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LA POSSIBILITร DโASSURER UN CIBLAGE
Si les NPs ont รฉtรฉ tant รฉtudiรฉes, cโest aussi parce quโelles permettent a priori un ciblage des tumeurs. Deux stratรฉgies peuvent รชtre utilisรฉes : le ciblage passif, qui exploite les dรฉfauts structurels intrinsรจques des tumeurs, et le ciblage actif, qui met en jeu des mรฉcanismes de reconnaissance molรฉculaire entre cellules et nanovecteurs.
Le ciblage passif repose sur une permรฉabilitรฉ et une rรฉtention accrue des NPs dans les tumeurs, ce quโon appelle effet EPR (Enhanced Permeation and Retention). Les parois des vaisseaux sanguins tumoraux sont en effet caractรฉrisรฉes par une structure moins jointive, avec des espaces entre les cellules endothรฉliales qui permettent aux NPs de passer pour atteindre la tumeur. La taille des NPs est ici un critรจre important puisquโil a รฉtรฉ montrรฉ que ce phรฉnomรจne de transport ร travers les parois des vaisseaux sanguins, appelรฉ extravasation, รฉtait favorisรฉ pour les petites NPs.19 En outre, les tumeurs possรจdent un systรจme lymphatique dรฉfaillant, ce qui limite lโรฉvacuation des NPs. La combinaison des deux effets entraรฎne ainsi lโaccumulation des NPs dans les tumeurs.20 Une schรฉmatisation de lโensemble de lโeffet EPR est prรฉsentรฉe sur la Figure I.1.
Figure I.1 – Schรฉmatisation de l’effet EPR 21
Depuis sa mise en รฉvidence, lโeffet EPR a constituรฉ lโun des principaux arguments pour le dรฉveloppement de NPs dans le cadre du cancer. Sโil a รฉtรฉ dรฉmontrรฉ ร de nombreuses reprises chez le petit animal, son application ร lโhomme est cependant remise en question depuis quelques annรฉes.20,21 La raison principalement invoquรฉe est le caractรจre faiblement reprรฉsentatif du modรจle de tumeur murine par rapport ร la tumeur humaine, en particulier en termes de vitesse de dรฉveloppement, ratio massique tumeur/corps, taux mรฉtaboliques et durรฉe de vie de lโhรดte. Des diffรฉrences ont รฉgalement รฉtรฉ observรฉes au niveau du microenvironnement tumoral, avec notamment lโidentification dans la tumeur humaine de rรฉgions hypoxiques et dโune pression de fluide interstitiel plus รฉlevรฉe.21 Lโextension de lโeffet EPR ร lโhomme est donc ร considรฉrer avec prรฉcaution.
Plutรดt que de se reposer sur lโeffet EPR, certaines รฉtudes ont choisi un ciblage actif de leurs NPs, en ajoutant sur leur surface des ligands spรฉcifiques de rรฉcepteurs situรฉs sur les cellules visรฉes.10 Les ligands utilisรฉs sont de nature variรฉe : petites molรฉcules, peptides, anticorps, acides nuclรฉiques.9 Cependant, certaines รฉtudes ont montrรฉ que la prรฉsence de ces ligands amรฉliorait lโinternalisation cellulaire des NPs mais nโaffectait pas leur localisation dans la tumeur.22 Salvati et al. ont รฉgalement mis en รฉvidence la perte des propriรฉtรฉs de ciblage de leurs NPs fonctionnalisรฉes aprรจs exposition ร des protรฉines, ร cause de lโadsorption de celles-ci sur la surface des NPs.23 De maniรจre gรฉnรฉrale, cette approche reste en outre limitรฉe par lโhรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉ des tumeurs, puisque la majoritรฉ des systรจmes dรฉveloppรฉs ne cible quโun rรฉcepteur.
Lโefficacitรฉ des NPs pour assurer le ciblage des tumeurs, bien que prometteuse, est ainsi sujette ร dรฉbats. Le faible nombre de nanomรฉdicaments mis sur le marchรฉ tรฉmoigne des difficultรฉs rencontrรฉes dans le transfert vers la clinique24 et souligne lโimportance de dรฉvelopper des modรจles in vitro et in vivo pertinents pour anticiper les comportements des NPs. Lโutilisation de NPs dont la biodistribution pourrait รชtre suivie in vivo serait รฉgalement un avantage pour sโassurer de leur ciblage.25
PROPRIรTรS RECHERCHรES
Lโรฉcart observรฉ entre le potentiel des NPs en oncologie et leur faible utilisation en clinique sโexplique en grande partie par la multitude de barriรจres biologiques auxquelles elles doivent faire face, une fois administrรฉes au patient, et qui ont pour consรฉquence de limiter leur efficacitรฉ. Lโanticipation du comportement des NPs in vivo est donc complexe. Nous allons tenter de dresser ici une liste non exhaustive des diffรฉrentes propriรฉtรฉs recherchรฉes pour les NPs, en lien avec les obstacles rencontrรฉs. Les paragraphes sont organisรฉs de maniรจre sรฉquentielle, pour suivre les NPs depuis leur administration jusquโร leur arrivรฉe au site dโintรฉrรชt. On se place ici dans le cadre dโune injection intraveineuse, qui est la mรฉthode dโadministration la plus courante.
Stabilitรฉ en milieu biologique
La premiรจre propriรฉtรฉ que les NPs ร visรฉe mรฉdicale doivent possรฉder est une bonne stabilitรฉ en milieu biologique. Des phรฉnomรจnes dโagrรฉgation, voire de prรฉcipitation, sont en effet souvent observรฉs au contact dโenvironnements contenant de fortes concentrations en sels et/ou biomolรฉcules.26 Les propriรฉtรฉs physico-chimiques dรฉterminรฉes auparavant se trouvent alors modifiรฉes. Cette agrรฉgation peut se produire avant mรชme lโadministration, lors de la prรฉparation de la solution par exemple. Elle peut alors nuire lors de lโinjection, en plus dโinduire une instabilitรฉ de la solution dans le temps. In vivo, lโagrรฉgation va avoir un fort impact sur la biodistribution des NPs, et peut aller jusquโร gรฉnรฉrer une toxicitรฉ importante, via un blocage des capillaires pulmonaires par exemple.27 Ces aspects de stabilitรฉ en milieu biologique seront abordรฉs de maniรจre dรฉtaillรฉe dans le chapitre 3 (ยง I).
Hรฉmocompatibilitรฉ
Lors dโune administration intraveineuse, les NPs vont รฉgalement interagir avec les diffรฉrents constituants du sang. Certaines รฉtudes ont ainsi montrรฉ des effets dangereux pour certaines NPs : agrรฉgation des plaquettes et induction de thromboses,28 effet pro- ou anti-coagulation,29 induction de lโhรฉmolyse (destruction des globules rouges) et dโinflammations,30 etc. Lโhรฉmocompatibilitรฉ des NPs est donc un critรจre primordial dans une perspective dโinjection intraveineuse.
Circulation prolongรฉe
Pour augmenter la proportion de NPs susceptibles dโatteindre la tumeur, le temps de circulation des NPs doit รชtre suffisamment long pour quโune grande partie des NPs ait lโoccasion de passer dans les vaisseaux sanguins de la tumeur, et ainsi profiter de lโeffet EPR supposรฉ pour pรฉnรฉtrer celle-ci. Plusieurs processus biologiques sโopposent cependant ร cette circulation prolongรฉe.
Tout dโabord, une filtration rapide des petites NPs (diamรจtre hydrodynamique < 5-6 nm) est assurรฉe par les reins.31 Le systรจme rรฉticulo-endothรฉlial, qui se compose de cellules phagocytaires situรฉes principalement dans le foie, la rate et les ganglions lymphatiques, peut รฉgalement รฉliminer les NPs de la circulation sanguine. Le processus commence par lโopsonisation des NPs, qui correspond ร la reconnaissance dโun รฉlรฉment รฉtranger par lโorganisme, et qui sโeffectue via lโadsorption de protรฉines ร la surface des NPs. Celles-ci vont ensuite se lier ร des rรฉcepteurs spรฉcifiques des phagocytes, qui vont procรฉder ร leur รฉlimination.32 Ce processus est extrรชmement efficace pour les particules de diamรจtre supรฉrieur ร 200 nm. Pour des tailles infรฉrieures, il a รฉtรฉ montrรฉ que, pour des propriรฉtรฉs de surface identiques, le temps de circulation diminue quand la taille des NPs augmente.33 Les propriรฉtรฉs รฉlectrostatiques vont รฉgalement impacter le temps de circulation selon la tendance suivante : neutre/zwitterionique > anionique > cationique.32,34
Parmi les stratรฉgies les plus rรฉpandues, lโajout de polyรฉthylรจne glycol (PEG) en surface des NPs permet de rรฉduire efficacement le processus dโopsonisation, et donc lโรฉlimination par le systรจme rรฉticulo-endothรฉlial.35 Le temps de circulation des NPs peut ainsi passer de quelques minutes ร plusieurs heures.36 Dโautres approches pour rendre les NPs furtives visent ร les recouvrir de peptides reconnus comme ยซ soi ยป par les macrophages, ou bien de membranes cellulaires extraites de leucocytes ou de globules rouges.32
Extravasation vers la tumeur
Comme dit prรฉcรฉdemment, lโextravasation correspond au passage des NPs ร travers les parois des vaisseaux sanguins pour pรฉnรฉtrer dans les tissus. Elle est censรฉe รชtre favorisรฉe au niveau de la tumeur, grรขce ร lโeffet EPR. Les petites NPs vont bรฉnรฉficier plus facilement de cet effet, en particulier pour les tumeurs peu permรฉables, qui prรฉsentent des espaces plus rรฉduits entre les cellules endothรฉliales.37
Les phรฉnomรจnes dโadhรฉsion des NPs sur les parois des vaisseaux sanguins impactent fortement la propension des NPs ร lโextravasation. Des considรฉrations de dynamique des fluides doivent tout dโabord รชtre prises en compte. Il a en effet รฉtรฉ montrรฉ que les petites NPs sphรฉriques situรฉes dans le flux sanguin รฉtaient moins susceptibles de dรฉriver vers les parois des vaisseaux et dโรฉtablir un contact avec celles-ci, par rapport aux NPs non sphรฉriques et de taille plus importante (Figure I.2).38,39 Cette caractรฉristique va donc dรฉfavoriser leur extravasation vers la tumeur. Les vaisseaux sanguins รฉtant chargรฉs nรฉgativement, la charge de surface joue รฉgalement un rรดle : les interactions avec les NPs cationiques sont favorisรฉes, ce qui leur confรจre une bonne capacitรฉ ร traverser les parois.33
Figure I.2 – Schรฉmatisation des flux de NPs dans le sang et de leur adhรฉsion sur les parois des vaisseaux : impact de leur taille et leur gรฉomรฉtrie 32
Un frein majeur ร la pรฉnรฉtration des NPs dans la tumeur provient de la forte pression du fluide interstitiel dans les tumeurs,40 mentionnรฉe prรฉcรฉdemment. Celle-ci sโexplique en partie par le mauvais drainage lymphatique qui caractรฉrise les tumeurs et qui les empรชche dโรฉliminer les excรจs de fluide. Cette forte pression peut augmenter jusquโร sโapprocher de la pression microvasculaire, stoppant ainsi tout flux des vaisseaux vers la tumeur.41 Lโextravasation des NPs repose alors sur le seul mรฉcanisme de diffusion, pour lequel les petites tailles sont favorisรฉes.42
Diffusion ร lโintรฉrieur de la tumeur
De la mรชme maniรจre, le dรฉplacement des NPs dans la tumeur repose principalement sur la diffusion, puisque la pression du fluide interstitiel est ร peu prรจs uniforme sur lโensemble de la tumeur. La seule exception est la pรฉriphรฉrie de la tumeur, oรน la pression chute rapidement, ce qui crรฉe un fort gradient et a tendance ร รฉvacuer les NPs par convection, depuis ces zones pรฉriphรฉriques vers les tissus environnants.41
Les tumeurs รฉtant souvent caractรฉrisรฉes par une distribution inรฉgale des vaisseaux sanguins,43 certaines rรฉgions se trouvent accessibles uniquement aux NPs ayant une bonne capacitรฉ de diffusion dans la matrice extracellulaire (MEC) tumorale, plus dense que celle des tissus sains.44 La densitรฉ cellulaire dans les tumeurs est en outre trรจs รฉlevรฉe, ce qui limite encore la diffusion des NPs.45 La taille et les propriรฉtรฉs รฉlectrostatiques des NPs vont ร nouveau รชtre dรฉterminantes.33 Cet aspect sera abordรฉ plus en dรฉtails dans le chapitre 3 (ยง II).
Ainsi, le transport intratumoral est considรฉrรฉ comme un frein majeur ร lโapplication des NPs, puisquโune grande partie reste bloquรฉe prรจs des vaisseaux sanguins dont elles se sont extraites.46 On peut noter que ces limitations sont รฉgalement ร prendre en compte dans le cas dโinjections intratumorales, contrairement ร la plupart des points รฉvoquรฉs jusquโร prรฉsent.
Internalisation cellulaire
La plupart des NPs doivent pรฉnรฉtrer jusque dans la cellule pour assurer leur fonction thรฉrapeutique. Pour celles qui ont rรฉussi ร pรฉnรฉtrer dans la tumeur et atteindre une cellule, la prochaine รฉtape est donc lโinternalisation. Deux principaux mรฉcanismes ont รฉtรฉ rapportรฉs : la diffusion passive ร travers la membrane cellulaire47 et lโendocytose, dรฉmontrรฉe dans la plupart des รฉtudes de captation de NPs.48 Lโendocytose est un processus dโinternalisation au cours duquel la membrane plasmique enveloppe de la matiรจre extรฉrieure pour former une vรฉsicule, appelรฉe endosome, qui est invaginรฉe par la cellule (Figure I.3).49 Il existe diffรฉrents types dโendocytose, dont certains reposent sur des interactions spรฉcifiques avec des rรฉcepteurs membranaires.
En termes de propriรฉtรฉs favorisant lโinternalisation, il a รฉtรฉ montrรฉ que les NPs cationiques pรฉnรฉtraient trรจs bien dans les cellules.50 Certains auteurs ont รฉgalement dรฉterminรฉ, ร la fois expรฉrimentalement et ร partir de modรฉlisations, une taille optimale dโenviron 50 nm pour le processus dโendocytose.51,52 Dans ce contexte, lโimpact des diffรฉrentes propriรฉtรฉs des NPs sur leur captation sera discutรฉ de maniรจre plus approfondie dans le chapitre 3 (ยง III.B). Le greffage de protรฉines capables dโรชtre reconnues par les rรฉcepteurs de certaines cellules sera รฉgalement รฉtudiรฉ.
Le mรฉcanisme dโendocytose implique cependant que les NPs internalisรฉes vont รชtre soit directement รฉvacuรฉes de la cellule par exocytose, soit dirigรฉes vers les lysosomes, qui sont les compartiments cellulaires assurant la digestion des corps รฉtrangers.49 Les lysosomes sont caractรฉrisรฉs par une forte aciditรฉ et par la prรฉsence de nombreuses protรฉases, ce qui leur permet de dรฉgrader certaines NPs ou parties de NPs.54,55 Pour รฉchapper ร cette possible รฉlimination ou dรฉgradation, une stratรฉgie rรฉcurrente consiste ร dรฉvelopper des NPs capables de sโรฉchapper des endosomes aprรจs internalisation, cโest ce quโon appelle la fuite endosomale.56 Ce phรฉnomรจne nโest toutefois pas toujours nรฉcessaire, puisquโil a รฉtรฉ montrรฉ que les NPs localisรฉes dans les lysosomes pouvaient gรฉnรฉrer de la toxicitรฉ, y compris en radiosensibilisation.57,58
Les diffรฉrents obstacles listรฉs ici montrent les difficultรฉs ร dรฉvelopper des NPs dont une grande proportion serait capable dโatteindre leur cible tumorale. Les propriรฉtรฉs nรฉcessaires au passage des diffรฉrentes รฉtapes sont parfois peu compatibles entre elles, ce qui complique davantage le design dโune NP optimale. Si nous avons traitรฉ ici un cas gรฉnรฉral, on peut ajouter que certaines tumeurs sont encore plus difficiles dโaccรจs, comme celles se situant dans le cerveau, qui sont protรฉgรฉes par la barriรจre hรฉmato-encรฉphalique.59 Lโรฉvaluation des propriรฉtรฉs des NPs et de leur capacitรฉ ร passer chacune des barriรจres biologiques mentionnรฉes est donc primordiale au cours de leur dรฉveloppement, et ce quelles que soient leur nature et leur fonctionnalitรฉ.
RADIOSENSIBILISATION
Les NPs quโon se propose dโรฉtudier dans ce projet sont dรฉveloppรฉes dans la perspective dโรชtre utilisรฉes pour leurs propriรฉtรฉs radiosensibilisantes, dans le cadre du traitement du cancer. Cette partie a donc pour objectif dโรฉtablir un รฉtat de lโart de la radiosensibilisation. Nous allons tout dโabord rappeler le fonctionnement des traitements par radiothรฉrapie, ร la fois au niveau physique et biologique. Le principe de la radiosensibilisation sera ensuite dรฉtaillรฉ, avant dโรฉvoquer les diffรฉrents mรฉcanismes sous-jacents.
TRAITEMENT DU CANCER PAR RADIOTHรRAPIE
La dรฉcouverte des rayons X par Wilhelm Rรถntgen en 1895, puis la dรฉcouverte du radium par Marie Curie peu de temps aprรจs, ont permis dโรฉtablir les premiers jalons de lโutilisation de rayonnements pour traiter le cancer. La radiothรฉrapie est aujourdโhui une des mรฉthodes les plus utilisรฉes en oncologie, puisque 50% des patients en reรงoivent au cours de leur traitement.60 Elle est gรฉnรฉralement employรฉe ร des fins curatives, seule ou en combinaison avec dโautres types de traitement, mais รฉgalement ร des fins palliatives, afin de soulager les patients de certains symptรดmes causรฉs par la maladie.
Principe et modalitรฉs
Le principe de la radiothรฉrapie est dโutiliser des rayonnements ionisants pour dรฉtruire les cellules cancรฉreuses. Ces derniers peuvent provenir dโune source externe ou interne. Le deuxiรจme cas repose sur lโinjection de sources radioactives dans le corps du patient. Soit la source est scellรฉe et implantรฉe prรจs de la tumeur de maniรจre temporaire (curiethรฉrapie, ou brachythรฉrapie), soit elle est non scellรฉe et administrรฉe de maniรจre systรฉmique, par injection ou ingestion, et va se fixer sur les cellules cibles (radiothรฉrapie interne vectorisรฉe).61 Le traitement du cancer de la thyroรฏde par utilisation dโiode radioactif est un exemple dโapplication de la radiothรฉrapie interne vectorisรฉe, aussi appelรฉe radiothรฉrapie mรฉtabolique dans ce cas prรฉcis.62
La radiothรฉrapie externe est la modalitรฉ la plus rรฉpandue. Elle consiste ร irradier la tumeur avec des rayons de haute รฉnergie, depuis une source situรฉe ร lโextรฉrieur du patient. Le dรฉpรดt dโรฉnergie produit localement est quantifiรฉ par la dose reรงue, qui correspond ร la quantitรฉ dโรฉnergie absorbรฉe par unitรฉ de masse, mesurรฉe en gray (1 Gy = 1 J/kg). Plusieurs natures de rayonnements peuvent รชtre exploitรฉes : photons (rayons X et gamma) ou particules (protons, รฉlectrons, ions carbone ou autres). Le premier cas constitue la radiothรฉrapie ร proprement parler, tandis que le second est appelรฉ hadronthรฉrapie. Par abus de langage, on parle cependant de radiothรฉrapie pour dรฉsigner lโensemble des techniques utilisant des rayonnements ionisants. Dans la suite de ce paragraphe, nous allons nous concentrer sur le cas de la protonthรฉrapie, qui est la plus utilisรฉe des hadronthรฉrapies.
La protonthรฉrapie a รฉtรฉ dรฉveloppรฉe ร partir des annรฉes 1950. Son principe a tout dโabord รฉtรฉ proposรฉ par Robert Wilson en 1946, qui avait anticipรฉ les avantages de lโutilisation de protons dans une visรฉe thรฉrapeutique.63 La technique a รฉtรฉ appliquรฉe sur des patients pour la premiรจre fois en 1954, aux Etats-Unis.64 Lโutilisation de protons se justifie principalement par une meilleure distribution spatiale de la dose par rapport aux photons. Comme illustrรฉ sur la Figure I.4, les rayons X (courbe verte) dรฉposent une dose maximale en entrรฉe, qui diminue ensuite progressivement ร mesure quโils pรฉnรจtrent plus profondรฉment dans le corps, entraรฎnant une irradiation des tissus sains en amont et en aval de la tumeur. Par comparaison, la dose dรฉposรฉe dans le corps par les protons (courbes rouges) est caractรฉrisรฉe par une valeur faible et constante en entrรฉe, puis par une augmentation forte au niveau de la tumeur (pic de Bragg), et enfin par une chute brutale, jusquโร une valeur nulle.65 Les courbes rouges correspondent cependant ร des faisceaux monoรฉnergรฉtiques, tandis que ce sont des faisceaux modulรฉs qui sont utilisรฉs en thรฉrapie (courbe orange sur la Figure I.4). Ceux-ci permettent dโaugmenter la taille de la zone du pic de Bragg (Spread-Out Bragg Curve) afin de recouvrir la totalitรฉ de la tumeur. Cela implique toutefois une augmentation de la dose en entrรฉe. Outre la meilleure distribution en profondeur, les protons ont รฉgalement lโavantage de moins se disperser latรฉralement par rapport aux photons.65
Figure I.4 – Distributions de dose en fonction de la profondeur : comparaison des rayons X et des protons 66
En augmentant le diffรฉrentiel de dose dรฉposรฉe entre la tumeur et les tissus sains, lโutilisation des protons permet donc de rรฉduire la dose totale nรฉcessaire pour traiter les patients. Sachant que lโirradiation peut gรฉnรฉrer lโapparition de cancers radio-induits tardifs, la protonthรฉrapie est indiquรฉe dans le cas des cancers pรฉdiatriques, afin de limiter ces risques sur le long terme. Les tumeurs localisรฉes au niveau de lโลil, de la base du crรขne ou de la colonne vertรฉbrale constituent la deuxiรจme indication majeure, afin dโรฉpargner les tissus/organes sensibles situรฉs en aval.67 La principale limite ร la diffusion de la protonthรฉrapie provient cependant de son coรปt important, dรป en particulier ร lโinfrastructure complexe nรฉcessaire pour la production du faisceau (cyclotron).67,68 En France, il existe trois centres de protonthรฉrapie, dont celui situรฉ ร Nice, sur lequel nous avons pu rรฉaliser des expรฉriences (chapitre 4 ยง II.B).
Effets radiobiologiques : mรฉcanismes et implications
Lโirradiation dโun systรจme biologique gรฉnรจre une succession de processus dont les รฉchelles de temps varient รฉnormรฉment, comme illustrรฉ sur la Figure I.5.
Figure I.5 – Echelle de temps des diffรฉrents effets de lโirradiation sur des systรจmes biologiques 69 Les processus mis en jeu peuvent รชtre divisรฉs en trois phases : 69,70
– La phase physique, oรน les rayonnements interagissent avec les atomes constitutifs du milieu, entraรฎnant des phรฉnomรจnes dโexcitation et dโionisation via lโรฉjection dโรฉlectrons. Ces รฉlectrons secondaires peuvent ร leur tour exciter et ioniser dโautres atomes, ce qui peut gรฉnรฉrer des cascades dโรฉvรฉnements. Au cours de cette phase, les รฉlectrons secondaires produits peuvent se solvater, et des radicaux libres sont crรฉรฉs (HOโข et Hโข par exemple).
– La phase chimique, durant laquelle les espรจces formรฉes pendant la phase physique (รฉlectrons solvatรฉs et radicaux libres) rรฉagissent avec les composants cellulaires. On assiste รฉgalement ร une homogรฉnรฉisation de la distribution des radicaux libres, auparavant regroupรฉs le long de du parcours du rayonnement. Les rรฉactions mises en jeu sont ร la fois des recombinaisons et des rรฉactions dites de fixation, qui mรจnent ร des modifications chimiques stables de molรฉcules biologiques, comme lโADN par exemple.
– La phase biologique, qui regroupe tous les processus ultรฉrieurs. Des rรฉactions enzymatiques se produisent dans un premier temps, afin dโagir sur les lรฉsions formรฉes. La plupart de ces lรฉsions vont pouvoir รชtre rรฉparรฉes, et ce sont les quelques-unes dont la rรฉparation a รฉchouรฉ qui vont mener ร la mort cellulaire. Les cassures double-brin sur lโADN sont par exemple plus difficiles ร rรฉparer que les simple-brin, et vont donc gรฉnรฉrer plus de toxicitรฉ. La mort des cellules impactรฉes peut sโeffectuer lentement, celles-ci pouvant encore subir plusieurs divisions mitotiques avant de mourir. Dโautre part, il a รฉtรฉ montrรฉ que des cellules non irradiรฉes pouvaient aussi รชtre affectรฉes, ร cause de signaux de stress envoyรฉs par les cellules voisines.71 Les premiers effets sur les tissus apparaissent au bout de quelques jours, mais des effets se manifestent รฉgalement ร plus long terme, quelques mois ou annรฉes aprรจs lโirradiation.
Les processus dรฉcrits ici sont communs aux tissus sains et cancรฉreux. Comme cela a dรฉjร รฉtรฉ รฉvoquรฉ, durant un traitement par radiothรฉrapie, lโirradiation cible la tumeur mais ne peut รฉpargner complรจtement les tissus sains environnants. Cโest cette exposition des tissus sains qui va gรฉnรฉrer des effets secondaires indรฉsirables chez les patients. Les effets suivants sont parmi les plus frรฉquemment observรฉs : fatigue, perte de cheveux, rรฉactions de la peau, nausรฉes, problรจmes de fertilitรฉ, etc.72
Outre les effets secondaires, un problรจme majeur liรฉ ร lโutilisation de la radiothรฉrapie est le dรฉveloppement de radiorรฉsistance chez certaines tumeurs. Ce phรฉnomรจne peut provoquer un รฉchec du traitement, et entraรฎner par la suite une rรฉsurgence de la tumeur ou lโapparition de mรฉtastases.73
LA RADIOSENSIBILISATION COMME SOLUTION POUR AMรLIORER LES TRAITEMENTS
Afin de pallier les inconvรฉnients de la radiothรฉrapie, la communautรฉ scientifique sโest penchรฉe sur lโutilisation de composรฉs, appelรฉs radiosensibilisants, qui vont permettre dโamรฉliorer lโefficacitรฉ du traitement. Lโobjectif est de rรฉduire la dose nรฉcessaire pour traiter la tumeur, afin de minimiser les effets secondaires et pouvoir surmonter une รฉventuelle radiorรฉsistance. Dans la littรฉrature, le terme radiosensibilisant regroupe des effets assez divers, quโon pourrait en rรฉalitรฉ diviser en deux catรฉgories : les effets de radiosensibilisation, et les effets de radioamplification.
La radiosensibilisation consiste ร agir sur diffรฉrents aspects de la tumeur pour quโelle soit plus impactรฉe par lโirradiation. Cela peut passer par lโapport dโoxygรจne pour contrer les phรฉnomรจnes de radiorรฉsistance des zones hypoxiques,74 par des modifications du mรฉtabolisme du glucose, รฉgalement source de radiorรฉsistance,73 ou encore par lโutilisation de leurres molรฉculaires qui imitent les cassures double-brin de lโADN, piรฉgeant ainsi les protรฉines chargรฉes de la rรฉparation de lโADN et limitant leur action sur les dommages rรฉels induits par lโirradiation.75 Les agents de chimiothรฉrapie peuvent รฉgalement รชtre considรฉrรฉs comme des radiosensibilisants, lorsquโils sont utilisรฉs en combinaison avec la radiothรฉrapie.76 Lโensemble de ces composรฉs augmente donc lโefficacitรฉ du traitement par radiothรฉrapie, mais sans interagir directement avec les rayonnements. Au contraire, certains composรฉs sont utilisรฉs pour amplifier les effets des rayonnements, notamment la production dโรฉlectrons secondaires, ce qui augmente la dose dรฉposรฉe localement. Les รฉlรฉments lourds รฉtant connus pour possรฉder ce type de propriรฉtรฉ,77 les NPs composรฉes de matรฉriaux ร numรฉro atomique รฉlevรฉ sont particuliรจrement รฉtudiรฉes dans ce contexte.78 On peut dรฉsigner ce type dโeffets comme de la radioamplification. Pour la suite, on peut noter que la distinction sรฉmantique radiosensibilisation/radioamplification ne sera cependant plus faite, et que le terme de radiosensibilisant sera รฉgalement utilisรฉ pour caractรฉriser les NPs de numรฉro atomique รฉlevรฉ.
Hainfeld et al. sont les premiers ร avoir mis en รฉvidence la capacitรฉ de tels objets ร amรฉliorer les effets dโune irradiation sous rayons X. Leur รฉtude, publiรฉe en 2004, montre une augmentation significative de la survie ร un an de souris atteintes de carcinomes, traitรฉes avec des AuNPs (Z = 79) de 1,9 nm de diamรจtre avant dโรชtre irradiรฉes par des rayons X : le taux de survie passe de 20% pour le traitement aux rayons X seuls ร 86% lorsquโil est prรฉcรฉdรฉ de lโinjection de AuNPs (Figure I.6).79
Figure I.6 – Premiรจre รฉtude in vivo mettant en รฉvidence lโeffet radiosensibilisant de AuNPs : courbes de survie de souris atteintes de carcinomes et ayant reรงu diffรฉrents traitements 79 (IV = intraveineuse)
Cette รฉtude a ouvert la voie ร de nombreuses autres utilisant des AuNPs, ร la fois in vitro et in vivo, qui ont fait lโobjet de plusieurs revues ces derniรจres annรฉes.80โ83 Leur travail de synthรจse des diffรฉrentes donnรฉes publiรฉes souligne la grande variรฉtรฉ dโobjets testรฉs, ร la fois en termes de taille (1,9 ร 74 nm), de forme (nanosphรจres, nanobรขtonnets, nanotriangles, ยซ nanopointes ยป), ou encore de ligands utilisรฉs (petites molรฉcules comme des citrates ou des thiols, polymรจres, dont PEG, ou biomolรฉcules). Les conditions expรฉrimentales sont elles aussi trรจs diverses, notamment la nature et lโรฉnergie du rayonnement utilisรฉ (rayons X, rayons ฮณ, protons, รฉlectrons ou ions carbone, avec des รฉnergies allant de 100 keV ร 12 MeV environ), le type de tumeur, la concentration des AuNPs, le temps dโexposition avant irradiation, la dose dโirradiation, etc.
Outre lโor, dโautres รฉlรฉments ont รฉgalement รฉtรฉ utilisรฉs pour former des NPs radiosensibilisantes. Le gadolinium, en particulier, est exploitรฉ car il prรฉsente un numรฉro atomique รฉlevรฉ (Z = 64) et est dรฉjร utilisรฉ en tant quโagent de contraste en IRM. Il nโest pas utilisรฉ sous forme de cลur mรฉtallique comme les AuNPs, mais plutรดt de chรฉlates. Ainsi, les NPs nommรฉes AGuIXยฎ (Figure I.7), produites par la sociรฉtรฉ NH TherAguix, sont constituรฉes dโun cลur de polysiloxane sur lequel sont greffรฉes des dรฉrivรฉs des chรฉlates DOTA(Gd) (DOTA = 1,4,7,10-tรฉtraazacyclododรฉcane-1,4,7,10-tรฉtraacide acรฉtique).84 Plusieurs รฉtudes in vitro et in vivo ont dรฉmontrรฉ leur pouvoir radiosensibilisant, et ce sur diffรฉrents types de cancers.85 La possibilitรฉ de suivre la biodistribution des AGuIXยฎ par IRM est un avantage notable. Cela a notamment permis de mettre en รฉvidence une accumulation des NPs dans les tumeurs aprรจs une injection intraveineuse.86 La connaissance de lโรฉvolution dans le temps de leur biodistribution offre aussi la possibilitรฉ dโajuster le moment de lโirradiation pour que le diffรฉrentiel de concentration de NPs entre tumeur et tissus sains soit maximal. Le mรชme groupe a aussi dรฉveloppรฉ des NPs combinant or et gadolinium.87,88
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Table des matiรจres
CHAPITRE 1. CONTEXTE DE LโรTUDE
I. Nanoparticules pour le cancer
A. Une grande diversitรฉ dans la nature et la fonction
B. La possibilitรฉ dโassurer un ciblage
C. Propriรฉtรฉs recherchรฉes
II. Radiosensibilisation
A. Traitement du cancer par radiothรฉrapie
B. La radiosensibilisation comme solution pour amรฉliorer les traitements
C. Mรฉcanismes de lโeffet radiosensibilisant des NPs
III. Nanoparticules dโor greffรฉes polymรจres
A. Propriรฉtรฉs intรฉressantes des nanoparticules dโor
B. Pourquoi et comment greffer du polymรจre en surface ?
IV. Objectifs de la thรจse
Bibliographie
CHAPITRE 2. SYNTHรSE DES NANOPARTICULES DโOR GREFFรES POLYMรRES
I. Stratรฉgie de synthรจse
A. Mรฉthode de synthรจse des polymรจres
B. Mรฉthode de synthรจse des nanoparticules dโor
II. Synthรจse et caractรฉrisation des ligands polymรจres
A. Synthรจse de lโamorceur
B. Synthรจse par ATRP des ligands mรฉthacrylates
III. Elaboration des nanoparticules dโor greffรฉes polymรจres
A. Synthรจse et purification
B. Caractรฉrisation du coeur dโor
C. Etude en diffusion de neutrons aux petits angles
IV. Greffages post-synthรจse
A. Association avec la chimiothรฉrapie : greffage de la doxorubicine
B. Greffage de protรฉines : BSA et lactoferrine
V. Conclusions et perspectives
Bibliographie
CHAPITRE 3. INTERACTION DES NANOPARTICULES AVEC LES SYSTEMES BIOLOGIQUES
I. Stabilitรฉ colloรฏdale en milieux biologiques
A. Etude par spectroscopie UV-visible
B. Etude par diffusion des rayons X aux petits angles (SAXS)
II. Migration dans la matrice extracellulaire
A. Le Matrigelยฎ comme modรจle de la MEC
B. Mรฉthodologie
C. Rรฉsultats
III. Captation et localisation intracellulaire des NPs
A. Quelle est la cinรฉtique dโinternalisation ?
B. Quel est lโimpact de la couronne polymรจre sur lโinternalisation ?
C. Oรน sont localisรฉes les NPs et dans quel รฉtat dโagrรฉgation se trouvent-elles ?
D. Les NPs peuvent-elles รชtre รฉliminรฉes ?
IV. Cytotoxicitรฉ
A. Description de la mรฉthode utilisรฉe
B. Variation de la longueur de la couronne PMAA
C. Variation de la nature de la couronne
D. Impact de la Doxorubicine greffรฉe
E. Impact des protรฉines greffรฉes
V. Conclusions et perspectives
Bibliographie
CHAPITRE 4. COMPORTEMENT DES NANOPARTICULES SOUS IRRADIATION
I. Effets de lโirradiation sur les NPs greffรฉes polymรจres
A. Stabilitรฉ des NPs sous irradiation
B. Cytotoxicitรฉ des NPs irradiรฉes
II. รtude de la radiosensibilisation sous plusieurs types de rayonnements
A. Radiothรฉrapie interne : iode
B. Radiothรฉrapie externe : protons
C. Discussion
III. Mรฉthode PIXE pour localiser les NPs
IV. Conclusions et perspectives
Bibliographie
CONCLUSION GรNรRALEย
ANNEXE A : PARTIE EXPรRIMENTALE
ANNEXE B : SPECTRES RMN
ANNEXE C : SPECTRES UV-VISIBLE
ANNEXE C : DIFFUSION DE RAYONNEMENTS AUX PETITS ANGLES
ANNEXE E : IMPACT DU POLYMรRE LIBRE
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