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LA POSSIBILITÉ D’ASSURER UN CIBLAGE
Si les NPs ont été tant étudiées, c’est aussi parce qu’elles permettent a priori un ciblage des tumeurs. Deux stratégies peuvent être utilisées : le ciblage passif, qui exploite les défauts structurels intrinsèques des tumeurs, et le ciblage actif, qui met en jeu des mécanismes de reconnaissance moléculaire entre cellules et nanovecteurs.
Le ciblage passif repose sur une perméabilité et une rétention accrue des NPs dans les tumeurs, ce qu’on appelle effet EPR (Enhanced Permeation and Retention). Les parois des vaisseaux sanguins tumoraux sont en effet caractérisées par une structure moins jointive, avec des espaces entre les cellules endothéliales qui permettent aux NPs de passer pour atteindre la tumeur. La taille des NPs est ici un critère important puisqu’il a été montré que ce phénomène de transport à travers les parois des vaisseaux sanguins, appelé extravasation, était favorisé pour les petites NPs.19 En outre, les tumeurs possèdent un système lymphatique défaillant, ce qui limite l’évacuation des NPs. La combinaison des deux effets entraîne ainsi l’accumulation des NPs dans les tumeurs.20 Une schématisation de l’ensemble de l’effet EPR est présentée sur la Figure I.1.
Figure I.1 – Schématisation de l’effet EPR 21
Depuis sa mise en évidence, l’effet EPR a constitué l’un des principaux arguments pour le développement de NPs dans le cadre du cancer. S’il a été démontré à de nombreuses reprises chez le petit animal, son application à l’homme est cependant remise en question depuis quelques années.20,21 La raison principalement invoquée est le caractère faiblement représentatif du modèle de tumeur murine par rapport à la tumeur humaine, en particulier en termes de vitesse de développement, ratio massique tumeur/corps, taux métaboliques et durée de vie de l’hôte. Des différences ont également été observées au niveau du microenvironnement tumoral, avec notamment l’identification dans la tumeur humaine de régions hypoxiques et d’une pression de fluide interstitiel plus élevée.21 L’extension de l’effet EPR à l’homme est donc à considérer avec précaution.
Plutôt que de se reposer sur l’effet EPR, certaines études ont choisi un ciblage actif de leurs NPs, en ajoutant sur leur surface des ligands spécifiques de récepteurs situés sur les cellules visées.10 Les ligands utilisés sont de nature variée : petites molécules, peptides, anticorps, acides nucléiques.9 Cependant, certaines études ont montré que la présence de ces ligands améliorait l’internalisation cellulaire des NPs mais n’affectait pas leur localisation dans la tumeur.22 Salvati et al. ont également mis en évidence la perte des propriétés de ciblage de leurs NPs fonctionnalisées après exposition à des protéines, à cause de l’adsorption de celles-ci sur la surface des NPs.23 De manière générale, cette approche reste en outre limitée par l’hétérogénéité des tumeurs, puisque la majorité des systèmes développés ne cible qu’un récepteur.
L’efficacité des NPs pour assurer le ciblage des tumeurs, bien que prometteuse, est ainsi sujette à débats. Le faible nombre de nanomédicaments mis sur le marché témoigne des difficultés rencontrées dans le transfert vers la clinique24 et souligne l’importance de développer des modèles in vitro et in vivo pertinents pour anticiper les comportements des NPs. L’utilisation de NPs dont la biodistribution pourrait être suivie in vivo serait également un avantage pour s’assurer de leur ciblage.25
PROPRIÉTÉS RECHERCHÉES
L’écart observé entre le potentiel des NPs en oncologie et leur faible utilisation en clinique s’explique en grande partie par la multitude de barrières biologiques auxquelles elles doivent faire face, une fois administrées au patient, et qui ont pour conséquence de limiter leur efficacité. L’anticipation du comportement des NPs in vivo est donc complexe. Nous allons tenter de dresser ici une liste non exhaustive des différentes propriétés recherchées pour les NPs, en lien avec les obstacles rencontrés. Les paragraphes sont organisés de manière séquentielle, pour suivre les NPs depuis leur administration jusqu’à leur arrivée au site d’intérêt. On se place ici dans le cadre d’une injection intraveineuse, qui est la méthode d’administration la plus courante.
Stabilité en milieu biologique
La première propriété que les NPs à visée médicale doivent posséder est une bonne stabilité en milieu biologique. Des phénomènes d’agrégation, voire de précipitation, sont en effet souvent observés au contact d’environnements contenant de fortes concentrations en sels et/ou biomolécules.26 Les propriétés physico-chimiques déterminées auparavant se trouvent alors modifiées. Cette agrégation peut se produire avant même l’administration, lors de la préparation de la solution par exemple. Elle peut alors nuire lors de l’injection, en plus d’induire une instabilité de la solution dans le temps. In vivo, l’agrégation va avoir un fort impact sur la biodistribution des NPs, et peut aller jusqu’à générer une toxicité importante, via un blocage des capillaires pulmonaires par exemple.27 Ces aspects de stabilité en milieu biologique seront abordés de manière détaillée dans le chapitre 3 (§ I).
Hémocompatibilité
Lors d’une administration intraveineuse, les NPs vont également interagir avec les différents constituants du sang. Certaines études ont ainsi montré des effets dangereux pour certaines NPs : agrégation des plaquettes et induction de thromboses,28 effet pro- ou anti-coagulation,29 induction de l’hémolyse (destruction des globules rouges) et d’inflammations,30 etc. L’hémocompatibilité des NPs est donc un critère primordial dans une perspective d’injection intraveineuse.
Circulation prolongée
Pour augmenter la proportion de NPs susceptibles d’atteindre la tumeur, le temps de circulation des NPs doit être suffisamment long pour qu’une grande partie des NPs ait l’occasion de passer dans les vaisseaux sanguins de la tumeur, et ainsi profiter de l’effet EPR supposé pour pénétrer celle-ci. Plusieurs processus biologiques s’opposent cependant à cette circulation prolongée.
Tout d’abord, une filtration rapide des petites NPs (diamètre hydrodynamique < 5-6 nm) est assurée par les reins.31 Le système réticulo-endothélial, qui se compose de cellules phagocytaires situées principalement dans le foie, la rate et les ganglions lymphatiques, peut également éliminer les NPs de la circulation sanguine. Le processus commence par l’opsonisation des NPs, qui correspond à la reconnaissance d’un élément étranger par l’organisme, et qui s’effectue via l’adsorption de protéines à la surface des NPs. Celles-ci vont ensuite se lier à des récepteurs spécifiques des phagocytes, qui vont procéder à leur élimination.32 Ce processus est extrêmement efficace pour les particules de diamètre supérieur à 200 nm. Pour des tailles inférieures, il a été montré que, pour des propriétés de surface identiques, le temps de circulation diminue quand la taille des NPs augmente.33 Les propriétés électrostatiques vont également impacter le temps de circulation selon la tendance suivante : neutre/zwitterionique > anionique > cationique.32,34
Parmi les stratégies les plus répandues, l’ajout de polyéthylène glycol (PEG) en surface des NPs permet de réduire efficacement le processus d’opsonisation, et donc l’élimination par le système réticulo-endothélial.35 Le temps de circulation des NPs peut ainsi passer de quelques minutes à plusieurs heures.36 D’autres approches pour rendre les NPs furtives visent à les recouvrir de peptides reconnus comme « soi » par les macrophages, ou bien de membranes cellulaires extraites de leucocytes ou de globules rouges.32
Extravasation vers la tumeur
Comme dit précédemment, l’extravasation correspond au passage des NPs à travers les parois des vaisseaux sanguins pour pénétrer dans les tissus. Elle est censée être favorisée au niveau de la tumeur, grâce à l’effet EPR. Les petites NPs vont bénéficier plus facilement de cet effet, en particulier pour les tumeurs peu perméables, qui présentent des espaces plus réduits entre les cellules endothéliales.37
Les phénomènes d’adhésion des NPs sur les parois des vaisseaux sanguins impactent fortement la propension des NPs à l’extravasation. Des considérations de dynamique des fluides doivent tout d’abord être prises en compte. Il a en effet été montré que les petites NPs sphériques situées dans le flux sanguin étaient moins susceptibles de dériver vers les parois des vaisseaux et d’établir un contact avec celles-ci, par rapport aux NPs non sphériques et de taille plus importante (Figure I.2).38,39 Cette caractéristique va donc défavoriser leur extravasation vers la tumeur. Les vaisseaux sanguins étant chargés négativement, la charge de surface joue également un rôle : les interactions avec les NPs cationiques sont favorisées, ce qui leur confère une bonne capacité à traverser les parois.33
Figure I.2 – Schématisation des flux de NPs dans le sang et de leur adhésion sur les parois des vaisseaux : impact de leur taille et leur géométrie 32
Un frein majeur à la pénétration des NPs dans la tumeur provient de la forte pression du fluide interstitiel dans les tumeurs,40 mentionnée précédemment. Celle-ci s’explique en partie par le mauvais drainage lymphatique qui caractérise les tumeurs et qui les empêche d’éliminer les excès de fluide. Cette forte pression peut augmenter jusqu’à s’approcher de la pression microvasculaire, stoppant ainsi tout flux des vaisseaux vers la tumeur.41 L’extravasation des NPs repose alors sur le seul mécanisme de diffusion, pour lequel les petites tailles sont favorisées.42
Diffusion à l’intérieur de la tumeur
De la même manière, le déplacement des NPs dans la tumeur repose principalement sur la diffusion, puisque la pression du fluide interstitiel est à peu près uniforme sur l’ensemble de la tumeur. La seule exception est la périphérie de la tumeur, où la pression chute rapidement, ce qui crée un fort gradient et a tendance à évacuer les NPs par convection, depuis ces zones périphériques vers les tissus environnants.41
Les tumeurs étant souvent caractérisées par une distribution inégale des vaisseaux sanguins,43 certaines régions se trouvent accessibles uniquement aux NPs ayant une bonne capacité de diffusion dans la matrice extracellulaire (MEC) tumorale, plus dense que celle des tissus sains.44 La densité cellulaire dans les tumeurs est en outre très élevée, ce qui limite encore la diffusion des NPs.45 La taille et les propriétés électrostatiques des NPs vont à nouveau être déterminantes.33 Cet aspect sera abordé plus en détails dans le chapitre 3 (§ II).
Ainsi, le transport intratumoral est considéré comme un frein majeur à l’application des NPs, puisqu’une grande partie reste bloquée près des vaisseaux sanguins dont elles se sont extraites.46 On peut noter que ces limitations sont également à prendre en compte dans le cas d’injections intratumorales, contrairement à la plupart des points évoqués jusqu’à présent.
Internalisation cellulaire
La plupart des NPs doivent pénétrer jusque dans la cellule pour assurer leur fonction thérapeutique. Pour celles qui ont réussi à pénétrer dans la tumeur et atteindre une cellule, la prochaine étape est donc l’internalisation. Deux principaux mécanismes ont été rapportés : la diffusion passive à travers la membrane cellulaire47 et l’endocytose, démontrée dans la plupart des études de captation de NPs.48 L’endocytose est un processus d’internalisation au cours duquel la membrane plasmique enveloppe de la matière extérieure pour former une vésicule, appelée endosome, qui est invaginée par la cellule (Figure I.3).49 Il existe différents types d’endocytose, dont certains reposent sur des interactions spécifiques avec des récepteurs membranaires.
En termes de propriétés favorisant l’internalisation, il a été montré que les NPs cationiques pénétraient très bien dans les cellules.50 Certains auteurs ont également déterminé, à la fois expérimentalement et à partir de modélisations, une taille optimale d’environ 50 nm pour le processus d’endocytose.51,52 Dans ce contexte, l’impact des différentes propriétés des NPs sur leur captation sera discuté de manière plus approfondie dans le chapitre 3 (§ III.B). Le greffage de protéines capables d’être reconnues par les récepteurs de certaines cellules sera également étudié.
Le mécanisme d’endocytose implique cependant que les NPs internalisées vont être soit directement évacuées de la cellule par exocytose, soit dirigées vers les lysosomes, qui sont les compartiments cellulaires assurant la digestion des corps étrangers.49 Les lysosomes sont caractérisés par une forte acidité et par la présence de nombreuses protéases, ce qui leur permet de dégrader certaines NPs ou parties de NPs.54,55 Pour échapper à cette possible élimination ou dégradation, une stratégie récurrente consiste à développer des NPs capables de s’échapper des endosomes après internalisation, c’est ce qu’on appelle la fuite endosomale.56 Ce phénomène n’est toutefois pas toujours nécessaire, puisqu’il a été montré que les NPs localisées dans les lysosomes pouvaient générer de la toxicité, y compris en radiosensibilisation.57,58
Les différents obstacles listés ici montrent les difficultés à développer des NPs dont une grande proportion serait capable d’atteindre leur cible tumorale. Les propriétés nécessaires au passage des différentes étapes sont parfois peu compatibles entre elles, ce qui complique davantage le design d’une NP optimale. Si nous avons traité ici un cas général, on peut ajouter que certaines tumeurs sont encore plus difficiles d’accès, comme celles se situant dans le cerveau, qui sont protégées par la barrière hémato-encéphalique.59 L’évaluation des propriétés des NPs et de leur capacité à passer chacune des barrières biologiques mentionnées est donc primordiale au cours de leur développement, et ce quelles que soient leur nature et leur fonctionnalité.
RADIOSENSIBILISATION
Les NPs qu’on se propose d’étudier dans ce projet sont développées dans la perspective d’être utilisées pour leurs propriétés radiosensibilisantes, dans le cadre du traitement du cancer. Cette partie a donc pour objectif d’établir un état de l’art de la radiosensibilisation. Nous allons tout d’abord rappeler le fonctionnement des traitements par radiothérapie, à la fois au niveau physique et biologique. Le principe de la radiosensibilisation sera ensuite détaillé, avant d’évoquer les différents mécanismes sous-jacents.
TRAITEMENT DU CANCER PAR RADIOTHÉRAPIE
La découverte des rayons X par Wilhelm Röntgen en 1895, puis la découverte du radium par Marie Curie peu de temps après, ont permis d’établir les premiers jalons de l’utilisation de rayonnements pour traiter le cancer. La radiothérapie est aujourd’hui une des méthodes les plus utilisées en oncologie, puisque 50% des patients en reçoivent au cours de leur traitement.60 Elle est généralement employée à des fins curatives, seule ou en combinaison avec d’autres types de traitement, mais également à des fins palliatives, afin de soulager les patients de certains symptômes causés par la maladie.
Principe et modalités
Le principe de la radiothérapie est d’utiliser des rayonnements ionisants pour détruire les cellules cancéreuses. Ces derniers peuvent provenir d’une source externe ou interne. Le deuxième cas repose sur l’injection de sources radioactives dans le corps du patient. Soit la source est scellée et implantée près de la tumeur de manière temporaire (curiethérapie, ou brachythérapie), soit elle est non scellée et administrée de manière systémique, par injection ou ingestion, et va se fixer sur les cellules cibles (radiothérapie interne vectorisée).61 Le traitement du cancer de la thyroïde par utilisation d’iode radioactif est un exemple d’application de la radiothérapie interne vectorisée, aussi appelée radiothérapie métabolique dans ce cas précis.62
La radiothérapie externe est la modalité la plus répandue. Elle consiste à irradier la tumeur avec des rayons de haute énergie, depuis une source située à l’extérieur du patient. Le dépôt d’énergie produit localement est quantifié par la dose reçue, qui correspond à la quantité d’énergie absorbée par unité de masse, mesurée en gray (1 Gy = 1 J/kg). Plusieurs natures de rayonnements peuvent être exploitées : photons (rayons X et gamma) ou particules (protons, électrons, ions carbone ou autres). Le premier cas constitue la radiothérapie à proprement parler, tandis que le second est appelé hadronthérapie. Par abus de langage, on parle cependant de radiothérapie pour désigner l’ensemble des techniques utilisant des rayonnements ionisants. Dans la suite de ce paragraphe, nous allons nous concentrer sur le cas de la protonthérapie, qui est la plus utilisée des hadronthérapies.
La protonthérapie a été développée à partir des années 1950. Son principe a tout d’abord été proposé par Robert Wilson en 1946, qui avait anticipé les avantages de l’utilisation de protons dans une visée thérapeutique.63 La technique a été appliquée sur des patients pour la première fois en 1954, aux Etats-Unis.64 L’utilisation de protons se justifie principalement par une meilleure distribution spatiale de la dose par rapport aux photons. Comme illustré sur la Figure I.4, les rayons X (courbe verte) déposent une dose maximale en entrée, qui diminue ensuite progressivement à mesure qu’ils pénètrent plus profondément dans le corps, entraînant une irradiation des tissus sains en amont et en aval de la tumeur. Par comparaison, la dose déposée dans le corps par les protons (courbes rouges) est caractérisée par une valeur faible et constante en entrée, puis par une augmentation forte au niveau de la tumeur (pic de Bragg), et enfin par une chute brutale, jusqu’à une valeur nulle.65 Les courbes rouges correspondent cependant à des faisceaux monoénergétiques, tandis que ce sont des faisceaux modulés qui sont utilisés en thérapie (courbe orange sur la Figure I.4). Ceux-ci permettent d’augmenter la taille de la zone du pic de Bragg (Spread-Out Bragg Curve) afin de recouvrir la totalité de la tumeur. Cela implique toutefois une augmentation de la dose en entrée. Outre la meilleure distribution en profondeur, les protons ont également l’avantage de moins se disperser latéralement par rapport aux photons.65
Figure I.4 – Distributions de dose en fonction de la profondeur : comparaison des rayons X et des protons 66
En augmentant le différentiel de dose déposée entre la tumeur et les tissus sains, l’utilisation des protons permet donc de réduire la dose totale nécessaire pour traiter les patients. Sachant que l’irradiation peut générer l’apparition de cancers radio-induits tardifs, la protonthérapie est indiquée dans le cas des cancers pédiatriques, afin de limiter ces risques sur le long terme. Les tumeurs localisées au niveau de l’œil, de la base du crâne ou de la colonne vertébrale constituent la deuxième indication majeure, afin d’épargner les tissus/organes sensibles situés en aval.67 La principale limite à la diffusion de la protonthérapie provient cependant de son coût important, dû en particulier à l’infrastructure complexe nécessaire pour la production du faisceau (cyclotron).67,68 En France, il existe trois centres de protonthérapie, dont celui situé à Nice, sur lequel nous avons pu réaliser des expériences (chapitre 4 § II.B).
Effets radiobiologiques : mécanismes et implications
L’irradiation d’un système biologique génère une succession de processus dont les échelles de temps varient énormément, comme illustré sur la Figure I.5.
Figure I.5 – Echelle de temps des différents effets de l’irradiation sur des systèmes biologiques 69 Les processus mis en jeu peuvent être divisés en trois phases : 69,70
– La phase physique, où les rayonnements interagissent avec les atomes constitutifs du milieu, entraînant des phénomènes d’excitation et d’ionisation via l’éjection d’électrons. Ces électrons secondaires peuvent à leur tour exciter et ioniser d’autres atomes, ce qui peut générer des cascades d’événements. Au cours de cette phase, les électrons secondaires produits peuvent se solvater, et des radicaux libres sont créés (HO• et H• par exemple).
– La phase chimique, durant laquelle les espèces formées pendant la phase physique (électrons solvatés et radicaux libres) réagissent avec les composants cellulaires. On assiste également à une homogénéisation de la distribution des radicaux libres, auparavant regroupés le long de du parcours du rayonnement. Les réactions mises en jeu sont à la fois des recombinaisons et des réactions dites de fixation, qui mènent à des modifications chimiques stables de molécules biologiques, comme l’ADN par exemple.
– La phase biologique, qui regroupe tous les processus ultérieurs. Des réactions enzymatiques se produisent dans un premier temps, afin d’agir sur les lésions formées. La plupart de ces lésions vont pouvoir être réparées, et ce sont les quelques-unes dont la réparation a échoué qui vont mener à la mort cellulaire. Les cassures double-brin sur l’ADN sont par exemple plus difficiles à réparer que les simple-brin, et vont donc générer plus de toxicité. La mort des cellules impactées peut s’effectuer lentement, celles-ci pouvant encore subir plusieurs divisions mitotiques avant de mourir. D’autre part, il a été montré que des cellules non irradiées pouvaient aussi être affectées, à cause de signaux de stress envoyés par les cellules voisines.71 Les premiers effets sur les tissus apparaissent au bout de quelques jours, mais des effets se manifestent également à plus long terme, quelques mois ou années après l’irradiation.
Les processus décrits ici sont communs aux tissus sains et cancéreux. Comme cela a déjà été évoqué, durant un traitement par radiothérapie, l’irradiation cible la tumeur mais ne peut épargner complètement les tissus sains environnants. C’est cette exposition des tissus sains qui va générer des effets secondaires indésirables chez les patients. Les effets suivants sont parmi les plus fréquemment observés : fatigue, perte de cheveux, réactions de la peau, nausées, problèmes de fertilité, etc.72
Outre les effets secondaires, un problème majeur lié à l’utilisation de la radiothérapie est le développement de radiorésistance chez certaines tumeurs. Ce phénomène peut provoquer un échec du traitement, et entraîner par la suite une résurgence de la tumeur ou l’apparition de métastases.73
LA RADIOSENSIBILISATION COMME SOLUTION POUR AMÉLIORER LES TRAITEMENTS
Afin de pallier les inconvénients de la radiothérapie, la communauté scientifique s’est penchée sur l’utilisation de composés, appelés radiosensibilisants, qui vont permettre d’améliorer l’efficacité du traitement. L’objectif est de réduire la dose nécessaire pour traiter la tumeur, afin de minimiser les effets secondaires et pouvoir surmonter une éventuelle radiorésistance. Dans la littérature, le terme radiosensibilisant regroupe des effets assez divers, qu’on pourrait en réalité diviser en deux catégories : les effets de radiosensibilisation, et les effets de radioamplification.
La radiosensibilisation consiste à agir sur différents aspects de la tumeur pour qu’elle soit plus impactée par l’irradiation. Cela peut passer par l’apport d’oxygène pour contrer les phénomènes de radiorésistance des zones hypoxiques,74 par des modifications du métabolisme du glucose, également source de radiorésistance,73 ou encore par l’utilisation de leurres moléculaires qui imitent les cassures double-brin de l’ADN, piégeant ainsi les protéines chargées de la réparation de l’ADN et limitant leur action sur les dommages réels induits par l’irradiation.75 Les agents de chimiothérapie peuvent également être considérés comme des radiosensibilisants, lorsqu’ils sont utilisés en combinaison avec la radiothérapie.76 L’ensemble de ces composés augmente donc l’efficacité du traitement par radiothérapie, mais sans interagir directement avec les rayonnements. Au contraire, certains composés sont utilisés pour amplifier les effets des rayonnements, notamment la production d’électrons secondaires, ce qui augmente la dose déposée localement. Les éléments lourds étant connus pour posséder ce type de propriété,77 les NPs composées de matériaux à numéro atomique élevé sont particulièrement étudiées dans ce contexte.78 On peut désigner ce type d’effets comme de la radioamplification. Pour la suite, on peut noter que la distinction sémantique radiosensibilisation/radioamplification ne sera cependant plus faite, et que le terme de radiosensibilisant sera également utilisé pour caractériser les NPs de numéro atomique élevé.
Hainfeld et al. sont les premiers à avoir mis en évidence la capacité de tels objets à améliorer les effets d’une irradiation sous rayons X. Leur étude, publiée en 2004, montre une augmentation significative de la survie à un an de souris atteintes de carcinomes, traitées avec des AuNPs (Z = 79) de 1,9 nm de diamètre avant d’être irradiées par des rayons X : le taux de survie passe de 20% pour le traitement aux rayons X seuls à 86% lorsqu’il est précédé de l’injection de AuNPs (Figure I.6).79
Figure I.6 – Première étude in vivo mettant en évidence l’effet radiosensibilisant de AuNPs : courbes de survie de souris atteintes de carcinomes et ayant reçu différents traitements 79 (IV = intraveineuse)
Cette étude a ouvert la voie à de nombreuses autres utilisant des AuNPs, à la fois in vitro et in vivo, qui ont fait l’objet de plusieurs revues ces dernières années.80–83 Leur travail de synthèse des différentes données publiées souligne la grande variété d’objets testés, à la fois en termes de taille (1,9 à 74 nm), de forme (nanosphères, nanobâtonnets, nanotriangles, « nanopointes »), ou encore de ligands utilisés (petites molécules comme des citrates ou des thiols, polymères, dont PEG, ou biomolécules). Les conditions expérimentales sont elles aussi très diverses, notamment la nature et l’énergie du rayonnement utilisé (rayons X, rayons γ, protons, électrons ou ions carbone, avec des énergies allant de 100 keV à 12 MeV environ), le type de tumeur, la concentration des AuNPs, le temps d’exposition avant irradiation, la dose d’irradiation, etc.
Outre l’or, d’autres éléments ont également été utilisés pour former des NPs radiosensibilisantes. Le gadolinium, en particulier, est exploité car il présente un numéro atomique élevé (Z = 64) et est déjà utilisé en tant qu’agent de contraste en IRM. Il n’est pas utilisé sous forme de cœur métallique comme les AuNPs, mais plutôt de chélates. Ainsi, les NPs nommées AGuIX® (Figure I.7), produites par la société NH TherAguix, sont constituées d’un cœur de polysiloxane sur lequel sont greffées des dérivés des chélates DOTA(Gd) (DOTA = 1,4,7,10-tétraazacyclododécane-1,4,7,10-tétraacide acétique).84 Plusieurs études in vitro et in vivo ont démontré leur pouvoir radiosensibilisant, et ce sur différents types de cancers.85 La possibilité de suivre la biodistribution des AGuIX® par IRM est un avantage notable. Cela a notamment permis de mettre en évidence une accumulation des NPs dans les tumeurs après une injection intraveineuse.86 La connaissance de l’évolution dans le temps de leur biodistribution offre aussi la possibilité d’ajuster le moment de l’irradiation pour que le différentiel de concentration de NPs entre tumeur et tissus sains soit maximal. Le même groupe a aussi développé des NPs combinant or et gadolinium.87,88
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Table des matières
CHAPITRE 1. CONTEXTE DE L’ÉTUDE
I. Nanoparticules pour le cancer
A. Une grande diversité dans la nature et la fonction
B. La possibilité d’assurer un ciblage
C. Propriétés recherchées
II. Radiosensibilisation
A. Traitement du cancer par radiothérapie
B. La radiosensibilisation comme solution pour améliorer les traitements
C. Mécanismes de l’effet radiosensibilisant des NPs
III. Nanoparticules d’or greffées polymères
A. Propriétés intéressantes des nanoparticules d’or
B. Pourquoi et comment greffer du polymère en surface ?
IV. Objectifs de la thèse
Bibliographie
CHAPITRE 2. SYNTHÈSE DES NANOPARTICULES D’OR GREFFÉES POLYMÈRES
I. Stratégie de synthèse
A. Méthode de synthèse des polymères
B. Méthode de synthèse des nanoparticules d’or
II. Synthèse et caractérisation des ligands polymères
A. Synthèse de l’amorceur
B. Synthèse par ATRP des ligands méthacrylates
III. Elaboration des nanoparticules d’or greffées polymères
A. Synthèse et purification
B. Caractérisation du coeur d’or
C. Etude en diffusion de neutrons aux petits angles
IV. Greffages post-synthèse
A. Association avec la chimiothérapie : greffage de la doxorubicine
B. Greffage de protéines : BSA et lactoferrine
V. Conclusions et perspectives
Bibliographie
CHAPITRE 3. INTERACTION DES NANOPARTICULES AVEC LES SYSTEMES BIOLOGIQUES
I. Stabilité colloïdale en milieux biologiques
A. Etude par spectroscopie UV-visible
B. Etude par diffusion des rayons X aux petits angles (SAXS)
II. Migration dans la matrice extracellulaire
A. Le Matrigel® comme modèle de la MEC
B. Méthodologie
C. Résultats
III. Captation et localisation intracellulaire des NPs
A. Quelle est la cinétique d’internalisation ?
B. Quel est l’impact de la couronne polymère sur l’internalisation ?
C. Où sont localisées les NPs et dans quel état d’agrégation se trouvent-elles ?
D. Les NPs peuvent-elles être éliminées ?
IV. Cytotoxicité
A. Description de la méthode utilisée
B. Variation de la longueur de la couronne PMAA
C. Variation de la nature de la couronne
D. Impact de la Doxorubicine greffée
E. Impact des protéines greffées
V. Conclusions et perspectives
Bibliographie
CHAPITRE 4. COMPORTEMENT DES NANOPARTICULES SOUS IRRADIATION
I. Effets de l’irradiation sur les NPs greffées polymères
A. Stabilité des NPs sous irradiation
B. Cytotoxicité des NPs irradiées
II. Étude de la radiosensibilisation sous plusieurs types de rayonnements
A. Radiothérapie interne : iode
B. Radiothérapie externe : protons
C. Discussion
III. Méthode PIXE pour localiser les NPs
IV. Conclusions et perspectives
Bibliographie
CONCLUSION GÉNÉRALE
ANNEXE A : PARTIE EXPÉRIMENTALE
ANNEXE B : SPECTRES RMN
ANNEXE C : SPECTRES UV-VISIBLE
ANNEXE C : DIFFUSION DE RAYONNEMENTS AUX PETITS ANGLES
ANNEXE E : IMPACT DU POLYMÈRE LIBRE
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