Dans l’immense majorité des cas, les matériaux polymères soumis à des rayonnements ionisants sont irradiés en présence d’air et donc d’oxygène. Ils subissent alors un processus de modification appelé radio-oxydation. C’est clairement les problèmes posés dans l’industrie électronucléaire qui sont à l’origine de notre intérêt pour la radio-oxydation. Mais les problèmes soulevés par la radio-oxydation sont souvent très proches de ceux qui se posent dans le vieillissement des polymères exposés à l’air et à la température (vieillissement thermique) et/ou à la lumière (photo-dégradation). Tout progrès dans une de ces disciplines bénéficie aux autres.
L’industrie électronucléaire fait appel à de nombreux polymères. Ils peuvent être utilisés pour des fonctions d’étanchéité dynamique (joints), statique (revêtement de peinture), d’isolation électrique (gaine interne des câbles) ou de tenue mécanique (gaine externe des câbles). Dans des conditions normales de fonctionnement, les câbles sont exposés durant plusieurs dizaines d’années à des rayonnements de type γ. La radio-oxydation est un phénomène limitant la durée des matériaux polymères sous rayonnement ionisant. Il est donc nécessaire de faire des prédictions à long terme qui supposent d’effectuer des essais accélérés et de disposer de modèles cinétique capables de prédire de manière fiable l’effet du débit de dose.
La radio-oxydation des polymères
Interaction rayonnements ionisants – matière
Un rayonnement est défini comme un mode de propagation de l’énergie dans l’espace vide ou matériel. Les particules le composant peuvent être chargées (ions, électrons) ou pas (neutrons, photons X, γ). Elles sont de nature corpusculaire (ions, électrons, neutrons) ou bien électromagnétique (photons). Les mécanismes d’interaction avec le matériau cible (en opposition aux projectiles incidents constituant le rayonnement) dépendent essentiellement de l’énergie et de la nature du projectile. Dans tous les cas de figures, lorsque le projectile pénètre dans le matériau, il va interagir soit avec les noyaux, soit avec le cortège électronique des atomes constituant la cible. En général, un des deux modes de perte d’énergie sera prépondérant.
Les rayonnements sont dits ionisants lorsqu’ils sont suffisamment énergétiques pour provoquer l’ionisation des atomes de la cible sur leur passage dans le matériau. A ce titre, les photons UV ne sont pas des rayonnements ionisants puisqu’ils n’induisent que des excitations : il s’agit alors du domaine de la photochimie. Selon J. FOOS [1], les rayonnements sont ionisants à partir d’un certain seuil fixé à 12,4 eV. Les ions et les électrons accélérés utilisés dans cette thèse sont des rayonnements ionisants de haute énergie (140 MeV pour les ions et 1 MeV pour les électrons).
Que ce soit dans le cas des ions ou des électrons, le projectile perd de l’énergie, après avoir pénétré dans le matériau cible, suivant deux mécanismes principaux. Les collisions sont dites élastiques lorsque le projectile rencontre les noyaux des atomes de la cible (collisions nucléaires) : l’énergie cinétique totale est conservée et la trajectoire du projectile peut être modifiée. Les excitations électroniques, quant à elles, résultent de collisions inélastiques entre le projectile et les électrons de la cible : les partenaires de collisions sont alors ionisés et/ou excités. Le pouvoir d’arrêt du projectile est alors une donnée incontournable pour quantifier le dépôt d’énergie dans le matériau. Cette notion de pouvoir d’arrêt va être développée dans un premier temps. L’interaction des ions, des électrons puis des photons avec la matière sera ensuite abordée. Enfin, quelques comparaisons seront faites en terme de pouvoir d’arrêt pour ces différents rayonnements.
Le dépôt d’énergie
Le pouvoir d’arrêt
Le pouvoir d’arrêt représente la quantité d’énergie perdue par le projectile incident par unité de longueur parcourue dans le matériau cible considéré. Les considérations suivantes [2] sont générales dans le sens où elles peuvent s’appliquer, d’une part, à toute particule perdant de l’énergie en interagissant avec la matière par une succession de collisions binaires, et d’autre part, à des collisions élastiques et inélastiques.
Distribution des excitations-ionisations induits par le passage d’ions lourds
Dans le domaine de vitesses des ions utilisés dans cette thèse, l’essentiel de la perte d’énergie se produit par collisions inélastiques entre l’ion incident et le cortège électronique des atomes de la cible. Il y a alors deux types d’ionisations. Les ionisations primaires résultent de l’éjection d’électrons de la cible par l’ion incident. Si ces électrons éjectés sont suffisamment énergétiques, ils provoquent des ionisations secondaires sur leur parcours dans le matériau. Les ions ont une masse très largement supérieure à celle des électrons avec lesquels ils interagissent dans la cible. La perte d’énergie suite à une collision avec ces électrons est donc faible. Ainsi, l’ion lourd subit un freinage progressif et continu lors de son parcours dans le matériau. L’écart entre les masses des deux partenaires de la collision induit également très peu de transfert de moment. C’est pourquoi les ions sont très peu déviés et que leur trajectoire peut être considérée linéaire.
Les ions lourds ont la particularité de posséder un très fort pouvoir d’arrêt électronique. Ils génèrent ainsi le long de leur parcours une importante densité d’ionisations. Les électrons secondaires vont alors déposer de l’énergie tout le long du parcours de l’ion dans le matériau. Le dépôt d’énergie est donc radial autour de ce parcours. Leur trajectoire étant linéaire, leur passage induit une zone cylindrique dont la géométrie est anisotrope. Cette zone se compose, d’une part, du cœur et, d’autre part, du halo (ou pénombre). Le rayon du cœur varie avec l’énergie de l’ion incident ; il est de l’ordre du nanomètre tandis que le halo peut s’étendre jusqu’à une distance de l’ordre de 2 µm pour des ions d’énergie 10 MeV.A⁻¹. Le dépôt d’énergie dû aux électrons secondaires varie de façon inversement proportionnelle au carré de la distance à la trajectoire de l’ion. Des calculs [11] (cf. figure I-2), pour deux ions différents soufre et oxygène de pouvoir d’arrêt 11,2 et 13,6 MeV.A⁻¹ respectivement, montrent que la moitié de la dose totale est déposée dans un rayon de 10 nm seulement. L’autre moitié est déposée par les électrons secondaires les plus rapides qui parviennent à atteindre des distances radiales de l’ordre de 10 µm.
Il faut donc retenir que le dépôt d’énergie de l’ion dans la cible est réparti spatialement de manière très hétérogène.
Le pouvoir d’arrêt électronique est une valeur moyenne de l’énergie déposée dans le matériau par unité de longueur. Ce n’est pas un paramètre suffisant pour décrire l’interaction ion-matière. La vitesse de l’ion incident et son état de charge sont des paramètres indispensables pour caractériser le dépôt d’énergie de l’ion incident. En effet, il est possible d’obtenir le même pouvoir d’arrêt pour un même ion en ajustant le couple de paramètres précédents. Des simulations Monte-Carlo , pour des ions krypton possédant le même pouvoir d’arrêt (4 keV.nm-1) bien que possédant des états de charge différents et des vitesses très différentes, montrent une différence significative concernant l’extension radiale du dépôt d’énergie. Dans le cas des ions les plus rapides, l’énergie transférée aux électrons éjectés dits secondaires est plus importante et leur parcours est donc plus long. Ainsi, pour une même dose déposée, la densité d’ionisation peut être très différente autour de la trace pour des ions présentant un pouvoir d’arrêt électronique identique.
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Table des matières
INTRODUCTION
A – Interaction rayonnements ionisants – matière
1 – Le dépôt d’énergie
a – Le pouvoir d’arrêt
b – Flux et fluence
c – La dose D et le débit de dose I
d – Parcours des ions dans la matière
e – Rendement radiochimique
2 – Interaction Ions Lourds – Matière
a – Expressions du pouvoir d’arrêt électronique en fonction de la vitesse de l’ion incident
a.1 – Domaine des hautes vitesses
a.2 – Domaine des vitesses intermédiaires
a.3 – Domaine des basses vitesses
b – Distribution des excitations-ionisations induits par le passage d’ions lourds
3 – Interaction Electrons – Matière
a – Collisions inélastiques avec les électrons d’atomes de la cible
b – Collisions nucléaires
c – Rayonnement de freinage (Bremsstrahlung)
d – Rayonnement Cerenkov
4 – Interaction Photons – Matière
a – L’effet photoélectrique
b – L’effet Compton
c – Production de paires électron-positon
d – Conclusion
5 – Ordres de grandeur des pouvoirs d’arrêt
B – Cinétique de radio-oxydation
1 – Création des radicaux
2 – La radio-oxydation des polymères
a – Etat stationnaire
a.1 – Solution numérique pour les valeurs au stationnaire
a.2 – Frontière entre le régime P°+P° et P°+POO° : frontière « basse » [O2]b
a.3 – Frontière entre le régime P°+POO° et POO°+POO° : frontière « haute » [O2]h
a.4 – Domaine de prépondérance des différentes réactions de terminaison en fonction de [O2] et ri
(i) – Frontière entre les domaines de prépondérance des réactions P°+P° et P°+POO°
(ii) – Frontière entre les domaines de prépondérance des réactions P°+POO° et POO°+POO°
(iii) – Diagramme de prépondérance des réactions de recombinaison
a.5 – Les trois régimes prépondérants de recombinaison bimoléculaire en fonction de P(O2)
(i) – Domaine des pressions P(O2) élevées
(ii) – Domaine des pressions P(O2) « intermédiaires »
(iii) – Domaine des pressions P(O2) basses
(iv) – Récapitulatif des expressions de α et β en fonction de la pression P(O2)
(v) – Commentaires sur la validité des « droites de Decker et Mayo »
a.6 – Longueur de chaîne cinétique
b – Evolution temporelle des concentrations des radicaux
b.1 – Approche du stationnaire
b.2 – Arrêts de flux
c – Hétérogénéité de l’oxydation
C – Effet physique du débit de dose
1 – Contexte du problème
a – Les variables réduites
2 – Résolution de l’équation différentielle
3 – Calcul de la fonction v(u)
4 – Représentation des profils u(X) et v(X)
5 – Calcul du rendement de consommation d’oxygène dans le cas d’un profil d’oxydation
D – Produits d’oxydation
1 – Les hydroperoxydes
2 – Les cétones
3 – Les alcools
4 – Les acides carboxyliques
5 – Les esters
6 – Le dioxyde de carbone
7 – Le monoxyde de carbone
8 – L’eau
9 – L’oxygène
10 – Modifications au niveau macromoléculaire et des propriétés du matériau
E – La mesure de la radio-oxydation
1 – Mesure par Résonance Paramagnétique Electronique
2 – Mesure des rendements de production de produits d’oxydation et de la vitesse de consommation d’oxygène
a – Dosage des produits d’oxydation incorporés dans le polymère
a.1 – Effet de la dose sur le rendement de formation des produits d’oxydation
a.2 – Effet de la pression P(O2) sur le rendement de formation des produits d’oxydation
a.3 – Effet du débit de dose sur le rendement de formation des produits d’oxydation
a.4 – Estimation de la consommation d’oxygène à partir du dosage des produits oxydés
b – Mesure de la vitesse de consommation d’oxygène
c – Formation de gaz
F – Conclusion
CONCLUSION