Le 4 novembre 2006, aux alentours de 22h10, un incident initié par l’ouverture de la ligne 380 kV Conneforde – Diele en Allemagne, a conduit à la séparation du réseau électrique européen en trois zones et à la coupure de 15 millions de foyers (Union for the Coordination of Transmission of Electricity 2007). Il s’agit du dernier blackout recensé à l’échelle européenne. Si les causes de cet incident sont multiples, avant tout liées au non-respect du critère de sécurité « N-1 » et à une mauvaise coordination des gestionnaires de réseau, la déconnexion rapide et incontrôlée d’une proportion importante de centrales éoliennes, ainsi que leur reconnexion non-coordonnée, en fut certainement un facteur aggravant. De plus, la volatilité des productions éolienne et photovoltaïque peut conduire à opérer le réseau électrique au plus proche des limites de sécurité, du fait d’échanges d’électricité plus conséquents entre pays voisins comme ce fut le cas ce jour-là. L’association des gestionnaires de réseau de transport d’électricité européens, l’ENTSO-e, identifie l’essor du renouvelable comme l’une des raisons principales expliquant les besoins de renforcement du réseau électrique, notamment des capacités d’interconnexion entre pays (European Network of Transmission System Operators for Electricity (entsoe), s. d.). Cet essor du renouvelable semble être amené à se poursuivre, au vu des investissements actuels dans ces moyens de production, et des objectifs de pénétration que se fixent les gouvernements (REN21 2015). Pourtant, la construction de nouvelles lignes électriques se heurte souvent à l’opposition de citoyens ou d’associations, ce qui peut conduire à des retards et surcoûts importants, venant ainsi compromettre les stratégies d’intégration du renouvelable envisagées par les gestionnaires de réseau (Teusch, Behrens, et Egenhofer 2012). Par ailleurs, le renouvelable remet potentiellement en cause l’architecture jusqu’alors très centralisée du système électrique actuel, son développement pouvant tout aussi bien reposer sur des centrales de grande taille que sur une multitude de petits systèmes localisés au plus près des centres de consommation (Vergnol 2010; Labis et al. 2011). Au-delà de la question de l’intégration du renouvelable, le système électrique est amené à subir des mutations : un certain nombre d’infrastructures sont aujourd’hui vieillissantes et doivent être remplacées, de nouvelles technologies (stockage, smartgrids) et de nouveaux usages (véhicules électriques, pompes à chaleur) sont développées. Ces différentes évolutions du système électrique amènent des questionnements nouveaux quant à sa gestion tandis que les clients du réseau sont de plus en plus exigeants vis-à-vis de la qualité de l’alimentation électrique.
Contexte de l’évolution du système électrique
Croissance de la part du secteur électrique dans la consommation énergétique
La part de l’électricité dans la consommation totale d’énergie dans le monde est en forte augmentation, passant de 9% en 1973 à 18% en 2013. Du fait du quasi-doublement de la consommation finale d’énergie sur cette période, l’accroissement de la consommation d’électricité y a été de 282%, la plus forte augmentation tous vecteurs confondus, si l’on excepte le cas spécifique de certains usages chaleur dont la portée est restreinte . Dans les pays de l’OCDE cette augmentation a été également conséquente, quoique moins marquée, suivant ainsi la croissance plus faible de la consommation finale d’énergie pour ces pays .
Cette tendance devrait se poursuivre, du fait notamment du développement du secteur électrique dans les pays émergents. Ainsi, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) estime dans son rapport ETP 2014 (IEA 2014a) que ce vecteur pourrait représenter 30% de la consommation finale d’énergie dans plusieurs régions du monde d’ici 2050, et 25% au niveau mondial .
La croissance de la part de l’électricité dans la consommation totale d’énergie doit être mise en regard des émissions de CO2 de ce secteur dans un contexte de lutte contre les changements climatiques.
Rôle du secteur électrique dans la lutte contre les changements climatiques
Le système électrique est aujourd’hui l’un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre : en 2013, 42% des émissions de CO2, le principal gaz responsable du réchauffement climatique d’origine anthropogénique , étaient imputées aux secteurs électricité et chaleur, devant le transport ou encore les émissions directes de l’industrie .
Malgré la part du secteur électrique dans les émissions de CO2, celui-ci est généralement présenté comme plus facile à décarboner. Des objectifs plus ambitieux de réduction des émissions de CO2 que pour les autres secteurs lui sont alors alloués. Par exemple, au niveau européen, la « feuille de route vers une économie compétitive à faible intensité de carbone à l’horizon 2050 » prévoit une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 79% à 82% en 2050 par rapport aux niveaux de 1990 pour l’ensemble du secteur énergétique, alors que pour le secteur électrique, cette réduction doit atteindre 93% à 99% au même horizon. C’est le secteur qui présente les réductions les plus élevées dans cette feuille de route (Commission Européenne 2011). Du fait du potentiel attribué au secteur électrique dans la décarbonisation de l’économie, nombre de scénarios envisagent une électrification croissante d’autres secteurs, tels que le transport ou le bâtiment. Le scénario 2DS , du rapport ETP 2014 de l’AIE, envisage par exemple une électrification à 10% de la demande finale du secteur des transports, responsable à elle seule de 50% des gains réalisés dans ce secteur en termes d’émissions de CO2 (IEA 2014a).
Les stratégies proposées pour décarboner ce secteur passent généralement par une plus grande maîtrise de la demande, avec notamment l’usage d’équipements plus efficaces, et le remplacement des moyens de production actuels, dont les deux tiers utilisent des combustibles fossiles , par des technologies avec un faible contenu carbone. Ces technologies peuvent être classées en trois grandes catégories :
● le nucléaire,
● le fossile doté de technologies de capture et de stockage du carbone (CCS),
● et le renouvelable.
Le nucléaire et le renouvelable hors hydraulique sont d’ailleurs les technologies qui ont connu la croissance la plus forte ces trente dernières années .
L’évolution des capacités installées ne reflète que partiellement celle des productions du fait de facteurs de charge très différents suivant les moyens de production. Ainsi, la capacité installée du renouvelable hors hydraulique a considérablement plus augmenté que la production d’électricité issue de ces moyens de production .
Le système électrique est donc amené à jouer un rôle central dans la lutte contre les changements climatiques, à la fois par une électrification croissante des pays émergents et en voie de développement, et de secteurs jusqu’alors peu électrifiés, mais également parce qu’il repose encore aujourd’hui sur une production très fortement carbonée. Le renouvelable est l’une des options technologiques étudiées pour décarboner le système électrique. Voyons à présent quelle est sa place actuelle dans la production d’électricité et comment celle-ci est en train d’évoluer.
Essor du renouvelable dans la production d’électricité
Bien que les énergies renouvelables autres que l’hydraulique représentent encore aujourd’hui une faible proportion de la production d’électricité dans le monde (6% en 2014 (REN21 2015)), leur part n’a cessé de croître durant les 15 dernières années : le solaire photovoltaïque est passé de 1,2 TWh de production en 2002 à 186 TWh en 2014, soit plus de 50% d’augmentation par an, tandis que l’éolien est passé de 52,5 TWh en 2002 à 534 TWh en 2015, soit près de 25% d’augmentation annuelle (Observer, EDF, et Fondation Energies pour le Monde 2013; BP 2016). Depuis 2010, le renouvelable représente le premier poste en termes d’investissements dans les nouvelles capacités installées (REN21 2015), essentiellement de l’éolien, du photovoltaïque et de l’hydraulique, dont la capacité représentait respectivement 432 GW, 230 GW et 1064 GW fin 2015 (REN 2016), avec des moyennes respectives de 34 GW, 20 GW et 27 GW installés par an depuis 2005 .
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Table des matières
Introduction générale
Organisation du document
Contributions
Chapitre 1 : Les enjeux de modélisation du système électrique dans une perspective de long terme
1-A. Caractéristiques du système électrique
1-A.1. Description du système électrique
1-A.2. Contexte de l’évolution du système électrique
1-B. Intégration du renouvelable variable dans le système électrique
1-B.1. Impacts du renouvelable variable sur la gestion du système électrique
1-B.2. Impacts du renouvelable variable sur l’architecture du réseau électrique
1-C. Prospective et modélisation du système électrique
1-C.1. La démarche prospective
1-C.2. L’étude du système électrique en prospective
Conclusion du chapitre 1
Chapitre 2 : Fondamentaux du système électrique : du court terme au long terme
2-A. Fonctionnement du système électrique
2-A.1. L’équilibre production – consommation en temps réel : conduite et réglages
2-A.2. La stabilité du système électrique
2-A.3. Planification et prévisions amont
2-A.4. Modélisation du système électrique
2-A.5. Conclusion : un équilibre complexe à la base des grands principes du fonctionnement des systèmes électriques
2-B. Impacts du renouvelable variable sur le système électrique
2-B.1. Non corrélation de la production renouvelable variable avec la consommation
2-B.2. Moindre prévisibilité des moyens renouvelables variables
2-B.3. Participation aux services système
2-B.4. Conclusion sur les impacts du renouvelable variable : des besoins supplémentaires de flexibilité
2-C. Représentation du système électrique dans les modèles de prospective
2-C.1. Etude des systèmes électriques dans les modèles « classiques » de prospective
2-C.2. Couplage « faible » des modèles de prospective avec des modèles dédiés à la représentation du fonctionnement du système électrique
2-C.3. Intégration d’éléments propres au fonctionnement des systèmes électriques dans les modèles de prospective
2-C.4. Bilan et limites des approches existantes
Conclusion du chapitre 2
Chapitre 3 : Réconciliation de la dynamique de court terme du système électrique et de son évolution de long terme
3-A. Indicateurs cinétique et magnétique
3-A.1. Approche thermodynamique de l’électromagnétisme et bilan des puissances sur un système électrique
3-A.2. Construction des indicateurs cinétique et magnétique
3-B. Indicateur de synchronisme
3-B.1. Lien entre dimensionnement du réseau électrique et stabilité
3-B.2. Equivalence entre l’étude de la stabilité des systèmes électriques et la dynamique de systèmes mécaniques
3-B.3. Modèle de Kuramoto et étude de la stabilité des systèmes : rôle de la connectivité algébrique
3-B.4. Formulation énergétique du problème
3-B.5. Modèle de Kuramoto du système électrique et conditions suffisantes de stabilité
3-B.6. Calcul de l’indicateur de synchronisme
3-C. Un modèle TIMES pour le système électrique français
3-C.1. Choix du modèle : un formalisme technologiquement riche et souple d’utilisation
3-C.2. Les grands principes de la modélisation TIMES
3-C.3. Présentation du modèle TIMES France pour le secteur électrique
3-C.4. Technologies représentées dans le modèle TIMES-FR-ELC
3-C.5. Contraintes sur les technologies modélisées
3-D. Implémentation des indicateurs dans les modèles de prospective
3-D.1. Calcul des indicateurs cinétique et magnétique en post-traitement du modèle TIMES-FR-ELC
3-D.2. Discrétisation du modèle TIMES-FR-ELC pour endogénéiser l’indicateur cinétique
3-D.3. Déclinaison de l’indicateur de synchronisme en post-traitement du modèle TIMES décrivant le secteur électrique français, pour un réseau agrégé
3-D.4. Preuve de concept : le cas de l’île de la Réunion
Conclusion du chapitre 3
Chapitre 4 : Déclinaison des indicateurs de fiabilité et de synchronisme : analyse des conditions de la pénétration du renouvelable dans le système électrique français
4-A. Corpus d’hypothèses adoptées pour l’exercice prospectif
4-A.1. Parc de production existant à l’année de référence
4-A.2. Potentiels des différents moyens de production, de stockage, de la modulation de la demande et des interconnexions
4-A.3. Prix des combustibles
4-A.4. Prix des importations, valorisation des exportations et de la chaleur
4-A.5. Emissions de CO2 des centrales
4-A.6. Caractéristiques technico-économiques des technologies
4-A.7. Scénarios de demande et élasticité
4-A.8. Niveaux d’importations, d’exportations et besoins en chaleur
4-A.9. Scénarios de pénétration du renouvelable
4-B. De 40% à 100% de renouvelable dans le système électrique français : quel déploiement pour le parc de production ?
4-B.1. Influence de la pénétration du renouvelable sur le mix électrique à 2050
4-B.2. Baisse de la production avec la pénétration du renouvelable
4-B.3. Capacités installées et rythme d’installation
4-B.4. Facteurs de charge des moyens thermiques
4-B.5. Valorisation du renouvelable variable
4-B.6. L’équilibre production – consommation en présence de renouvelable
4-B.7. Evaluation du coût de la pénétration du renouvelable
4-B.8. Bilan de l’analyse prospective de la pénétration du renouvelable dans le système électrique français
Conclusion générale