La pathologie glaucomateuse est une neuropathie optique, maladie oculaire insidieuse caractérisée par une dégénérescence progressive des cellules ganglionnaires de la rétine et du nerf optique aboutissant au rétrécissement du champ visuel puis à la cécité. Le facteur de risque majeur de cette dégénérescence est l’augmentation de la pression intraoculaire (PIO). La PIO est physiologiquement régulée par le trabéculum, filtre émonctoire de l’humeur aqueuse situé dans l’angle iridocornéen, angle formé par la rencontre de l’iris et de la cornée. Or, ce filtre dégénère progressivement au cours du glaucome provoquant une résistance à l’écoulement de l’humeur aqueuse et par conséquent une augmentation de la pression à l’intérieur de l’œil. Aujourd’hui, la prise en charge du glaucome repose sur des traitements qui visent à diminuer la pression intraoculaire. Cependant, de nombreux patients restent encore en échec thérapeutique et de nouvelles stratégies thérapeutiques sont toujours ardemment sollicitées que ce soit pour réduire la PIO, maitriser la pathogénie au niveau trabéculaire ou protéger la fonction neuronale des cellules ganglionnaires de la rétine. Ainsi, cibler le trabéculum afin de ralentir sa dégénérescence ou restaurer sa fonction et/ou apporter des molécules neuroprotectrices constituent des pistes thérapeutiques intéressantes que la thérapie cellulaire à l’aide de cellules souches mésenchymateuses pourrait offrir.
Les cellules souches mésenchymateuses sont utilisées en clinique depuis une quinzaine d’année pour traiter différentes pathologies humaines. Elles sont décrites au niveau de la moelle osseuse comme assurant le maintien des niches de cellules souches hématopoïétiques en contrôlant notamment leur différenciation. Elles ont été identifiées et isolées à partir de nombreux tissus et organes de part leur présence dans le stroma et plus particulièrement autour des vaisseaux. Elles présentent des effets thérapeutiques majeurs par leurs propriétés de cellules souches, c’est-à-dire, pour remplacer des cellules spécialisées de certains tissus, mais plus particulièrement pour leur activité paracrine. Elles sécrètent une grande quantité de molécules et de facteurs de croissance leur conférant des propriétés intéressantes dans les processus de réparation et régénération de nombreux tissus.
La Thérapie Cellulaire
Définition
Selon le Code de la Santé publique (CSP), « la thérapie cellulaire concerne les produits biologiques à effet thérapeutique issus de préparation de cellules vivantes humaines ou animales » (article L. 1243-1 du CSP). La thérapie cellulaire ou cytothérapie substitutive appartient à la famille des biothérapies, ensemble de thérapeutiques basées sur la manipulation ex vivo de cellules issues de leur organe d’origine (Figure 1). Elle consiste en la prévention ou au traitement de pathologies humaines par greffe de cellules souches ou différenciées visant à remplacer, réparer ou restaurer la fonction d’un tissu ou d’un organe lésé par un accident, une pathologie ou le vieillissement. Les cellules qui font l’objet de la thérapie ont été choisies afin de pouvoir être multipliées/traitées/modifiées ex vivo. La thérapie cellulaire est associée à trois grands types d’approche thérapeutique : la médecine régénératrice, l’immunothérapie ou la cancérologie notamment pour le traitement des leucémies.
Historique
La transfusion sanguine est considérée comme la première thérapie cellulaire. Elle remonte à l’année 1492 où le pape Innocent VIII aurait bu le sang de 3 jeunes gens d’une dizaine d’années pour se redonner vigueur. Les trois garçons moururent et le traitement apporta la mort également au pape (Figure 2). La notion de groupes sanguins A, B, O ne sera découverte que quatre siècles plus tard par Karl Landsteiner.
En 1958, cinq physiciens yougoslaves furent irradiés accidentellement par un réacteur nucléaire provoquant une diminution drastique de toutes leurs cellules sanguines mettant en jeu leur survie. Le concept des premières greffes de moelle osseuse fut mis en application à cette occasion en France. L’intervention sauvera quatre des patients irradiés, « des tentatives certes téméraires, mais pas infondées » conclurent les auteurs de l’intervention. Cette même année fut identifié les groupes HLA (Human Leucocyte Antigen) par Jean Dausset. Cette découverte ne résoudra pas tous les problèmes liés au risque de rejet mais permit le succès des premières véritables greffes au Fred Hutchison Cancer Center de Seattle dans les années 60 par Donnall Thomas . Afin de résoudre les problèmes liés aux rejets de greffes (GvHD : graft versus host disease), la solution la plus évidente fut la réalisation de greffes autologues qui apparurent en 1976 pour la première fois. La congélation des cellules de la moelle du patient avant l’aplasie induite par les traitements de chimio- et radiothérapie sera réalisée afin de pouvoir greffer l’échantillon cellulaire à son propre donneur. Cette alternative permettra, effectivement, de s’affranchir des rejets de greffe, cependant, l’échantillon cellulaire greffé peut contenir des cellules pathologiques ce qui favorisera le risque de rechute. Cependant, la greffe allogénique est indispensable pour le traitement de pathologies hématologiques au cours de laquelle l’effet GVL (graft versus leukemia) est recherché dans un but thérapeutique au prix d’un effet GvHD qu’il faudra maitriser par des immunosuppresseurs. En 1979, les premières greffes de peau sont réalisées grâce à des cultures de kératinocytes.
Principes généraux
Un protocole général de thérapie cellulaire se déroule en cinq étapes :
1. Le prélèvement des cellules soit chez le patient à traiter, soit chez un donneur.
2. Si nécessaire, purification des cellules prélevées pour ne garder qu’un seul type cellulaire
3. Si nécessaire, modification des cellules si elles proviennent d’un patient dont la maladie est d’origine génétique. Dans ce cas, les cellules prélevées devront être «corrigées » par transfert de gène. Cette opération combine thérapie génique et thérapie cellulaire (aussi appelée thérapie génique ex vivo)
4. Amplification des cellules
5. Réimplantation des cellules chez le malade au niveau du tissu ou groupe cellulaire qui dysfonctionne.
Différents types cellulaires utilisés
En fonction de leur origine
Il existe différents types de cellules pour l’utilisation en thérapie cellulaire. Les lignées cellulaires qui sont des cellules immortalisées, les cellules xénogéniques qui sont isolées à partir d’une espèce différente du receveur, les cellules allogéniques qui sont des cellules provenant d’un organisme différent mais de la même espèce et les cellules autologues qui viennent du même organisme (Figure 3). Les principales cellules utilisées en thérapie cellulaire sont les cellules autologues et allogéniques.
En fonction de leur plasticité
Les cellules différenciées :
Une cellule différenciée possède des caractéristiques spécifiques, associées à une fonction précise. Par exemple, les globules rouges, qui transportent l’oxygène dans le sang, et les kératinocytes, qui produisent la kératine, n’ont pas les mêmes caractéristiques. Chaque tissu comporte un petit nombre de types de cellules différenciées, l’organisme humain en possède environ 200 types au total.
Les cellules « précuseurs » :
Les cellules « précurseurs » sont issues de cellules souches et ont déjà acquis un certain degré de spécialisation. Elles ne présentent plus de capacité d’autorenouvellement bien qu’elles conservent des propriétés de pluripotence qui varient en fonction des systèmes.
Les cellules souches :
Les cellules souches constituent une population hétérogène de cellules. Elles présentent deux propriétés communes qui sont leur capacité d’autorenouvellement, c’est-à-dire de se reproduire indéfiniment sans se différencier, et de différenciation en cellules spécialisées. On peut mettre en évidence quatre types de cellules souches selon qu’elles peuvent donner naissance à un type cellulaire (unipotent), à plusieurs types cellulaires différents mais originaire du même feuillet embryonnaire (multipotent), à plusieurs types cellulaires différents originaires de feuillets embryonnaires différents (pluripotent) ou encore à tous les types de cellules constituant l’ensemble de l’organisme (totipotent). Les cellules souches dites adultes sont aujourd’hui très utilisées dans les protocoles cliniques. En effet, au regard des cellules souches embryonnaires ou fœtales, les cellules souches adultes ne posent pas de problème éthique, permettent des greffes autologues, et ont déjà témoigné d’une grande efficacité thérapeutique.
Les commissions de vigilance
Les établissements de santé sont tenus de mettre en œuvre des systèmes de gestion des risques. Ils doivent donc mettre en place des commissions de vigilance sanitaires. La coordination de la vigilance sanitaire est spécifique à chaque établissement de santé. L’hémovigilance est l’ensemble de procédures de surveillance organisée depuis la collecte du sang et de ses composants jusqu’au suivi des receveurs, tout cela afin de recueillir et évaluer les informations sur les effets inattendus ou indésirables résultant de l’utilisation des poches de sang et pour en prévenir l’apparition (Loi 93-5 du 4 janvier 1993) La matériovigilance consiste en la surveillance des incidents pouvant survenir lors de l’utilisation du matériel médical. Elle vise à garantir la sécurité des dispositifs médicaux (Article L5211-1 du CSP). La pharmacovigilance est relative aux médicaments et à leurs effets indésirables. Elle s’exerce sur les médicaments à AMM (autorisations de mise sur le marché), et à ATU (autorisation temporaire d’utilisation) pour les maladies rares, graves ou développées à l’étranger. La réactovigilance concerne les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro utilisés en laboratoire pour réaliser des examens biologiques.
La biovigilance veille à la sécurité de l’utilisation à but thérapeutique de produits issus du corps humain (cellules, tissus, organes et même lait maternel) comme lors de greffes ou de thérapie cellulaire (décret n°2003-1206 du 12 décembre 2003) et des produits thérapeutiques annexes (PTA) entrant en contact avec les produits issus du corps humain (le lait maternel entre également dans son champ d’application).
|
Table des matières
INTRODUCTION
GÉNÉRALITÉS
I. La thérapie cellulaire
I.1. Définition
I.2. Historique
I.3. Principes généraux
I.4. Différents types cellulaires utilisés
I.4.1. En fonction de leur origine
I.4.2. En fonction de leur plasticité
I.5. Les commissions de vigilance
I.6. La biovigilance
II. Les cellules souches
II.1. Généralités sur les cellules souches
II.2. Les cellules souches mésenchymateuses
II.2.1. Identification
II.2.2. Localisation
II.2.3 Rôle physiologique
II.3.1. Rôle de cellule souche
II.3.2. Rôle dans les niches de la moelle osseuse
II.3.3. Rôle sur l’immunité
II.4 Caractéristiques et mécanismes d’action
II.4 1. La transdifférenciation
II.4.2. L’activité paracrine
II.4.2.1. Stmulation de l’angiogénèse
II.4.2.2. Effet neuroprotecteur
II.4.2.3. Stimulation de prolifération des cellules souches endogènes
II.4.3.Immunomodulation
III. Les CSMs et leurs applications thérapeutiques dans les pathologies oculaires
III.1. CSMs et dégénérescence rétinienne
III.2. CSMs et glaucome
III.2.1. Généralités sur le glaucome primitif à angle ouvert
III.2.1.1. La physiopathologie
III.2.1.2. La prise en charge
III.2.2. Revue de l’utilisation des CSMs dans le glaucome
III.3. CSMs et atteintes cornéennes
III.3.1. Insuffisance limbique et reconstruction cornéenne
III.3.2. Atteintes cornéennes superficielles et profondes
III.3.3. Greffe cornéenne
III.3.4. Sécheresse oculaire
III.4. CSMs et uvéites
IV. Méthodes d’optimisation de la thérapie cellulaire avec les CSMs
IV.1. Paramètres généraux de thérapie cellulaire
IV.2.1. Quantité de cellules à injecter
IV.2.2. Voies d’administration des cellules
IV.2. Paramètres spécifiques des CSMs
IV.2.1. Optimisation de l’effet immunomodulateur
IV.2.2. Optimisation de la survie
IV.2.2.1. Prétraitement hypoxique
IV.2.2.2. Prétraitement à la mélatonine
IV.2.3. Modification génétique
IV.3. Biomatrices
CONCLUSION
Télécharger le rapport complet