Instrumentation immergée des matériaux cimentaires par des micro-transducteurs ultrasoniques à nanotubes de carbone

Nanosciences et nanotechnologies en génie civil 

Innovations par les « nano » en construction

Le poids des « nano » dans le monde économique et social augmente rapidement : le marché mondial des « nano » représentait 160 milliards de dollars (soit 110 milliards d’euros) en 2008 et les études tablent sur un marché de 2500 milliards de dollars (1700 milliards d’euros) d’ici à 2015 [Inc. 10]. A titre de comparaison, le marché mondial des dépenses de santé représentait 3600 milliards d’euros en 2005 [Themedica ]. La France a financé en propre des programmes dans ce domaine à hauteur de 83 millions d’euros en 2008 via l’Agence nationale de la recherche et se classe au 5e rang mondial en nombre de publications scientifiques sur ces sujets [Nanotechnologies 09]. Ce développement intervient grâce à l’implantation des «nano » dans des domaines économiques variés, tels la santé (crèmes solaires), les loisirs (skis), les technologies de l’information (transistors) ou l’aéronautique (composites) ; à ce jour, plus 800 produits manufacturés intègrent le fruit de recherches en matière de nanotechnologies. [Nanotechnologies 09]. Parmi les domaines d’application possibles des « nano », celui de la construction est particulièrement prometteur en raison de son rôle économique majeur : d’après l’INSEE, le domaine de la Construction concernait plus de 1,8 millions de personnes en France en 2008. Il représentait en 2007 11 % du PIB Français et 12 % du PIB Européen avec 2 800 000 entreprises dans ce secteur d’activité [BAESP 08]. Le domaine de la construction est marqué par une augmentation importante des coûts, entre autres ceux des matières premières : entre 2003 et 2007, les coûts de production des matériaux cimentaires et métalliques ont ainsi augmenté d’environ 25% [Letournel 09]. Dans la même période, le coût de construction d’une autoroute a augmenté de 150 % [Teizer 09]. Cette tendance incite les acteurs du domaine à limiter les volumes de matériaux nécessaires pour remplir les fonctions traditionnelles et à développer des fonctions nouvelles. Ils cherchent également à construire pour plus longtemps, et à privilégier la maintenance plutôt que le remplacement par du neuf.

Les deux axes « construire mieux le neuf » et « faire durer l’ancien » vont dans le sens d’une économie plus écologique de la construction : d’une part, on limite ainsi la quantité de matériaux de construction à produire et à transporter, deux activités très polluantes [Habert 10, Flower 07] ; d’autre part, on limite les destructions d’ouvrages, donc la quantité de déchets à traiter [Bossink 96]. C’est dans ce contexte que les Nanosciences et Nanotechnologies ont fait leur apparition dans l’innovation en construction. Elles se sont en particulier développées dans les deux directions qui suivent :
• Développement de matériaux de construction aux propriétés améliorées ou multifonctionnels : construire le neuf mieux, pour plus longtemps et pour moins cher.
• Développement de méthodes in-situ de suivi structural : construire le neuf pour plus longtemps et faire durer l’ancien.

Les « nano » pour améliorer les matériaux de construction

Nanosciences des matériaux de construction

Les études expérimentales qui sont menées sur les matériaux de construction, en particulier les matériaux cimentaires, mettent en œuvre des équipements de pointe particulièrement adaptés à l’étude des propriétés nanométriques de la matière [Scrivener 08] :
• microscopie électronique à balayage (fig. I.2.1 page ci-contre) [Diamond 99] ou en transmission [Lawrence 74]
• microcopie à force atomique [Ferrari 10]
• nanoindentation [Sorelli 08]
• résonance magnétique nucléaire [Korb 09]
• diffusion de neutron [Allen 07] ou de rayons X [Beddoe 94] aux petits angles
• diffraction de rayons X [Hesse 09]
• spectroscopie par rayon X [Haselbach 08]
Les techniques numériques implémentées sont elles-aussi classiques pour l’étude de problèmes d’échelle nanométrique [Bris 05] :
• méthode de Hartree-Fock [Manzano 07]
• théorie de la fonctionnelle de la densité [Laugesen 05]
• dynamique moléculaire [Kalinichev 07]
• méthodes de Monte-Carlo [Zheng 09] .

Ces méthodes ont permis la compréhension des matériaux cimentaires aux échelles micro et nanométriques, compréhension qui en retour a facilité le développement de matériaux aux propriétés améliorées. Par exemple, limiter la quantité d’eau initiale ajoutée au ciment grâce à l’emploi d’additifs tels les plastifiants et super-plastifiants permet de diminuer l’espacement entre les grains de ciment et ainsi d’augmenter la force maximale du béton, tout en maintenant une rhéologie satisfaisante du matériau. L’ajout de cendres volantes ou de fumée de silice contribue à diminuer l’espace interstitiel [Scrivener 08]. L’ajout de fibres augmente la résistance en traction des matériaux [Lange 96].

Matériaux de construction à nanoparticules 

Aperçu des avancées

Les nanosciences ont permis la compréhension des mécanismes à la base des propriétés des matériaux de construction, conduisant à des nouveaux matériaux largement commercialisés. Les innovations ne s’arrêtent pas là, car la tendance va maintenant à l’intégration directe de nanoparticules aux matériaux de construction. Les additifs utilisés dans les bétons hautes performances sont remplacés par différents types de nanoparticules : des nanoparticules amorphes de silice ou d’oxyde ferrique sont plus efficaces que la fumée de silice pour améliorer la force des matériaux [Jo 07, Li 04c]. La dispersion des nanotubes de carbone dans les matériaux cimentaires, encore difficile, est très étudiée pour l’amélioration d’un large panel de propriétés mécaniques [Li 05]. L’ajout de particules piézo-électriques (nanotubes de carbone [Yu 09], nanoparticules d’oxyde ferrique [Li 04b], nanopoudre de PZT [Li 09]), rend le béton sensible à sa propre contrainte, ce qui a des applications directes en instrumentation, par exemple du trafic routier [Han 09]. L’ajout de nanoparticules de TiO2 donne aux bétons  des propriétés auto-nettoyantes par effet photocatalytique [Cassar 03], démontrée par exemple dans l’Eglise du Jubilée à Rome [Meier ] ou la Cité des Arts de Chambéry [Keromnes ]. Le principe fonctionne aussi pour les matériaux d’enrobage, avec les mêmes particules de TiO2 (Arctic Snow Professional Interior Paint par ArcticPaintLTD) ou avec des particules de ZnO (Cloucryl par Alfred Clouth Lack-fabrik GmbH&Co). Les nanoparticules de SiO2 rendent eux aussi les enrobages auto-nettoyants par un effet hydrophobe (Amphisilan par Caparol), tout en améliorant l’adhésion des matériaux à une couche minérale sous-jacente (TuTOPROM par Clariant) [van Broekhuizen 09].

Les verres à base de nanoparticules de TiO2 ont eux-aussi des propriétés auto-nettoyantes (BioClean de Saint Gobain). La surface des verres peut être rendue hydrophobe par l’ajout de nanoparticules de SiO2 (produits de Nanoprotect). L’ajout de nanoparticules de SiO2 peut aussi conférer aux verres des propriétés de résistance au feu (Interflam et Interfire de Interver AG). Des verres recouverts de films de surface ultra-minces permettent la filtration de la lumière (produits de Econtrol-Glas GmbH & Co). L’ajout de nanoparticules de vanadium ou de molybdène [Nastich 09] protège l’acier contre la rupture des articulations et boulons, tandis que l’ajout de nanoparticules de magnésium et de carbone peut augmenter la dureté des soudures [van Broekhuizen 09].

Commercialisation des produits de construction contenant des nanoparticules

Comme les paragraphes précédents le montrent, les matériaux de construction contenant des nanoparticules existent déjà sous des formes commerciales et sont utilisés dans certaines applications. Toutefois, leur emploi reste limité, en particulier pour le gros œuvre [Andersen 09, Halicioglu 09]. Différents facteurs expliquent ce développement relativement faible :
• Le coût des matériaux de construction à nanoparticules est encore très élevé par rapport au service rendu et au prix des matériaux traditionnels. Ils ne sont donc aujourd’hui employés qu’en petits volumes ou sur des applications très spécifiques.
• L’industrie de la construction est plutôt conservatrice car très morcelée : le développement de produits innovants et leur utilisation sont encore limités.
◦ Peu d’entreprises dépassent la taille critique nécessaire pour innover [Tessier 08].
◦ Les entreprises utilisatrices et le public ne connaissent pas ou peu les produits innovants [Halicioglu 09].
◦ Les personnels ne sont pas formés à leur emploi [Teizer 09].
◦ Les normes de construction figent le marché et s’adaptent très lentement aux innovations.
• La nanotoxicologie commence à mettre à jour les possibles risques pour la santé liés aux nanoparticules. Dans le cas des matériaux de construction, la dispersion des nanoparticules dans l’environnement au cours de la durée de vie des structures (à la fabrication, en service, et surtout à la destruction) est un facteur d’inquiétude très important, alors que les effets sur la santé et sur l’écosystème sont encore mal connus [Lee 09]. Le renversement de la situation peut être rapide : de nouvelles politiques publiques (Grenelle de l’environnement, conférence de Copenhague), des changements dans l’économie de l’énergie ou de l’environnement, des changements dans la perception par le public des nanomatériaux, sont susceptibles de modifier très rapidement la donne en faveur des matériaux de constructions alternatifs [Bartos 09, Andersen 09, Halicioglu 09].

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Table des matières

Introduction
Synopsis
I Contexte : Nanosciences et nanotechnologies en génie civil
I.1 Introduction
I.2 Implantation des nanosciences et nanotechnologies en construction
I.2.1 Introduction
I.2.2 Innovations par les « nano » en construction
I.2.3 Les « nano » pour améliorer les matériaux de construction
I.2.4 Les « nano » dans l’instrumentation des matériaux de construction
I.2.5 Conclusion
I.3 La durabilité dans les matériaux cimentaires vue sous l’angle des nanosciences
I.3.1 Introduction
I.3.2 La durabilité en génie civil
I.3.3 La durabilité aux échelles micro et nanométriques
I.3.4 Evaluation de la durabilité
I.3.5 Conclusion
I.4 Conclusion
II Objectif : Instrumentation in-situ de durabilité par des microcapteurs
II.1 Introduction
II.2 Concept d’instrumentation proposé
II.2.1 Introduction
II.2.2 Contrôle non destructif de microporosité
II.2.3 Instrumentation ultrasonique haute fréquence
II.2.4 Instrumentation par réseau de microtransducteurs ultrasoniques Gigahertz
II.2.5 Conclusion
II.3 Modalités d’instrumentation
II.3.1 Introduction
II.3.2 Plateformes immergées d’instrumentation
II.3.3 Conditionnement des microcapteurs
II.3.4 Conclusion
II.4 Nature de l’élément sensible
II.4.1 Introduction
II.4.2 Cahier des charges fonctionnel
II.4.3 Etat de l’art des microdispositifs vibrants
II.4.4 Choix du dispositif
II.4.5 Conclusion
II.5 Démarche de preuve du concept d’instrumentation
II.5.1 Introduction
II.5.2 Démarche globale
II.5.3 Preuve de concept à l’échelle du pore capillaire
II.5.4 Conclusion
II.6 Conclusion
III Pertinence de la méthode d’instrumentation proposée
III.1 Introduction
III.2 Bibliographie et choix de modélisation
III.2.1 Introduction
III.2.2 Elasto-acoustique en microfluidique
III.2.3 Modéle élastique de la plaque en nanotubes de carbone
III.2.4 Couplage fluide-structure avec des nanotubes de carbone
III.2.5 Conclusion
III.3 Méthode numérique pour l’élasto-acoustique microfluidique
III.3.1 Introduction
III.3.2 Géométrie du problème
III.3.3 Equations du problème couplé élasto-acoustique
III.3.4 Formulation variationnelle
III.3.5 Problème approché
III.3.6 Etude numérique de la convergence du problème approché
III.3.7 Conclusion
III.4 Etude des spécificités de l’acoustique microfluidique
III.4.1 Introduction
III.4.2 Etude du comportement résonant
III.4.3 Etude de la couche limite
III.4.4 Conclusion
III.5 Etude de l’élasto-acoustique microfluidique
III.5.1 Introduction
III.5.2 Elasto-acoustique dans un domaine rectangulaire
III.5.3 Etude des résonances de la plaque dans l’eau pour différentes géométries
III.5.4 Conclusion
SOMMAIRE
III.6 Synthèse sur la pertinence applicative
III.6.1 Introduction
III.6.2 Lien avec les propriétés macroscopiques de durabilité
III.6.3 Remarques sur l’instrumentation
III.6.4 Observabilité des propriétés des pores
III.6.5 Conclusion
III.7 Conclusion
IV Faisabilité technologique des microcapteurs proposés
IV.1 Introduction
IV.1.1 Solution technologique proposée : membranes vibrantes de nanotubes de carbone pour la transduction ultrasonique
IV.1.2 Critères génériques d’évaluation des membranes suspendues
IV.1.3 Contenu de l’étude de faisabilité technologique
IV.2 Réalisation des dispositifs
IV.2.1 Introduction
IV.2.2 Dépôt des nanotubes de carbone en membrane ordonnée
IV.2.3 Post-traitement des dépôts
IV.2.4 Conclusion
IV.3 Caractérisation des dispositifs
IV.3.1 Introduction
IV.3.2 Organisation des dépôts de nanotubes
IV.3.3 Epaisseur des dépôts de nanotubes par AFM
IV.3.4 Comportement mécanique des membranes suspendues
IV.3.5 Vibrations des membranes suspendues
IV.3.6 Conclusion
IV.4 Synthèse sur la faisabilité technologique
IV.4.1 Introduction
IV.4.2 Démonstration partielle de la faisabilité technologique
IV.4.3 Vers un µ-cMUT à nanotubes
IV.4.4 Applicabilité à court terme
IV.4.5 Conclusion
IV.5 Conclusion
V Conclusion générale

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