Propriétés des décharges inductives
Nous avons défini un plasma comme un mélange gazeux électriquement neutre d’ions, d’électrons et d’espèces neutres. Nous allons supposer dans cette partie que la densité d’ions négatifs est négligeable face à la densité d’électrons ne, de sorte que la condition de quasineutralité impose que la densité d’ions (positifs) soit égale à la densité d’électrons : ni~ ne. On distingue ensuite deux grandes familles de plasma :
– lorsque la proportion d’ions est grande face à la proportion d’espèces neutres, les interactions entre particules chargées sont dominantes dans le plasma, on parle alors de « plasmas chauds » (étoiles, fusion thermonucléaire) ;
– lorsque la proportion d’ions est faible face à la proportion de neutres, les interactions régissant le comportement des particules chargées se font principalement avec les espèces neutres. On parle alors de « plasma froids » (matière interstellaire, tubes fluorescents).
Les décharges inductives étudiées dans ce travail font partie de la famille des plasmas froids : la densité d’ions (et d’électrons) y est typiquement 100 à 10 000 fois plus faible que la densité de neutres ng. Elles sont entretenues à basse pression (entre 1 et 100 mTorr) par des champs électriques externes radiofréquences (RF, fréquence ~ 10 MHz). Dans le cas de ces sources plasmas à couplage inductif (ICP pour Inductively Coupled Plasma), la circulation d’un courant RF, IRF, dans une antenne (généralement placée à l’extérieur du plasma) induit un flux magnétique B variable dans l’enceinte, qui induit à son tour un champ électrique RF azimutal E dans le plasma (Fig. 1.1). Notons qu’en raison de l’importante différence de potentiel dans l’antenne RF (> 1000 V), une partie de la puissance est couplée au plasma de façon capacitive au travers la paroi diélectrique. Nous verrons au chapitre 4 une des conséquences de ce couplage parasite. La puissance RF ainsi fournie au plasma est préférentiellement absorbée par les électrons en raison de leur très faible inertie par rapport aux ions. Ce couplage entre particules chargées et champ électromagnétique est une manifestation du comportement collectif évoquée plus haut dans la définition d’un plasma. On peut en fait définir une pulsation plasma pour les électrons ωPe et une pour les ions ωPi d’un plasma, qui caractérisent leur aptitude à répondre aux variations de champ électrique, voir tableau 1.1. Pour les conditions typiquement rencontrées dans les ICP (ne ~ 1010 – 1011 cm-3), la fréquence plasma électronique (= ωPe / 2π) est très grande devant la fréquence plasma ionique, et la fréquence d’excitation RF (13,56 MHz) est telle que les électrons peuvent donc répondre instantanément aux variations de champ électrique alors que les ions ne répondent qu’à la valeur moyenne de ce champ. Les électrons gagnent donc de l’énergie dans les champs RF et ces électrons énergétiques vont entrer en collision avec les espèces neutres du plasma, et ainsi donner lieu à différents processus discutés dans le paragraphe 1.II (dont l’ionisation qui permet l’entretien de la décharge), avant d’être perdus sur les parois du réacteur. Toutefois, en raison de leur très faible masse, les électrons ne vont céder aux autres espèces du plasma qu’une petite partie de la puissance qu’ils ont absorbée, de sorte qu’à l’état stationnaire le plasma n’est pas à l’équilibre thermodynamique, et la température des électrons (Te) est très grande devant la température des ions (Ti) ou des neutres (Tg). La température électronique dans un ICP est typiquement de 3 eV, soit ~ 35 000 K (voir tableau 1.1), alors que Ti et Tg sont généralement inférieures à 1000 K (proche de la température des parois du réacteur), d’où l’appellation « plasma froids » (mais les plasmas « froids » ne sont pas tous hors d’équilibre thermodynamique ; exemple : les plasmas thermiques). Nous venons de faire implicitement l’amalgame entre la vitesse, l’énergie, et la température d’une espèce, ce qui repose en fait sur plusieurs hypothèses qui ne sont pas toujours vérifiées dans un plasma. En particulier, l’énergie d’une molécule est en fait répartie entre ses différents degrés de libertés (vibration, rotation et translation, c’est-à-dire sa vitesse) sans être nécessairement à l’équilibre (voir chapitre 2.III.2. et annexe A). De plus, par définition la notion de température ne peut être utilisée que pour des espèces dont la distribution de vitesse est isotrope et maxwellienne, ce qui n’est pas toujours vrai dans un plasma (chapitre 2.III.4 et chapitre 6). Nous ferons l’approximation dans la suite de ce manuscrit que la fonction de distribution en énergie des électrons f(E) est maxwellienne, c’està-dire que leur distribution de vitesse f(Vx) selon un axe x quelconque est une gaussienne (voir tableau 1.1). On peut alors définir une température électronique Te et ainsi une vitesse thermique moyenne des électrons e v (tableau 1.1). Le flux aléatoire d’électrons au travers une surface (nombre d’électrons par unité de surface et de temps) est alors : e e e Γ = .4/1 n .v . Si le plasma était au même potentiel que les parois du réacteur, le flux d’électrons perdu sur les parois serait donc bien plus grand que le flux d’ions perdu puisque les électrons sont beaucoup plus rapides ( e i v >> v ) ; ce qui va à l’encontre de la condition de neutralité d’un plasma. Par conséquent, le plasma se protège des parois du réacteur en formant une zone de charge d’espace positive, appelée gaine, au voisinage de toute surface en contact avec lui. Autrement dit, le plasma se porte à un potentiel VP supérieur à celui des parois (Vparois). L’épaisseur de cette gaine est au moins de l’ordre de la longueur de Debye λD (voir tableau 1.1) puisque par définition cette longueur est la distance nécessaire pour écranter le potentiel d’une charge électrique. Schématiquement, la chute de potentiel dans la gaine permet de confiner les électrons dans le plasma et d’accélérer les ions vers les parois de façon à égaliser les flux d’ions et d’électrons perdu sur les parois du réacteur (et respecter la condition de neutralité).
Réaction des espèces neutres
Une espèce neutre arrivant sur une surface exposée au plasma (parois du réacteur ou substrat) a une grande chance de simplement rebondir sur cette surface. Dans le cas contraire, elle est généralement tout d’abord physisorbée sur la surface, et elle peut diffuser librement. Au bout d’un certain temps, elle pourra quitter la surface (désorption) sans avoir réagi. Elle repart alors avec une distribution en énergie maxwellienne à la température des parois. La probabilité qu’une espèce incidente sur une surface en reparte sous la même forme (immédiatement ou après physisorption) est généralement notée 1-β ; β étant appelé « coefficient de collage » par abus de langage. Lorsque l’espèce ne désorbe pas, elle peut alors éventuellement rencontrer une autre espèce physisorbée sur la surface et réagir avec celle-ci pour former un produit volatil qui retourne en phase gazeuse. Il s’agit du mécanisme de recombinaison de LangmuirHinshelwood. Dans le cas de la recombinaison homogène du chlore atomique par exemple, ce mécanisme s’écrit : Cl(s) + Cl(s) Cl2(g). Ce mécanisme est à distinguer du mécanisme de recombinaison de Eley-Rideal dans lequel une espèce de la phase gazeuse réagit directement avec une espèce adsorbée pour former un produit volatil (Cl(s) + Cl(g) Cl2(g) par exemple). Dans les deux cas, la probabilité de la réaction de recombinaison dépend fortement du matériau constituant la surface puisqu’elle implique un état lié à la surface. Par exemple dans un plasma de Cl2 pur, la probabilité de recombinaison de Cl, c’est-à-dire en fait la nature chimique des parois du réacteur, a un rôle primordial sur la chimie du plasma (voir chapitre 5 et annexe D). L’espèce physisorbée peut également devenir chimisorbée si elle rencontre un site d’adsorption de la surface (atome en surface ayant une liaison pendante). A la différence de la physisorption, la chimisorption peut donc saturer une surface (une seule monocouche adsorbée). Ce n’est que lorsqu’une espèce est chimisorbée qu’elle peut graver la surface. Pour reprendre l’exemple de la gravure du silicium en chlore, on a donc en fait un processus multiétapes : Si + Cl(s) SiCl(s) ; SiCl(s) + Cl(s) SiCl2(s) … SiCl3(s) + Cl(s) SiCl4(s). Notons que les mêmes réactions peuvent se produire sur les parois du réacteur si une espèce SiCl3 par exemple s’y adsorbe (SiCl3(s) + Cl(s) SiCl4(s) SiCl4(g)). Les parois du réacteur sont donc également des zones de production d’espèces. Nous montrerons au chapitre 5 que cette production par les parois du réacteur se fait à un taux si important pendant la gravure de silicium en plasma de Cl2 que la composition du plasma est totalement différente d’une condition de parois à une autre. Enfin, une espèce chimisorbée peut également être précurseur à la formation d’un dépôt. Notons que tous ces mécanismes, dont la probabilité totale est donc β, sont activés thermiquement (voir par exemple [Kota-1998] pour les mécanismes de recombinaison du chlore atomique).
Le réacteur LAM
Le réacteur dénommé « LAM » est un réacteur de gravure plasma de Lam Research Corporation (LAM TCP 9400, pour des substrats de 200 mm de diamètre), similaire au réacteur DPS dans son fonctionnement. Il est décrit en détails par Ullal et al [Ullal-2002d]. La principale différence entre les deux réacteurs réside dans le fait que la forme de la LAM est plus proche d’un cylindre (38 cm de diamètre, 14 cm de hauteur) avec des parois en aluminium anodisé, et un toit plat en quartz (SiO2). Le plasma est excité à 13,56 MHz par une antenne planaire. En adaptant, entre autre, la puissance injectée au volume du réacteur (16 L pour la LAM contre 25 L pour la DPS), il nous a été possible d’obtenir des plasmas aux caractéristiques similaires dans les deux réacteurs, et ainsi d’effectuer des analyses complémentaires. Ce réacteur peut être équipé soit (cf chapitre 2.III):
– d’un spectromètre de masse et d’une sonde de flux ionique,
– de tables optiques et de deux tubes face à face (de 10 cm de long et 2 cm de diamètre) avec hublots en saphir aux extrémités pour des expériences de spectroscopie optique, en particulier de spectroscopie laser. La ligne de visée des tubes passe juste au dessus du substrat.
Etat des parois du réacteur après la gravure d’empilements de grille métallique
Jusqu’à présent, nous avons analysé les dépôts formés sur les parois du réacteur, ainsi que le meilleur moyen de les nettoyer, lorsque chaque matériau d’un empilement de grille métallique (Si, métal, oxyde de grille) est gravé séparément. Dans cette partie, nous étudions à partir d’un exemple comment évolue le dépôt sur les parois du réacteur pendant la gravure successive des différentes couches de l’empilement. Nous utilisons ici un empilement poly-Si (50 nm) / TiN (10 nm) / HfO2 (3,5 nm) sur lequel un masque dur SiO2 est déposé et des motifs de résine sont préparés par lithographie. Nous avons gravé l’empilement complet dans le même réacteur avec un échantillon flottant sur la plaque pour suivre la composition des parois du réacteur par XPS. La gravure de l’empilement jusqu’à la couche de métal est similaire au cas de la gravure d’un empilement de grille silicium qui est décrit dans l’annexe B [LeGouil-2007]. Les parois du réacteur sont donc couvertes d’une couche de type SiOxClyBrz à l’issu de la gravure du poly-Si (Fig. 3.5(b)). Les 10 nm de TiN sont ensuite gravés par un plasma de HBr/Cl2 (comme sur la Fig. C.1(c)) et la Fig. 3.5(c) montre l’analyse XPS des parois après ce procédé. La couche SiOxClyBrz n’a pratiquement pas été modifiée (mis à part que Cl a remplacé Br, comme évoqué auparavant), et une fine couche de titane a été déposée à sa surface. Enfin, le HfO2 est gravé par un plasma de BCl3 (comme sur la Fig. 3.4(b)), et le dépôt finalement formé sur les parois du réacteur est montré sur la Fig. 3.5(d). La contribution principale provient de la couche BOClx déposée sur les parois pendant la gravure du HfO2, mais on peut distinguer une faible contribution des atomes de Si (1,6 %) provenant de la couche SiOClx et des traces de Ti (0,9 %). Ces deux contributions sont faibles car les photoélectrons émis par les couches de SiOClx et de TiClx sont écrantés par la couche de BOClx. Cela montre qu’après un procédé de gravure complet les parois du réacteur sont couvertes d’un dépôt de type « composite » : les couches déposées par chacune des étapes du procédé s’accumulent et sont éventuellement mélangées les unes aux autres sous l’effet du bombardement ionique (même à faible énergie) et de la température des parois. Le procédé de nettoyage du réacteur doit donc être développé en conséquence. Nous avons vu qu’il était nécessaire d’utiliser un plasma à base de chlore pour retirer à la fois la couche de BOClx et les résidus d’hafnium. Par contre, ce type de plasma ne retire que très lentement les dépôts de type SiOClx. Il est donc nécessaire d’effectuer un nettoyage en deux étapes. Il est par exemple possible d’effectuer un premier nettoyage en plasma de Cl2, suivi d’un plasma de SF6/O2 pour nettoyer le titane restant et la couche SiOClx. La Fig. 3.5(e) montre qu’une telle stratégie permet effectivement de retirer le dépôt de la Fig. 3.5(d) et ainsi de restaurer des parois de réacteur propres (ou plutôt couvertes d’AlFx, nous discutons ce point plus loin).
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Table des matières
Chapitre 1. Introduction
1.I. La gravure plasma
1.I.1. Propriétés des décharges inductives
1.I.2. La gravure plasma dans un réacteur à couplage inductif
1.II. Physico-chimie des plasmas inductifs
1.II.1. Processus collisionnels en phase gazeuse
1.II.2. Réactions sur les surfaces
1.II.3. Transport vers les surfaces
1.III. Reproductibilité des procédés plasma
1.III.1. Les procédés de gravure par plasma en microélectronique
1.III.2. Contributions du présent travail
Chapitre 2. Techniques de diagnostic pour l’étude des interactions plasmaparois des réacteurs
2.I. Les réacteurs de gravure
2.I.1. Le réacteur DPS
2.I.2. Le réacteur LAM
2.I.3. Le réacteur DPS II
2.II. Les diagnostics des surfaces et parois du réacteur
2.II.1. La spectroscopie de photoélectron X
2.II.2. La technique de l’échantillon flottant
2.II.3. Autres diagnostics de surface
2.III. Les diagnostics de la phase gazeuse
2.III.1. La spectrométrie de masse
2.III.2. L’absorption UV large bande
2.III.3. L’absorption résonante
2.III.4. La spectroscopie laser
Chapitre 3. Analyse des dépôts formés sur les parois du réacteur
3.I. Analyse des dépôts formés sur les parois du réacteur
3.I.1. Gravure du silicium
3.I.2. Gravure du métal
3.I.3. Gravure du HfO2
3.II. Mécanisme de formation des dépôts sur les parois du réacteur
3.III. Nettoyage du réacteur après la gravure d’empilements de grille métallique
3.III.1. Etat des parois du réacteur après la gravure d’empilements de grille métallique
3.III.2. Stratégie de nettoyage par plasma du réacteur
Chapitre 4. Une limitation à la reproductibilité : la formation d’AlFx
4.I. Description du problème
4.I.1. Impact des nettoyages périodiques du réacteur en chimie fluorée
4.I.2. Origine des dépôts AlFx
4.I.3. Conséquence sur la reproductibilité des procédés
4.II. Réduire la formation d’AlFx
4.III. Eliminer l’Al2O3 des réacteurs
4.III.1. Matériaux céramiques
4.III.2. Matériaux polymères
4.IV. Nettoyer les dépôts d’AlFx
4.IV.1 Nettoyage à base de BCl3
4.IV.2. Nettoyage à base de SiCl4
4.V. Synthèse
Chapitre 5. Le conditionnement des parois du réacteur avec du carbone
5.I. Principe
5.II. Validation de la stratégie
5.II.1. Reproductibilité
5.II.2. Protection des parois
5.III. Impact sur la physico-chimie des plasmas chlorés
5.III.1. Mécanismes de perte du chlore atomique sur les parois
5.III.2. Oxygène et cycle de vie des produits de gravure dans le plasma
5.III.3. Flux d’ions sur les surfaces exposées au plasma
5.III.4. Résumé
5.IV. Impact sur les procédés de gravure
5.IV.1. Impact sur la vitesse de gravure du silicium
5.IV.2. Impact sur la sélectivité vis-à-vis de l’oxyde de grille
5.IV.3. Impact sur la passivation des flancs de grille
5.IV.4. Impact sur le contrôle dimensionnel des grilles métalliques
5.IV.5. Impact sur la gravure d’oxyde de grille HfO2
5.IV.6. Impact sur la contamination métallique des substrats
5.V. Synthèse
Chapitre 6. Pulvérisation de l’aluminium
6.I. Fonction de distribution de vitesse des atomes pulvérisés
6.II. Rendement de pulvérisation
6.III. Thermalisation des atomes pulvérisés
6.III.1. Fonctions de distribution de vitesse à haute pression
6.III.2. Processus de thermalisation
6.IV. Synthèse
Conclusion générale
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