Intégrer l’élève allophone dans la séquence de lexique

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Vers une maîtrise du langage oral pour tous

C’est d’abord à l’oral que l’enfant de petite secti on s’exprime. Il devra dans un premier temps maîtriser les bases de ce langage particulier ainsi que ses codes, afin d’entrer plus tard dans l’écrit, et à termes évoluer dans sa scolarité. Alain Bentolila souligne l’importance du langage oral dès la maternelle « car, quelle que soit la méthode de lecture qui lui sera proposée, un enfant qui ne maîtrise pas suffisamment la langue orale aura beaucoup de mal à apprendre à lire et plus encore à écrire. Il traînera son retard tout au long du primaire et le collège l’achèvera12.»
Quelques pages plus loin, il développe cette idée ed prévalence de la communication orale, en analysant le contenu des Instructions Officielles : « l’école, avouons-le, s’est fort peu occupée de la maîtrise de la communication orale. Les Instructions Officielles ont jusqu’à récemment négligé d’insister sur la nécessité d’une pédagogie la communication orale. On y parlait certes de lecture, d’écriture, parfois d’expression orale […] mais jamais la gestion de la communication orale n’a vraiment été désignée commeun des grands objectifs de l’école primaire. Il a fallu attendre 1995 pour que les Instructions Officielles invitent les enseignants à s’y intéresser13. »
Aujourd’hui, on reconnaît l’oral comme domaine pédagogique mais celui-ci intimide encore les maîtres qui se demandent depuis quarante ans « comment je fais avec le langage ?14» Dans le document d’accompagnement rendu accessible par Eduscol, les auteurs du SCEREN insistent pourtant sur cet objectif majeur : L’objectif de l’école maternelle est l’acquisition par tous les élèves d’un langage oral riche, organisé et compréhensible par l’autre. Si une place déterminante lui est ainsi reconnue dans les objectifs et les pratiques de l’école maternelle, c’est parce qu’il est attesté que les inégalités scolaires et les difficultés ultérieures de nombre d’élèves ont leur source dansle maniement du langage et de la langue. L’école maternelle joue pleinement son rôle dans la prévention de l’échec scolaire en accordant à ce domaine toute l’attention qu’il requiert sans précipiter les acquisitions ; ce faisant, elle concourt à donner à chacun plus de chances d’épanouissement de sa personnalité, plus de chances aussi de faire reconnaître toutes ses capacités .
La maîtrise de l’oral est d’autant plus importante qu’elle conditionne, et ce dès la première scolarisation, l’épanouissement langagier du petit enfant : « Dans les situations collectives, l’oral est nécessaire pour agir et contrôler le déroulement de l’action. Dans les apprentissages, il est indispensable pour échanger des idées, construire des coopérations, partager des projets, dire son accord et son désaccord ; il permet de s’expliquer ou de questionner, de rapporter ou de résumer, de se souvenir ou de se projeter .»
Si on se concentre non seulement sur ce domaine, mais plus particulièrement sur ce domaine dans la perspective de le faire intégrer à tous les enfants, on aura largement atteint les objectifs de l’école maternelle. En petite section, le langage oral représente l’unique support d’apprentissage de la langue pour l’enfant. Il est donc privilégié. La séquence de langage en général ne pourra donc s’organiser qu’autour de sadimension orale. D’autant plus que c’est le premier langage que l’élève allophone doit acquérirpour entrer en communication avec le groupe classe. Celui-ci aura d’abord besoin de mots ; le lexique viendra alors s’intégrer à cet apprentissage premier pour une communication entre tous les élèves de la classe.

De(s) lexique(s) fondamentaux en maternelle

Dans le Guide pour enseigner le vocabulaire à l’école maternelle (sous la direction de Micheline Cellier) on peut lire: « il est indispensable d’enseigner le vocabulaire pour compenser les inégalités sociales et amener les enfants à maîtriser correctement le vocabulaire usuel». L’importance du langage – lequel comprend l e vocabulaire avant même la grammaire, les sons et les mots – ne cesse d’être souligné. Pourtant, l’auteure souligne quelques lignes plus loin que « même si l’attention portée au vocabulaire s’est considérablement renforcée dans les classes , le rapport de l’inspection générale sur l’école maternelle publié en 2011 précise que sur les 97 classes visitées par la mission et sur les 221 classes inspectées par des IEN, il n’y a respectivement que 5.1% et 7,6 % des ateliers consacrés spécifiquement au vocabulaire alors que 32% et 10,4 % sont consacrés aux activités de préparation à la lecture […] 17». Voilà pourquoi j’ai voulu intégrer ma séquence dans une démarche d’implantation de vocabulaire dès la PS, car le lexique est l’outil premier pour apprivoiser le langage. La lecture de ce Guide nous amène progressivement au constat suivant : Le rapport de l’inspection générale sur la maternelle va dans ce sens : l’attention au vocabulaire s’e st considérablement renforcée dans les classes ; les nseignants planifient des séancesad hoc, mais le choix des mots privilégiés reste aléatoire, plus souventfonction du ‘thème’ en vigueur ou du ‘projet’ de cl asse que référé à des critères de fréquence et donc derioritép pour les apprentissages. Les activités restent assez stéréotypées : étiquetage du monde (association d’un mot à un objet ou image), désignation (de l’image au mot, du mot à l’image). Le nombre de sup ports fabriqués dans les classes est significatif de cette logique : imagiers, dictionnaires, répertoires collectifs et/ou individuels qui deviennent supports de mémorisation. Il y a là une première étape, mais ilfaudrait des enrichissements : des moments dévolus à des activités de catégorisation, à des mises en relation entre les mots selon des relations de sens (synonymes, contraires…) et surtout des situations de réemploi du vocabulaire étudié. C’est à cette condition qu’il deviendra actif18.
Il s’agit donc de mettre en œuvre une véritable did actique de l’apprentissage lexical. Les mots doivent être appris en fonction de leur sens et deleur emploi dans des phrases et contextes différents. Les listes lexicales se doivent donc d’être « intelligentes ». Afin de faire fonctionner cette didactique, l’auteure dresse le panorama de ce qui sollicite la mémoire de l’enfant lors de séances d’apprentissages du lexique19 : d’abord, « les élèves retiennent d’autant plus facilement un mot qu’ils en ont besoi n pour un projet ». A l’intérieur de ma séquence, les élèves devront effectivement remobiliser le lexique, non seulement pour créer l’album-imagier, mais aussi pour jouer au coin cuisine qu’ils affectionnent. En effet les enfants retiennent « ce qui sollicite l’affect […] car un fort intérêt déclenche un processus de mémorisation très efficace ». Micheline Cellier poursuit en expliquant que « le stockage en mémoire est favorisé par la répétition » et que ’insertion«l dans des phrases est donc très productive. » Ainsi « le rappel de récit, l’apprentissage de formules répétitives, les lectures multiples et surtout les jeux qui permettent de rebrasser les mots dans un contexte ludique sont très efficaces pour la mémorisation ».Toutes les couleurs est un conte de randonnée, les formules20 se répètent et l’on peut aisément créer de nouvells phrases dans d’autres contextes. Au cours de la séquence, on pourra également jouer avec ces formules lors d’une partie de loto.
L’auteur poursuit en relevant que « les connaissances acquises constituent une zone d’accrochage organisée à laquelle s’ajoutent logiquement les nouvelles informations21». Le lexique que je vise relève du quotidien, il est partiellement connu pour au moins certains mots. Il s’agira ensuite de s’accrocher à ces mots connus afin de catégoriser les notions lexicales apprises : « Le classement logique en catégories et sous-catégories est un puissant moyen de mémoriser. Il correspond à l’organisation même de la langue qui procède à des emboîtements divers et à la structuration de la mémoire régie par la catégorisation.» En effet, il s’agit bien de « travailler prioritairement sur les mots les plus fréquents qui sont aussi les plus polysémiques, sans négliger les apports de lalittérature qui fournit des mots plus rares mais importants22.»
Notons que l’auteure utilise toujours le terme de « compenser », ce qu’il faut «régulariser» si l’on parle d’enfants allophones parlant une autre l angue à la maison. Dans ce cas, il faudra faire faire le lien entre le mot de lexique appris en français et celui qu’il connaît probablement déjà dans sa langue maternelle. Le but n’est pas de remplacer sa première langue par le français mais de l’enrichir d’une langue seconde.

Des inducteurs, du jeu et de la transversalité pour motiver tous les élèves à entrer dans le vocabulaire

Les thèmes lexicaux mobilisés par le jeu

Nous venons de voir que les enfants retiennent « ce qui sollicite l’affect ». Ici ce sera d’abord les couleurs, ensuite les animaux, puis plus tard les aliments qui sont venus enrichir les listes lexicales. La motivation est essentielle pour que l’enfant s’investisse dans les apprentissages et crée un cercle vertueux dans son désir d’apprendre. Cette motivation se renforce lorsqu’on propose d’aborder les thèmes choisis par la voie du jeu. Selon Eduscol, « les enfants apprennent en jouant23». De plus, les nouveaux programmes appuient cette idée.

Littérature de jeunesse, jeu et lexique

Allier littérature de jeunesse et apprentissage du lexique ajouterait encore à l’efficacité des méthodes d’apprentissage du lexique. L’auteure du Guide écrit en effet que « lire des albums de littérature jeunesse est un excellent moyen d’acquérir du vocabulaire. Cette activité permet de nourrir les champs lexicaux, facilite la mémorisation des mots par leur répétition et leur contextualisation, permet d’accéder à des mots plus rares et à la fonction poétique du langage24.»
Bentolila affirme qu’« entendre des histoires conduit les élèves à engager des mécanismes de conceptualisation qui mènent des mots aux idées etréciproquement […] l’écoute oralisée d’histoires écrites ou leur racontage construit la référence en suivant des règles de langue qui sont autant d’aide à la compréhension25».
J’ai beaucoup insisté sur la lecture des albums, mais j’ai également essayé d’en réinvestir les éléments de façon ludique afin de créer des situations d’appropriation de l’histoire par le petit enfant. Afin de réinvestir le vocabulaire appris, les élèves pouvaient jouer avec des marottes et au loto du lapin et d’Elmer. Grâce à la façon co ncrète et ludique qu’ils ont eu de réinvestir l’album, tous ces dispositifs ont été autant d’outils qui pourraient faciliter l’entrée dans les apprentissages pour les enfants et plus particulièrement les petits allophones.

Arts visuels, jeu et lexique

Dans Cinq situations artistiques à objectifs langagiers , les auteurs se proposent de lier intelligemment la pratique que constitue l’art visuel et le caractère fuyant de l’oral afin de construire ce dernier et de faire entrer l’enfant dans une démarche de réussite scolaire: « A l’école maternelle, la pratique des arts visuels est aussi l’occasion d’enrichir le lexique et d’asseoir des structures syntaxiques. Par les arts visuels, la pratique sensible, la rencontre esthétique, nous contribuons à donner envie aux enfants d’aller à l’école pour apprendre, affirmer et épanouir leur personnalité (extrait duBO spécial du 26 mars 2015). Prenant en compte la loi de refondation de l’école, l’ambition de cette démarche est de participer à la réussite de tous les élèves au sein d’une école juste pour tous et exigeante pour chacun26. »
Afin d’enrichir la démarche d’intégration lexicale, le vocabulaire du quotidien peut s’introduire dans une situation artistique. La première démarche de catégorisation s’offrirait sous la forme d’une composition plastique. En effet, « les arts plastiques et visuels, de par leurs spécificités (engagement émotionnel, esthétique, rencontre sensible, traces et réalisations), sont des pratiques privilégiées pourfaciliter les opérations mentales de mémorisation chez les jeunes enfants .»
Au cours de la séquence, la démarche d’appropriation du lexique va s’enrichir d’une appropriation plastique et ludique. En effet, je propose d’établir un classement sur la base d’un jeu : Elmer va au marché avec trois paniers de différentes couleurs. Les élèves doivent classer les aliments par couleur, sur une feuille de cette même couleur sur laquelle est collée un panier. L’élève, après avoir oralisé le nom de’aliment, le peint à l’encre sur la feuille correspondante. Il aura ainsi appris à classer par couleurs tout en mobilisant le lexique dans une démarche artistique et ludique. L’enfant allophone pourrait de surcroît trouver dans ce langage qui ne sollicite pas la parole, une autre façon de communiquer qui pourrait bien lui donner confiance en lui et entreprendre la parole.

Intégrer l’élève allophone dans la séquence de lexique

Des enfants allophones nés en France, quel statut face aux EANA ?

Le statut des enfants allophones nouvellement arrivés (EANA) est sensiblement différent de celui des enfants allophones nés en France. Tandisque ces premiers n’ont aucune notion de la langue française et relèvent d’une situation migrat oire qui bouleversent leurs repères, les seconds ainsi que leurs parents entendent le frança is autour d’eux mais n’y évoluent quasiment pas. C’est à ce dernier cas de figure que je suis confrontée. En échangeant avec les parents de ces enfants, j’ai pu noter qu’ils n’insi staient pas sur l’apprentissage du français à la maison. Dans une démarche compréhensible, ils confient cette tâche à l’école, laquelle fait évoluer leur petit durant une grosse partie de la journée. J’ai pu constater les résultats de cet état de fait dans la classe. En effet, coupés de leurs repères familiaux, les enfants allophones ne comprennent pas toujours ce qu’ils font à l’école, et cela est renforcé par leur non compréhension de la langue scolaire. Lorsque je leur parle, il me semble toujours qu’ils entendent le français pour la première fois. Il est pourtant important de stimuler chez l’enfant l’évocation de ses apprentissages à l’école dans son environnement personnel, et dans les deux langues. J’ai donc conseillé à ces parents, avec qui les relations sont excellentes, d’implanter toujours, dans la mesure du possible, davantage de langue française chez eux, mais surtout de jouer au maximum sur les deux langues et leur cotraduction. En effet, il faut insister sur la richesse langagière que ces élèvesont la possibilité de cultiver dès le plus jeune âge, et dans la classe de petite section :
Nos élèves dont la langue maternelle n’est pas le rançaisf doivent apprendre le français comme langue seconde (pour s’insérer socialement) et langue de scolarisation.[…] La reconnaissance de la langue maternelle, le développement des compétences de l’enfant dans cette langue ne sont pas préjudiciables à l’apprentissage du français, bien au contraire ; l’ apprentissage d’une langue seconde est facilité si l’enfant possède dans sa langue maternelle ce que nous appelons le « langage d’évocation ». Il importe d’informer les familles de l’importance et de la nécessité dela communication dans la langue de la maison, et de développer par tous les moyens possibles les acquisdes élèves dans leur langue première.

Des enfants « prioritaires »

Les élèves qui ne comprennent ni ne parlent la langue française sont de fait des enfants qui ont besoin de plus d’attention et d’échange dans la classe. Ils doivent partager davantage pour s’approprier la langue française. Lors d’un atelier par exemple, l’enseignant doit, non se focaliser, mais se concentrer davantage sur l’élève allophone du groupe dont les besoins interactionnels sont supérieurs. C’est ce que dit Mireille Brigaudiot dans Le langage à l’école maternelle. Celle-ci consacre une partie de son livre aux élèves qu’elle nomme « les enfants prioritaires ». Elle en parle en ces termes : « Un maître considère qu’un enfant est prioritaire quand il constate qu’il est en décalage par rapport au reste de la classe, de manière durable et souvent dans plusieurs domaines.» Elle dresse une liste non exhaustive des élèves qui peuvent se trouver dans ce cas de figure : un enfant qui reste dans son monde sans se sentir concerné par la classe, qui s’exprime très peu ou beaucoup trop, qui est triste, semble perdu, agressif, etc. Elle ajoute que l’enseignant connaît parfois l es causes du décalage : « Arrivée en cours d’année, bouleversement dans la famille, non-usage du français comme langue quotidienne. »
Cette dernière cause est précisément celle qui fontque les élèves allophones de la classe sont des élèves prioritaires. Adrien et Huazhang sont deux enfants chinois qui ne parlent que peu le français à la maison, ils semblent quelque peu lésés par le langage utilisé autour d’eux. Adrien communique beaucoup par gestes, Huazhang est réellement intéressé par la parole et formule beaucoup d’essais. Travis, lui, entend les deux langues à la maison mais, chez lui, le décalage est d’un autre ordre : il ne parle pas encore et semble accuser un retard de langage qu’on ne situe pas encore bien. Si on est une petite fille coréenne qui doit surmonter quant à elle une double difficulté : elle est arrivée dans la classeau mois de novembre et n’entend pas le français à la maison. Elle se sent lésée au niveau du groupe communiquant, reste à l’écart et ne parle jamais. Concernant les apprentissages : elle fait pourtant partie des meilleures élèves. Abdoulaye, quant à lui, n’entend pas non plus le fr ançais ailleurs qu’à l’école, mais demeure très à l’aise avec le groupe. Le décalage ici est peut-être lié au fait qu’il ne comprend pas vraiment ce qu’il est censé faire à l’école. Excepté Travis qui semble avoir encore besoin d’un peu de temps pour se développer, tous ces élèves possèdent un niveau équivalent ou supérieur aux autres élèves de la classe, (c’est le cas pour Huazhang et Si on ), qui pourraient même exceller s’ils pouvaient combiner les acquis reçus de leur langue maternelle à ceux de l’école préélémentaire en langue française. Les situationssont donc définitivement à différencier, comme il est rappelé par le SCEREN : À l’école maternelle, la situation de ces élèves est sans doute moins délicate que dans les niveaux scolaires ultérieurs où l’urgence de la maîtrise de la langue pèse encore davantage compte tenu des apprentissages en cours qui mobilisent l’écrit et des décalages qui se forment très vite. Il serait dommage de ne pas profiter de cette conjoncture favorable pour mettre les enfants en situation d’aborder l’école élémentaire avec des atouts réels. Ces enfants nonrancophonesf ne doivent pas être regardés comme des élèves en difficulté ; ils ont des capacités et desacquis équivalents à ceux de leurs camarades. Il leur reste à apprendre la langue de l’école pour les faire reconnaître. Si cette différence ne peut être réduite,alors il faudra voir ce qui fait obstacle et où peuvent êtreles sources de difficulté. Deux situations sont à distinguer même si, dans les deux cas, les enseignants ne comprennent pas leurs élèves. Ils ne comprennent pas plus certains petits ou tout petits dont le français est la langue maternelle mais ils se sentent plus démunis avec les enfants non francophones pour leur permettre d’apprendre vite le françai s. Souvent, ils ne comprennent pas non plus les parents et ne peuvent donc pas parler de l’enfant accueilli avec eux.

Pratiques différenciatoires

Plusieurs pistes de travail viennent à l’esprit lor squ’on veut faire progresser des élèves prioritaires, ici allophones. Mireille Brigaudiot en énonce six . La première consiste à apporter à ces élèves particuliers une «immense bienveillance». En effet, avant d’obtenir de ces enfants qu’ils intègrent un apprentissage, il faut leur en ouvrir la porte en leur donnant la confiance dont ils ont besoin. Deuxièmement, il faut être «100 fois plus à leur écoute, et donc intéragir verbalement avec eux plus qu’avec les autres enfants». C’est pourquoi je profite toujours du temps de l’accueil ou du réveil de la sieste pour communiquer davantage avec eux. J’insiste sur le caractère bienveillant de mes gestes et de mes paroles et les enfants s’ouvrent à moi, sourient, tentent de parler, et se trouvent galvanisés dans leur envie de communiquer avec les autres. Troisièmement, il faut «prendre l’habitude de leur donner de l’avance en menant un atelier avec eux avant de présenter une activité nouvelle et/ou difficile au groupe classe en collectif». Du coup, j’ai ralenti le débit d’apprentissage : j’ai fait commencé le travail en amont à mes élèves prioritaires en leur présentant les albums à l’accueil, en les mimant, en les relisant et en les leur faisant s’approprier par les marottes que j’ai créées. Une quatrième condition: l’auteure enchaîne sur l’importance de «reprendre les activités après l’atelier, afin de faire une tutell plus forte». J’ai essayé de m’y tenir à la fin des mes ateliers dirigés du matin. En effet, il mereste toujours un peu de temps avant de faire ranger. Ce temps est utilisé pour répéter l’atelierau rythme des enfants prioritaires. Cinquièmement, «ces enfants ont besoin de clarté métacognitive, c’est à dire de savoir ce qu’ils apprennent et où ils en sont. L’enseignant d oit être explicite sur le but poursuivi, l’utilité du futur apprentissage, les étapes qu’ilsuppose.» Ceci a été plutôt diffcile dans le sens où mes élèves allophones peinaient à se saisir du sens de mes consignes. J’ai alors tenté de mimer, de montrer les liens entre les albums, les images et le coin cuisine. La dernière piste conssiste à être «vigilant quant au choix des thèmes d’activité». C’est pourquoi le thème de ma séquence a été choisi en fonction du fort caractère inductif que celui-ci pouvait peut-être revêtir. La CASNAV de l’académie de Poitiers report des conditions nécessaires à l’apprentissage pour les élèves allophones, et celles-ci sont tournées vers la motivation et l’induction, caractéristiques que j’ai tenté d’optimiser dans ma séquence :
1. Vouloir parler : motiver l’élève. Parce que le plaisir est un moteur puissant, les situations motivantes déclencheront le besoin de parler : l’enfant aura envie de faire pour comprendre et de dire pour faire.
2 Ancrer l’oral dans des situations de communication pour déclencher le désir d’échanger.
3 Proposer des situations où l’affectif prend une part importante pour stimuler et donner l’envie de communiquer :
utiliser le support de l’environnement sensoriel : les odeurs, les goûts, les sons …
4 Proposer des situations fonctionnelles, vécues etauthentiques et des supports concrets (manipuler, sentir, toucher, classer …) pour favoriser une expérience et une communication authentique : l’enfant actif, donnera du sens et vérifiera ses acquis, s’il peut faire ce qu’il dit.
5 Insister sur les situations de la vie quotidienne, particulièrement celles de la maison, celles vécues uniquement en langue maternelle (toilette, repas, habillage) qui créeront un lien affectif et la possibilité de transfert linguistique utiliser les coins-jeux pour le solliciter […]
6 Utiliser les albums jeunesse et les situations de jeux34.
La motivation se retrouve dans les situations fortement inductives que je tente de proposer. Celles-ci s’orientent vers les goûts et les supports concrets (les aliments en plastique rappelant le repas). En fin de séquence, il va de soi de pratiquer une évaluation différenciée, avec des critères revus et adaptés.

Mise en pratique et analyse de la séquence

J’ai tenté de m’appuyer sur la démarche «DICURE» que propose Alain Bentolila35 (Découverte, Imprégnation, Consolidiation, Usage par le jeu, Recontextualisation, Evaluation). Cette procédure stipule que la séquenc de lexique peut s’établir ainsi : d’abord «on procède à la découverte par classements». Il s’agit de partir du stock lexical des élèves et de leurs propositions lexicales pour viser une structuration – c’est ce que je m’attache à faire dans la première séance de manipulation des albums – pour ensuite procéder à une «Imprégnation par mise en réseau». Le lexique vu s’imprégnera des différents personnages dont la rencontre sera possible par la mise en réseau des albums. La consolidation se fera par un «éclairage nouveau» des apprentissages, par le jeu de mise en scène avec les marottes. L’«Usage par le jeu» qui vient ensuite réinvestit ludiquement les listes lexicales. C’est pourquoi j’ai tenté de réinvestir le jeu de loto à des fins de structuration. Les «Révisions reformulations et recontextualisations» sont utilisés en arts plastiques, ce qui place le travail dans une autre dimension , un autre domaine, tout aussi motivant pour l’enfant, et dans la création de l’album imagier. L’évaluation est enfinpensée par «utilisation de la stratégie». L’enfant va en effet commenter la réalisation de la classe en remobilisant les apprentissages ou jouer avec les marottes. Le but est de pratiquer une évaluation positive en mettant l’enfant en confiance.

Analyse de la grille évaluative

Si l’on observe la grille évaluative, on voit que les apprentissages des francophones sont divisés en plusieurs strates. Certains ont acquis beaucoup de vocabulaire et de grammaire, d’autres moins, mais plus que d’autres qui se rappr ochent des performances des petits allophones qui eux ont acquis les couleurs de base et les aliments correspondant à ces couleurs de base comme la banane, le maïs, le concombre, le poivron, la tomate, et les fraises. Ils ont surtout acquis les aliments qui se trouvaient dans le coin cuisine plus que ceux représentés par les images. Le lexique corporel n’aquant à lui pas vraiment suscité l’intérêt.
Suite à cette séquence je n’ai pas réussi à obtenir de « grammaire » des élèves allophones mais certains mots isolés qui leur ont cependant donné beaucoup de satisfaction. Lorsqu’ils viennent régulièrement me voir – en me tendant un aliment de la corbeille et en me disant son nom – et demandent à en savoir davantage, je leur r éponds par une phrase en accentuant le mot qui les intéressait.

Réponse globale à la question que pose le mémoire

Suite aux résultats obtenus, je peux tenter de répondre à la question que pose ce mémoire, à savoir : « Les animaux en couleurs dans la littérature jeunesse : un inducteur pour faire entrer tous les élèves d’une classe de petite section dans lelexique? »
Je dirais que l’induction a bien fonctionné pour tous les élèves, le thème des animaux en couleurs a abouti dans l’appropriation des couleurs mais surtout d’un lexique du quotidien particulier, celui de l’alimentation, lui-même aidépar celui les couleurs qui était traité en amont.
L’induction a pourtant fonctionné différemment de ec que j’avais plus ou moins imaginé en préparant la séquence. En construisant celle-ci enamont, j’avais imaginé que les animaux en couleurs allaient induire un lexique riche d’animaux justement qui auraient différentes formes, qui seraient jeunes, gros, minces, vieux. Mais en fait, l’induction a été plus littérale dans le sens ou les animaux n’ont été que des inducteurs, des éléments qui ontapportéle vrai thème lexical : l’alimentation et les couleurs, deux thèmes qui s’enrichissent mutuellement. Les animaux allaient être les supports de ces enrichissements, ceux qui mangent les aliments. Quelques verbes ont été réinvestis, et très peu decaractéristiques physiques. Des tournures grammaticales ont pu poindre. Ma séquence a vraiment été dans le sens que les élèves voulaient qu’elle prenne. J’ai jugé bon ne pas briser leur élan en restreignant leur envie d’apprendre à un cadre « théorique » déjà balisé. Il faut remarquer que ce sont là des thèmes très abordés par les élèves dans leur quotidien d’enfant de trois ans, encore plus que les caractéristiques physiques ou les actions quotidiennes. Les enfants sont fortement happés parce qu’ils mangent ou pourraient manger. De plus, les aliments sont un thème que l’on peut s’approprier par la manipulation et que l’on peut rattacher aux couleurs.
Les élèves francophones se sont approprié la syntaxe de l’album mais cela semblait trop tôt pour les élèves allophones qui ne s’intéressaient u’auxq mots clés. Peut-être manquaient-ils de clés justement pour entrer dans ces phrases, ou de situations de communication plus à leur portée.

Recul réflexif sur la séquence dans sa globalité

Remarques finales et globales

Une démarche critique de la séquence s’avère nécessaire puisque certaines mises en place n’ont pas fonctionné et d’autres oui. Il reste à les analyser pour les comprendre et ainsi progresser. D’abord, il est vrai que l’enrichisseme nt du thème qui s’est tourné vers l’alimentation n’était pas prévu, cela n’a pas dérangé les élèves, au contraire, mais a bouleversé la séquence qui se trouve de fait quelqu peu décousue même si au final une cohérence s’y trouve, qui suit le fil rouge des couleurs. J’ai préféré privilégier l’intérêt des élèves, ce qui conditionnait leur apprentissage futur, plutôt qu’une cohérence a priori établie en amont. Ne faut-il pas s’adapter aux besoins et demandes des enfants de PS ? De plus, certains élèves qui ont très vite connu toutes lescouleurs avaient besoin de les réinvestir dans un autre thème. Celui de l’alimentation m’a paru pertinent car il couvrait les demandes et besoins différents des deux catégories d’élèves, uxce à l’aise avec la communication en français, et les enfants allophones. Pour les uns, il s’agissait de réinvestissement et de demande de plus de vocabulaire, et pour les autres d’entrer dans un apprentissage premier. En fait les petits allophones entrent plus dans les apprentissages par le biais de l’alimentation que par les animaux, peut-être parce qu’ils se centrentplus sur eux-mêmes dans leur intérêt au lexique. Ils intègrent peut-être mieux le lexique ’uned langue inconnue en s’identifiant à l’acteur de l’histoire plutôt qu’en le déléguant à un personnage. Ce qui me paraît logique dans le sens où le personnage (noms, caractéristiques), constitue déjà un apprentissage difficile. Ils ont donc intégré un certain lexique, mais pas vraiment d’éléments syntaxiques. Peut-être faudrait-il à ce titre envisager des situations de communication plus pertinentes et adaptées, comme celles que l’on utilise dans les nouveaux programmes d’apprentissage de l’anglais pour les petits français, autour d’un projet de com munication. En ce sens, je me suis rendu compte que l’évaluation aurait pu se compléter d’une situation de communication adéquate : les élèves auraient pu échanger entre eux au coin uisinec lors d’un inventaire des courses à ranger, par exemple. Cela les aurait fait réinvesti le lexique appris dans une situation qu’ils affectionnent : le jeu symbolique. Les TPS quant à eux n’entrent pas vraiment dans la séquence. Je n’ai sûrement pas assez différencié leurs travaux ; peut-être aurai-je dûesl faire entrer dans l’atelier des petits allophones, cela aurait pu être enrichissement pourtout ce groupe.
Le recul pris sur ma séquence me convainc du fait qu’il aurait été beaucoup plus judicieux de substituer – au début de la séquence et tout le long de celle-ci – Pop mange de toutes les couleurs à Elmer. D’un point de vue thématique et conforme au niveau des PS, cela aurait été préférable et plus logique. J’aurais pu ainsi utiliser le personnage de l’éléphant bariolé en évaluation différenciée, dans une phase de réinvestissement du lexique appris à l’intérieur de laquelle il aurait trouvé une place plus pertinente. Puisque la période 4 ne me le permettait pas, je compte poursuivre cela en période 5.
La séquence aurait pu prendre place dans un projet sur le bien-être et les aliments, ce que je compte réinvestir justement pour la dernière période.

Prolongements

En période 5, je déroulerai le panel pédagogique dece qui aurait pu se produire mieux et je poursuivrai l’album imagier, avec des animaux de la savane et des aliments plus ou moins exotiques, autour du thème de l’alimentation et du bien-être.

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Table des matières

DEVELOPPEMENT
A/ Cadre théorique
A/1. Le(s) langage(s) à l’école maternelle : un vaste domaine à privilégier
A/1.1. Un langage à prioriser
A/1.2. Des langues à développer
A/1.3.Vers une maîtrise du langage oral pour tous
A/1.4. De(s) lexique(s) fondamentaux en maternelle
A/2. Des inducteurs, du jeu et de la transversalité pour motiver tous les élèves à entrer dans le vocabulaire
A/2.1. Les thèmes lexicaux mobilisés par le jeu
A/2.2. Littérature de jeunesse, jeu et lexique
A/2.3. Arts visuels, jeu et lexique
A/3. Intégrer l’élève allophone dans la séquence de lexique
A/3.1. Des enfants allophones nés en France, quel statut face aux EANA ?
A/3.2. Des enfants « prioritaires »
A/3.3. Des enfants avantagés
B/ Cadre pratique
B/1. Description de la séquence
B/1.1. Présentation de la séquence dans un cadre général
B/1.2. Pistes de différenciation pour les allophones
B / 2. Mise en pratique et analyse de la séquence
B/2.1 Analyse réflexive du déroulé des séances
B/2.2. Les résultats
B/3. Recul réflexif sur la séquence dans sa globalité
B/3.1. Remarques finales et globales
B/ 3.2 Prolongements
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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