Les médicaments ont évolué au cours de l’histoire en réponse aux besoins changeants de l’humanité. Les herbes, les plantes et d’autres ressources naturelles brutes ont été parmi les premiers agents de guérison utilisés par les premiers humains, qui d’autant plus vivaient proches les uns des autres ainsi que leurs fournitures médicales. Au fur et à mesure que les civilisations ont évolué et se sont dispersées dans de nouvelles régions, il a fallu s’adapter et innover. C’est en ce sens que les techniques se sont développées suivant une trajectoire d’innovation en constante progression. C’est pourquoi aujourd’hui, de par ses différentes spécificités, l’industrie pharmaceutique reste un cadre privilégié pour les études d’innovation. Le rythme rapide des progrès technologiques dans les sciences de la vie donnent une image claire de la manière dont les entreprises font face et s’adaptent au changement. Leader des investissements en recherche et développement (R&D) , l’industrie pharmaceutique offre également des opportunités pour étudier la dynamique entre innovation et performance. Dans le même temps, la complexité du développement de médicaments signifie que les entreprises ne disposent pas en interne de toutes les capacités nécessaires pour mettre un médicament sur le marché par elles-mêmes. C’est ainsi qu’interviennent les biotechnologies, notion qui sera développée plus tard dans la thèse, ce domaine d’activité constitue un environnement dynamique permettant aux spécialistes de l’innovation de mieux répondre aux enjeux de santé actuel. Depuis 50 ans, l’industrie biopharmaceutique a connu une croissance phénoménale. Dans les années 1970 et au début des années 1980, l’industrie se composait d’une poignée de sociétés de biotechnologie américaines de premier plan. En 2000, il comprenait plus de 4 600 sociétés de biotechnologie dans le monde, dont plus de 600 étaient publiques. Le secteur des biotechnologies est un domaine d’avenir en plein essor, notamment en France, aux États-Unis et au Japon, où les procédés et produits issus des biotechnologies apparaissent dans les secteurs phares de l’industrie: pharmacie, beauté, agroalimentaire, environnement, chimie verte, etc. La biotechnologie combine donc des techniques issues des sciences du vivant (biologie), de diverses autres disciplines (chimie, physique, informatique, etc.) et des sciences de l’ingénieur .
CONCEPT DE TRAJECTOIRE TECHNOLOGIQUE
Concept moderne d’innovation
Joseph Schumpeter, l’initiateur du concept moderne d’innovation, pensait que le développement économique était motivé par l’innovation, à travers un processus dynamique de remplacement de l’ancienne technologie par la nouvelle. Il l’a appelée « destruction créatrice » (Schumpeter, 1942). Outre des réflexions macroéconomiques sur le rôle de l’innovation, il définit cinq types d’innovation :
-L’innovation de produit.
-L’innovation de procédé.
-L’innovation de mode de production.
-L’innovation de débouché (nouveau marché).
-L’innovation de matières premières (utilisation de nouvelles matières premières) .
En science de gestion, la définition la plus communément admise de la normalisation de l’innovation provient du Manuel d’Oslo (2018) publié par l’OCDE. « Une innovation est la mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques de l’entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures. » Source: Manuel d’Oslo (OCDE p.9) .
Historiquement, l’innovation a été pensée comme technologique. Dans ce concept, la science joue un rôle fondamental car elle est pourvoyeuse de nouvelles connaissances et technologies. En particulier, la productivité des activités de production peut être augmentée en développant de nouveaux procédés de fabrication. Le sens étroit de l’innovation se réfère spécifiquement aux deux premiers types d’innovation rencontrés dans le Manuel d’Oslo : l’innovation de produit et l’innovation de procédé. L’innovation de produit s’appuiera sur des connaissances nouvelles ou existantes pour fournir un bien ou un service, très différent de l’offre actuelle. Il pourrait s’agir de produits entièrement nouveaux, comme de nouveaux vaccins contre le CoVid-19. Les concepts d’améliorations majeures proviendront de nouvelles fonctionnalités ou d’améliorations des performances du produit (rapidité, facilité d’utilisation, etc.). Les innovations de procédé permettront de réduire les coûts de production ou d’améliorer la qualité des produits. On pense par exemple à la mécanisation de certaines tâches ou à l’informatisation des processus. D’une manière générale, le concept d’innovation comprend également le mode de commercialisation et d’organisation. Ainsi, il contient des changements dans l’organisation des processus de production et d’échange. Les innovations marketing auront le potentiel de mieux satisfaire les consommateurs et d’ouvrir de nouveaux marchés aux entreprises. Cela comprend les innovations dans la conception des produits (telles que les changements d’apparence ou de goût des produits), le placement de produits (nouveaux canaux de vente), la promotion des produits (image de marque, utilisation par les célébrités) et le prix (nouvelles stratégies de tarification). L’innovation organisationnelle fait référence à de nouveaux changements organisationnels qui améliorent la performance organisationnelle. Il peut s’agir de pratiques d’entreprise (nouveaux modes d’organisation comme le fordisme ou le taylorisme), d’organisation du travail (par exemple, moins de bureaux dédiés pour faciliter l’horizontalisation) ou encore de relations externes (collaboration méthodologique). Ainsi, le Manuel d’Oslo synthétise les différents travaux d’auteurs aux caractéristiques innovantes. Non seulement Schumpeter a défini les types d’innovations, mais il a également lié ces dernières selon qu’elles étaient radicales ou incrémentales. La définition du Manuel d’Oslo indique clairement qu’une innovation représente une nouveauté ou une amélioration significative par rapport à une innovation existante. Il fait la distinction entre l’innovation radicale (à grande échelle) (souvent sans précédent) et l’innovation incrémentale (y compris l’amélioration de solutions existantes). L’innovation radicale est importante dans l’œuvre de Schumpeter car elle produit des changements significatifs dans la société et est donc à l’origine du processus de destruction créatrice. Cela peut conduire au chaos dans l’environnement économique. L’innovation radicale correspond à l’émergence d’une nouvelle catégorie de produits et permet à l’entreprise qui a initié le produit d’acquérir un avantage fort (souvent temporaire) sur ses concurrents. L’avènement de la machine à vapeur, du moteur à combustion interne ou d’Internet sont autant d’exemples d’innovation radicale. D’autre part, nous constatons que l’innovation incrémentale consiste à améliorer la situation existante.
Elle nécessite moins d’investissement et est généralement beaucoup plus simple qu’une innovation radicale (augmentation de la puissance du moteur). Enfin, un nouveau type d’innovation prend de l’ampleur : l’innovation environnementale. L’innovation environnementale peut être définie comme des processus, des équipements, des technologies ou des systèmes de gestion nouveaux ou améliorés qui réduisent l’impact environnemental . Elle se définit par deux dimensions:
-Elle est adossée à une innovation standard (un produit, un procédé, une manière de s’organiser…). L’innovation environnementale est avant tout une innovation classique.
-Elle produit un effet positif sur l’environnement, c’est-à-dire qu’elle cessera d’être une innovation environnementale dès lors qu’elle ne produira plus de gains environnementaux.
Trajectoire technologique et l’accumulation d’expérience
Les trajectoires technologiques sont définies comme « les chemins par lesquels des innovations dans un domaine donné se produisent » . L’initiateur de ce concept lie les trajectoires au concept correspondant de paradigme, car les trajectoires constituent « le sens d’avancement au sein d’un paradigme » (Dosi, 1982, p. 148). Cette notion de trajectoire technologique fait référence : au chemin évolutif dans lequel un domaine technologique donné a émergé et s’est développé après, l’émergence initiale d’une technologie dans un domaine donné. Des exemples concrets sont représentés par les trajectoires technologiques des avions, hélicoptères, automobiles, ect. . De même, Dosi (1982) illustre également le concept correspondant de paradigme technologique en tant que « cluster de technologies « , avec par exemple les technologies nucléaires, technologies des semi-conducteurs, technologies de la chimie organique, etc. (Dosi, 1982, p. 152).
Le terme technologie est utilisé dans le sens général de la technologie et des sciences de l’art (comme le fait allusion son étymologie : tekhne, art et lagos, science) ainsi mécanique, électronique, robotique, chimie et biotechnologies sont considérées comme des technologies. De même, la technologie est constituée d’un ensemble de connaissances et de compétences faisant intervenir : systèmes éducatifs, universités, pays, organismes professionnels, etc. Le tout formant un nombre d’institutions et de réseaux d’acteurs accumulant connaissances et savoir-faire. Chacun a sa propre dynamique de fonctionnement et son « évolution », selon les acteurs, institutions, corpus, bibliothèques dont ils se composent.
La plupart des technologies ont tendance à suivre la même trajectoire en termes de vitesse et de direction du changement et de l’amélioration, de l’innovation initiale à la maturité.
Après qu’une innovation ait fait apparaître un nouveau produit, il y a une période initiale d’innovation intense et d’optimisation , jusqu’à ce que le produit soit accepté dans le segment correspondant du marché. L’interaction avec le marché détermine rapidement le sens des améliorations, qui définissent souvent une conception dominante . À partir de là et parallèlement à la croissance des marchés, on note des innovations graduelles successives pour améliorer la qualité du produit, la productivité du processus et le positionnement des producteurs sur le marché . Ce processus atteint son summum dans la maturité quand le rendement des nouveaux investissements dans les innovations diminue. Selon l’importance du produit, l’ensemble du processus peut durer quelques années ou plusieurs décennies. Dans ce dernier cas, les «améliorations» adoptent souvent la forme de modèles successifs . Après les premières innovations, les entreprises qui développent la technologie acquièrent des avantages, non seulement par des brevets mais également –ce qui est probablement plus important– grâce à l’expérience acquise avec le produit, le processus et les marchés.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. TRAJECTOIRE DE L’INNOVATION EN BIOTECHNOLOGIE
1.1. CONCEPT DE TRAJECTOIRE TECHNOLOGIQUE
1.1.1. Concept moderne d’innovation
1.1.2. Trajectoire technologique et l’accumulation d’expérience
1.1.3. Trajectoire et paradigmes technologiques
1.1.3.1. Paradigmes technico-économiques9
1.1.3.2. Changement de paradigme, une double opportunité technologique
1.2. TRAJECTOIRE TECHNOLOGIQUE DES BIOTECHNOLOGIES
1.2.1. Généralités sur les biotechs
1.2.2. Du XXe siècle à aujourd’hui : Deux trajectoires technologiques des biotechs
1.2.2.1. Contexte
1.2.2.2. Première trajectoire technologique des Biotechnologies
1.2.2.3. Seconde trajectoire technologique des Biotechnologies
2. IMPACT DES BIOTECHNOLOGIES SUR LA R&D PHARMACEUTIQUE
2.1. L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE, UN SECTEUR PROFITABLE GRACE AUX BIOTECHNOLOGIES
2.1.1. R&D pharmaceutique : principes généraux
2.1.2. Dépenses de recherche et développement (R&D) dans l’industrie pharmaceutique
2.1.2.1. Contexte
2.1.2.2. Dépenses en R&D des Big Pharma
2.1.2.3. Evolution et tendance des dépenses en R&D
2.2. LES BIOTECHNOLOGIES : UN ATOUT ESSENTIEL POUR L’INNOVATION THERAPEUTIQUE
2.2.1. Les biotechnologies d’aujourd’hui – une révolution qui façonne désormais le processus de R&D
2.2.2. Les défis de demain : De nouvelles perspectives thérapeutiques
2.2.2.1. Genopole : acteur majeur des biothérapies innovantes
2.2.2.1.1. Thérapie génique et cellulaire
2.2.2.1.2. Les enjeux des biothérapies : 3e révolution thérapeutique
2.2.2.2. Tendances et besoins de la recherche en biotechnologie
2.2.2.2.1. Industrialisation des bioprocédés
2.2.2.2.2. Structuration de la filière des médicaments dits de « thérapies innovantes » (=MTI) en France
3. L’ENVIRONNEMENT SPATIAL : FACTEUR POUVANT IMPACTER LA TRAJECTOIRE TECHNOLOGIQUE DES BIOTECHNOLOGIES
3.1. ENVIRONNEMENT SPATIAL ET SES SPECIFICITES
3.1.1. Traditional Space versus New Space
3.1.1.1. Traditional Space
3.1.1.2. New space : la dimension disruptive
3.1.2. Environnement spatial et infrastructures
3.1.2.1. Bénéfices de la micropesanteur
3.1.2.2. La station spatiale internationale comme plateforme de recherche en micropesanteur
3.1.2.3. Plates-formes émergentes de microgravité
3.2. LES APPORTS POSSIBLES DU SPATIAL POUR LES BIOTECHNOLOGIES
3.2.1. Les principaux domaines de recherche pour les biotechs en micropesanteur
3.2.2. R&D en micropesanteur : pour les biotechs & industries pharmaceutiques
3.2.2.1. Opportunités pour les Biotechs & Pharmas
3.2.2.2. Les grands défis
3.2.2.3. Impact sur la trajectoire technologique des biotechnologies
3.3. CAS D’APPLICATION
3.3.1. Intégration du spatial dans une approche de R&D industrielle
3.3.1.1. Projet Business in Space Growth Network
3.3.1.2. Modèle d’engagement du projet
3.3.2. Un succès d’utilisation du spatial par Merck®
3.3.2.1. Identification des processus de cristallisation pour les anticorps monoclonaux
3.3.2.2. Produire des suspensions cristallines uniformes dans l’espace et sur Terre
4. CONCLUSION
5. BIBLIOGRAPHIE
5.1. BIBLIOGRAPHIE GENERALE
6. ANNEXES