Le choix des matériaux pour la conception des pièces mécaniques est conditionné par un très grand nombre de facteurs. On peut citer des propriétés qui leur sont propres : leur résistance mécanique, leur conductivité thermique ou leur inertie chimique. Des facteurs extrinsèques entrent également en ligne de compte, comme le coût de production ou encore une mesure d’impact environnemental. À l’issue de ce processus, les ingénieurs choisissent l’aluminium dans une vaste gamme d’applications : on le retrouve dans nos emballages, nos satellites, et en particulier dans nos voitures.
L’aluminium est plus cher et moins résistant que l’acier, mais il est surtout deux à trois fois moins dense. Pour améliorer ses propriétés, on l’allie à d’autres métaux comme le cuivre (séries 2000) ou le magnésium (séries 5000). Les alliages des séries 5000 présentent des atouts mécaniques et économiques considérables que les industriels de l’automobile veulent exploiter pour l’allègement des pièces. Cette direction de développement est capitale dans l’industrie du transport, puisque le poids des structures est le premier responsable de leur consommation en carburant, donc de leurs conséquences écologique et pécuniaire .
instabilités plastiqes dans les métaux
mise en évidence et contexte historiqe
Au milieu du xixe siècle les métallurgistes s’intéressent au comportement des métaux à des fins militaires. Ce sont des essais balistiques qui mènent Guillaume Piobert et la commission des principes du tir à reporter les premiers des « nappes de courbes » autour du trou percé par un boulet dans un blindage (Piobert et al., 1842). Leur rapport se limite à la description objective du phénomène sans suggérer ses origines matérielles.
Durant la même période, Félix Savart et Antoine Philibert Masson étudient la mécanique de cylindres minces de cuivre et de zinc soumis à des chargements incrémentaux réalisés à l’aide de poids morts suspendus. Ils identifient alors des allongements par « sauts brusques » et observent une inégalité dans l’extensibilité des différentes sections (Masson, 1841). Les géométries étudiées ne leur permettent pas d’identifier clairement la cinématique du phénomène. Cependant, ils sont les premiers à établir une corrélation entre les chutes de contraintes et l’hétérogénéité des déformations ; c’est pourquoi une partie de la littérature leur attribue la découverte du phénomène d’instabilités plastiques dans les métaux (Bell, 1984, section 2.11).
La localisation en bandes est pour la première fois identifiée par Lüders (1860) sur des tôles de fer sollicitées en traction. Des lignes inclinées d’une épaisseur inférieure au millimètre laissent des marques pâles à la surface des métaux et s’agencent en forme de grille. Il comprend que le phénomène est une manifestation de la micro-structure. Il faut attendre 1894 pour que les observations du général Piobert soient approfondies par Louis Hartmann qui, toujours dans le cadre de la recherche balistique, publie une étude descriptive minutieuse et illustrée (figure 2.1) sur les bandes de localisation. Figure 2.2 : Mesures originales de Portevin et Le Chatelier (1923) sur un alliage d’aluminium. L’abscisse correspond à l’allongement de la barre et l’ordonnée à la charge appliquée. Quelques années plus tard, Albert Portevin et François Le Chatelier mettent cette fois clairement en évidence l’effet qui portera leurs noms dans la majeure partie de la littérature. Ils reconnaissent, sur les courbes d’écrouissage d’un alliage d’aluminium sollicité en traction simple, des irrégularités caractéristiques :
« […] l’effort, au lieu de croître d’une manière continue, progresse par oscillations répétées ».
(Portevin et Le Chatelier, 1923) .
Ils sont les premiers à associer aux chutes de contraintes une description sans équivoque des bandes de déformation apparaissant à la surface des éprouvettes :
« En même temps apparaissent, à la surface des éprouvettes plates, des lignes de glissement connues sous le nom de lignes de Piobert, de Hartmann ou de Lüders. Ces lignes sont inclinées de 60° à 70° sur la direction de l’effort […] » .
(Portevin et Le Chatelier, 1923).
Ils ne font en revanche pas référence à Savart et Masson qui, plusieurs décennies plus tôt, reportaient des résultats similaires. La paternité des instabilités plastiques est donc délicate à attribuer. C’est Piobert qui observe les bandes de déformation le premier mais Lüders qui les identifie. Ce sont Savart et Masson qui, remarquablement tôt, relient l’écrouissage irrégulier à la déformation hétérogène mais Portevin et Le Chatelier (François) qui en caractérisent la morphologie.
Aspects macroscopiqes
En mécanique, les instabilités désignent une famille de comportements très vaste; elles sont liées à la sensibilité de la cinématique d’un système à des perturbations infinitésimales. Dans les matériaux solides, la cause des instabilités réside dans la combinaison d’effets de structure (instabilités géométriques) et de propriétés intrinsèques (instabilités matérielles) ; bien qu’il est en pratique délicat de les séparer puisque leurs actions sont toujours couplées dans la déformation d’un milieu. Une autre manière de les distinguer repose sur des considérations cinématiques : les régimes diffus font intervenir toute la structure (comme le flambement) tandis que les régimes localisés traduisent l’augmentation de la déformation dans une zone limitée du domaine : c’est le cas des bandes de Piobert–Lüders (PL) et de l’effet Portevin–Le Chatelier (PLC).
Les instabilités plastiques ont une origine matérielle et peuvent être définies localement à l’aide du critère de Drucker (1957) :
dσ : dεp < 0
qui décrit un adoucissement de la contrainte lors de l’écoulement plastique. Cette tendance mène nécessairement à une perte d’unicité du champ de déformation. En effet dans un cas simple, il est possible de construire plusieurs solutions qui satisfont la relation de comportement donnée. En pratique, ce processus se traduit systématiquement par une évolution hétérogène du champ de déformation sous la forme de bandes de localisation. Les instabilités plastiques sont donc caractérisées à la fois :
— à l’échelle locale par un adoucissement de la contrainte vis-à-vis de la déformation plastique ;
— et à l’échelle globale par leur cinétique en bandes de déformations. Ces deux aspects sont indissociables.
Cinétique des instabilités plastiques
Pour faire la distinction entre des phénomènes différents de nature comparable, Bouabdallah (2006) propose une classification inspirée par Darrieulat et Driver (1997) reposant sur des propriétés cinématiques. Elle est fondée sur deux aspects ségrégatifs dans les transformations plastiques instables. Le premier critère est spatial et différencie les transformations statiques et propagatives. Les phénomènes statiques comme la striction localisée où les lignes de glissement peuvent être distinguées individuellement, tandis que les instabilités propagatives apparaissent comme un domaine en évolution. Le second critère est temporel et distingue les évolutions transitoires et permanentes. D’après cette classification, les bandes de Piobert–Lüders (PL) sont des instabilités transitoires et propagatives puisqu’elles se manifestent au début de l’écoulement plastique, recouvrent le domaine matériel puis disparaissent en laissant place à un écrouissage homogène classique. L’effet PLC présente des instabilités permanentes et propagatives car la cinématique en bandes de déformation se répète et domine l’écoulement plastique jusqu’à rupture. Lorsqu’il est observé, il est en général consécutif aux bandes de PL.
La deuxième caractéristique qui les différencie peut être observée sur les courbes d’écrouissage d’essais monotones (figure 2.4). Les bandes de PL s’associent classiquement à un pic de contrainte suivi d’une chute lors de la première nucléation, puis d’un plateau durant la propagation. Quant à lui, l’effet PLC présente des chutes de contraintes, ou serrations, répétées durant toute la durée d’un essai.
Remarqe (terminologie). Les termes contrainte et déformation sont victimes d’une imprécision. Les courbes d’écrouissage expérimentales sont en général obtenues à partir des signaux de force et de déplacement en faisant l’hypothèse d’un état homogène, qui n’est manifestement pas valide dans le cas des instabilités . Ici, la contrainte désigne donc l’approximation d’une mesure locale, et la déformation une mesure moyennée sur toute la surface de l’échantillon. On convient néanmoins de conserver cet abus de langage qui a peu de conséquences sur la description qualitative des phénomènes.
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Table des matières
1 Introduction
I Phénoménologie
2 Instabilités plastiques dans les métaux
2.1 Mise en évidence et contexte historique
2.2 Aspects macroscopiques
2.3 Origine physique et approche microscopique
2.4 Échelle des bandes de déformation
2.5 Bilan
3 Cinétique des bandes de déformation
3.1 Matériau et microstructure
3.2 Dispositif expérimental
3.3 Résultats
3.4 Bilan
Bibliographie
II Modélisation
4 Modélisations des instabilités plastiques
4.1 Utilisations des modèles empiriques
4.2 Modèles de vieillissement dynamique
4.3 Bilan
5 Contribution à la modélisation
5.1 Cahier des charges
5.2 Élasto-plasticité modale
5.3 Modèle plastique persistant
5.4 Traitement numérique en dimension 1
6 Bilan général et perspectives
Bibliographie
III Annexes
A Compléments
A.1 Résultats expérimentaux
A.2 Mécanique des milieux continus
A.3 Construction du modèle
B Notations
C Acronymes
D Glossaire