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Les lésions osseuses traumatiques
Définition
Une lésion osseuse traumatique fait référence à une lésion infligée sur un tissu vivant sous l’influence d’un agent occasionnant un traumatisme. Il peut s’agir d’un mécanisme contondant, tranchant/coupant/piquant, balistique ou thermique. Selon les caractéristiques de la force auxquelles il est soumis, le tissu osseux va pouvoir se déformer puis revenir à son état originel (déformation élastique), se déformer de manière irréversible (déformation plastique) ou se fracturer (Nordin et al, 2001). C’est bien entendu la déformation élastique qui revêt le plus d’intérêt et qui pourra nous permettre, par l’analyse des caractéristiques de la lésion, d’approcher au plus près l’agent vulnérant en cause.
Terminologie et critères d’analyse
Une lésion est caractérisée par un sillon créé dans l’os, schématisé par la figure 6. Il est défini par deux berges, correspondant à la zone de jonction entre le tissu sain et la lésion, deux murs qui correspondent à la zone de contact avec l’agent vulnérant et le fond du sillon qui peut être parfois masqué par la présence de débris osseux.
L’analyse de ces lésions requiert une description minutieuse et exhaustive. Il faut s‘attacher à étudier des critères à la fois qualitatifs et quantitatifs afin d’obtenir une caractérisation lésionnelle la plus précise possible.
Les critères qualitatifs à analyser comportent la forme générale de la lésion, l’aspect des berges, les murs avec leurs éventuelles stries, le fond du sillon, les débris osseux, l’aspect de l’os à distance ainsi que les dégâts osseux engendrés (écailles, fractures).
Les critères quantitatifs correspondent aux différentes mesures de la lésion (longueur, largeur, profondeur) et, dans le cadre de lésions productrices de stries (scie, sabre, couteau), l’espacement et la taille de celles-ci.
Les outils d’analyse
Matériel osseux ou moulages
L’examen de la lésion peut se faire directement sur la pièce osseuse ou indirectement, à travers la réalisation de moulages. Ceux-ci peuvent être réalisés à partir de matériau de type silicones, plâtres ou pâte fluide bi-composante ; le choix sera fonction de la taille et du type de traces. Le principal intérêt des moulages est la mise en évidence de striations qui n’auraient pas été vues sur la pièce (Pounder et al, 2011 ; Love et al, 2012 ; Baiker et al, 2014).
Examen macroscopique
La première étape de l’analyse d’une lésion osseuse consiste en un examen macroscopique indispensable. Celui-ci devra localiser anatomiquement de manière précise la lésion, la distinguer d’autres modifications squelettiques et variations anatomiques ou de lésions post mortem et pourra permettre un premier débrouillage en analysant des caractéristiques générales (Tucker et al, 2001). Il peut parfois orienter sur le type d’agent vulnérant (Humphrey et al, 2001 ; Lynn et al, 2009). En effet un instrument contondant s’accompagne d’importants dégâts osseux à type de fissures, fractures ou éclats qui se voient à l’œil nu, tout comme une arme tranchante laissera un sillon linéaire à bords nets (Fig. 7 et 8). L’analyse macroscopique pourra également permettre d’orienter la suite des analyses et de définir le type d’examen complémentaire adéquat.
Microscopie conventionnelle
Elle correspond à une technique couramment employée en science médicolégale. Néanmoins l’os étant une structure très dure, il nécessite un prétraitement pour pouvoir être techniqué. Il existe deux méthodes de traitement de l’os : soit une décalcification osseuse préalable suivie d’une inclusion en paraffine, coupe au microtome classique, étalement et coloration sur lame (Fig. 9) ; soit une inclusion en résine permettant une meilleure conservation de l’os (mais de coût plus élevé), suivie d’une coupe à l’aide d’un microtome à diamant (Fig.10).
La résolution des images obtenues est de l’ordre du micromètre. Technique de routine classique et peu onéreuse pour la décalcification, elle permet avant tout d’étudier la structure de l’os. Elle est utile notamment dans la datation des fractures et dans la détermination du caractère pré ou post mortem des lésions (Cattaneo et al, 2010).
L’analyse se fait, à l’heure actuelle, majoritairement sur des images en deux dimensions (2D). Or les lésions traumatiques osseuses sont mieux appréhendées par un examen en 3 dimensions (3D). Nous avons tenté, dans le cadre de travaux antérieurs, une reconstruction 3D à partir de coupes sériées mais celle-ci a échoué en raison d’un manque de reproductibilité des coupes et d’importants artefacts, la limite résidant donc actuellement dans la technique (Capuani et al, 2012 ; Annexe 1).
Enfin, cet examen, quel que soit la technique utilisée, entraine néanmoins une destruction des échantillons.
Microscopie électronique à balayage
La microscopie électronique à balayage (MEB) est une technique de microscopie électronique utilisant le principe d’interaction des électrons avec la matière. L’image est formée de manière séquentielle grâce à un balayage de la surface de l’échantillon par un faisceau d’électrons (secondaires et rétrodiffusés). L’image obtenue correspond donc à la surface du spécimen d’étude en trois dimensions.
Il existe 2 types de microscope à balayage. D’une part, le microscope électronique à balayage classique, qui nécessite une préparation de l’échantillon afin de permettre son analyse. Le fragment osseux, de petite taille (quelques centimètres au maximum), sera déshydraté, séché puis métallisé avant d’être examiné. D’autre part, plus récemment, est apparu le microscope électronique environnemental permettant de s’affranchir de l’étape de préparation de l’échantillon.
Quelque soit le type de microscope électronique à balayage, la résolution est de l’ordre du nanomètre. Cet outil permet une analyse en trois dimensions de la lésion avec une haute résolution (Fig. 12). Néanmoins elle nécessite l’utilisation de petits fragments osseux et donc s’accompagne d’une détérioration de la pièce. De plus l’utilisation du mode environnemental ne permet pas une qualité d’image et une résolution aussi fine que celle d’un microscope à balayage standard.
Cet outil est utile dans le cadre de lésions fines comme celles réalisées par les armes blanches, permettant l’analyse des caractéristiques du sillon osseux engendré, et notamment l’étude des différentes stries pouvant être observées sur les murs (Wakely et al, 1993 ; Houck et al, 1998 ; Thompson et al, 2009).
Macroscopie à épifluorescence
Le macroscope à épifluorescence (Fig. 14) est un outil peu onéreux couramment employé en biologie, notamment dans l’analyse du petit animal ou à l’échelle cellulaire (Paganin-Gioanni et al, 2010 ; Chabot et al, 2011). Concernant le matériel osseux, il a uniquement fait l’objet d’études expérimentales sur coupes osseuses mais jamais encore il n’avait été utilisé dans le domaine de l’anthropologie (Slyfield et al, 2009 ; Guskuma et al, 2010). Nous avons démontré pour la première fois son utilité dans ce type d’analyse dans le cadre de travaux antérieurs (Capuani et al, 2012 ; Annexe 1).
La macroscopie à épifluorescence repose sur le principe de fluorescence des éléments. La fluorescence est la propriété que possèdent certains corps d’émettre de la lumière après avoir absorbé des photons de plus haute énergie. Deux types de fluorescence peuvent être observés :
soit le sujet possède des molécules capables de capter ces photons et en retour d’émettre de la lumière à une longueur d’onde différente de celle absorbée, on parle alors de fluorescence naturelle, primaire ou autofluorescence,
soit un fluorochrome tel une sonde ou une molécule naturelle ou synthétique possédant les mêmes propriétés que les précédentes est incorporé dans le sujet et se couple à des structures biologiques permettant ainsi leur observation, on parle alors de fluorescence induite ou secondaire.
Quel que soit le type de fluorescence, le rayonnement émis est alors capté par le macroscope et observable à l’aide de filtres spécifiques.
Nous savons depuis de nombreuses années que l’os possède une autofluorescence naturelle qui s’estompe avec le temps et qui est notamment utilisée en médecine légale pour la datation de restes osseux. En effet, l’application d’une lumière ultra-violette entraîne une fluorescence bleutée de l’os lorsque le délai post mortem est inférieur à 100 ans (Berg S, 1963 ; Saukko et al, 2004). La fluorescence est due principalement au composant organique de l’os et notamment au collagène de type I (Prentice, 1967 ; Drzazga et al, 2011). Mais ces éléments sont à prendre avec précaution et sont de plus en plus remis en cause. Il a en effet été montré que d’une part la décroissance de l’intensité de fluorescence n’était pas linéaire dans le temps (Hoke et al, 2013) et que d’autre part il existait une variation d’intensité de fluorescence en fonction du type d’os, de sa composition et donc d’éventuelles pathologies.
Nous avons décidé d’utiliser cette fluorescence osseuse à d’autres fins que l’estimation du délai post-mortem. C’est dans ce cadre que nous avons tenté d’analyser des spécimens osseux à l’aide de ce microscope particulier. L’intérêt de ce microscope est donc double ; d’une part l’os étant spontanément fluorescent, il ne nécessite aucune préparation et peut être directement appliqué sous l’objectif pour être analysé, d’autre part l’étude de fragments de grande taille est possible puisqu’il s’agit d’un microscope à champ large. Il n’est donc pas nécessaire de le fragmenter au préalable.
L’excitation de l’échantillon osseux peut se faire grâce à une lumière blanche ou à l’utilisation de différents filtres émettant à différentes longueurs d’onde (Fig. 15). La résolution est de l’ordre du micromètre. Cet outil permet une approche en 3D de la lésion, sans destruction ni préparation de l’échantillon. Il est utile, en première intention, avant éventuelle destruction des pièces par d’autres méthodes et permet d’analyser de manière adéquate les différentes caractéristiques du sillon de diverses lésions osseuses traumatiques, notamment les lésions par armes blanches.
INSTRUMENTS TRANCHANTS ET TRANCHANTS/CONTONDANTS A LAME COURTE
Données de la littérature
Les travaux antérieurs portant sur l’analyse des lésions osseuses par armes blanches peuvent être divisés en trois types d’étude. Il existe des études de cas, des études expérimentales et, apparues plus récemment, des études de validation. Ces différentes études sont d’une part à visée archéologique et d’autre part plus contemporaines, à visée médico-légale.
Instruments tranchants
Dans un contexte archéologique, les premières études se sont intéressées aux marques laissés par les outils des premiers hominidés sur les os de boucherie afin de comprendre leur pratiques et habitudes alimentaires, leur latéralité ainsi que les types d’instruments utilisés (Potts et Shipman, 1981 ; Shipman et Rose, 1983). Parmi elles, Bromage et Boyde ont réussi à déterminer à travers l’analyse de diverses caractéristiques lésionnelles laissées par des instruments en pierre de type silex et instrument en acier, trois critères microscopiques de directionnalité du sillon. Des travaux plus récents ont également cherché à déterminer des caractéristiques différenciant les outils en pierre de nos ancêtres (silex, obsidienne, biface,…) des outils en acier actuels, ceci afin de mieux comprendre l’évolution des pratiques de l’homme (Bello et al, 2008 ; Schmidt et al, 2012).
Parmi les premiers à s’intéresser aux caractéristiques lésionnelles osseuses par instrument tranchant dans un contexte plus contemporain, citons Bonte en 1975 et Rao et Hart en 1983. Bonte insiste sur la possibilité qu’ont les instruments tranchants de laisser des marques sur l’os. Ces marques possédant des caractéristiques, il devient possible à travers leur analyse de déterminer des grandes classes d’instruments. Il s’est notamment intéressé à l’analyse des stries portées par des lésions de couteaux à lames crantées sur des cartilages et leur utilité pour remonter à l’arme responsable de ces lésions dans les affaires criminelles. A noter que ses travaux englobent également les cas de démembrement, qui seront discutés plus tard. Rao et Hart ont quant à eux montré à travers une étude de cas la possibilité de confondre l’arme du crime à travers l’analyse comparative des stries laissées sur le cartilage costal et celles sur des moulages avec le même instrument.
A partir de ces études préliminaires, d’autres études expérimentales ont suivi afin d’établir des caractéristiques permettant d’identifier une classe d’instrument, puis un type d’agent à travers une classe ou même l’arme unique responsable du traumatisme, même si celles-ci sont bien plus rares. Ces différents travaux ont utilisé des caractéristiques qualitatives ou quantitatives, parfois couplées à des études statistiques. Ils se sont appuyés sur de l’os animal, majoritairement le cochon, car considéré comme le plus proche du tissu osseux humain et se comportant de la même façon face à un stress (Elhaney et al, 1976 ; Aerssens et al, 1998 ; Saville et al, 2007), ou sur des os humains (beaucoup plus rarement). Les coups ont été réalisés selon les auteurs soit à partir de machines calibrées afin de produire des impacts strictement reproductibles ou manuellement afin de se rapprocher de la réalité (Bartelink et al, 2001 ; Thompson et al 2009). En effet, lors de cas concrets, le diagnostic de l’instrument doit pouvoir être possible même si on ne peut savoir au moment de l’enquête la force, l’angle ou encore la latéralité de l’assaillant. Ces deux manières de procéder ont donc chacune des avantages et des inconvénients.
Les lésions engendrées par les instruments tranchants à lame courte comme les couteaux ont comme caractéristiques principales un sillon étroit, une section en forme de V, des stries sur les murs et peu de dégâts osseux (Reichs, 1998). Ces stries sont, selon les études, perpendiculaires (Houck, 1998) ou parallèles (Humphrey et al, 2000) au fond du sillon. Houck, en 1998, a montré qu’il était possible grâce au MEB de faire un diagnostic de classe de couteaux mais également parfois un diagnostic individuel à l’aide de l’analyse des stries ou de la présence de défects ou d’anomalies de la lame imprimées sur l’os.
Au sein des différents couteaux, les sillons osseux laissés par les lames à fil lisse sont définis comme des sillons superficiels, linéaires et étroits avec peu de débris dans le fond. Les berges sont irrégulières de manière uni ou bilatérales avec quelques écailles osseuses et l’un des deux murs est vertical régulier et le second oblique irrégulier (Alunni et al, 2005 et 2010 ; Capuani et al, 2012). Alors qu’Alunni et al a réussi à mettre en évidence des éléments d’orientation (forme des extrémités) dans les lésions par instrument piquant, il n’a pas été possible de le faire sur les instruments tranchants. Mais par la suite, l’étude de Kooi, en 2013 montre, comme Bromage et Boyd à l’époque, une possibilité d’orientation des écailles sur les berges correspondant à l’orientation du coup. Enfin, Thompson et al, en 2009, parle d’un sillon en forme de T alors que d’autres restent sur une section en V (Ferllini, 2012 ; Kooi et al, 2013).
Les sillons osseux engendrés par des lames crantées présentent, quant à elles, des caractéristiques différentes. En effet, même si les entailles restent superficielles et linéaires, elles sont plus larges et profondes que les sillons des lames lisses et présentent plus de dommages osseux et de débris dans le fond du sillon (Thompson et al, 2009 ; Capuani et al, 2012). Les lésions sont asymétriques et présentent des berges irrégulières avec une surélévation unilatérale, un mur irrégulier et un mur plus uniforme (Capuani et al, 2012). Le profil apparaît en forme de Y. La plupart de ces caractéristiques est issue d’études qualitatives ou qualitatives et quantitatives.
Néanmoins, certains auteurs se sont focalisés sur des études quantitatives, estimant qu’elles devaient être plus objectives. La plupart d’entre elles ont constaté l’échec de telles études avec fréquemment de grands chevauchements entre les valeurs des différents couteaux, ne permettant plus un diagnostic de classe et encore moins individuel. C’est le cas de Cerutti et al en 2014 ou de Bartelink et al, en 2001, qui montre que, quelque soit la manière de porter le coup (manuel ou avec une machine calibrée), il existe une variation de la largeur du sillon au sein d’une même arme et des chevauchements entre les différents instruments. L’ensemble des auteurs concluent donc que, dans tous les cas, une analyse uniquement quantitative n’est pas adaptée et doit, au mieux, être couplée à une analyse qualitative. Shaw et al en 2011 ont réalisé une étude biomécanique ayant pour objectif de déterminer l’angle à travers lequel a été porté le coup. Sans qu’elle se soit soldée par un échec, il apparaît néanmoins extrêmement complexe de déterminer ce type d’information, nécessitant l’utilisation de logiciels statistiques poussés. Par ailleurs cet angle dépend de la relation entre la force du coup porté, la profondeur, l’élasticité ou encore la résistance de l’os. Ces résultats paraissent difficilement applicables dans des cas concrets et ne s’intéressent pas par ailleurs à la détermination de l’agent vulnérant.
De manière plus sporadique, certaines études se sont intéressés à l’analyse des lésions lors de restes osseux brûlés ou calcinés ou encore à l’impact des vêtements sur le sillon (Kooi et al, 2013 ; Ferllini, 2012). Kooi a montré que les lésions soumises à de hautes températures peuvent perdre certaines de leurs caractéristiques les plus fragiles (écailles, débris, fractures). Ferllini a mis en évidence la possibilité de détecter des résidus de fibres textiles au sein du sillon grâce l’utilisation du MEB.
Il est à noter que l’ensemble de ces études utilisent comme support le tissu osseux mais il existe également dans la littérature quelques travaux qui se sont intéressés aux lésions laissées par les instruments tranchants au sein d’un tissu cartilagineux. Les caractéristiques tissulaires et donc biomécaniques entre ces deux tissus étant différentes, les informations recueillies lors de l’analyse des sillons diffèrent également. Le cartilage étant un tissu plus souple, l’agent vulnérant va s’imprimer plus précisément dans le cartilage. Les équipes se sont majoritairement intéressées aux empreintes laissées par les lames crantées. Certains ont montré qu’il était possible par la mesure de l’espacement entre les striations, de différencier des lames crantées présentant un schéma de crans variable. Dans ce but, ils ont analysé à la fois les lésions au niveau du cartilage mais également des moulages des sillons et ont obtenus les mêmes résultats quelque soit le matériau sur lequel ils ont travaillé (Pounder et al, 2011 ; Puentes et al 2013). Mais d’autres comme l’équipe de Love et al ont quant à eux montré à travers une étude de validation que le taux d’erreur de classification restait au contraire élevé, d’au moins 50%. Néanmoins notons que notre étude a pour but de se focaliser sur l’os, nous ne développerons donc pas plus ce type de travaux sur le cartilage.
Au vu de tous ces travaux, on peut dire que la littérature comporte dans sa grande majorité des études de cas et des études expérimentales. Le support principal reste l’os animal même si quelques études ont utilisé l’os humain. Il n’existe pas de revue de la littérature permettant de faire le point sur les différentes recherches effectuées ces dernières années tout comme on note l’absence de base de données et de référentiels dans le cadre de ce type d’analyse. Notre travail, qui à travers ce premier chapitre s’est appliqué à recenser les différentes connaissances actuelles, va donc dans un premier temps essayer, à partir de matériel osseux humain, de regrouper les caractéristiques lésionnelles de différents outils tranchants afin d’en réaliser une modélisation qui pourra servir d’abaques à d’autres professionnels de ce domaine d’étude. Mais il va également tenter d’apporter des éléments permettant la reconstitution du coup porté. En effet il existe très peu d’études qui se sont intéressées à des critères permettant d’orienter la lésion dans l’espace et permettant de déterminer la position de l’agent vulnérant et donc de l’assaillant par rapport à la lésion. Seuls Bromage et Boyde en 1984 ont mis en évidence quelques caractéristiques dans un contexte uniquement historique. Alunni et al en 2005 et 2010 a uniquement pu orienter les lésions produites par un instrument piquant. Mais la littérature reste très pauvre sur le sujet. Ces éléments, si ils peuvent être déterminés, sont pourtant d’une importance capitale dans une enquête judiciaire afin de reconstituer l’agression et d’évaluer l’exactitude des faits relatés.
Un second manque dans la littérature apparaît également. Il existe en effet très peu d’études de validation publiées. Pourtant la nécessité de prouver la validité de la méthode est importante face à un système judiciaire désireux de preuve probante. Deux équipes se sont intéressées à cette question et ont tenté d’apporter une valeur statistique à la preuve apportée lors de la reconnaissance d’un type d’agent vulnérant.
D’une part, l’équipe de Crowder et al a étudié la capacité de distinguer des couteaux sur l’os et le cartilage à partir de l’examen de deux critères basiques, les crans des lames et la direction du biseau de la lame. Pour cela il a utilisé 14 couteaux comportant des lames non crantées, crantées ou partiellement crantées et des biseaux variables. Trois observateurs ayant des niveaux d’expérience différents ont analysé ces lésions directement ou sur moulages. Les auteurs ont ainsi pu analyser le taux d’erreurs d’identification de la lame. Il ressort de cet examen que les lames partiellement crantées ne sont pas reconnaissables, car elles donnent des striations semblables aux couteaux crantés. Mais le taux d’erreurs d’identification entre les lames lisses et crantés est faible. Le taux d’erreurs est similaire entre les lésions directes et indirectes, l’empreinte n’est donc pas nécessaire. Cependant, l’identification des classes de lame par l’observation de la forme du biseau de la lame est plus difficile, donc peu fiable, impliquant de déterminer plus de caractères pour valider ce type d’expérience.
D’autre part, Chumbley et al ont tenté d’apporter un outil statistique sous forme d’un algorithme permettant la reconnaissance de l’arme employée. Leur étude, très spécialisée, s’est intéressée uniquement aux outils piquants à type de tournevis cruciformes. Leurs résultats ne sont que préliminaires et peuvent encore être améliorés puisque dans beaucoup de cas, les observateurs expérimentés avaient un taux d’erreur inférieur que lors de l’utilisation de l’algorithme.
Pour conclure, afin de répondre à la demande de plus en plus forte de la justice concernant la nécessité d’établir un diagnostic basé sur des principes scientifiques prouvés et valables, nous allons tenter, dans la seconde partie de notre travail, d’apporter des indications sur la valeur de la preuve par une étude déterminant la fiabilité et la précision du diagnostic en fonction du type de lames et de l’expérience de l’observateur.
Instruments tranchants/contondants
Contrairement aux instruments tranchants, la littérature dans ce domaine apparaît bien plus pauvre et comporte majoritairement des études archéologiques. Nous citerons uniquement ici quelques exemples parmi les plus anciens et les plus connus. En effet, parmi les premiers à dresser un profil de caractéristiques, Wenham (1989) et Wakely (1993) ont mis en évidence, à travers des études de collections archéologiques, quelques caractéristiques principales de ce type de coup, indépendamment de la lame. Les sillons osseux engendrés présentent en effet d’une part un mur et une berge lissés réguliers correspondant au plan de coupe de la lame, à angle obtus, et un mur controlatéral à angle aigu, une berge controlatérale présentant de fines écailles, majoritairement perdues en archéologie, mais présentes dans les études expérimentales. L’inclinaison différente de ces murs peut permettre de déterminer l’angle du coup. Enfin la troisième caractéristique principale est la présence d’importants dégâts osseux avec fractures et pertes de matériel. Par ailleurs il est décrit des striations parallèles entre elles et perpendiculaires au fond du sillon sur les murs de la lésion. Il est à noter toutefois que ces critères sont issus majoritairement d’analyse de lésion sur des extrémités céphaliques.
C’est pourquoi en 2000, l’équipe de Humphrey, Hutchinson et Tucker ont voulu analyser ce type de lésions sur des os longs à travers une analyse macroscopique et microscopique (MEB). Ils ont ainsi pu faire le diagnostic différentiel entre une machette, une hache et un couperet et ont retrouvé les principales caractéristiques décrites antérieurement, même si cela nécessite, selon eux, une forte expérience de l’observateur, notamment en microscopie. Néanmoins il est à noter qu’il n’existait aucune striation visible sur les lésions laissées par la hache ; les auteurs expliquent ce phénomène par les caractéristiques de l’arme. En effet, cet instrument crée une lésion plus par le poids et l’épaisseur de la lame que par le côté coupant ou tranchant. En 2009, une seconde étude sur les haches et hachettes réalisées par Lynn et Fairgrieve s’est intéressée à ce type de lésions sur les os longs, en essayant de déterminer s’il pouvait exister une différence lésionnelle sur des lésions réalisées avec les chairs ou sur des os décharnés. L’examen macroscopique et microscopique confirme les inclinaisons des murs permettant souvent une orientation de la lésion et les importants dégâts osseux engendrés avec ce type d’armes. La seule différence notée lors de la persistance des chairs est l’atténuation de la force de l’impact qui se traduit par l’absence d’expulsion d’ostéons et de séparation des lamelles osseuses en microscopie électronique. Les principales autres caractéristiques sont conservées.
Enfin les dernières études expérimentales réalisées par Alunni et al et Capuani et al en 2010 et 2012 ont affiné ces caractéristiques. Ce type de lésions osseuses peut en effet être le siège de surélévation des berges, uni ou bilatérale et s’accompagne d’une compression osseuse de part et d’autre des berges.
INSTRUMENTS TRANCHANTS ET TRANCHANTS/CONTONDANTS A LAME LONGUE
Première étude : Lésions de démembrement
Terminologie
Les lésions de scies sont majoritairement observées dans le cadre des démembrements, principalement post-mortem, dans le but de dissimuler un cadavre. Leur particularité réside dans le fait que leur utilisation relève d’un mécanisme de cisaillement, contrairement aux autres armes blanches, qui va grandement complexifier le pattern lésionnel. Ce premier chapitre a pour but de clarifier le mécanisme de coupe, expliquer la terminologie d’usage et dresser le schéma d’analyse à suivre face à ce type de lésions. Ce descriptif s’appuie majoritairement sur les travaux de Symes et ses ouvrages de référence (Symes et al, 1992, 1998).
Les scies
Il existe deux grandes classes de scies qui se distinguent par leur puissance : les scies manuelles et les scies mécaniques. Parmi chaque classe, il existe toute une variété de sous classes comme par exemple les scies à métaux, les scies égoïnes ou les scies médicales. Au sein de chaque sous classe, différents types de scie vont se distinguer en fonction de la forme et de l’agencement des dents, de leur sens de coupe, de l’avoyage et du pas de la denture.
En premier lieu, il existe deux types de dent, appelée selon la forme, ripcut ou crosscut (Fig. 45). La première correspond à des dents présentant un angle de 90° par rapport à la lame et ayant pour conséquence de proposer une face plane, comme un burin, lors de la coupe. A l’inverse, les dents de type crosscut possèdent un angle de 60-70° et l’extrémité de chaque dent se comporte alors comme un objet piquant à la surface de la coupe.
En second lieu, on distingue trois types d’agencement des dents les unes par rapport aux autres, appelé alternant (alternating), ondulant (wavy) ou raker (Fig. 46). L’agencement dit alternant correspond à des dents orientées successivement de part et d’autre de la ligne médiane selon une angulation aigue. Le pattern de type wavy correspond lui à un groupe de dents régulièrement agencées de part et d’autre de la ligne médiane de façon à créer une forme de vague. Enfin le troisième type d’agencement correspond à la présence d’une dent particulière appelée raker, dépourvue d’angulation et ayant pour but de nettoyer les débris créés par les autres dents lors de la coupe. Cette dent se situe en général toutes les 3, 4 ou 5 dents.
Selon la scie, le sens de coupe va être différent. C’est à dire que la lame et les dents vont couper soit dans le sens de la coupe (scie dite push Western saw), soit lorsque la lame est ramenée vers soi (appelée Japanese pull saw). Les scies de type Western prédominent néanmoins largement. Mais il existe des exceptions, notamment en ce qui concerne certaines scies mécaniques, qui vont couper dans les deux sens selon un mouvement alternatif.
En ce qui concerne des données plus quantitatives, chaque lame va se caractériser par une épaisseur de lame et l’avoyage ; celui-ci correspond à la largeur entre les extrémités des dents, qui est plus large que la lame car les dents présentent une angulation par rapport à celle-ci. Enfin le pas de la denture correspond à la largeur séparant chaque dent, exprimé le plus souvent en TPI, qui correspond au nombre de dents pour un inch. Selon le type de matériel à couper, le TPI sera plus ou moins élevé.
Données de la littérature
La littérature regroupe majoritairement des études expérimentales et des études de cas, études que nous ne détaillerons pas ici (Delabarde et al, 2010 ; Dogan et al, 2010). Les premiers auteurs à s’intéresser à ce type de lésions sont Bonte en 1975 et Andahl en 1978. Bonte montre qu’il est possible d’identifier dans certains cas différentes caractéristiques de la scie utilisée dans des cas de démembrement. Andahl par la suite dresse un guide d’étude qui a pour but de servir de fil conducteur lors de l’examen de lésions de scie. Il ne s’intéresse pas uniquement à l’os mais au métal et à tout ce qui peut être scié dans un cadre médico-légal, tant en matière d’homicide, de vol ou toute autre infraction.
Plus tard, grâce à ses nombreux travaux sur le sujet, Symes et son équipe deviendront les référents en matière de lésions de démembrement. La plupart des travaux ultérieurs s’appuient sur les principes d’analyse et les résultats de Symes, obtenus grâce à une analyse macroscopique et stétéomicroscopique. Il est envisageable aujourd’hui d’orienter la lésion, à savoir de déterminer le sens de coupe, le sens de progression de la lame et donc la position de l’auteur. Il est possible également de différencier la classe de scie (manuelle ou mécanique), la sous classe et le type, la forme des dents, leur espacement (ou pas de la denture) et l’agencement de celles-ci afin d’aboutir à un diagnostic assez précis de l’instrument utilisé. Mais il existe une seule étude de Saville et al dont les expériences montrent que, grâce à l’analyse d’un troisième type de strie visible uniquement au MEB, le diagnostic individuel de l’arme en cause devient possible. Cette étude datant de 2007 n’a pourtant pas eu de suite. Freas, quant à lui, a montré que l’usure de la lame engendre une perte progressive des stries laissées sur l’os, notamment les plus fines qui ne sont alors plus identifiables, même en MEB. Néanmoins le diagnostic de classe reste possible. Par ailleurs il constate que l’emploi du MEB n’apporte pas plus d’informations que la microscopie classique (Freas, 2010).
En 2009, Marciniak SE a étudié la faisabilité d’une analyse de ce type de lésions lors d’exposition à de fortes chaleurs. Elle a montré que les os brûlés perdent des détails concernant notamment les caractéristiques des différentes stries qui peuvent être observées. Néanmoins les faux départs restent analysables car plus protégés et, selon ses travaux, un diagnostic reste possible. Enfin une étude statistique a été conduite en 2011 par Bailey et al. A travers l’étude de la largeur du sillon qui apparaît corrélée à la largeur de la lame de 10 scies différentes, ils ont proposé la création d’abaques de largeurs en fonction du type de scies afin de faciliter des analyses ultérieures. Néanmoins les échelles de largeur obtenues pour les différentes scies sont fréquemment chevauchantes, ce qui réduit considérablement l’intérêt de ces abaques. A noter qu’ils ont montré que les sillons créés par les scies mécaniques étaient en général plus larges que ceux créés par les scies manuelles.
Au total l’ensemble de ces études apparait comme des études expérimentales. Il existe là encore peu d’études de validation permettant d’apporter une précision quant à la valeur des caractéristiques trouvées. Mais en 2010, dans le cadre de la suite de ses travaux, Symes et al. ont apporté des pistes en ce sens. Toujours dans sa volonté de créer des guides d’étude et des ouvrages de référence destinés aux professionnels, il a d’abord édité un manuel d’entraînement à destination d’observateurs d’expérience différente. Le but de l’étude était divisée en 3 points : déterminer les principales caractéristiques permettant de différencier une scie manuelle d’une scie mécanique, comparer l’approche morphologique par rapport à l’approche métrique, et évaluer le taux d’erreur de classification inter et intra-observateur et l’apport de l’expérience. Il résulte de ces travaux que l’approche morphologique est bien meilleure que l’approche métrique et qu’en se basant sur 3 critères on peut distinguer une scie mécanique d’une scie manuelle, sans qu’il soit retrouvé une différence entre un observateur expérimenté et non expérimenté. Néanmoins pour que ces 3 caractéristiques soient statistiquement significatives, son étude montre qu’il faudrait réaliser plus de 2000 à 3000 lésions. Ces éléments soulignent bien la difficulté de rentrer dans les critères de Daubert, qui sont pourtant demandés aujourd’hui aux différents experts. Enfin il est à noter qu’un site internet didactique devrait bientôt voir le jour, créé par Symes et son équipe.
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Table des matières
1 INTRODUCTION GENERALE
2 GENERALITES
2.1 Les armes blanches
2.1.1 Définition
2.1.2 Epidémiologie
2.2 Les lésions osseuses traumatiques
2.2.1 Définition
2.2.2 Terminologie et critères d’analyse
2.3 Les outils d’analyse
2.3.1 Matériel osseux ou moulages
2.3.2 Examen macroscopique
2.3.3 Microscopie conventionnelle
2.3.4 Stéréomicroscopie
2.3.5 Microscopie électronique à balayage
2.3.6 Micro-scanner
2.3.7 Macroscopie à épifluorescence
2.3.8 Etudes préliminaires ou sporadiques
3 INSTRUMENTS TRANCHANTS ET TRANCHANTS/CONTONDANTS A LAME COURTE
3.1 Données de la littérature
3.1.1 Instruments tranchants
3.1.2 Instruments tranchants/contondants .
3.2 Première étude : Caractéristiques lésionnelles, modélisation et éléments d’orientation
3.2.1 Article : Modélisation et éléments d’orientation
3.2.2 Etudes complémentaires
3.3 Seconde étude : Etude de validation
3.3.1 Intérêt
3.3.3 Objectifs
3.3.4 Matériels et méthodes
3.3.5 Résultats
3.3.6 Discussion
3.3.7 Conclusion
4 INSTRUMENTS TRANCHANTS ET TRANCHANTS/CONTONDANTS A LAME LONGUE
4.1 Première étude : Lésions de démembrement
4.1.1 Terminologie
4.1.2 Données de la littérature
4.1.3 Etude expérimentale
4.1.4 Perspectives : étude de validation
4.2 Seconde étude : Les sabres
4.2.1 Données de la littérature
4.2.2 Etude préliminaire
5 EXEMPLES D’APPLICATION
5.1 Applications archéologiques
5.1.1 Un squelette du VIème siècle
5.1.2 Collection du XIVème siècle
5.1.3 Conclusion
5.2 Applications médico-légales
5.2.1 Franchissement par un train : acte suicidaire ou homicide masqué ?
5.2.2 Un cas de démembrement
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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