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Présence de RM dans les milieux naturels aquatiques
Ce chapitre présente une synthèse des RM mesurés ces dernières années, en France et en Europe, dans les différents compartiments aquatiques.
Les principales molécules pharmaceutiques recherchées et détectées dans les eaux de surface, souterraines et de boisson sont mises en évidence dans cette partie. L’objectif ici est de souligner l’importance de la diversité des recherches.
Avec plus de 600 molécules pharmaceutiques détectées à l’échelle mondiale dans tous les compartiments aquatiques (eaux de surface, eaux souterraines et eaux de boisson), la présence de RM dans les eaux naturelles n’est aujourd’hui plus à démontrer (aus der Beek et al., 2016). De nombreuses initiatives ont été menées au niveau national et européen pour évaluer le niveau d’occurrence des résidus de médicaments dans l’environnement. L’objectif de cette partie est de présenter les résultats de certaines études afin d’avoir une vision d’ensemble des principales molécules recherchées et mesurées dans les différents compartiments aquatiques.
Eaux de surface
L’eau de surface est le milieu environnemental le plus concerné par la présence de RM. En effet, ce compartiment est le réceptacle final des rejets des eaux usées qu’elles soient d’origine domestique, hospitalière ou industrielle. Ce constat fait que ce milieu est le plus étudié avec 45% des études selon le projet européen KNAPPE (Roig et al., 2009). Le projet KNAPPE (Knowledge and Need Assessment on Pharmaceuticals Products in Environmental waters), réalisé de 2006 à 2008, avait pour objectif de recenser l’état des connaissances sur la problématique des produits pharmaceutiques dans l’environnement. Dans ce cadre, une partie importante des travaux a consisté à collecter les données disponibles concernant notamment l’exposition de l’environnement. Ces données ont été obtenues à partir de rapports nationaux et internationaux, de thèses et de publications scientifiques. En termes d’occurrence, près de 4 000 données de mesures environnementales ont été répertoriées, permettant de montrer que près de 45 % des études concernaient les eaux de surface, 30 % les effluents de station d’épuration, 13 % les eaux souterraines, 7 % les influents de stations d’épuration, … (Roig et al., 2009). Sur 112 articles expertisés, 135 produits ont été détectés (Dulio, Morin et Staub, 2009). Le projet KNAPPE a également mis en évidence les classes thérapeutiques les plus recherchées, il s’agit des antibiotiques, des anti-inflammatoires non stéroïdien (AINS) et des cardiovasculaires, avec respectivement 30, 15 et 10 % des données (Roig et al., 2009). Les résultats du projet KNAPPE sont relativement similaires à ceux présentés dans une méta-analyse plus récente et réalisée à l’échelle mondiale sur 155 études. Cette dernière a montré que sur les 61 molécules pharmaceutiques les plus étudiées 39% sont des antibiotiques, 21% des anti-inflammatoires et 20% des cardiovasculaires (Hughes, Kay et Brown, 2013).
Les concentrations de RM mesurées dans les eaux de surface varient de quelques ng.L-1 à quelques centaines de ng.L-1 et, pour certaines molécules, à quelques µg.L-1. Cette amplitude dépend des molécules, du facteur de dilution dans le milieu, du niveau de consommation, de la localisation des prélèvements, du temps (année, saison, …) …
En 2009, Loos et al. ont mis en évidence la présence de RM dans les eaux de surface européennes. Ces molécules sont, de la plus fréquemment détectée à la moins détectée : la Carbamazépine, le Diclofénac, le Sulfaméthoxazole, le Naproxène, l’Ibuprofène, le Bézafibrate, le Gemfibrozil et le Kétoprofène (Loos et al., 2009). Dans les années 90, Terne a recherché 37 principes actifs répartis sur cinq classes thérapeutiques sur des eaux usées traitées et des eaux de surface, en Allemagne. À cette époque, les résultats ont montré la présence d’au moins une molécule par classe thérapeutique (sauf pour les antinéoplasiques (ou anticancéreux)) dans les eaux de surface. Les molécules retrouvées dans les eaux de rivière, dans l’ordre décroissant des concentrations maximales mesurées, sont : l’Acide salycilique, le Bézafibrate, le Bisoprolol, le Métoprolol, le Diclofénac, la Carbamazépine, le Phénazone, le Propranolol, l’Acide clofibrique, l’Ibuprofène, le Gemfibrozil, le Naproxène, l’Acide acétylsalicylique, le Diméthylaminophenazone, l’Acide fénofibrique, l’Indométacine, le Kétoprofène, le Carazolol, le Fénotérol, le Clenbutérol, le Salbutamol, le Bétaxolol et le Timolol (Ternes, 1998). Il apparaît que certaines de ces molécules comme la Carbamazépine, le Diclofénac et le Bézafibrate sont identiques à celles retrouvées à l’échelle européenne en 2009. Les travaux réalisés aux environs des années 2000 par l’équipe de Zuccato en Italie, démontrent que les molécules mesurées dans les rivières sont, dans l’ordre décroissant des concentrations maximales mesurées : l’Aténolol, le Bézafibrate, l’Ibuprofène, le Furosémide, la Spiramycine, la Lincomycine, l’Érythromycine, le Cyclophosphamide, la Ranitidine, la Oléandomycine, le Salbutamol, la Tylosine et le Diazépam (Zuccato et al., 2000). Avec cette étude et l’amélioration des techniques analytiques, le Cyclophosphamide, qui fait partie de la classe thérapeutique des anticancéreux, certains antibiotiques comme la Spiramycine, et un antiulcéreux, la Ranitidine, viennent compléter la liste des RM mesurés dans les rivières européennes. Au Nord de l’Europe, en Finlande, Vieno et al. ont mis en évidence la présence de médicaments dans les eaux de rivière. Les molécules retrouvées, dans l’ordre décroissant des concentrations maximales mesurées sont : le Métoprolol, la Carbamazépine, le Sotalol, l’Aténolol, la Ciprofloxacine et l’Acébutolol (Vieno, Tuhkanen et Kronberg, 2006). Enfin, dans les eaux de rivières françaises, les mêmes familles de molécules ont été mesurées en 2004. Les molécules retrouvées dans l’ordre décroissant des concentrations maximales sont : le Paracétamol, la Carbamazépine, le Diclofénac, le Kétoprofène, le Naproxène, l’Ibuprofène, le Nordiazépam et le Gemfibrozil (Togola et Budzinski, 2008). En 2008, d’autres molécules, dont certaines appartenant à la classe des hormones, ont été mesurées en France. Les fréquences de détection variaient d’une molécule à l’autre, ainsi, les molécules détectées sont, dans l’ordre décroissant des fréquences de détection : l’Androstènedione, la Testostérone, la Progestérone, la Carbamazépine, le Noréthindrone, la Metformine, l’Acide salicylique, le Levonorgestrel, l’Aténolol, le Diclofénac, le Sulfaméthoxazole, le Bézafibrate, le Paracétamol, l’Oxazépam, le Kétoprofène, l’Estrone, le Métoprolol, la Roxithromycine, le Triméthoprime, l’Acide fénofibrique, la Pravastatine, le Naproxène, l’Ibuprofène, l’Androstérone, le Propranolol, le Lorazépam, le Métronidazole, le 17 beta-estradiol, le 17 alpha-estradiol, l’Éthinylestradiol et l’Ofloxacine (Vulliet et Cren-Olivé, 2011).
La figure 4 synthétise les molécules recherchées dans les eaux de surface européennes à partir des données précédentes.
Cette liste non exhaustive de RM, met en évidence la présence d’au moins 57 principes actifs et métabolites dans les eaux de surface européennes entre les années 90 et 2008. En 2002, Heberer estimait que plus de 80 principes actifs étaient présents dans les eaux de surface à l’échelle mondiale (Heberer, 2002a). La figure 4 permet d’identifier les principales molécules recherchées et mesurées, des années 90 à 2008. Ainsi, au vu du nombre de références associées, il est possible de dire que sur cette période, la Carbamazépine a été une des molécules les plus étudiées dans les eaux superficielles avec une concentration maximale égale à 11,5 µg.L-1. Les autres molécules fortement étudiées et présentant des concentrations maximales élevées, de quelques centaines de ng.L-1 au µg.L-1, sont des molécules appartenant aux classes thérapeutiques des anti-Inflammatoire non stéroïdiens avec, par ordre décroissant du nombre de références associées, l’Ibuprofène (31 323 ng.L-1), l’Acide salicylique (4 100 ng.L-1) qui est également un métabolite de l’Aspirine, le Diclofénac (1 200 ng.L-1), le Naproxène (2 027 ng.L-1), l’Aspirine (340 ng.L-1) et le Kétoprofène (239 ng.L-1), des analgésiques avec le Paracétamol (72ng.L-1), des cardiovasculaires avec l’Aténolol (242 ng.L-1), le Métoprolol (2 200 ng.L-1) et le Propranolol (590 ng.L-1) et des hypolipémiants, comme le Bézafibrate (3 100 ng.L-1) et le Gemfibrozil (970 ng.L-1).
Pour résumer, entre les années 90 et 2008, selon les références citées, les 12 molécules les plus étudiées et présentant des concentrations maximales élevées dans les eaux de surface européennes sont : la Carbamazépine, le Diclofénac, l’Ibuprofène, le Kétoprofène, le Naproxène, le Paracétamol, le Bézafibrate, le Gemfibrozil, le Métoprolol et l’Aténolol. Certaines molécules peu étudiées selon la figure 4 ont été mesurées avec des concentrations maximales allant de quelques centaines de ng.L-1 au µg.L-1.
Il s’agit d’AINS, l’Acide salicylique (4 100 ng.L-1), l’Aspirine (340 ng.L-1) et le Phénazone (950 ng.L-1), d’un antibiotique, le Sulfaméthoxazole (4 072 ng.L-1), d’un cardiovasculaire, le Bisoprolol (2 900 ng.L-1), et des métabolites dont les concentrations vont de 340 ng.L-1, pour l e Diméthylaminophenazone, à 550 ng.L-1, pour l’Acide clofibrique. Au regard de leurs concentrations importantes, ces molécules mériteraient d’être plus étudiées. Ainsi, l’interprétation de ce genre de données doit être faite avec précaution, en effet, comme le démontre les résultats du projet KNAPPE, les travaux de recherches dans ce domaine se focalisent essentiellement sur certaines classes pharmaceutiques comme les antibiotiques, les AINS, les cardiovasculaires, les analgésiques … (Roig et al., 2009), et, comme cela a été mis en évidence dans ce paragraphe, sur certaines molécules en particulier. C’est la raison pour laquelle ce sont souvent les mêmes molécules qui sont retrouvées.
Eaux souterraines
Selon le projet KNAPPE, seulement 13% des mesures environnementales concernent les eaux souterraines (Roig et al., 2009). Dans ce compartiment aquatique, lorsque les molécules sont quantifiées, les concentrations mesurées varient du ng.L- 1 au µg.L-1 en fonction des molécules. Dans son étude sur l’occurrence de médicaments dans les eaux destinées à la consommation humaine en France, l’ANSES a mis en évidence que 70% des eaux brutes souterraines étudiées ne renfermaient aucune molécule à des teneurs supérieures à la limite de quantification (ANSES, 2011). Les molécules qui ont été les plus fréquemment détectées sont, dans l’ordre décroissant : l’Époxycarbamazépine, la Carbamazépine, l’Oxazepam, le Naftidrofuryl, l’Hydroxyibuprofène, le Gadolinium, le Paracétamol, le Kétoprofène, l’Acide Salicylique, le Trimétazidine, le Sulfadimérazine, le 17 beta-estradiol, le Danofloxacine, l’Ofloxacine et la Tylosine (ANSES, 2011). En France, en 2011, une campagne exceptionnelle d’analyse des molécules présentes dans les eaux souterraines a montré que 61 RM ont été quantifiés au moins une fois dans les eaux souterraines de la métropole, dont deux ont été quantifiés sur plus de 10% des analyses : le Paracétamol et la Carbamazépine (Lopez et Laurent, 2013). La Codéine, l’Érythromycine, le Métronidazole, la Roxithromycine, le Sulfaméthoxazole, le Triméthoprime, l’Acide fénofibrique, l’Aténolol, le Métoprolol, le Propranolol, le Sotalol, le Furosémide, la Metformine, le Lorazépam, l’Oxazépam, le Tramadol, la Trimétazidine, la Testostérone, l’Androstènedione, la Progesterone, la Norethindrone, le Levonorgestrel, l’Estrone, l’Androstérone, le 17 alpha-estradiol, l’Éthinylestradiol, le Diclofénac, le Kétoprofène et le Naproxène ont également été quantifiés dans les eaux souterraines françaises (Vulliet et Cren-Olivé, 2011 ; Lopez et Laurent, 2013). En Allemagne, Heberer a également quantifié des RM dans les eaux souterraines. Les molécules mesurées, dans l’ordre décroissant des concentrations maximales mesurées, sont : l’Acide clofibrique, le Propyphenazone, le Phenazone, l’Acide salicylique, le Primidone, l’Acide gentisique, le Diclofénac, le Gemfibrozil, l’Ibuprofène, le Fénofibrate et le Kétoprofène (Heberer, 2002b). A cette liste viennent se rajouter l’Acide amidotrizoïque, la Carbamazépine, le Sotalol, le Sulfaméthoxazole, l’Iopamidol et l’Anhydro-erythromycine (Sacher et al., 2001).
La figure 5 synthétise les molécules recherchées et mesurées dans les eaux souterraines européennes à partir des données précédentes. L’enquête de l’ANSES ne précise pas les concentrations mesurées dans les eaux souterraines. Cette liste non exhaustive de RM, met en évidence la présence de 70 principes actifs et métabolites pharmaceutiques dans les eaux souterraines européennes. Les classes thérapeutiques présentes dans les eaux souterraines sont multiples. La figure 5 permet d’identifier les principales molécules étudiées dans ce compartiment aquatique, ces dernières sont, dans l’ordre décroissant des concentrations maximales : la Carbamazépine (900 ng.L-1), le Diclofénac (590 ng.L-1), le Sotalol (560 ng.L-1), le Paracétamol (481 ng.L-1) , le Sulfaméthoxazole (410 ng.L-1), le Kétoprofène (354 ng.L-1), l’Oxazépam (42 ng.L-1) et la Trimétazidine (35 ng.L-1). Certaines molécules peu étudiées selon la figure 5, car présentant un nombre limité de références associées, ont été mesurées dans les eaux souterraines avec des concentrations allant de quelques centaines de ng.L- 1 au µg.L-1. Il s’agit de certains AINS, l’Acide salicylique (1 225 ng.L-1), l’Aspirine (1 000 ng.L-1), le Phénazone (1 250 ng.L-1), le Propyphénazone (1 465 ng.L-1), d’antibiotiques, l’Érythromycine (1 872 ng.L-1), le Métronidazole (596 ng.L-1), d’un antidiabétique, la Metformine (1 577 ng.L-1), d’un anti-épileptique, le Primidone (690 ng.L-1), d’un hypolipémiant, le Gemfibrozil (340 ng.L-1), de métabolites, l’Acide clofibrique (7 300 ng.L-1), l’Acide gentisique (540 ng.L-1) et de produits de contraste, l’Acide amidotrizoïque (1 100 ng.L-1) et le Iopamidol (300 ng.L-1). Au regard de leurs concentrations élevées, ces molécules méritent une attention plus grande dans le suivi de la contamination des milieux aquatiques par les RM et notamment l’Acide clofibrique et le Phénazone qui ont également été peu étudiée dans les eaux de surface et qui présentent des concentrations maximales élevées également dans ce compartiment.
Eaux de boisson
En France, les eaux destinées à la consommation humaine proviennent essentiellement des eaux de surface et souterraines avec 2/3 d’origine souterraine et 1/3 d’origine superficielle (ANSES, 2011). La présence de RM dans ces deux compartiments aquatiques peut ainsi générer une contamination des eaux destinées à la consommation humaine, ce qui constitue une préoccupation majeure pour la communauté scientifique et les pouvoirs publics. Assez peu d’études se sont intéressées à la présence de médicaments dans les eaux de boissons du territoire français. En 2004, des travaux ont mis en évidence la présence de médicaments dans les eaux de boisson provenant du bassin versant de l’Hérault (Togola et Budzinski, 2008). Dans l’ordre décroissant des concentrations maximales mesurées, les molécules détectées sont : le Paracétamol, la Carbamazépine, le Ketoprofène, le Diclofénac, l’Amitriptyline, l’Ibuprofène et le Naproxène. Plus tard, dans son enquête nationale réalisée de 2009 à 2010 sur les eaux de consommation, l’ANSES a mis en évidence la présence de RM dans les eaux brutes et traitées de boisson françaises. Les molécules qui ont été détectées dans les eaux brutes sont, dans l’ordre décroissant des fréquences de détection : la Carbamazépine, l’Oxazépam, le Paracétamol, l’Époxycarbamazépine, le Losartan, l’Hydrochlorothiazide, le Trimetazidine, l’Hydroxyibuprofène, l’Atenolol, le Kétoprofène, le Danofloxacine, le Gadolinium, le Diclofénac, l’Ibuprofène, l’Acide salicylique, l’Ofloxacine, le Naftidrofuryl, l’Érythromycine, le Sulfadimérazine, le Lincomycine, l’Amoxicilline, le Florfenicol, le Ramipril, le Ramiprilate, la Doxycycline, la Tylosine, le Parconazole, l’Amlodipine et la Fluvoxamine (ANSES, 2011). Dans les eaux traitées, cette liste plus réduite est constituée des molécules suivantes, dans l’ordre décroissant des fréquences de détection : l’Époxycarbamazépine (avec une concentrations maximale égale à 6 ng.L-1), la Carbamazépine (33 ng.L-1) , l’Oxazépam (91 ng.L-1), l’Hydroxyibuprofène (85 ng.L-1), le Naftidrofuryl (3 ng.L-1), le Paracétamol (71 ng.L-1), la Danofloxacine (57 ng.L-1), la Tylosine (20 ng.L-1), l’Ofloxacine (35 ng.L-1), l’Ibuprofène (traces), le Gadolinium (12 ng.L-1), l’Acide salicylique (102 ng.L-1), l’Hydrochlorothiazide (traces), le Losartan (traces), l’Estradiol (77 ng.L-1), le Kétoprofène (36 ng.L-1), le Florfenicol (traces) et le Ramiprilate (traces). Les fréquences relatives des différentes molécules varient en fonction de la nature de l’eau. Ainsi, dans les eaux traitées, les métabolites sont plus fréquemment détectés que dans les eaux brutes (ANSES, 2011).
Comparaison des données d’exposition et de consommation
Les données d’exposition en France et en Europe pour les trois compartiments présentés dans cette étude (eaux de surface, eaux souterraines et eau de boisson) courent des années 90 à 2013. Globalement, il a été montré que les classes thérapeutiques et, plus précisément, les principes actifs, essentiellement mesurés dans les milieux, étaient identiques quelle que soit la période considérée pour cette comparaison. C’est le cas par exemple de la Carbamazépine qui a été mesurée de la fin des années 90 à 2013 dans les eaux superficielles européennes. Dans le cas des données de consommation de médicaments en France, ces dernières datent essentiellement de 2013. La période de récolte des données d’exposition coïncide avec la date des données de consommation, la comparaison de ces données est donc possible.
Afin de rendre compte de l’apport des données de consommation dans l’évaluation de l’exposition du milieu, les données de consommation des principales molécules pharmaceutiques mesurées dans les environnements aquatiques et les eaux potables sont étudiées.
Dans le chapitre précédent, il a été mis en évidence la présence de certains RM dans au moins deux des compartiments aquatiques étudiés. Ces derniers sont la Carbamazépine (anti-épileptique), le Diclofénac, l’Ibuprofène, le Kétoprofène (AINS) et le Paracétamol (analgésique). Leurs concentrations varient du ng.L- 1 au µg.L-1. Comme présenté dans le tableau III du chapitre 2, les médicaments du traitement de la douleur (AINS, analgésiques non opioïdes) et particulièrement le Paracétamol, l’Ibuprofène et le Diclofénac, apparaissent sur la liste des 30 médicaments les plus vendus en ville, en 2013 en nombre de boîtes (ANSM, 2014b). L’interprétation de ces résultats en nombre de boîtes doit être faite avec précaution. En effet, les dosages de principes actifs par unité vendue peuvent varier d’une molécule à l’autre ce qui ne permet pas une comparaison fiable des apports de chaque molécule. Pour exemple, les données présentées dans le chapitre 2 ont mis en évidence que les médicaments utilisés pour le système cardiovasculaire faisaient partie des 30 molécules les plus vendues en France en 2013 en terme de nombre de boîtes avec trois molécules positionnées au 19ème, 23ème et 26ème rang. Ce classement réalisé avec la masse de principe actif ne met pas en évidence les mêmes informations puisque dans ce cas, seul un bétabloquant entre dans le classement en 29è m e position (Aminot, 2013). La démarche adoptée dans les travaux de Y. Aminot se base sur la masse de principe actif consommée en France, dans l’hypothèse que le nombre de boîtes remboursées par l’Assurance Maladie reflète les consommations. Les données présentées dans les travaux de Y. Aminot datent de 2008, 2009 et 2010 et aucune différence majeure n’a été observée entre ces trois années. En se basant sur la démarche employée par Y. Aminot et à partir des informations détaillées fournies par l’Assurance Maladie sur :
– le dénombrement des boîtes de médicaments remboursés et délivrés en ville en 2013 ;
– le conditionnement de ces boîtes (nombre de comprimés, de sachet ou volume) ;
– et les quantités de principes actifs par unité de prise (comprimé, sachet ou volume) ; les quantités (en masse de principe actif) consommées des RM mesurés dans au moins deux des compartiments aquatiques étudiés dans le chapitre précédent, Paracétamol, Ibuprofène, Kétoprofène, Diclofénac et Carbamazépine, et ceux uniquement mesurés dans les eaux de surface, Aspirine, Naproxène, Aténolol, Métoprolol, Bézafibrate et Gemfibrozil, ont été calculées (tableau V).
Facteurs explicatifs de l’exposition environnementale
Propriétés physico-chimiques des médicaments
Les médicaments sont une famille de micropolluants organiques aux structures et propriétés physico-chimiques très hétérogènes. Ils possèdent généralement des fonctions acides ou basiques et sont ionisés au pH des eaux naturelles. Les propriétés physico-chimiques sont intrinsèques à chaque molécule pharmaceutique et constituent des constantes importantes qui permettent d’anticiper leur comportement dans un milieu donné. Ci-dessous sont présentées les constantes les plus utilisées pour l’étude des médicaments dans l’environnement.
– La solubilité (S) : c’est la capacité d’une molécule, appelée soluté, à se dissoudre dans un solvant. Cette solubilité est dépendante de la structure de la molécule, du solvant et de la température. Pour un solide donné, une augmentation de la température entraine une augmentation de la solubilité. Elle s’exprime en quantité maximale de soluté dans un litre de solution saturée selon des conditions précises de température, de nature du solvant et du soluté (mg.L-1) . Les molécules dites « insolubles » ont une solubilité inférieure à 1 000 mg.L-1, les molécules moyennement solubles ont une solubilité comprise entre 1 000 et 10 000 mg.L-1, enfin, les molécules solubles ont une solubilité supérieure à 10 000 mg.L-1.
– Le coefficient de partage octanol/eau (log P ou log Kow) : c’est une mesure de la solubilité différentielle d’un composé dans deux solvants : l’octanol et l’eau. Cette valeur permet d’appréhender le caractère hydrophile ou hydrophobe (lipophile) d’une molécule organique et donc son caractère bioaccumulable dans les organismes aquatiques. Le log Kow permet d’évaluer le caractère polaire d’une molécule. En effet, le solvant possède une polarité très similaire à celle des membranes lipidiques, c’est pourquoi il est utilisé pour évaluer le caractère lipophile d’une molécule. Si le log de Kow est positif, cela exprime le fait que la molécule considérée est plus soluble dans l’octanol que dans l’eau, ce qui reflète son caractère lipophile. Plus le log Kow sera grand, plus la molécule sera lipophile. Inversement, si le log Kow est négatif cela signifie que la molécule considérée est hydrophile. Si le log Kow est inférieure à 3, les molécules sont polaires et peu bioaccumulables. Si le log Kow est supérieur à 3, les molécules sont apolaires et bioaccumulables (European Chemicals Bureau, 2003).
– Le coefficient de partage carbone organique/eau (Koc) : c’est le rapport entre la quantité adsorbée d’un composé par unité de masse de carbone organique du sol ou du sédiment et la concentration de ce même composé en solution aqueuse (L.kg-1). Ce coefficient permet d’appréhender l’adsorption des molécules sur les sédiments et particulièrement sur les boues de STEU. Plus le Koc est élevé, plus la molécule se liera préférentiellement à la phase solide du sol par rapport à la phase aqueuse. Une molécule est considérée mobile si le Koc est inférieur à 100, moyennement mobile s’il est compris entre 100 et 500 et très peu mobile s’il est supérieur à 500.
– Le pKa : c’est le logarithme de la constante d’acidité Ka qui est une mesure quantitative de la force d’un acide en solution. C’est la constante d’équilibre de la réaction de dissociation d’une espèce acide dans le cadre des réactions acidobasiques. Plus cette constante Ka est élevée, plus la dissociation des molécules en solution est grande et donc plus l’acide est fort. Du fait de l’échelle logarithmique, plus pKa est grand, plus la dissociation de l’espèce acide à pH donné est faible et donc plus l’acide est faible. Un acide faible a un pKa variant entre -1,74 à 25°C et 12 dans l’eau. Les acides avec un pKa de valeur inférieure à -1,74 à 25°C sont appelés acides forts et se dissocient presque intégralement en solution aqueuse.
Le tableau VI présente les constantes décrites ci-dessus pour les cinq RM les plus mesurés dans les milieux aquatiques. Ces données rendent compte de l’hétérogénéité des médicaments au regard de leurs propriétés physico-chimiques et, par conséquent, de leur comportement dans l’environnement. Dans ce cas, les pKa indiquent que ces molécules sont des acides faibles, c’est à dire qu’ils ne se dissocient pas totalement dans l’eau. Dans le cas du Paracétamol, cette molécule est soluble dans l’eau mais, contrairement aux autres, n’est pas bioaccumulable et ne s’adsorbe pas sur les matières organiques (Bouissou-Schurtz et al., 2014). À l’inverse, la Carbamazépine, qui n’est pas bioaccumulable, a tendance à s’adsorber sur les matières organiques (Bouissou-Schurtz et al., 2014). Enfin, l’Ibuprofène a la capacité à être bioaccumulé dans les organismes aquatiques et à s’adsorber sur les matières organiques (Bouissou-Schurtz et al., 2014). Ces trois molécules présentent ainsi des comportements différents dans l’environnement avec une tendance à la compartimentation environnementale de ces dernières au sein des milieux aquatiques. Le Paracétamol aura ainsi tendance à être plutôt dans la phase aqueuse alors que la Carbamazépine, comme les autres molécules du tableau VI seront essentiellement présentes dans les matières en suspension et/ou le sédiment. Quant à la molécule d’Ibuprofène, elle sera essentiellement présente dans la phase solide riche en matière en organique et potentiellement dans les organismes aquatiques. Ainsi, la probabilité de présence des RM dans la phase dissoute des compartiments aquatiques dépend des caractéristiques physico-chimiques de ces derniers.
Dégradation des médicaments en STEU
Les eaux usées urbaines sont rejetées dans le milieu naturel après traitement en STEU. La dégradation des RM dans les STEU varie dans le temps en fonction notamment des conditions météorologiques. Les processus de traitement utilisés ont également un impact sur le rendement d’élimination des RM dans les STEU.
En général, dans une STEU, on distingue deux lignes différentes : la ligne des eaux et la ligne des boues. La ligne des eaux comprend trois stades, les deux premiers sont présentés dans la figure 7. Il s’agit :
– du traitement primaire : processus physique utilisé pour éliminer une partie des molécules organiques. Cela comprend le dégrillage, le dessablage, le dégraissage (ou déhuilage) et la décantation primaire ;
– du traitement secondaire : processus le plus souvent biologique mais quelque fois remplacé ou couplé à une voie physico-chimique. Ce traitement est utilisé pour éliminer les molécules organiques sédimentaires et non sédimentaires contenues dans la phase aqueuse. Ce traitement secondaire comprend l’aération (ou oxygénation) et la décantation secondaire ;
– le traitement tertiaire : réalisé sur l’effluent à la sortie de la décantation secondaire. Il permet d’obtenir un traitement complémentaire aux traitements primaire et secondaire. Il comprend des traitements spéciaux (osmose inverse, bioréacteur à membrane, …) pour diminuer le contenu des molécules qui n’ont pas été éliminées par les traitements primaire et secondaire. L’ensemble de ces traitements (primaire, secondaire et tertiaire) ont pour objectif de tendre vers une épuration des eaux.
De nombreuse STEU cumulent aujourd’hui les traitements primaires et secondaires, certaines, plus rares, utilisent des traitements tertiaires.
Dans la ligne des boues sont traitées toutes les boues produites pendant les phases de décantation de la ligne des eaux. Le but de cette ligne est d’éliminer la quantité élevée d’eau contenue dans les boues et d’en réduire le volume. L’objectif ici est également de stabiliser le matériel organique et de détruire les organismes pathogènes présent de façon à rendre le produit final moins dangereux pour l’environnement.
Il existe deux processus biologiques utilisables dans le traitement secondaire, le traitement par culture libre ou fixée. Avec les cultures libres, les bactéries évoluent librement dans les eaux usées, c’est le cas par exemple des boues activées ou des lagunages. Dans le cas des cultures fixées, les bactéries sont fixées sur un support, par exemple les disques biologiques, les filtres à sables ou les lits bactériens. En France, 60% des STEU sont des stations d’épuration à boues activées (IRSTEA, 2014). Ces dernières sont considérées comme des stations conventionnelles pour le traitement des eaux usées (Roig et al., 2009). Les STEU n’ont pas été conçues pour éliminer les micropolluants dont les RM font partie. Dans le cadre du projet AMPERES, les travaux de recherches réalisés sur des STEU conventionnelles ont montré une dégradation incomplète des RM avec des rendements d’élimination de la phase dissoute qui oscillaient entre moins de 30% et plus de 70% en fonction des molécules (Coquery, Choubert et Miège, 2010). Les rendements d’élimination des procédés biologiques dépendent ainsi des molécules. Les molécules organiques contenues dans l’effluent primaire peuvent être dégradées par les bactéries, adsorbées à la surface des flocs ou rester dissoutes dans le liquide interstitiel (Pomiès et al., 2013). La part de ces phénomènes dépend des propriétés physico-chimiques propre à chaque molécule (Pomiès et al., 2013). L’élimination des RM varie également en fonction des processus de traitement utilisés (Roig et al., 2009). Radjenovic et al. (2009) ont comparé les traitements par boues activées et bioréacteurs à membrane pour 31 médicaments. Ils ont montré un rendement d’élimination sensiblement amélioré avec les bioréacteurs à membrane (Radjenovic, Petrovic et Barcelo, 2009). De plus, même si les eaux traitées par de la nanofiltration et de l’osmose inverse peuvent encore présenter des molécules récalcitrantes, ces technologies donnent de bons résultats dans la dégradation des RM (Fatta-Kassinos, Meric et Nikolaou, 2011). D’autres facteurs influencent la dégradation des composés pharmaceutiques dans les stations d’épuration. Il s’agit du temps de rétention hydraulique, du temps de séjour des boues (Roig et al., 2009 ; Pomiès et al., 2013) et de la température (Pomiès et al., 2013). L’influence de la température suggère une variation saisonnière des rendements d’élimination. Certains auteurs ont démontré que les taux d’élimination en STEU étaient plus faibles en hiver qu’en été. Deux éléments peuvent expliquer cette variabilité saisonnière, l’augmentation des consommations de certains médicaments en hiver (McArdell et al., 2003 ; Gracia-Lor et al., 2012), qui engendre une augmentation des quantités de RM entrant dans les STEU, et la diminution des activités microbiennes due à l’abaissement des températures durant la saison hivernale (McArdell et al., 2003 ; Vieno, Tuhkanen et Kronberg, 2005 ; Castiglioni et al., 2006). Les périodes de pluie peuvent également avoir un impact sur les capacités épuratrices des STEU puisqu’elles sont responsables de la réduction des activités microbiennes, de la perturbation des processus d’adsorption et de floculation et de la diminution des temps de résidences (Ternes, 1998 ; Tauxe-Wuersch et al., 2005 ; Vieno, Tuhkanen et Kronberg, 2007).
Ainsi, les quantités de RM à l’entrée et la sortie des STEU varient en fonction des consommations, des saisons et des évènements météorologiques ponctuels tels que l’abaissement des températures et les évènements pluvieux (Heberer, 2002a ; Vieno, Tuhkanen et Kronberg, 2005 ; Gros et al., 2010 ; Gracia-Lor et al., 2012 ; Baker et Kasprzyk-Hordern, 2013 ; Fairbairn et al., 2016). Mais les concentrations environnementales de RM sont aussi contrôlées par les processus biotiques et abiotiques intrinsèques aux milieux aquatiques. Le paragraphe ci-dessous présente ces mécanismes naturels qui ont un rôle essentiel dans le maintien de l’équilibre des écosystèmes.
Dégradation des médicaments dans les milieux naturels
Les processus biotiques (dégradation microbienne) et abiotiques (hydrolyse, adsorption, photolyse, dilution, …) inhérents aux environnements aquatiques, et particulièrement aux eaux de surface, régulent les molécules qui sont rejetées dans ces milieux (Vieno, Tuhkanen et Kronberg, 2005). De nombreux médicaments sont ainsi susceptibles de réagir en milieux aqueux sous l’action d’agents biologiques, chimiques ou physiques. De ce fait, une fois rejetés dans les environnements aquatiques récepteurs des rejets anthropiques, les concentrations de certains RM peuvent diminuer. Dès leur entrée dans les milieux aquatiques, les RM et, plus globalement, les molécules exogènes, subissent une dilution qui permet l’atténuation de leurs concentrations (Gros et al., 2010 ; Baker et Kasprzyk-Hordern, 2013 ; Fairbairn et al., 2016). De plus, soumis au rayonnement solaire, les RM peuvent subir une dégradation photochimique. En fonction des molécules, la photodégradation sera plus ou moins importante et des différences peuvent être observées au sein d’une même famille thérapeutique. C’est le cas des benzodiazépines, où le Lorazépam subit une photodégradation rapide avec un temps de demi-vie inférieur à une journée d’été ensoleillée alors que l’Oxazépam, le Diazépam, et l’Alprazolam, sont plutôt résistants à la photodégradation avec des temps de demi-vie respectivement égaux à 4, 7 et 228 jours (Calisto, Domingues et Esteves, 2011). En ce qui concerne les AINS, le Naproxène et le Diclofénac sont rapidement photodégradés, avec des demi-vies respectivement égales à 42 et 39 minutes, alors que l’Ibuprofène est photostable en raison de sa faible absorbance aux longueurs d’onde du spectre solaire (Packer et al., 2003). Dans le cas du Bézafibrate et du Gemfibrozil, la photolyse engendre un dégradation de seulement 10% des molécules après 200 heures, ce qui permet de qualifier ces molécules de photostables (Cermola et al., 2005). Les médicaments sont généralement présents sous forme ionisées dans les milieux aquatiques naturels ce qui complexifie les interactions entre les molécules et la phase solide (Fatta-Kassinos, Meric et Nikolaou, 2011). Aux pH des eaux naturelles, les RM possédant des pKa élevés sont positivement chargés et des interactions (cationiques, complexation, liaison hydrogène) peuvent affecter leur devenir (Silva et al., 2011). Quoi qu’il en soit, l’adsorption des pharmaceutiques dépend des propriétés physico-chimiques des molécules et des matières en suspension (Silva et al., 2011). Les antibiotiques appartenant à la famille des quinolones subissent, une fois rejetés dans le milieu naturel, une photo-transformation et une adsorption sur le sédiment (Golet, Alder et Giger, 2002). Cependant, les caractéristiques des quinolones indiquent que l’adsorption sur le sédiment est principalement responsable de la diminution de leurs concentrations dans la phase dissoute (Golet, Alder et Giger, 2002). Pour certaines molécules, la proportion d’analytes portés par la phase particulaire peut atteindre 100% (Silva et al., 2011). Lorsqu’elles sont soumises à des processus de dégradation biotique, certaines molécules pharmaceutiques, dont les quinolones, sont considérées comme persistantes (Golet, Alder et Giger, 2002). Ces dégradations par voie biologique, nommées aussi biodégradation, concernent les phénomènes de dégradation par les micro-organismes. Ces processus de biodégradation, particulièrement ceux liés aux activités microbiennes dans les biofilms naturels des rivières, ont la capacité de dégrader des molécules organiques dont les RM font partie (Winkler, Lawrence et Neu, 2001 ; Golet, Alder et Giger, 2002 ; Calamari et al., 2003 ; Vieno, Tuhkanen et Kronberg, 2005).
Les phénomènes d’atténuation in situ, qu’ils soient biotiques ou abiotiques, contribuent de façon plus ou moins importante à la préservation de la qualité des environnements aquatiques (Calamari et al., 2003). Ainsi, une fois rejetés dans l’environnement, les concentrations des RM peuvent diminuer via des processus de dilution, photodégradation, biodégradation, … (Kümmerer, 2004 ; Vieno, Tuhkanen et Kronberg, 2005 ; Luo et al., 2011 ; Deblonde, 2013). Ce processus de régulation, aussi appelé auto-épuration, est un service écosystémique intrinsèque aux milieux aquatiques qui est positivement corrélé à la qualité des milieux. C’est-à-dire que ce processus naturel sera d’autant plus important que la qualité des eaux sera grande (Maes et al., 2016). Il est important de préciser que la dégradation des médicaments dans l’environnement est différente de celle observée lors de la métabolisation humaine. En effet, la Carbamazépine et le Diazépam qui sont rapidement métabolisés dans le corps humain, sont très stables dans les environnements aquatiques (Pal et al., 2010).
Dans ce chapitre, il a été montré que l’exposition des milieux aquatiques aux RM ne dépendait pas seulement des niveaux de consommations des médicaments. Certaines molécules peuvent présenter des concentrations environnementales relativement cohérentes avec les données de consommation alors que d’autres présentes des concentrations environnementales déconnectées des données de consommation. En dehors du fait que les données d’exposition et de consommation aient été comparées à de larges échelles temporelles et spatiales, d’autres paramètres peuvent expliquer les comportements des RM, depuis leur absorption par les patients jusqu’à leurs rejets dans l’environnement. Les taux d’excrétion renseignent sur les quantités de principes actifs excrétées par le patient après l’ingestion d’un médicament. Une fois excrétés, les RM se retrouvent dans les eaux usées via les urines et/ou les fèces. En fonction de leur propriétés physico-chimiques, certaines molécules pourront se retrouver dans les STEU sous forme inchangée et d’autres pourront être complètement dégradées dans le réseau avant même de les atteindre, ce sera notamment le cas des molécules facilement hydrolysables. Une fois dans les STEU, les RM subissent différents traitements (primaire, secondaire et parfois tertiaire). Les traitements secondaires sont, la plupart du temps, biologiques mais ces derniers peuvent être couplés ou remplacés par des traitements physico-chimiques. En fonction des procédés utilisés, du temps de séjour hydraulique, du temps de résidence des boues et de la mise en place ou non d’un traitement tertiaire, les concentrations de RM dans les eaux usées traitées varient. Les rendements d’élimination de la phase dissoute des STEU varient également en fonction des conditions météorologiques et saisonnières. En effet, lors d’évènements pluvieux, les capacités épuratrices sont diminuées à cause d’une diminution des activités microbiennes et d’une diminution des temps de séjour. De plus, pendant la saison hivernale, certains médicaments voient leur consommation doubler et l’abaissement des températures engendre une diminution des activités microbiennes responsables de la dégradation des molécules organiques. Les STEU jouent donc un rôle important dans la libération des RM dans les milieux aquatiques récepteurs. Elles sont ainsi considérées comme les principales sources de rejets de médicaments dans l’environnement. La fluctuation des capacités épuratrices des STEU en fonction des traitements utilisés mais également du contexte géographique, météorologique et saisonnier entraine une variabilité temporelle des concentrations environnementales des RM rejetés dans les milieux récepteurs et donc des risques écotoxicologiques associés. Quant aux paramètres intrinsèques à chaque molécule, c’est-à-dire les taux d’excrétion et les propriétés physico-chimiques des molécules, ils sont stables dans le temps. Que ce soit dans les STEU ou les environnements aquatiques, les caractéristiques physico-chimiques des RM (pKa, log Kow, solubilité, …) ainsi que celles des milieux considérés (pH, luminosité, diversité bactérienne, …) dictent le comportement des molécules. En effet, des changements de pH dans le milieu récepteur peuvent modifier l’adsorption de certains RM sur la phase particulaire, l’augmentation des débits peut atténuer les concentrations, l’abaissement des températures peut diminuer les activités microbiennes responsables de la biodégradation, … Ainsi, comme pour les STEU, les capacités auto-épuratrices des cours d’eau varient dans le temps en fonction des conditions météorologiques et des saisons. C’est un élément de plus qui favorise les variabilités spatio-temporelles des concentrations environnementales des RM et donc des risques environnementaux associés. L’ensemble de ces éléments tend à complexifier l’évaluation de l’exposition mais, lorsque cela est possible, la prise en compte d’un maximum de ces informations permet de rapprocher les concentrations estimées aux concentrations réelles. Les autres rejets, essentiellement diffus (épandage des boues de STEU sur les sols agricoles, utilisation des médicaments dans le cadre de la médecine vétérinaire, …), et les difficultés analytiques, ont aussi leur part de responsabilité dans les incertitudes associées à l’évaluation de l’exposition des milieux aquatiques aux RM, à partir des données de consommation. S’il a été montré que pour certaines molécules les données de consommation pouvaient être relativement cohérentes avec les données environnementales (fréquence de détection et /ou concentrations), pour certaines molécules, ces données ne sont pas suffisantes. Ainsi, le choix des molécules à mesurer dans le cadre de travaux de recherche doit veiller à prendre en compte un maximum de ces paramètres.
Les molécules pharmaceutiques sont biologiquement actives et affectent les mécanismes de contrôle des organismes vivants, par exemple, en régulant le métabolisme, en influant sur l’équilibre hormonal ou en atténuant la transmission de signaux entre les cellules. De ce fait, une fois rejetées dans l’environnement, ces molécules peuvent avoir un impact négatif sur la faune et la flore et altérer la santé des écosystèmes. Cet effet peut se produire par l’intermédiaire de divers mécanismes, parmi lesquels certains ont été démontrés en laboratoire et dans le cadre d’observation de terrain (Weber et al., 2014). Les risques écotoxicologiques associés à la présence de RM dans la Garonne dépendent de l’exposition du milieu à ces molécules ainsi que de leur danger potentiel. La variabilité spatio-temporelle des concentrations de RM, dans les STEU et l’environnement, mentionnées plus haut, se répercutent sur les risques écotoxicologiques associés à la présence de RM dans la Garonne. En d’autres termes, il existerait une variabilité spatio-temporelle des risques écotoxicologiques associés à la présence de RM dans la Garonne due à l’ampltitude des concentrations de RM dans les STEU et l’environnement. Ces travaux de recherches ont notamment cherché à mettre en évidence cette amplitude.
Le chapitre suivant s’intéresse aux méthodologies utilisées en écotoxicologie pour évaluer la dangerosité des produits chimiques dont les RM font partie.
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Table des matières
Partie 1. Étude bibliographique
Chapitre 1. Les origines de la contamination
1. Émissions diffuses
2. Émissions ponctuelles
Chapitre 2. La consommation de médicaments en France et dans le monde
1. Consommation de médicaments dans le monde
2. Consommation de médicaments en France
Chapitre 3. Présence de RM dans les milieux naturels aquatiques
1. Eaux de surface
2. Eaux souterraines
3. Eaux de boisson
4. Synthèse
Chapitre 4. Exposition versus consommation
1. Comparaison des données d’exposition et de consommation
2. Facteurs explicatifs de l’exposition environnementale
Chapitre 5. Évaluation de la dangerosité des molécules
1. Données brutes de laboratoire
2. PNEC
Chapitre 6. Réglementation des résidus de médicaments
1. États-Unis
2. Union Européenne
3. Synthèse
Chapitre 7. Contexte et objectifs de l’étude
1. État des lieux des travaux de recherches
2. Objectifs de l’étude
Partie 2. Matériels et méthodes
Chapitre 1. Description de la base de données
1. Création de la BDD
2. Structuration de la BDD
Chapitre 2. Données écotoxicologiques (danger)
1. Sélection des RM
2. Données de danger intégrées à la BDD
3. Calcul de PNEC
4. Intégration des données de danger dans la BDD
Chapitre 3. Données d’exposition
1. Sélection des RM
2. Cartographie des stations
3. Stratégie d’échantillonnage
4. Calendrier des prélèvements
5. Méthodologies analytiques
6. Traitement des résultats
7. Influence du milieu naturel – Calcul des PEC
Chapitre 4. Caractérisation des risques écotoxicologiques
Partie 3. Résultats
Chapitre 1. Évaluation des dangers
1. Description des données de danger
2. Comparaison des bio-essais et des modélisations QSAR
3. Variabilité des données issues des bio-essais et des modélisations
4. Variabilité des PNEC récoltées dans la littérature
5. PNEC calculées
Chapitre 2. Évaluation de l’exposition
1. Occurrence des RM
2. Variabilité spatiale dans la Garonne
3. Variabilité temporelle
4. Comparaison des PEC et des MEC
Chapitre 3. Caractérisation des risques écotoxicologiques
1. Sélection des données de danger et exposition
2. Caractérisation du risque global
3. Variabilité temporelle des risques écotoxicologiques
Partie 4. Discussion
Chapitre 1. Évaluation des dangers
1. Modélisations QSAR
2. Variabilité des données de danger
3. PNEC
4. Évaluation de l’effet des mélanges
5. Effets écotoxicologiques non quantifiables
Chapitre 2. Évaluation de l’exposition
1. Comportement des RM dans les STEU
2. Comportement des RM dans la Garonne
3. AINS
4. Antibiotiques
5. Anti-épileptiques : Carbamazépine
6. Cardiovasculaires
7. Hormones
Chapitre 3. Caractérisation des risques
1. Risques écotoxicologiques à Toulouse
2. Autres sources d’incertitudes
3. Impacts potentiels sur la santé humaine
Chapitre 4. Discussion générale
Partie 5. Conclusions et perspectives
Bibliographie
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