine des faux positifs lors de la mesure. Enfin, d’un point de vue pratique, la synthèse et le greffage des marqueurs fluorescents rallongent les temps de procédés pour l’analyse biologique et engendre également des coûts supplémentaires.
De ce fait, afin de s’affranchir de l’utilisation de marqueurs, un second protocole a été développé. Les technologies de détection optique dites « label-free » (sans marqueur) connaissent un réel engouement notamment en raison de leur capacité à analyser directement les interactions moléculaires sans dénaturation. Cela simplifie davantage les protocoles de préparation et permet de réaliser des études cinétiques d’interactions moléculaires en temps réel. Par ailleurs, certains mécanismes de détection sans marqueurs utilisent par exemple la mesure de l’indice de réfraction induit à la surface du capteur par des interactions moléculaires, mesure qui est directement reliée à la concentration ou la densité de surface, au lieu de la masse totale. Par conséquent, le signal de détection ne diminue pas proportionnellement au volume sondé contrairement à la fluorescence où le signal va dépendre du nombre total d’analytes présents dans tout le volume. Cette caractéristique peut s’avérer particulièrement utile lorsque l’on ne dispose que de très faibles volumes (femtolitre ou nanolitre).
Quoi qu’il en soit, ces deux protocoles permettent d’avoir accès à des informations complémentaires sur les interactions entre les molécules, un atout considérable quant à la versatilité de la détection optique contrairement aux autres technologies de détection (capteurs à ondes de surface, microbalances à quartz, …). Par la suite, nous nous intéresserons seulement aux capteurs optiques label-free.
Capteurs optiques label-free pour applications de détection biochimique
Depuis quelques années, les capteurs optiques ont connu un réel développement en raison de l’augmentation du nombre d’applications de détection dans les domaines aussi variés que la santé, la défense, la sécurité, l’automobile, l’aéronautique, le contrôle qualité pour n’en citer que quelques uns. Les progrès réalisés en photonique, tant sur la compréhension des phénomènes physiques que sur la maitrise des procédés de fabrication, ont contribué à améliorer grandement leurs capacités de détection, notamment d’un point de vue des interactions lumière-matière, de la miniaturisation des interfaces ou encore de l’intégration de systèmes micro-fluidiques. De meilleures sensibilités et limites de détection ont ainsi pu être obtenues, pour des temps de détection plus courts, avec une maniabilité plus simple et des coûts de revient par mesure plus faibles.
Principe
Le principe général de détection optique label-free repose sur le changement d’une des propriétés de la lumière lorsque celle ci est en contact avec l’élément d’intérêt. Il existe pour cela différentes méthodes de détection comme celles exploitant des effets de changement d’indice de réfraction, de propriété d’absorbance ou de non-linéarité. Par la suite nous nous intéresserons seulement à la détection basée sur le changement d’indice.
Le principe d’une telle détection consiste à mesurer la variation d’indice de réfraction du milieu analytique environnant interagissant à l’interface avec le champ électromagnétique évanescent. Dans la majorité des cas, le champ électromagnétique est concentré dans le milieu d’indice le plus élevé et décroît exponentiellement à partir de l’interface entre le capteur et le milieu environnant sur une longueur allant jusqu’à quelques centaines de nanomètres.
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Table des matières
Introduction générale
1 Intérêt des cristaux photoniques en diamant pour des applications de transduction optique label-free
1.1 Introduction
1.2 Intérêt des capteurs dits « label-free »
1.2.1 Définition d’un capteur biochimique
1.2.2 Utilisation de marqueurs
1.3 Capteurs optiques label-free pour applications de détection biochimique
1.3.1 Principe
1.3.2 Biocapteurs optiques : état de l’art
1.3.2.1 Capteurs à résonance plasmon de surface
1.3.2.2 Capteurs interférométriques
1.3.2.3 Capteur à résonateurs en anneaux
1.3.2.4 Limites actuelles
1.4 Les cristaux photoniques
1.4.1 Les cristaux photoniques en optique intégrée
1.4.1.1 Contrôle de la propagation de la lumière
1.4.1.2 Technologies et matériaux
1.4.2 Les cristaux photoniques, briques de bases pour la biodétection
1.4.2.1 Création d’une cavité résonante
1.4.2.2 Facteur de qualité et volume modal
1.4.2.3 Influence de faibles perturbations
1.4.2.4 Utilisation des cristaux photoniques pour la détection
1.4.3 État de l’art des capteurs à cristaux photoniques
1.4.3.1 Performances
1.4.3.2 Limites
1.5 Le diamant de synthèse
1.5.1 Structure et propriétés générales
1.5.2 Synthèse du diamant
1.5.2.1 Le diamant HPHT
1.5.2.2 Le diamant CVD
1.5.2.3 Les différentes morphologies cristallines du diamant CVD
1.5.3 Le diamant pour la biodétection
1.5.3.1 Propriétés chimiques
1.5.3.2 Surface et interface diamant
1.5.3.3 Biocapteurs en diamant
1.5.4 Le diamant, matériau d’intérêt pour l’optique
1.5.4.1 Couleurs et impuretés
1.5.4.2 Propriétés opto-électroniques
1.5.4.3 Utilisation du diamant en photonique
1.6 Problématique et objectifs de la thèse
2 Architecture des cristaux photoniques en diamant orientés détection
2.1 Introduction
2.2 Propriété de propagation de la lumière dans les cristaux photoniques
2.3 Conception de plateformes à cristaux photoniques en diamant polycristallin
2.3.1 Critères de sélection
2.3.2 Choix d’une structure bidimensionnelle
2.3.3 Géométrie et propriétés associées
2.3.3.1 Réseau hexagonal de trous
2.3.3.2 Cristaux photoniques 2D membranaires
2.3.4 Pertes Optiques
2.3.4.1 Notion de cône de lumière
2.3.4.2 Pertes extrinsèques au cristal photonique
2.3.5 Domaine de caractérisation et dimensions associées : de l’infrarouge au visible
2.4 Choix d’une architecture orientée détection
2.4.1 Stratégie de confinement du champ
2.4.1.1 Guide d’onde
2.4.1.2 Guide d’onde à fente : optimisation du confinement optique
2.4.2 Cavités à cristaux photoniques à fente
2.4.2.1 Cavités à cristaux photoniques à fente orientées détection
2.4.2.2 Création d’une cavité résonante : quelques exemples de dessins
2.4.2.3 Cavité de type « kuramochi »
2.4.3 Plateforme photonique
2.5 Dimensionnement des cristaux photoniques
2.5.1 Outils de simulation numérique
2.5.1.1 Méthode des ondes planes
2.5.1.2 Méthode des Différences Finies dans le Domaine Temporel
2.5.2 Détermination des paramètres
2.5.2.1 Influence de la largeur de fente
2.5.2.2 Influence de la largeur de guide et du rayon des trous
2.5.3 Evaluation des paramètres caractéristiques des cavités à fente en diamant
2.5.3.1 Sensibilité et limite de détection théorique
2.5.3.2 Volume de détection
2.6 Conclusion
3 Développement des procédés de microfabrication de cristaux photoniques en diamant polycristallin
3.1 Introduction
3.2 Contexte de l’étude
3.3 Synthèse des films de diamant polycristallin
3.3.1 Choix du substrat d’origine
3.3.2 Critères de croissance des films de diamant
3.3.2.1 Choix de la méthode de nucléation
3.3.2.2 Choix du réacteur de croissance
3.3.2.3 Conditions de croissance
3.3.3 Caractérisation des films après croissance
3.3.3.1 Homogénéité
3.3.3.2 Caractérisation morphologique par Microscopie Électronique à Balayage (MEB)
3.4 Développement d’un procédé de lissage des films polycristallin
3.4.1 Intérêt
3.4.2 Principe du procédé de lissage
3.4.2.1 État de l’art
3.4.2.2 Approche utilisée
3.4.2.3 Choix de la silice utilisée pour la planarisation
3.4.3 Développement du procédé de lissage de films minces de diamant polycristallin
3.4.3.1 Développement de la première recette de lissage : recette lente
3.4.3.2 Développement de la seconde recette de lissage : recette rapide
3.4.4 Développement du procédé de lissage de films épais de diamant polycristallin
3.4.5 Application du procédé de lissage
Conclusion générale