Insectes, reptiles et amphibiens dans la vie des Paléolithiques
Leur place dans l’alimentation
Cueillette et ramassage
Le rôle des insectes dans la vie des populations, ainsi que l’entomophagie, sont des domaines de l’histoire des civilisations relativement peu étudiés. Les insectes sont pourtant, dans de nombreux cas, considérés comme des animaux-aliments, -condiments ou -remèdes. Ils représentent, au même titre que les gastéropodes, amphibiens et petits reptiles, une « manne gratuite » puisqu’à la fois riche en lipides et en protides, et nécessitant une dépense d’énergie bien moindre en comparaison de la chasse (Pujol 1988). À travers le monde, de nombreuses ethnies vivent de la cueillette d’insectes (Figure 1), de larves, d’amphibiens, et de leurs produits (miel et miellat). On peut notamment citer les chasseurs d’anoures du Diamare (Lac Tchad ; Seignebos 2014), les Inuits se nourrissant des larves d’œstres (parasites du renne ; Leroi-Gourhan 1945), ou encore les Alakalufs consommant les gros vers blancs logés sous l’écorce des arbres, appréciés pour leur goût légèrement sucré (Emperaire 1955). Les insectes sont majoritairement consommés dans les régions chaudes, dans lesquelles ils sont présents en abondance.
Ces différents exemples ethnographiques permettent, par comparaison, d’appréhender les pratiques préhistoriques comme la cueillette et le ramassage. Les instruments utilisés lors de ces différentes activités (bâtons à fouir, hottes, paniers, sacs) sont principalement fabriqués à partir de matériaux organiques, particulièrement mal conservés voire absents des contextes archéologiques. La reconstitution de ces pratiques en se basant uniquement sur des faits archéologiques est donc particulièrement mal aisée. Au-delà des végétaux auxquels renvoient en premier lieu ces activités, le ramassage devait également concerner les petits animaux comme les vers, les insectes, les gastéropodes, les amphibiens et les petits reptiles (Delluc et al. 1995). Quelles espèces étaient utilisées ? Comment les hommes ont-ils fait ce choix ? Les Paléolithiques ne pouvaient ignorer le caractère toxique ou venimeux de certaines espèces. Audelà des comparaisons ethnographiques, qu’il faut savoir pratiquer avec modération, et des données archéo-entomologiques et herpétologiques, l’art préhistorique, en ayant conservé les images des animaux fréquentés par les populations préhistoriques, permet de répondre à certaines de ces questions.
De manière étonnante, les premières figurations d’abeilles ou de scènes de récoltes du miel n’apparaissent que pendant la phase tardive de l’art rupestre levantin. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour tenter d’expliquer cette absence. Selon certains auteurs (Dams 1983), le climat plus frais des phases précédentes pourrait expliquer l’absence d’abeilles, et donc de miel, en Europe de l’Ouest. À l’inverse, le miel sauvage étant présent en abondance, les populations paléolithiques n’auront pas souhaité représenter ces insectes. Le miel a au contraire pu prendre une place prépondérante dans l’alimentation des populations à partir des dernières phases levantines (phases mésolithiques et néolithiques, op. cit.).
Parasites des animaux chassés
L’archéoparasitologie, discipline connexe de l’archéologie, nait dans les années 1990. Les recherches portent d’abord sur les endoparasites humains, mais également depuis peu sur les ectoparasites infectant les animaux sauvages (Huchet 2016). Ces ectoparasites (parasites externes) s’accrochent aux phanères (poils, plumes et écailles) de leurs hôtes. La chitine, principal composant de leur exosquelette, est particulièrement résistante à la décomposition et chimiquement stable. Elle permet donc leur très bonne conservation dans les sédiments, et par conséquent dans les contextes archéologiques, certains milieux s’avérant cependant plus propices que d’autres (milieux très humides ou anaérobiques, milieux très froids ou désertiques).
Ces parasites affectant le gibier et les peaux sont, par le biais de la chasse et du charognage, entrés en contact direct avec les populations paléolithiques. Les diverses représentations de cette entomofaune des temps glaciaires sur des supports d’art mobilier témoigne de la connaissance et de l’observation minutieuse de ces espèces par les Paléolithiques. La petite sculpture de larve en « charbon » (de type jais) du site de Kleine Scheuer (Bade-Würtemberg, Allemagne ; Bahn et Bultin 1990) représente un spécimen de l’espèce Oedemagena tarandi (Linnaeus, 1758 ; Dingfelder 1961), le diptère parasite du renne (Huchet 2016 ; Figure 2 et 3). Une autre petite figurine d’insecte en lignite, retrouvée sur le site de Petersfels (Engen, BadeWürtemberg, Allemagne) semble représenter un insecte nécrophore (genre Nicrophorus, insecte dit « nécrophage » ; Figure 4 et 5) (Peters et Topfer 1932 ; Huchet 2014a). Ces deux objets sont issus de contextes archéologiques datés du Paléolithique récent.
Plus récemment, les peaux constituant l’équipement de la momie Ötzi (environ 3200 av. notre ère ; « accompanying equipment », Gothe et Schöl 1994) ont livré les restes de mouches parasites de cerf et du chevreuil (Lipoptena cervi, Linnaeus 1758), les hippobosques (aussi appelées « mouches plates ») (Huchet 2016).
Art rupestre et pariétal
En France
Plusieurs peintures pariétales sont considérées comme des représentations d’insectes. La plupart de ces figurations sont difficiles à analyser et à déchiffrer. Leurs interprétations sont souvent remises en question, ou relayées au rang de simples hypothèses dépourvues d’arguments très solides. Ces sites à fort potentiel symbolique semblent peu investis par ces représentations. La Grotte Chauvet (Vallon-Pont-d’Arc, Ardèche) a livré deux figures de même forme mais de tailles différentes, composées de deux lobes se développant de part et d’autre d’un axe vertical. Réalisées au pigment rouge (hématite), ces deux figures peuvent être interprétées comme des signes géométriques ou des représentations de papillons ou d’oiseaux aux ailes déployées (Clottes 2008 ; Figure 6 et 7). L’absence de détails et la schématisation extrême de ces figures ne permet pas d’aller plus loin dans leur détermination. Ce même thème se retrouve sur la paroi voisine (Figure 7). Si l’hypothèses de papillons était confirmée, ces figurations constitueraient les plus anciennes représentations d’insectes de l’art paléolithique (Aurignacien, 43 000 – 31 000 BP).
Dans la grotte de Marsoulas (Marsoulas, Haute-Garonne), un imposant bison de 87 cm de long, découvert en 1897, est réalisé principalement par adjonction de ponctuations rouges, effectuées à l’aide d’un tampon ou du bout du doigt (Clottes 2008). Ce bison est parfois interprété comme étant enveloppé par une nuée d’insectes, matérialisée par ces ponctuations (Azema 2016). D’autres hypothèses sont néanmoins avancées (une accumulation de signes géométriques ou la représentation d’une robe étrange et rare, dans la nature comme dans l’art paléolithique). Ce dispositif pariétal (Figure 8) est daté du Magdalénien moyen ou supérieur (15 000 – 13 500 BP ou 13 500 – 12 000 BP). Dans son ouvrage publié en 1959, Christian Zervos mentionne également une peinture représentant une « crysomèle aux couleurs métalliques » dans la grotte de Cougnac (Payrignac, Lot) (Zervos 1959, p. 175, fig. 100). Les occurrences de représentations d’insectes connues en contextes pariétaux sont donc peu nombreuses et souvent discutables. Jusqu’à ce jour, aucune représentation paléolithique pariétale ou rupestre d’amphibien n’est connu en France ou dans le monde. Les serpents sont également absents de l’art pariétal paléolithique français, à l’exception de quelques tracés digités et gravures sinueuses pouvant être qualifiés de « serpentiformes » sur le Plafond aux Serpents et dans le Salon Rouge de la grotte de Rouffignac (Soubeyran 1990, Plassard 2000 ; 6 « serpents ? » sur 255 entités graphiques identifiées ; Figure 9). Il faut attendre les premières manifestations d’art post-paléolithique, notamment en Espagne, pour que l’image du serpent se voit attribuer une place significative dans l’iconographie (Painaud 2006, Bueno Ramirez et Balbin-Behrmann 1995, 2006). L’art mobilier semble donc conserver son statut de vecteur privilégié des thèmes rares ou exceptionnels.
|
Table des matières
• INTRODUCTION
I – CADRE ET ENJEUX DE L’ETUDE
1) INSECTES, REPTILES ET AMPHIBIENS DANS LA VIE DES PALEOLITHIQUES
A) Leur place dans l’alimentation
A. 1 – Cueillette et ramassage
A. 2 – Parasites des animaux chassés
B) Art rupestre et pariétal
B. 1 – En France
B. 2 – À l’étranger
C) Autres comportements symboliques
2) INSECTES, REPTILES ET AMPHIBIENS DANS L’ARCHEOLOGIE PREHISTORIQUE
A) État de l’art de la connaissance de ces représentations dans l’art mobilier
A. 1 – Les insectes
A. 2 – Les reptiles et amphibiens
B) Processus taphonomiques, archéoentomologie et archéoherpétologie
B. 1 – Approche taphonomique des altérations osseuses dues aux insectes en contexte archéologique
B. 2 – Les apports de l’archéoentomologie
B. 3 – Les apports de l’archéoherpétologie
C) Autres animaux rares dans l’art mobilier du Paléolithique récent
3) PRINCIPAUX OBJECTIFS DE L’ETUDE
A) La constitution d’un corpus exhaustif
B) La révision des identifications anciennes
II – MATERIEL ET METHODE
1) MATERIEL
A) Données issues de l’enquête bibliographique et historiographique
B) Objets du corpus consultés da ns les collections des musées franciliens
C) Objets du corpus étudiés sur la base de documents bibliographiques et photographiques
D) Objets du corpus non localisés
2) METHODE
A) Méthodologie de la recherche bibliographique
B) Observations directes à l’œil nu et à la loupe binoculaire
C) Photographies d’objets d’art mobilier
D) Traitement informatique des images
E) Méthodologie du relevé d’art mobilier
E. 1 – Cadre théorique
E. 2 – Méthodologie appliquée
III – RESULTATS
1) PRESENTATION GENERALE DU CORPUS
A) Les insectes
A. 1 – Données numériques, géographiques et chronologiques
1. 1. Représentations identifiables
1. 2. Représentations indéterminées
A. 2 – Modalités d’expression
2. 1. Représentations identifiables
2. 2. Représentations indéterminées
B) Les reptiles
B. 1 – Données numériques, géographiques et chronologiques
1. 1. Représentations identifiables
1. 2 – Représentations indéterminées
B. 2 – Modalités d’expression
2. 1. Représentations identifiables
2. 2. Représentations indéterminées
C) Les amphibiens
C. 1 – Données numériques, géographiques et chronologiques
1. 1. Représentations identifiables
1. 2. Représentations indéterminées
C. 2 – Modalités d’expression
2. 1. Représentations identifiables
2. 2. Représentation indéterminée
D) Objets perdus et autres représentations
D. 1 – Objets perdus
D. 2 – Autres représentations
2) CLES DE DETERMINATION
A) Détermination de la figure
B) Les insectes
C) Les reptiles : les squamates
C. 1 – Les squamates
C. 2 – Les tortues
D) Les amphibiens
D. 1 – Les anoures
D. 2 – Les urodèles
IV – DISCUSSION
1) INSECTES, REPTILES ET AMPHIBIENS : LES PARENTS-PAUVRES DE L’ETUDE DE L’ART PREHISTORIQUE
2) LA QUESTION DES IMAGES SERPENTIFORMES
3) QUEL USAGE POUR CES OBJETS MINIATURES ?
• CONCLUSION