Interactions insectes – micro-organismes
Avec plus d’un million d’espèces décrites (plus que pour tous les autres groupes d’animaux combinés), les insectes sont de loin le clade animal le plus diversifié et le plus abondant sur Terre, en terme d’espèces, d’habitat et de biomasse. Les symbioses entre insectes et micro-organismes ont été démontrées comme pouvant jouer un rôle dans les mécanismes de digestion chez l’insecte hôte. Des symbioses sont également impliquées dans les mécanismes de défense des insectes face à leurs prédateurs. Enfin il a été montré qu’elles contribueraient aux communications intra- et interspécifiques. En effet les micro-organismes auraient une influence sur les systèmes d’accouplement et de reproduction de leur hôte. De plus, ils auraient la capacité de réguler la pathogénicité des micro-organismes transportés chez les insectes vecteurs de maladies.
Les relations entre insectes et micro-organismes sont gouvernées par des interactions allant du mutualisme au parasitisme.
Le terme « symbiose » a été initialement inventé par Heinrich Anton de Bary en 1879 dans sa monographie “Die Erscheinung der Symbios” (Strasbourg, 1879) comme “le vivre ensemble d’organismes différents”(Contrecas et al. 2008). La présence d’associations tout au long de l’histoire évolutive des insectes a façonné la diversité observée dans ce groupe d’animaux. Selon les avantages pour chacun des membres de la relation, les associations symbiotiques peuvent être divisées en commensalisme, mutualisme et parasitisme (Moya et al. 2008). Le parasitisme survient lorsqu’une espèce tire un avantage de la relation tandis que l’autre est lésée par l’association. Le commensalisme survient lorsqu’un organisme, apparemment non pathogène, vit en association avec son hôte sans lui apporter un quelconque avantage en retour. Certains organismes commensaux peuvent être considérés comme mutualistes. Le mutualisme est une relation apportant un bénéfice mutuel aux deux membres (Dillon et al. 2004). Les concepts de mutualisme et parasitisme sont parfois difficilement définissable. De nombreux exemples illustrent l’idée selon laquelle les associations pourraient avoir débuté comme pathogènes pour ensuite évoluer vers une tolérance de l’hôte vis-à-vis de son parasite conduisant à un échange réciproque aboutissant au mutualisme.
Les relations de mutualisme
Les symbioses protectrices
Certains coléoptères du genre Paederus produisent une toxine appelée pédérine qui les protégent de prédateurs tels que les araignées (Figure 2). Connue depuis les années 50, ce n’est que récemment que ses origines biosynthétiques ont été découvertes. En effet la toxine n’est observée chez le coléoptère qu’en présence d’une gammaprotéobactérie endosymbiotique du genre Pseudomonas. Le séquençage du génome bactérien a alors révélé un cluster de gènes cohérent avec la biosynthèse de la pédérine. Ce fut la première preuve convaincante de la capacité d’un endosymbiote à produire une toxine protégeant son hôte.
Un autre exemple est celui du psylle asiatique des agrumes, Diaphorina citri, et sa betaprotéobactérie, Candidatus Profftella armatura, qui produit un analogue de la pédérine : la diaphorine (Figure 3). Bien que toxique pour les cellules de mammifères, le rôle écologique de cette toxine n’est pas connu à ce jour. Toutefois il est intéressant de noter que l’insecte hôte présente un système immunitaire simplifié en comparaison d’autres insectes. La diaphorine pourrait donc contribuer à la protection de l’insecte en complétant son système de défense.
Le cycle de vie des insectes ne favorise pas la transmission des micro-organismes entre les différentes générations. En effet, chez bon nombre d’insectes, les femelles
abandonnent les œufs et le seul comportement social est l’accouplement des spécimens adultes. Cependant, les insectes sociaux (termites, fourmis, abeilles) et certaines espèces de guêpes et blattes montrent des comportements permettant les transmissions directes et/ou indirectes, favorisant ainsi l’évolution et l’établissement de symbiotes spécialisés. La guêpe solitaire Philanthus triangulum en est un parfait exemple. Elle tapisse son nid de bactéries du genre Streptomyces qu’elle cultive dans des glandes présentes au niveau de ses antennes. Les larves assimilent les bactéries et les distribuent au sein de leurs cocons. La présence de ces bactéries a été décrite comme améliorant le développement larvaire en éliminant les champignons parasites. En effet ces bactéries produisent un cocktail de composés antimicrobiens à large spectre d’activité, incluant la streptochlorine et plusieurs piéricidines. L’effet complémentaire de ces composés est un parfait exemple de prophylaxie combinée dans un contexte écologique (Figure 4).
Les études des interactions mutualistes se fondent généralement sur l’idée que ces associations symbiotiques sont des systèmes bipartites, avec deux membres interagissant isolément des autres organismes. Il n’en est rien puisque les nombreuses études menées sur ces associations ont décrits des mutualismes très évolués faisant intervenir plusieurs acteurs. Les fourmis champignonnistes, parmi lesquelles on retrouve les fourmis du genre Atta « coupeuses de feuilles », vivent en symbiose stricte avec un champignon basidiomycète qu’elles cultivent dans des chambres souterraines. Elles lui apportent le substrat nécessaire à son développement et s’en nourrissent en retour. Bien que ce mutualisme entre fourmis et champignons fût longtemps considéré comme impliquant deux acteurs seulement, l’équipe de Currie a mis en évidence la présence d’un mutualiste bactérien et d’un parasite spécifique. L’association des fourmis avec cette bactérie remonterait à des dizaines de millions d’années. En effet, les jardins des fourmis champignonnistes sont fréquemment infectés par un champignon parasite spécialisé et virulent du genre Escovopsis. On le retrouve uniquement dans les jardins et déchets de ces fourmis dont il est capable de décimer une colonie entière. Pour s’en protéger , ces dernières peuvent compter sur une bactérie du genre Pseudonocardia, présente sur la cuticule des insectes. Cette bactérie lui est bénéfique puisqu’elle produit des composés antimicrobiens spécifiquement dirigés vers le champignon parasite. En effet, il a été démontré que les métabolites secondaires produits par la bactérie Pseudonocardia sp. inhibaient le développement du champignon parasite Escovospsis sp., sans effet délétère sur le champignon cultivé par les fourmis. Ainsi elles participent à un système complexe de symbiose multipartite impliquant plusieurs espèces microbiennes.
Parmi les composés bioactifs isolés de Pseudonocardia on retrouve la dentigérumycine et la selvamicine, deux antifongiques produits par la bactérie associée aux fourmis Apterostigma dentigerum (Figure 5). La selvamicine présente un mécanisme d’action différent des autres polyènes antifongique, elle est actuellement évaluée pour une utilisation clinique.
La production d’antifongiques a également été décrite chez des actinobactéries telles que des Streptomyces associés à des fourmis champignonnistes. Ainsi des souches isolées de fourmis du genre Acromyrmex produisent la candicine et différentes antimycines .
Les symbioses nutritives
Les insectes se sont adaptés à une vaste gamme de niches écologiques où ils prospèrent souvent dans des régimes pauvres en nutriments ou réfractaires. Par conséquent, les symbioses nutritionnelles avec des micro-organismes modifiant les nutriments alimentaires sont répandues. Ces relations persistantes et durables contribuent au mode de vie de l’hôte. Les symbioses nutritives (trophobiose, du grec trophê = nourriture et de -biose pour symbiose) sont particulièrement bien documentées chez les insectes. Ceux se nourrissant de matière végétale, en particulier de bois (xylophage), peuvent abriter des communautés microbiennes intestinales impliquées dans la dégradation de la cellulose. Ces communautés microbiennes sont très diversifiées et spécifiques, s’adaptant au régime de l’hôte. Les termites se nourrissent de matières végétales et contribuent ainsi de manière substantielle au cycle mondial du carbone. Les espèces de termites inférieures, considérées comme ayant un mode de vie ancestral, se nourrissent presque exclusivement de bois. Elles vivent en symbiose avec des protistes et bactéries intestinales. Les travaux de Cleveland au début des années 1920 ont mis en évidence le caractère obligatoire de ces associations, les termites ne pouvant survivre en l’absence de leur microbiote intestinal.
Chaque espèce de termite abrite une communauté intestinale microbienne hautement spécifique, composée de plusieurs centaines d’espèces microbiennes. Ces microorganismes jouent un double rôle mutualiste pour leur hôte. Tout d’abord, ils contribuent à la digestion de la lignocellulose et produisent des niveaux élevés d’acétate, ce qui représente la principale source de carbone pour leur hôte. Deuxièmement, ils fournissent à leur hôte de l’azote, élément généralement déficient dans la matière végétale en décomposition.
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Table des matières
Introduction
Etat de l’art
1 Interactions insectes – micro-organismes
1.1 Les relations de mutualisme
1.1.1 Les symbioses protectrices
1.1.2 Les symbioses nutritives
1.2 Les relations de parasitisme : les micro-organismes entomopathogènes
1.2.1 Les champignons entomopathogènes
1.2.2 Métabolites bioactifs isolés de champignons entomopathogènes
1.2.3 Les bactéries entomopathogènes
1.2.4 Métabolites bioactifs isolés de bactéries entomopathogènes
2 Les antimicrobiens actuels
2.1 Classe et mode d’action des antibactériens
2.1.1 Antibactériens ciblant la paroi cellulaire
2.1.2 Antibactériens inhibant la synthèse protéique
2.1.3 Antibactériens ciblant l’ADN et l’ARN
2.1.4 Autres antibactériens
2.2 Classe et mode d’action des antifongiques
2.2.1 Les fluoropyrimides
2.2.2 Les antifongiques polyèniques
2.2.3 Les antifongiques azolés
2.2.4 Les échinocandines
2.2.5 Autres antifongiques
3 Les insecticides
3.1 Classe et mode d’action des insecticides chimiques
3.1.1 Les insecticides organochlorés
3.1.2 Les insecticides organophosphorés
3.1.3 Les carbamates
3.1.4 Les pyréthrinoïdes
3.1.5 Les néonicotinoïdes
3.1.6 Autres insecticides
3.2 Les insecticides naturels
3.2.1 Les biopesticides d’origine végétale
3.2.2 Les biopesticides microbiens
4 Les phénomènes de résistances
4.1 La résistance aux antimicrobiens
4.1.1 La résistance bactérienne
4.1.2 La résistance fongique
4.2 La résistance aux insecticides
4.3 Situation actuelle et mesures
Résultats
Conclusion
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