L’industrie a vu émerger, dès les années 80, une nouvelle forme d’organisation qui est l’ingénierie simultanée, aussi appelée concurrent engineering. Cette approche consiste en une mise en parallèle des activités de développement du produit et du système de production, dans le but de réduire les coûts et les délais d’industrialisation [JPS93]. En parallélisant les actions des différents intervenants du développement d’un produit, cette méthode permet d’intégrer les spécifiés de chaque métier intervenant dans le cycle de vie du produit. L’approche de conception intégrée précise cette méthode d’ingénierie simultanée en s’appuyant sur l’échange dynamique des connaissances entre les acteurs de chaque profession, afin de valider rapidement les décisions. Les logiciels de conception assistée par ordinateur (CAO) sont ainsi dotés de systèmes d’aide au travail collaboratif reliant les services de l’entreprise entre eux et avec leurs partenaires externes. Pour le développement rapide et à moindre coût d’un produit, il est devenu primordial de considérer les différentes contraintes liées à l’industrialisation d’un produit dès les phases amonts de la conception.
L’utilisation d’outils tels que les systèmes de réalité virtuelle (RV) donne une nouvelle dimension en termes de développement efficace du produit, en permettant de travailler de manière collaborative autour de la maquette numérique. Parmis ces outils figurent les interfaces haptiques, qui font interagir les utilisateurs avec des simulations temps-réel. Elles permettent à l’utilisateur de sentir les contacts et de les utiliser comme guides lors de la manipulation d’objets 3D. En rendant compte kinesthésiquement des interactions entre les objets, l’haptique permet de recréer une interaction physique réelle avec les maquettes numériques ; ceci est fondamental pour appréhender les volumes et les contraintes dans les assemblages interactifs d’objets.
Interactions haptiques dans le cadre de la réalité virtuelle
Les interfaces à retour d’effort, dites haptiques, fournissent des informations aux utilisateurs sur l’état d’objets virtuels pilotés au sein de simulations multimodales. Ces informations sont perçues par le sens du toucher et représentent les efforts de réaction qui s’exercent sur ces objets dans l’environnement. Historiquement issue de la télé-robotique en milieu nucléaire dans les années 50, l’haptique est aujourd’hui utilisée couramment, dans beaucoup de secteurs industriels pour des applications aussi diversifiées que la formation, la validation industrielle ou l’ergonomie. Le domaine de la réalité virtuelle profite, quant à lui, des performances de calcul croissantes pour intégrer les modalités haptiques dans le cadre de simulations multimodales complexes [FMT+03]. Du point de vue de l’utilisateur, les enjeux portent principalement sur la rapidité et la fidélité de la simulation afin de répondre aux critères de performance et de confort d’utilisation, ainsi que proposés par Ernst et Banks [EB02]. Ces deux critères sont toutefois remis en cause lorsque les objets simulés doivent adopter des comportements difficiles à modéliser, tels que les contacts et les chocs. En effet, la présence d’interactions (de contact ou de choc) entre les objets impose la modélisation des discontinuités liées à ces interactions (caractère unilatéral des contacts et des chocs) et des lois de comportement, en particulier dans les cas où il est nécessaire de simuler le frottement. Pour des simulations traitant de nombreux contacts simultanés, l’enjeu réside donc en la représentation réaliste de ces interactions entre objets.
De nombreuses solutions, issues des domaines de la téléopération et de la réalité virtuelle existent pour traiter efficacement ces problèmes. L’approche mise en œuvre consiste généralement à utiliser des modèles mécaniques, c’est-à-dire en dotant le monde virtuel de propriétés et de lois physiques semblables à celles qui régissent le monde réel. Les interfaces haptiques ont longtemps été utilisées dans des simulations pour effectuer des tâches purement géométriques en boucle ouverte telles que le suivi de surfaces ou dans des simulations utilisant des modélisations de mécanique quasi statique. Afin de fournir des résultats physiques plus proches de la réalité, les simulateurs se basent à présent sur des modélisations dynamiques.
Enjeux de la RV pour la CAO
La CAO est une discipline ayant recours aux techniques informatiques pour créer un objet, en achever la forme et engendrer les données nécessaires à sa fabrication. De nombreux domaines (la mécanique, l’aéronautique, l’architecture etc.) font appel à la conception assistée par ordinateur. Les logiciels de CAO disponibles sur le marché permettent, de manière plus ou moins automatisée, de concevoir et d’analyser des pièces et des produits. Malgré le perfectionnement des outils d’analyse par éléments finis, d’ergonomie, de cinématique etc., il existe toujours un vide important entre les phases de conception et de fabrication. En effet, le processus de conception d’objets complexes nécessite, de plus en plus, la participation simultanée, d’un nombre croissant d’experts de métiers différents. Ces experts ont des perceptions différentes du même produit, ce qui définit la multi représentation du produit. Ces vues comprennent un ensemble d’informations qui leurs sont spécifiques et, notamment, un ou plusieurs sous modèles qui sont entièrement dédiés au métier considéré. Dans le domaine de l’assemblage mécanique, les logiciels CAO, tout en aidant le concepteur dans sa tâche, masquent des problèmes apparaissant uniquement lors de la phase de fabrication. Lors de la phase CAO, les concepteurs en bureau d’études sont rarement confrontés à la réalité du montage. Les difficultés de mise en position relative de deux pièces avant fixation ou encore les difficultés d’insertion d’une pièce par rapport aux autres sont autant de problèmes récurrents de l’inaccessibilité ou de la mauvaise gestion des collisions lors des phases d’assemblage d’objets.
Durant la conception assistée par ordinateur d’un produit, le processus d’assemblage est souvent négligé, voire ignoré, de part la séparation historique de la conception (CAO) de la production (FAO). Les pièces d’un assemblage sont placées directement à leurs positions finales ; ces positions sont définies par des contraintes géométriques entre les pièces de l’assemblage. La vérification ou la simulation de ces assemblages n’est réalisée qu’a posteriori, et uniquement en termes de trajectoires et de collisions. Les modeleurs CAO récents, ainsi que des solutions commerciales externes telle que eM-Assembler, proposent la simulation d’assemblage directement dans les logiciels de conception, mais a posteriori dans le processus de conception. Les séquences et trajectoires proposées sont, par ailleurs, prédéfinies de sorte que les opérateurs ne peuvent réaliser l’assemblage que de manière intuitive et avec une interactivité limitée. Mikchevitch, dans ses travaux de thèse [Mik04], propose un état de l’art complet des simulations d’assemblage CAO en environnement virtuel.
Interactions haptiques : problématiques
Notions de qualité de rendu
On peut juger de la qualité d’un rendu haptique à partir du compromis établi entre la vitesse de la simulation, la transparence de l’interface et la raideur restituée par l’interface physique au moment des contacts. Afin de faire parvenir des informations immédiates à l’utilisateur et de lui donner l’impression de manipuler les objets naturellement, ces trois facteurs doivent être évalués en fonction des applications souhaitées et doivent respecter un critère de stabilité .
Au regard de l’immersion dans un environnement virtuel, la présence active de l’utilisateur impose une contrainte fréquentielle à la simulation. En effet, l’instantanéité souhaitée entre la commande et le retour d’information est assimilable à une contrainte temporelle de temps-interactif, qui impose à la vitesse de la simulation d’assurer un flux continu et temporellement maîtrisé d’informations. Pour que l’utilisateur puisse interagir de façon naturelle avec les objets virtuels, la perception subjective du taux de rafraîchissement kinesthésique se situe dans une bande de fréquence d’environ 1 kHz [Bur99]. Pour un retour haptique, ce taux est en pratique de l’ordre de 30 Hz à 300 Hz pour la plupart des applications, alors même qu’un humain peut contrôler un mouvement dans une bande maximale de 10 Hz [KFN06].
La transparence peut être définie comme l’aisance d’un utilisateur à manipuler des objets dans un environnement virtuel. Elle doit assurer à l’utilisateur que les efforts ressentis sont propres à la simulation et doit atténuer le plus possible les perturbations liées à l’interface physique [Law93]. La principale caractéristique de cette transparence est l’absence de ressenti par l’utilisateur d’éléments tels que le poids, l’inertie, les liaisons mécaniques ou les actionneurs du dispositif physique [Gos05]. La raideur, quant à elle, peut être considérée comme la dureté ressentie, au sens kinesthésique, lors d’un contact entre un objet piloté et un environnement. Pour faire état du réalisme de la raideur d’une interface, on peut distinguer la raideur mécanique définie comme sa résistance à subir une déformation sous l’action d’une force [SV97], de la raideur de son asservissement issue des lois de l’automatique telle que Colgate [CB94] la décrit pour le domaine de la téléopération.
La transmission des informations entre les différentes parties de l’interface haptique et du simulateur peut créer une latence entre l’action de l’utilisateur et la réaction. Cette latence, qui est d’autant plus importante que le système maître est éloigné du système esclave, est perçue comme une perte de raideur au niveau du rendu haptique, avec un « effet éponge molle » [NS97]. Le rendu haptique doit donc faire état des interactions entre objets de manière réaliste, en assurant un transfert rapide d’informations, indépendant de l’interface et restituant le mieux possible la raideur des phénomènes de contact.
Architecture des interfaces haptiques
[HACH+04] et [SCB04] dressent un bilan sur les applications et les architectures des interfaces haptiques. D’un point de vue global, une interface haptique peut être considérée comme un système maître-esclave régi par des lois de commande. Historiquement issue des recherches dans le domaine de la téléopération [Goe64], cette approche automatique est aujourd’hui largement appliquée aux environnements virtuels.
Le processus d’interaction entre l’utilisateur et l’environnement simulé peut se décomposer en trois processus indépendants, qui communiquent entre eux de manière synchrone ou asynchrone :
– dans le processus de commande, l’utilisateur actionne une interface physique dont la structure mécanique peut varier entre une chaîne cinématique ouverte [MS94], une chaîne fermée [RH94], une structure à câbles tendus [KHKS02] ou de type magnétique [BHS95]. Selon la complexité de l’interface, le contrôle de l’objet peut s’établir selon plusieurs degrés de liberté (ddl) ;
– dans le processus de calcul, le simulateur calcule les informations de mise à jour de la simulation en fonction des informations de commande et des lois d’évolution des modèles physiques du simulateur. L’objet piloté peut ainsi se déplacer librement dans l’environnement ou entrer en contact avec d’autres objets simulés. Le simulateur est chargé de détecter et traiter les contacts et les collisions entre les différents objets de la simulation et de calculer les réponses à transmettre à l’utilisateur en retour ;
– dans le processus de retour d’information, l’utilisateur reçoit une information haptique, dite retour d’effort liée aux efforts déterminés dans l’environnement simulé. Le rendu haptique, qui correspond à la qualité de restitution des interactions avec les objets de la scène, est ainsi perçu par l’utilisateur. Il est toutefois courant de considérer simultanément d’autres retours sensoriels (par exemple visuels) durant cette phase, ce qui permet, par combinaison, d’induire des sensations de type pseudo-haptique [LAC03].
Nous proposons de décomposer un système à retour d’effort local en quatre modules, qui peuvent fonctionner d’une manière parallèle, par échange synchronisé de leurs données d’entrée/sortie respectives :
– une interface physique accompagnée d’une unité de contrôle de ses axes mécaniques ;
– un module qui assure la communication et le couplage entre le contrôleur de cette interface et le simulateur dynamique ;
– un logiciel de simulation physique temps-réel qui intègre les équations de la dynamique ainsi que les algorithmes de détection et traitement des collisions ;
– un système de visualisation qui affiche les objets calculés par le simulateur.
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Table des matières
Introduction
1 Interactions haptiques dans le cadre de la réalité virtuelle
1.1 Introduction
1.2 Enjeux de la RV pour la CAO
1.3 Interactions haptiques : problématiques
1.3.1 Notions de qualité de rendu
1.3.2 Architecture des interfaces haptiques
1.3.3 Couplage entre l’interface et le simulateur
1.4 Dissociation d’une tâche d’assemblage interactive
1.5 Conclusion sur l’état de l’art de l’haptique généralisée
2 Dynamique non régulière appliquée à l’haptique
2.1 Introduction
2.2 Etat de l’art du traitement des interactions dans les simulations haptiques
2.2.1 Détection des collisions
2.2.2 Détermination des efforts d’interaction
2.2.3 Modèles pénalisés
2.2.4 Exemples industriels basés sur le modèle pénalisé
2.2.5 Lois de contact
2.2.6 Modèles non réguliers (non-smooth dynamics)
2.2.7 Approche par événements (event-driven)
2.2.8 Approche temps-contrôlé (time-stepping)
2.2.9 Conclusion sur l’état de l’art des modèles de traitement des interactions haptiques
2.3 Contribution : intégration de la NSCD dans une simulation haptique
2.3.1 Conf&tis : plate-forme de simulation haptique par dynamique non régulière
2.3.2 Couplage avec une interface à retour d’effort
2.4 Conclusion
3 Guidage virtuel contraint pour l’assemblage d’objets CAO
3.1 Introduction
3.2 Etat de l’art des assemblages d’objets CAO en environnement RV
3.2.1 Exploitation des objets issus de CAO
3.2.2 Limites de la détection des collisions dans les simulations d’assemblage
3.2.3 La métaphore des guides virtuels
3.2.4 Conclusion sur les assemblages d’objets CAO en environnement virtuel
3.3 Contribution : guidage virtuel contraint pour l’assemblage d’objets CAO
3.3.1 Concept : considérer l’assemblage comme une combinaison de liaisons mécaniques
3.3.2 Guidage géométrique d’objets 3D par entités virtuelles conjuguées
3.3.3 Description des géométries de guidage
3.3.4 Interaction entre les géométries maillées des objets et les guides géométriques 3D
3.3.5 Interaction entre les représentations abstraites des objets et des guides géométriques 3D
3.3.6 Propositions sur l’utilisation des guides géométriques
3.3.7 Changement de mode de contrôle : activation du guidage contraint
3.4 Conclusion
4 Expériences et démonstrations de la phase exploratoire et de la phase d’assemblage
Conclusion