Interactions d’utilisateurs et méta-communalisation d’avatars

Un univers, plusieurs espaces

   Précisons que toutes les soirées de raid ne sont pas aussi animées que celle-ci (loin s’en faut). Néanmoins, elle présente l’avantage de nous proposer un condensé de la complexité inhérente à ce type d’environnements. Celle que nous avons tenté de mettre en avant dans cet extrait tient à la superposition des canaux de communication usités par les utilisateurs dans le cours de leur expérience de ce monde. Or, la particularité d’un environnement tel que World of Warcraft est que ces canaux renvoient à des espaces différents. Les individus peuvent tantôt s’adresser aux avatars des autres utilisateurs, tantôt s’adresser directement aux utilisateurs, ils peuvent communiquer uniquement à travers leur avatar (de manière scripturale) ou en utilisant leurs organes d’utilisateur (la voix). La typographie et les changements de police du prologue avaient pour objectif d’appuyer sur les différents espaces pouvant être mobilisés lorsqu’un individu se connecte à un univers comme celui de World of Warcraft, nous pouvons en distinguer trois principaux :
1. L’espace rassemblant l’ensemble des éléments qui ont lieu dans le cadre de cet environnement et qui ne mobilisent pas d’autres dispositifs
2. L’espace dont les éléments proviennent d’un dispositif externe à World of Warcraft mais qui permettent aux individus d’échanger à propos de ce monde (en orange lorsque la communication est écrite entre deux avatars, en bleu lorsque la communication est dirigée à toute la guilde et en noir lorsqu’elle est orale).
3. L’espace concernant les éléments externes à World of Warcraft et ayant, tout de même, un impact sur le déroulement de l’expérience vécue par les utilisateurs.
Au cours de la restitution précédente nous pouvons voir que les espaces ne sont pas hermétiques mais qu’ils s’enchaînent, se juxtaposent et communiquent entre eux. Le point d’orgue de cette dynamique étant atteint lorsqu’un retour réflexif sur le cours de l’action nous fait penser qu’il est nécessaire de garder notre calme pour ne pas perturber les personnes se trouvant autour de nous. Remarquons d’ailleurs que ces dernières, présentent la particularité de ne pas être incluses dans ce cours d’action, elles n’ont donc pas conscience du fait que nous soyons en train de poursuivre une discussion animée. La réciproque est également vraie : les avatars avec lesquels nous échangeons n’ont aucun moyen de savoir que des membres de notre famille dorment non loin et que notre communication est affectée par cela. De la même manière qu’il est possible que leur communication soit affectée par des éléments propres à leur entourage desquels nous n’avons pas connaissance ni conscience. La complexité de cette situation prend une ampleur supplémentaire quand nous considèrons que, pendant tout le temps du déroulement de cette pensée réflexive, nous avons continué à interagir avec l’autre groupe d’avatars – Le Peuple des Barrens – qui n’avait pas conscience du fait que nous menions une conversation avec un avatar provenant d’un autre groupe. Nous pouvons également citer, comme autre exemple de cette complexité, l’injonction de Pattecourte à « nous expliquer sur un autre chanel » qui ressemble étrangement à l’injonction de « laver son linge sale ailleurs » mais, dans un espace numérique – et donc caractérisé par son immatérialité – où se trouve cet « ailleurs » ? La complexité provient donc à la fois de la superposition et de l’enchainement des espaces mais aussi de l’ambiguïté de la relation qu’ils entretiennent ; ils oscillent constamment entre échange réciproque et ignorance mutuelle. Or, il nous semble nécessaire de rappeler que cette perception des espaces produits par un jeu vidéo comme une pluralité d’espaces complexes n’est pas la conception la plus communément partagée. LCI le démontrait encore récemment en titrant son édition matinale du 7 août 2019 : « Violence : le virtuel devient-il réalité ? ». Cette Une faisait suite aux déclarations de Donald Trump accusant la violence (re)présent(é)e dans les jeux vidéo d’être coresponsable des tueries de masse perpétrées à El Paso et à Dayton (le 3 août 2019). Cet énoncé, somme toute, relativement banal et régulièrement proposé dès qu’un acte de violence semble gratuit, est en fait le résultat de deux présupposés forts :
1. Il existe un « virtuel » et un « réel ».
2. Hormis dans un cadre pathologique, il est aisé de les différencier.
Cela est, en fait, l’affirmation du sens commun ou, si nous reprenons le vocabulaire durkheimien, de « prénotions » (Durkheim, 2010). Il s’agit de considérer comme « vraies » des croyances n’ayant pas fait l’objet d’un processus de recherche scientifique, d’objectivation. Depuis leurs prémices, les jeux vidéo sont avant tout considérés comme des jeux (Kent, 2001; Zeid, 2017), c’est-à-dire, une activité non-sérieuse et ne devant avoir d’autre finalité que le divertissement. Le jeu s’oppose donc, par nature, aux autres activités disposant d’une finalité propre (Caillois, 1992; Huizinga, 1988).

Blizzard Entertainment, créateur de mondes

   World of Warcraft a été créé et mis à jour par le studio de production californien Blizzard Entertainment. Ce dernier est fondé en 1991 sous le nom de Sillicon & Synpase par Michael « Mike » Morhaime (actuel président), Frank Pearce (actuel vice-président) et Allen Adham (ayant quitté la société en 2004). Au cours de ses premières années d’activité le studio profite du nouvel essor du jeu vidéo, après le krach de 1984, en effectuant principalement des portages de jeux. Si entre 1992 et 1994 le studio produit tout de même deux titres à part entière, Rock’n’Roll Racing et The Lost Viking, ce n’est qu’à partir de 1994 que le studio arrête définitivement le portage pour ne se consacrer qu’à la production. En retraçant l’histoire de cette compagnie, il apparaît que 1994 est une année centrale, dans la mesure où, Davidson & Associates, rachète le studio pour la somme de 6,7 millions de dollars et le renomme Blizzard Entertainment. Mais c’est aussi et surtout, l’année de sortie du titre qui marquera le début de l’ascension du studio : Warcraft : Orcs & Humans. Deux autres dates sont particulièrement importantes pour le studio aujourd’hui installé à Irvine : la production de World of Warcraft en 2004 et la fusion en 2008 de la compagnie avec l’un des trois plus importants « third party» du marché du jeu vidéo : Activision. C’est de cette fusion que naît le nom actuel du studio : Activision Blizzard. Les trois fondateurs du studio investirent dix mille dollars chacun et c’est une équipe de 25 personnes qui produisit le premier volet de la série Warcraft. Aujourd’hui la compagnie emploie près de 4700 personnes sur tous les continents et atteint les 2, 4 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2016. Nous pouvons émettre l’hypothèse que cette rapide  évolution en moins de 30 ans est due à la politique du studio qui consiste depuis ses débuts, à ne pas produire plusieurs titres par an, comme le voudrait la règle du « nobody knows » (Guibert, Rebillard, & Rochelandet, 2016) des industries culturelles mais mise sur la mise sur le marché de titres finement achevés selon des contraintes qualitatives plutôt que calendaires, suivant leur règle du « done when it’s done ». Les efforts focalisés sur la qualité ont valu au studio de se forger une réputation solide auprès d’un public fidèle ainsi qu’auprès de la presse spécialisée. C’est en se reposant sur cette renommée qu’Activision Blizzard s’autorise à garder longtemps des projets en développement, voire de les annuler après des années d’attente si le résultat ne leur semble pas être à la hauteur. Ce mélange entre frustration et attente du prochain titre semble se ressentir lors des annonces organisées avec faste par le studio devant un parterre de joueurs en pleine effervescence. Ainsi, Warcraft III, était loin d’être le seul jeu de stratégie en temps réel disponible sur le marché au début des années 2000, mais il introduisait et se développait autour de trois particularités :
– Une histoire médiévale-fantastique dense et développée au cours de plusieurs opus (cf. section 2.2).
– L’ajout de « héros », des unités uniques, ayant un rôle prépondérant dans le déroulement du récit et jouables par l’utilisateur.
– L’ajout d’un client, nommé « Battle Net », permettant de jouer en ligne.
Bien que cette fonctionnalité ne soit pas exceptionnelle au début des années 2000, Warcraft III offre une autre dimension aux parties en ligne en mettant à disposition des utilisateurs un éditeur de cartes leur permettant d’imaginer et de créer les parties qu’ils désirent. En contribuant au succès commercial de Warcraft III ces éléments facilitèrent aussi celui de World of Warcraft en consolidant l’image de la série. Notons que deux autres éléments permettent de saisir la réussite du MMORPG de Blizzard.
– L’implémentation d’équipes sur chaque continent afin de pouvoir proposer des mises à jour de manière quasi simultanée dans tous les pays où leur production est disponible.
Actuellement, le délai entre le déploiement d’une mise à jour aux Etats Unis d’Amérique et en Europe est d’une journée, le patch9 est disponible le mardi aux USA et le mercredi en Europe.
– La création et l’entretien de ces équipes locales est possible grâce au modèle économique adopté pour World of Warcraft : l’abonnement. Car, si le logiciel permettant d’accéder au monde persistant reste dans la moyenne basse des prix du marché du jeu vidéo (44,99€ pour la dernière extension en date auxquels il faut ajouter 14,99€ supplémentaires pour un « pack » comprenant le jeu de base ainsi que toutes les extensions précédentes)10 il n’est pas suffisant pour pouvoir s’y connecter. Pour pouvoir arpenter le monde d’Azeroth (cf. paragraphe suivant) l’utilisateur doit s’acquitter d’un abonnement mensuel dont le prix varie entre 11€ et 15€ en fonction de la durée de l’abonnement.

Les affrontements, une dynamique au cœur de World of Warcraft

   Trois éléments permettent d’expliciter la place prépondérante occupée par les combats au sein de World of Warcraft. Premièrement, le système d’évolution des avatars est basé, comme nous l’avons évoqué, sur l’accumulation de points d’expérience permettant de gagner des niveaux. Or, s’il est vrai qu’explorer le monde et amasser des matières premières (plantes, minerais, etc.) permet d’accumuler quelques points d’expérience, une fois les premiers niveaux dépassés, la quantité d’expérience requise pour atteindre le niveau suivant devient si importante que ces activités d’exploration et de collecte deviennent insuffisantes. La principale ressource de points d’expérience dans World of Warcraft reste la réalisation de quêtes. Ces quêtes sont des missions proposées par des Personnages Non-Joueurs (PNJ), c’est-à-dire, des personnages simulés par l’ordinateur. Bien qu’insérées dans une narration souvent en rapport avec la zone dans laquelle se trouve l’avatar, les quêtes tournent en réalité autour d’objectifs simples : rechercher telle personne, sauver telle autre, ramasser tant de plantes ou, plus communément, tuer tant de loups, d’orcs ou d’autres créatures. Ainsi, si l’accomplissement de ces quêtes apporte un montant d’expérience conséquent, vaincre des créatures non-joueurs en apporte presque autant, ce qui place, de fait, les combats au cœur de World of Warcraft. Deuxièmement, l’interface du jeu est construite autour de ces combats dans la mesure où la plupart des informations affichées à l’écran permettent d’appréhender ces derniers que ce soit à travers les points de vie de son avatar, de son adversaire ou des différentes techniques pouvant être utilisées pour le vaincre. De plus, l’affichage dans l’interface du jeu de la plupart des autres aspects de cet univers (l’exploration, l’artisanat, etc.) n’est pas automatique et demande un certain nombre de manipulations de la part de l’utilisateur. Troisièmement, il existe quantité d’outils permettant de mesurer, de comparer, de simuler et d’optimiser les performances de son avatar en combat. Ces outils, bien qu’étant constitués à partir de données récoltées dans le monde numérique, sont le produit du travail d’utilisateurs extérieurs aux employés de Blizzard Entertainment. Nous pouvons classer ces outils en deux groupes. D’une part, les addons, des sortes de petits logiciels qui s’intègrent directement dans le jeu. Ils permettent la plupart du temps d’avoir des informations complémentaires sur le combat qui est en train de se dérouler, comme le montant de dégâts infligés par seconde (DPS23), les soins prodigués par seconde, les techniques lancées par une créature non-joueur qui ont mené à la mort d’un avatar ou le nombre de points de dégâts subis par les tank. Certains addons permettent aussi une lecture simplifiée du combat en train de se dérouler, notamment en indiquant avec précision l’ensemble et l’ordre dans lequel les boss vont utiliser leurs différentes compétences. Précisons que tous les addons ne concernent pas la visualisation et l’analyse de données issues des combats de son avatar. Il en existe aussi dont l’objectif est de modifier l’apparence de l’interface de jeu, d’afficher des informations complémentaires ou d’optimiser la vente de ses objets en suivant le cours de vente sur son serveur. D’autre part, un certain nombre de ces outils se trouve en dehors des strictes frontières du monde numérique de World of Warcraft puisqu’il s’agit de sites ou de logiciels externes au jeu. Si les guides et autres conseils et astuces présents sur ces sites restent un contenu classique pour des sites spécialisés autour d’un jeu ils sont aussi le fer de lance du theorycrafting qui est « the discovery of the rules that can not be determined through play. WoW came with almost no documentation, and while Blizzard employees sometimes answered questions on official forums, in general the absence of documentation left many juicy problems for theorycrafters to solve » définir les caractéristiques les plus bénéfiques pour l’avatar et donc l’aider à choisir parmi toutes les pièces d’équipement qu’il possède et l’orienter vers celles qu’il devrait chercher à obtenir pour devenir plus puissant. Notons que si le theorycraft s’applique à tous les rôles, c’est pour les distances et les CaC que cet aspect est le plus développé, car il est plus facile de simuler les cycles qu’ils doivent suivre que les nombreux paramètres auxquels font face les tanks et les soigneurs (comme la taille du groupe, le nombre d’ennemis, les dégâts subis par le groupe, etc.). Rappelons néanmoins, comme d’autres chercheurs ayant travaillé sur les MMORPG (Castronova, 2005; Nardi, 2010; Taylor, 2003), qu’il serait erroné de déduire à partir de la place prépondérante occupée par les combats que World of Warcraft est un univers violent, comme peuvent l’être des jeux de tir ou des survival horror. Si violence il y a, elle se situe davantage sur un plan symbolique que réaliste. Car les graphismes de type « cartoon » de l’univers rendent les créatures grotesques et l’absence totale de sang ou viscères, ainsi que le fait que la seule pénalité à la mort d’un avatar soit d’avoir à parcourir le chemin depuis le cimetière le plus proche jusqu’à son corps, ont pour effet de d’aseptiser ce monde fantastique. En fait, le seul élément visuel indiquant qu’un personnage ait subi une attaque est l’apparition d’un chiffre rouge indiquant le montant de points de vie qu’il a perdu et, si le chiffre est vert, cela indique qu’un soigneur lui a rendu des points de vie. World of Warcraft est donc un univers héroïque où les guerres font rage et les actes valeureux au combat sont nombreux mais où la mort n’est jamais salissante et toujours fugace, signe d’un échec passager ne demandant qu’à être dépassé.

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Table des matières

Introduction générale
Partie 1. Présentation du terrain et état de l’Art
Chapitre 1. Présentation et description du terrain
Chapitre 2. Des mondes virtuels aux espaces numériques
Chapitre 3. L’avatar
Partie 2. Cadre théorique, problématique et méthodologie
Chapitre 4. L’ordre de l’interaction
Chapitre 5. Problématique et méthodologie
Chapitre 6. Approche du terrain, typologie et méthodes d’analyse des données
Partie 3. Résultats, discussions et perspectives
Chapitre 7. La communication médiatée par avatar
Chapitre 8. Un besoin d’IRL ?
Chapitre 9. Limites et perspectives
Conclusion générale
Bibliographie

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