Interactions ions/matière et hadronthérapie
La découverte des rayons X par W.K. Roentgen en 1895 et de la radioactivité par H. Becquerel un an plus tard sont à l’origine de la radiothérapie. Cette méthode utilisée pour traiter des tumeurs est basée sur les interactions entre les photons et la matière biologique: en traversant la matière, les photons mettent en mouvement des électrons secondaires qui cèdent de l’énergie sur leur parcours avant d’être capturés par une molécule. Cette énergie cédée au milieu peut induire des dommages sur les cellules environnantes par simple ou double cassure de la double hélice de l’ADN, favorisant ainsi leur destruction. La quantité d’énergie déposée dans les cellules est appelée dépôt de dose, mesuré en Gray (c’est-à-dire J.kg−1). illustre l’inconvénient d’un tel traitement lorsque des photons (rayons X) sont utilisés, le dépôt de dose maximal ayant lieu près de la surface d’entrée du milieu biologique et empêchant ainsi le traitement des tumeurs profondes. De plus, le dépôt n’est pas correctement localisé dans l’espace et ne permet pas de cibler précisément une tumeur en préservant les tissus sains environnants. Ainsi, les rayons X sont bien adaptés au traitement de tumeurs superficielles (peau par exemple). Pour les photons, il est important d’introduire la notion de coefficient d’atténuation linéique µ qui caractérise l’aptitude d’un milieu à arrêter un faisceau de photons en fonction de sa densité. Pour un faisceau d’ions on parle de pouvoir d’arrêt. Il est noté S = -dE/dx avec E l’énergie du faisceau d’ions et x la profondeur du milieu.
À partir des années 1950, les études fondamentales menées sur les mécanismes d’interaction entre les rayonnements ionisants et la matière ont permis de mettre au point une nouvelle méthode de traitement appelée hadronthérapie. Celle-ci consiste à remplacer les faisceaux de photons par des faisceaux d’ions d’énergie de l’ordre de quelques centaines de MeV par nucléon. Les ions possèdent une efficacité balistique bien supérieure aux photons, c’est-à-dire que le dépôt de dose des ions dans la matière est mieux localisé, il se fait à la fin du parcours des ions dans la matière et est concentré dans un pic appelé pic de Bragg . Le but est alors de choisir l’énergie du faisceau d’ions de manière à ce que la position du pic de Bragg coïncide avec la localisation de la tumeur. L’hadronthérapie permet ainsi une réelle avancée dans le traitement des cancers puisqu’elle permet de traiter des tumeurs radiorésistantes ou de localisation délicate.
Les courbes obtenues pour un faisceau de protons et d’ions carbone ont été normalisées pour mettre en évidence le fait que pour une même dose déposée à une même profondeur, le pic de Bragg des ions carbone est plus fin que celui des protons. Cet effet est appelé « straggling ». Il est causé par les processus aléatoires de ralentissement des ions dans la matière qui entraînent une dispersion dans leur parcours. Plus l’ion sera lourd et plus le straggling sera faible (car plus difficilement dévié par les atomes du milieu). La masse des ions influe également sur leur « pouvoir destructeur » sur les cellules, plus un ion est lourd et plus il est capable de déposer une dose importante au niveau du pic de Bragg. D’un point de vue clinique, il convient d’irradier la tumeur uniformément ; pour cela, le faisceau d’ions est modulé en énergie et en fluence (courbes rouges en pointillés) afin que la tumeur reçoive une dose uniforme (courbe rouge pleine). Cependant, les ions très lourds (Z > 12) ne sont pas utilisés car, d’une part, ils sont soumis à des phénomènes de fragmentation qui impliquent la création d’ions plus légers capables de déposer de l’énergie derrière le pic de Bragg (donc dans des tissus sains derrière la tumeur) et, d’autre part, la finesse de leur pic de Bragg force à une forte modulation en énergie : il est donc nécessaire de tirer un plus grand nombre de faisceaux. Actuellement, les protons et les ions carbone sont couramment utilisés pour traiter les tumeurs. Des détails sont disponibles dans le manuscrit [2].
Afin d’améliorer encore davantage l’efficacité du traitement, des radiosensibilisants fixés directement sur la tumeur peuvent être utilisés afin d’augmenter localement le dépôt de dose sur la tumeur. Les nanoparticules métalliques (NPs) apparaissent comme étant des radiosensibilisants prometteurs car elles possèdent une taille similaire (de quelques nm à quelques dizaines de nm) à celle des molécules d’intérêt biologique comme les enzymes, anticorps et récepteurs, leur permettant de traverser les membranes des cellules et de faciliter les interactions. Des expériences sur des plasmides (molécules d’ADN double brin modifiées à des fins de recherches) recouvertes de nanoparticules de gadolinium ont montré une augmentation de 73 % du nombre de cassures double brin par impact d’ions C4+ par rapport à une irradiation sans présence de nanoparticules [3]. Le mécanisme responsable de l’augmentation du dépôt de dose est causé par l’importante émission d’électrons par les nanoparticules déclenchée par le faisceau d’ions incident ou par interaction avec des particules chargées secondaires créées sur le parcours des ions. L’émission d’électrons secondaires est responsable de l’augmentation de la dose déposée sur la tumeur soit par interactions directes avec la tumeur, soit par interactions indirectes via la création de radicaux HO• .
La comparaison des différents mécanismes d’interaction d’un faisceau d’ions dans la matière en présence ou non de nanoparticules métalliques . La tumeur est représentée par une double hélice d’ADN, les interactions directes sont représentées en bleu et les indirectes en vert. Parmi les interactions indirectes, la production d’espèces réactives comme des radicaux hydroxyle (HO• ) émis par interaction entre les électrons et les molécules d’eau du milieu via une réaction de radiolyse est particulièrement efficace pour l’augmentation des effets d’endommagement [4]. Les électrons de basses énergies, même en dessous du seuil d’ionisation des molécules d’intérêt biologique (environ 10 eV) sont capables d’induire des dommages aux molécules. Ces dernières années, différentes études ont montré que des électrons de basses énergies étaient capables d’induire des cassures simple et double brins sur des plasmides [5, 6]. Le mécanisme responsable de ces phénomènes irréversibles est l’attachement dissociatif d’électrons (DEA). L’électron est capturé par la molécule créant ainsi un ion négatif qui se dissocie ensuite en un ion négatif et une molécule neutre, qui souvent, deviennent des radicaux libres [7, 8].
Dans ce contexte, le projet IMAGERI développé par des chercheurs du CIMAP se propose de quantifier l’émission des électrons de basses énergies (en dessous de 200 eV) émis par des nanoparticules métalliques après collisions avec un faisceau d’ions en déterminant les sections efficaces absolues doublement différentielles d’émission d’électrons (en angle et en énergie d’émission des électrons). Ces données doivent permettre d’identifier les processus physiques responsables de l’augmentation du dépôt de dose par les radiosensibilisants en hadronthérapie. D’un point de vue physique, l’émission d’électrons par des nanoparticules a notamment été étudiée de manière théorique [9, 10]. Ces études ont montré que l’émission d’électrons de basses énergies (inférieures à 50 eV) était le résultat de deux types d’excitation: pour les énergies en dessous de 10 eV, le spectre d’émission des électrons est dominé par l’excitation collective des électrons de valence délocalisés (excitation plasmon). Pour des énergies plus élevées comprises entre 10 eV et une centaine d’électron-Volts, les électrons sont également soumis à des résonances atomiques géantes dues à l’excitation individuelle des atomes qui constituent les nanoparticules. Ces études montrent également que lorsque l’énergie du projectile augmente (de 100 keV à 10 MeV), la contribution de l’excitation plasmon diminue de près d’un ordre de grandeur. Dans le cadre du projet IMAGERI, afin de tester ces modèles, la réponse de différentes nanoparticules (taille et matériaux) à différentes énergies de projectiles sera étudiée expérimentalement.
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Table des matières
Introduction générale
1 Contexte
1.1 Interactions ions/matière et hadronthérapie
1.2 Interaction des faisceaux d’ions avec la matière
1.2.1 Concept de section efficace
1.2.2 Les processus physiques d’émission d’électrons
1.3 Méthodes expérimentales de mesure des sections efficaces absolues d’émission d’électrons
1.4 La méthode du Velocity Map Imaging (VMI)
1.5 Conclusion
2 Description du dispositif expérimental IMAGERI et des techniques utilisées
2.1 Description générale
2.2 Les faisceaux projectiles
2.2.1 Faisceau d’ions monochargés de très basse énergie produit par le canon à ions
2.2.2 Faisceau d’ions multichargés de l’ordre du keV délivré sur la plateforme ARIBE
2.2.3 Faisceau d’ions multichargés de l’ordre du MeV délivré sur la ligne d’IRRSUD
2.2.4 Faisceau de photons délivré par une lampe UV
2.3 Les faisceaux cibles
2.3.1 Atomes de gaz rares : jet supersonique
2.3.2 Biomolécules en phase gazeuse
2.3.2.1 Production du faisceau des molécules
2.3.2.2 La micro-balance à quartz
2.3.2.3 Spectromètre de masse quadripolaire
2.4 Le spectromètre VMI
2.4.1 Le système de lentille électrostatique
2.4.2 Le système de détection : Galettes à micro-canaux, écran phosphore, et caméra
2.4.2.1 Description du système de détection
2.4.2.2 Description des méthodes de comptage des électrons via le système de détection
2.5 Les systèmes de contrôle commande, d’acquisition et de traitement des données
2.5.1 Contrôle-commande et acquisition des données (LabVIEW)
2.5.2 Traitement et analyse des données (Python)
2.6 Détermination des sections efficaces absolues
2.7 Conclusion
3 Caractérisation du dispositif expérimental IMAGERI
3.1 Les faisceaux d’ions projectiles
3.1.1 Mesure et simulations de la position du faisceau sur le profileur XY
3.1.2 Détermination du nombre d’ions projectiles Nproj
3.2 Les faisceaux cibles
3.2.1 Le jet supersonique d’atomes de gaz rares (Ar/Kr)
3.2.2 Le jet effusif de biomolécules
3.2.2.1 Fragmentation des molécules sous l’effet de la température
3.2.2.2 Calcul géométrique et détermination expérimentale des dimensions de la zone d’interaction lZI
3.2.2.3 Détermination de la densité des biomolécules ρcible
3.3 Caractérisation et réduction du bruit de fond
3.3.1 Les différents types de bruit de fond
3.3.2 Réduction de Bres−OUT : Effet d’écrantage de V´ecran
3.3.3 Réduction de BT : Différence de tension dV entre les électrodes V0 et V1
3.4 Calibration en énergie du spectromètre VMI
3.4.1 Étude du système de collision He+(15 keV) + Ar
3.4.2 Autres systèmes de collision
3.4.3 Effet de la différence de potentiel sur la calibration en énergie du spectromètre VMI
3.4.4 Calibration en énergie du spectromètre VMI via des simulations SIMION
3.5 Résolution du spectromètre VMI
3.5.1 Étude SIMION : Facteurs affectant la résolution
3.5.1.1 Pixellisation de la caméra et géométrie du spectromètre
3.5.1.2 Dimensions de la zone d’interaction
3.5.1.3 Champ magnétique B
3.5.1.4 Taille des spots sur l’écran phosphore
3.5.1.5 Différence de potentiel dV entre les électrodes V0 et V1
3.5.2 Détermination expérimentale de la résolution
3.6 Système de détection des électrons émis Ne− : galettes MCP, écran phosphore et caméra
3.6.1 Les galettes à micro-canaux (MCP)
3.6.1.1 Différence de potentiel ∆MCP
3.6.1.2 Efficacité de détection ǫ
3.6.2 Comptage des électrons par l’ensemble écran phosphore/caméra
3.6.2.1 Seuil et temps d’exposition de la caméra
3.6.2.2 Modélisation du système de détection écran phosphore/caméra
3.6.2.3 Conclusion sur le comptage des électrons par l’ensemble du système écran phosphore/caméra
3.6.3 Linéarité de l’encodage d’une image en l’échelle de gris
3.6.4 Conclusions et perspectives sur le système de détection
3.7 Conclusions sur la caractérisation du dispositif expérimental IMAGERI
Conclusion générale