Installation filmique : architecture poétique et polyphonique

FATALITES EMPOUSSIEREES

22/09/2007 II neige en septembre.

Le jour se lève, le teint pâle et gris, un gris couleur froidure. Ce matin, mes yeux piquent, sans cesse, et j’ai l’étrange impression de partager ce dérangement du corps avec celui de l’humanité même : grand corps malade qui, ce matin, crie doucement à coup de neige en septembre sa peur d’être bientôt ravagé. Les yeux rougis, je me dis que devant ce bouleversement climatique, c’est un peu comme avoir la mort au bout du regard, vision floue, embêtée, doucement catastrophique, et ma tête qui se dit alors que bien qu’il ne s’agisse ici que de neige en septembre, ailleurs, l’humanité s’éclate à coups d’attentats suicides, s’inonde et s’envole dans les tempêtes de tumultes et d’ouragan. Des terres humides s’assèchent en Grèce et à Singapour on transforme le riz en asphalte et les paysans en fabricants chevronnés de t-shirt pour l’Occident. À Shanghai, l’horizon s’efface et les quartiers ancestraux sont rasés pour que s’élèvent grandes les tours de béton.

Le monde change et ne devrait pas. Du moins, pas à ce rythme. J’ai l’étrange impression que l’humanité ne s’est pas encore habituée à sa promesse de vie, les hommes étant encore tous petits, que déjà, ils paradent le regard aveugle et insouciant, ceinture de bombes à la taille, les poumons goudronnés d’air ambiant et désolés que le carré de sable soit taché pour de bon, du sable en guise de planète terre, rougie de tant de honte et de violence. Malgré tout, j’ose croire, peut-être naïvement, que devant de telles perturbations, devant tant d’insensé, un certain équilibre demeure possible et que pendant qu’il neige ici en septembre, en pays étranger, les déserts fleuriront.

Ainsi, devant cette vie qui se défile, debout au centre du carré de sable de l’humanité, les yeux rougis et les idées étourdies, je sens qu’au creux de mes pensées et de ma sensibilité, une bête mugit en se précipitant « sur le vide qu’un matador fantôme ouvre sans relâche devant lui . ». Chaque fois, le sable se lève et voile mon regard, l’insensé et la fatalité s’empoussièrent et pour quelques instants, j’arrive à croire que tout est encore possible et à faire. Tout me paraît de l’ordre d’un combat, où bravoure, force, rage et colère pourront peutêtre repousser de quelques instants l’horrible mort annoncée .

Dès lors, cette posture, cette force aveugle devant la fatalité , en regard de ce qui semble prédit et qui ne peut manquer d’arriver, me paraît contenue dans cette image de mon incapacité à retenir cette bête, ce taureau dans ma tête, qui se rue tête baissée vers ce vide fatal : ce lieu de chute peuplé de promesses de vie qui miroitent, de mirages de vie qui se renouvellent et où seule la mort puisse s’accomplir, et constitue une figure de mon sentiment d’impossibilité de faire sens et d’impuissance face au chaos de la vie : incohérente, non linéaire, discontinue, parsemée d’incidents dont le sens m’échappe et d’événements semblant surgir par une véritable éclipse de raison.

Ainsi, l’art étant une façon de s’interroger ou de reconduire une interrogation fondamentale, mon travail en vidéo et en installation résulte de ce sentiment de désenchantement et s’appuie sur l’émotivité contenue dans cette impression déçue de ne pas pouvoir trouver un sens raisonnable à la fatalité : à l’égard de ce qui m’apparaît irreprésentable, infigurable et innommable. Fatalité qui, je le conçois, se situe autant à travers les petits et les grands événements dramatiques (personnels ou collectifs) et les grands traumatismes de l’histoire; de la Shoah, du génocide rwandais, au massacre de Beslan jusqu’à la destruction de patrimoines fauniques, historiques et culturels, au nom de l’urbanisation  accélérée et de l’ignorance. Événements affligeants, pénibles et consternants laissant doucement au fond de ma gorge un [dé]goût amer; une noire traînée descendant jusqu’au cœur et coulant en tout lieu du corps, comme « un cadavre au fil de l’eau3 », au fil de la vie.

Dès lors, ce goût amer me saisissant jusqu’au cœur, cette expérience personnelle du sentiment relié au désenchantement —bien qu’ici traduit dans la métaphore— rend possible le travail de création THÉO, TAUREAU ET TURQUOISE : FAIRE TOMBER LES OISEAUX, en s’y trouvant, comme incarné au cœur d’un lieu décrépit installé en galerie, des faits et gestes de  enfants déconcertés et de cet instant dramatique, leitmotiv de leur frêle existence, reconduit dans l’idée de faire tomber les oiseaux. Petite épopée matérialisée sous forme d’installation filmique où la fatalité, légèrement empoussiérée par un regard artistique, n’a de visage précis que celui d’un moment qui ne cesse d’arriver, toujours à venir, encore absent, mais dont la possible venue lui confère une présence massive. La chute des oiseaux comme récit fatal, à la fois insensé et lourd de sens (esthétique, poétique et symbolique), parce que porteur de vie et d’un soupçon de féerie.

CHUTE DU SENS

L’art permet de s’agripper et d’éviter de perdre trop souvent pied dans ce paysage bordé de forêts de fatalités, peuplées d’instants tragiques qui surgissent ou s’évanouissent sans prévenir, d’occasions construites par l’homme, laissées à la traîne et dans la négligence, par peur de devoir en assumer les conséquences. Ainsi, mon corps sensible et désenchanté perd pied dans ce parcours, la fatalité n’étant qu’insensé, trous de sens et crevasses choquantes et insupportables, alors, férocement je m’agrippe à l’art, à l’occasion de sillonner ce paysage sans trop de chutes, en construisant du sens (personnel) qui ne soit pas qu’insensé, mais aussi poésie, car opérant dans l’espace des possibles. Un sens surgissant de l’intégration dans l’œuvre d’éléments lui étant à priori étrangers et faisant naître des liens ou des tensions entre ces divers éléments .

Plus généralement, l’être désenchanté a la force de croire qui s’essouffle et se fane devant la réalité dépouillée de son caractère charmant ou mystérieux. Déçu et dépourvu d’illusions pour s’agripper, il ressemble au portrait des «derniers hommes» et des «anges vides» que trace Peter Sloterdijk, dans son Essai d’intoxication volontaire, en tant que figure de l’individu sans message à transmettre, errant dans le sillon de sa propre piste : On les a placés devant cette alternative : devenir des nais ou des courriers des rois. À la manière des enfants, ils voulurent tous être courriers. C’est pourquoi il n’y a que des courriers, ils courent le monde et comme il n’y a pas de rois, se crient les uns aux autres des nouvelles devenues absurdes. Ils mettraient volontiers fin à leur misérable existence, mais ils ne l’osent pas, à cause du serment de fidélité.

L’art n’est peut-être en fait que cette opportunité qui me permet de donner du sens à cette mission essoufflante, à ce sentiment désenchanté devant la fatalité. Toujours courrier, mais d’un autre roi. Cette fois, je cours en criant haut et fort la possibilité de réactiver pour soi-même les vérités dont on a besoin. Mais voilà que toutes ces vérités, qui donnent un sens à ma course effrénée, rendent compte d’un roi personnel, d’un roi égoïste, et alors, que faire de tous ces rois qui se cachent au creux des courriers, de toutes les vérités qu’ils souhaiteront crier? Ainsi ce sentiment de désenchantement, bien que vécu de manière personnelle, constitue aussi un souci central de notre époque, comme on peut le voir autant chez de nombreux penseurs — Weber (Économie et société, 1995), Lévinas (Entre-nous : Essais sur le penser-à-i’autre, 1991), Vattimo (La fin de la modernité : Nihilisme et herméneutique dans la culture post-moderne, 1987), Agamben (L’Homme sans contenu, 1996), Gauchet (Le désenchantement du monde : une histoire politique de la religion, 1985) — que chez certains artistes — Anri Sala, Anthony Goicolea, Aernout Mik — et semble un mal intimement lié à ce jour où, en guise de nouvelle à répandre, c’est l’annonce de la mort du Roi, de l’effondrement de l’être suprême, qui sera clamée haut et fort de la bouche des courriers.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I DÉSENCHANTEMENT ET FATALITÉS EMPOUSSIÈRÉES
1.1 FATALITÉS EMPOUSSIÈRÉES
1.2 CHUTE DU SENS
1.3 PRÉCARITÉ ET TENSION DE L’ÊTRE
1.4 POSTURE / ÉTAT D’INCESSANTE RÉMISSION
1.5 PEUT-ÊTRE ET POSSIBILITÉS
CHAPITRE II POLYPHONIE ET CACOPHONIE
2.1 CORPS PERMÉABLE
2.2 VACARME CONTRE VACUITÉ
2.3 BÉGAIEMENTS
2.4 JE-S- : BABÉLISME ET GRINCEMENT DES VOIX
2.5 IMAGES-ARÈNES : DES SENS EN CAVALE
2.6 GRAND DÉPLOIEMENT
2.7 RÉ-VOLTE-FACE
CHAPITRE III ARCHITECTURE D’INSTANTS DRAMATIQUES
3.1 THÉO, TAUREAU ET TURQUOISE : FAIRE TOMBER LES OISEAUX
3.1.1 MOTIF ÉMOTIF
3.1.2 CONTEXTURE
3.1.3 TURQUOISE, THÉO ET TAUREAU
3.2 ARCHITECTURE : AGENCER LE RÉCIT
3.3 MORCEAUX D’ÉPOPÉE
3.4 ÉVÉNEMENT DIÈSE
3.5 KITCHEN : UN MATIN SANS CRI NI LARME
3.6 OUT OF KITCHEN : NÉGLIGENCE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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