Inscription des notions de stéréotypes, préjugés et discrimination dans les programmes officiels

Utiliser les albums de littérature jeunesse dans les discussions à visée philosophique

Armand, Gosselin-Lavoie et Combes expliquent, dans une étude réalisée au Québec, que la littérature de jeunesse amène les enfants à « donner un sens au monde, à découvrir des univers imaginaires, à rencontrer l’Autre, à la fois différent et semblable à lui, à apprendre à se découvrir soi-même ». D’après les auteures, l’utilisation d’albums de littérature jeunesse permet de soutenir « le développement de la pensée critique et de capacités de raisonnement moral de haut niveau chez les enfants » (2016, p. 1).
Les travaux de recherche de Chirouter (2013, p. 99) montrent que la littérature de jeunesse et la philosophie sont étroitement liées : la littérature de jeunesse soulève des problématiques éthiques ou existentielles tout comme la philosophie. Selon elle, un « travail sur cette dimension réflexive fondamentale des oeuvres peut amorcer, dans le même temps, un apprentissage de la pensée philosophique ». La littérature et la philosophie présentent un objectif commun : elles tentent de comprendre et d’éclairer la pensée sur le monde. Ces deux approches n’utilisent pas la même démarche, mais sont complémentaires. Ainsi, l’approche littéraire s’effectue par un travail sur la langue, sur le style, sur la structure du texte, sur les différentes interprétations possibles, tandis que la philosophie va permettre d’éclairer le texte afin de donner la possibilité au lecteur de se l’approprier et de comprendre sa finalité.
Ce lien entre littérature de jeunesse et pratique de discussions à visée philosophique peut donner lieu à des débats littéraires tels que le débat de compréhension, le débat d’interprétation qui va permettre de combler les blancs du texte (C. Tauveron) ou encore le débat d’appropriation qui vise à s’approprier la position des personnages. Ces débats littéraires, qui visent avant tout un travail sur le sens, peuvent être complétés par un débat réflexif à visée philosophique, débat réglé et argumenté durant lequel l’élève est incité à communiquer son raisonnement, sa justification.
Partir de la littérature de jeunesse pour mener des discussions à visée philosophique permet aux élèves d’entrer aisément dans le débat. Ils peuvent ainsi s’identifier facilement aux personnages, s’attacher à une histoire susceptible de les intéresser et développer l’imaginaire.
Mais, selon Chirouter (2010, p. 117), la fiction littéraire ne relève pas que de l’imaginaire puisqu’elle est aussi dotée d’une « fiction référentielle ». La fiction offre ainsi la possibilité de vivre par procuration ce que nous ne pouvons pas vivre dans le monde réel. L’auteure compare l’imaginaire à « un grand laboratoire où les hommes peuvent modeler […] à l’infini les situations […] qui les travaillent ». Elle valide cette métaphore pour les enfants également.
Chirouter explique, d’autre part, qu’aborder une discussion à visée philosophique par l’intermédiaire d’un album de littérature jeunesse permet de mettre une distance entre « l’expérience personnelle (des élèves), trop chargée d’affect, et le concept, trop abstrait » (2010, p. 120). Les récits choisis doivent donc être à la fois « proches des préoccupations internes (des élèves) et suffisamment éloignés pour ne pas les obliger à affronter directement des sujets trop inquiétants pour eux ». Finalement, l’utilisation d’albums de littérature jeunesse comme point de départ à une discussion philosophique constitue en quelque sorte une « médiation nécessaire pour oser penser » (Chirouter, 2010, p. 120).

Le développement de l’enfant

Un enfant scolarisé à l’école élémentaire est-il capable d’argumenter ses propos, de prendre du recul sur l’avis d’autrui, de remettre en cause ses représentations, en bref de raisonner et de philosopher ? Les recommandations d’Eduscol à ce sujet précisent que l’enfant est « irrégulier, non linéaire et comporte des stagnations, voire des régressions ». En ce qui concerne les grandes théories du développement de l’enfant, les avis semblent diverger.
En premier lieu, Piaget expose le fait que la notion d’égocentrisme est présente chez l’enfant jusqu’à l’âge de 7/8 ans. Pour lui, l’enfant ne se soucie guère de confronter ses idées avec celles d’autrui avant cet âge-là puisqu’il n’est pas capable d’avoir ses propres jugements. En définitive, Piaget stipule que les règles morales évoluent selon différents stades en fonction de l’âge de l’enfant. Or, d’après lui ce n’est que vers l’âge de 11-12 ans que l’enfant se justifie à tout prix et pour tout avec le passage au « stade des opérations concrètes ». Les raisonnements de l’enfant de cet âge commencent à éclore et portent alors sur des « objets et la maitrise de nouvelles compétences » mais le raisonnement scientifique rendu possible dès lors que l’enfant développe des capacités d’abstraction n’arrivera que plus tard, avec le passage au stade des opérations formelles. Piaget (1948, p. 30), classe le langage de l’enfant en deux catégories : les ordres d’une part, et les moqueries d’autre part. Il ajoute que même si les critiques de l’enfant paraissent pertinentes, elles sont en fait des jugements de valeur dépourvus de toute objectivité. L’enfant a, selon lui, un besoin naturel de montrer sa supériorité et cela peut passer par des formes de moqueries envers les autres. Lamarre défend, lui, une thèse selon laquelle l’enfant de l’école primaire ne peut pas philosopher. Ainsi, « la philosophie, par sa visée totalisatrice et par la liberté et radicalité de son questionnement, n’est pas accessible à l’enfant de l’école primaire, car elle suppose qu’un certain nombre de seuils soient au préalable franchis par l’individu. Or, c’est dans le temps de l’adolescence que ces seuils sont franchis » (p. 2).
L’avis de Wallon semble davantage nuancé puisque, d’après lui, « l’individu est un être biologique et social ». Ainsi, l’enfant nécessite forcément des relations sociales pour « survivre » et celles-ci vont fortement influencer son développement. Wallon évoque d’ailleurs des relations de « camaraderie » et de « collaboration » dès l’âge de 6 ans avec l’entrée dans le stade catégoriel durant lequel les activités intellectuelles progressent et les pensées deviennent de moins en moins concrètes. Bruner semble partager l’avis selon lequel l’enfant est un « être social, tourné d’emblée et prioritairement vers autrui ». Celui-ci se questionne notamment sur les notions de tutelle et d’étayage. Vygotsky approuve la thèse selon laquelle le développement de l’enfant est résolument social car celui-ci résulte d’une « interaction entre l’enfant et autrui ». Vygotsky souligne l’importance de plusieurs facteurs : la notion de zone proximale de développement et la place du langage intérieur qui est alors « reflet de la pensée » de l’enfant. Enfin, Kohlberg propose, lui, une théorie en différents niveaux. Tout d’abord, entre 2-3 ans et 7-8 ans « l’enfant n’a pas encore pris conscience des conventions sociales et n’en tient tout simplement pas compte », il s’agit là du niveau de « moralité préconventionnelle ». Entre 7 et 15 ans, l’enfant atteint le niveau de « moralité conventionnelle » durant lequel « les gestes à effectuer sont ceux qui maintiennent l’ordre social ou répondent aux attentes des semblables ». Durant cette période, l’enfant semble respecter les règles mais pour son propre intérêt. Enfin, le dernier « niveau » présenté par Kohlberg est celui de la « moralité postconventionnelle » qui amène des enfants, parfois, dès l’âge de 12 ans à des conduites qui « vont au-delà des conventions de la société ». Kohlberg souligne alors l’intérêt de pratiquer des dilemmes moraux afin d’inciter les élèves à atteindre ce niveau de « moralité postconventionnelle ».
Si plusieurs théories mettent en évidence une image plutôt réductrice de l’enfant, de nombreux travaux dont ceux de Warneken semblent prouver le contraire. En effet, ses expériences montrent qu’à l’âge approximatif de 14 mois, l’enfant vient naturellement en aide à l’autre. Par exemple, si un enfant voit un adulte essayer d’attraper un objet mais qu’il n’y parvient pas, l’enfant va spontanément le donner à l’adulte, si l’objet est à la portée de sa main. D’autres études récentes vont dans ce sens. C’est le cas d’une expérimentation menée au Japon (par K.H. Onishi et R. Baillargeon) qui semble prouver que dès 6 mois, les nourrissons « plébiscitent le tiers qui intervient dans un conflit pour protéger le faible contre le fort et dédaignent au contraire le spectateur inactif » (2017). Lévine et Develay (2003) viennent également appuyer cet avis, définissant l’enfant comme un « sujet-pensant », ayant, tout comme l’adulte, des angoisses et des interrogations existentielles. Bettelheim a su démontrer quant à lui que les enfants étaient bien pourvus d’angoisses existentielles parfois profondes, et qu’ils sont tout à fait capables de comprendre et d’interpréter un texte littéraire (plus précisément un conte) afin de mieux comprendre le monde qui nous entoure et notre existence (Chirouter, 2013). Dans le cadre de travaux portant sur la théorie de l’esprit définie comme étant « la capacité d’attribuer à autrui des intentions, des croyances, des désirs ou des représentations mentales » une expérience semble avoir démontré que « l’enfant peut attribuer à autrui des « croyances fausses », et cela, dès l’âge de 15 mois. Certains chercheurs ont même parlé de « capacité de pur raisonnement » dès l’âge de 12 mois (2005).
Les avis quant au développement de l’enfant, ses capacités de raisonnement, sa moralité et son empathie présentent donc des divergences. Les études récentes semblent néanmoins prouver que l’enfant n’est pas dépourvu de toute morale puisque celui-ci prend en compte autrui dès son jeune âge et l’entraide semble être assez naturellement ancrée en lui.

Partie théorique spécifique

Contexte de nos classes

Dans le cadre de notre année de stage nous relevons toutes deux d’écoles situées dans un milieu populaire au sein desquelles nous réalisons chacune un mi-temps. Ces écoles accueillent toutes deux un public de grande diversité culturelle, religieuse, linguistique. Par ailleurs, ces établissements bénéficient parfois d’une « réputation » jugée difficile avec un climat de classe pouvant être violent (contestation de l’autorité voire même du rôle de l’école). Afin de formuler notre thématique de mémoire, nous nous sommes tout d’abord inspirées des projets d’école des deux établissements et y avons d’ailleurs trouvé des similitudes. Ainsi, l’un des projets d’école formule comme axe prioritaire de travail, de « favoriser les échanges horizontaux entre les élèves », avec pour objectif principal « d’améliorer l’inclusion des élèves allophones nouvellement arrivés en travaillant sur les différentes cultures des élèves au sein des classes ». En effet, cette école accueille une unité pédagogique pour les élèves allophones arrivants (UPE2A), lesquels alternent aide personnalisée et inclusion en milieu ordinaire. En ce qui concerne le second projet d’école, celui-ci stipule comme axe prioritaire de travail « d’améliorer la vie en collectivité » avec divers objectifs pour les élèves tels que : « être capable de communiquer sans avoir recours à la violence, être capable d’accepter et d’écouter l’autre ». Cet établissement a inclus également comme objectif de « favoriser l’inclusion d’élèves sourds dans le milieu ordinaire ». Ainsi, un partenariat s’est établi et renforcé depuis plusieurs années entre cette école et l’institut national des jeunes sourds (INJS) avec l’ouverture de deux classes dans le cadre d’une unité d’enseignement externalisé (UEE).
En ce qui concerne nos classes, nous sommes en charge durant cette année de stage, pour l’une d’une classe de CM1 de 27 élèves et, pour l’autre, d’une classe de CE2-CM1 de 28 élèves (avec une répartition de 5 CM1 pour 23 CE2). Or, nous avons constaté dans nos classes respectives que certains élèves étaient perçus comme « différents » par d’autres. Ainsi, certaines particularités nous ont amené à nous questionner sur ces différences et les discriminations qui peuvent en découler. Dans la classe de CM1, un élève allophone est arrivé en début d’année, deux autres élèves allophones vivent en France depuis un an environ et un élève hébergé en foyer de l’enfance, nouveau dans l’école, présente des troubles du comportement et est souvent mis à l’écart du reste de la classe (qui, elle, semble très soudée). Dans la classe de CE2-CM1, une élève allophone est arrivée de Syrie depuis quelques années et 7 élèves sourds de CE2 sont souvent « pointés du doigt » voire même moqués parfois.
Depuis le début de l’année scolaire, nous utilisons plusieurs outils afin d’enseigner l’éducation morale et civique, tout en essayant d’instaurer un climat de classe serein. Tout d’abord, nous avons instauré des conseils de classe de façon hebdomadaire (ou à minima à un rythme bimensuel) afin de communiquer sur les problèmes de classe et d’essayer de trouver des solutions en collectivité. Les recommandations d’Eduscol précisent que le conseil de vie de classe, également appelé conseil d’élèves, constitue un instrument via lequel les « élèves vont apprendre à gérer l’espace commun de façon démocratique ». D’autre part, nous avons mené un travail auprès des élèves afin de mettre en place des « messages clairs ». D’après les ressources de Manuel Tonolo, la pratique des « messages clairs » vise à orienter la discussion vers la résolution non-violente de petits différends ». L’objectif est multiple : développer un « esprit de responsabilité » chez les élèves, instaurer un « climat de respect mutuel », tout en favorisant la « construction de l’autonomie » des enfants. La pratique des « messages clairs » constitue ainsi un premier levier de médiation entre pairs et permet d’outiller les élèves afin qu’ils puissent résoudre de façon autonome certains conflits ne nécessitant pas l’intervention de l’adulte. Enfin, dans le cadre de notre mémoire, nous avons mené des discussions à visée philosophique à partir d’albums de littérature jeunesse afin notamment d’aborder les notions d’égalité, de différence, de préjugés, de discrimination…

Discussions à visée philosophique et lutte contre les discriminations

Plusieurs auteurs constatent, depuis quelques années, une dégradation du climat au sein de nombreux établissements scolaires, se caractérisant notamment par une montée des violences et une contestation de l’autorité des enseignants (Galichet, 2005). Tozzi (2017, p. 6), lui, rappelle qu’il ne faut pas « nier l’existence des conflits » au sein de la société française et de ses écoles. Or, d’après lui, la violence se propage lorsque l’on adopte une posture dogmatique. Ainsi, en ayant la certitude de posséder « LA » vérité, « le pluralisme des opinons, la critique, la discussion, l’interprétation et la pensée libre » en sont niés. L’auteur explique que cette violence se doit d’être « combattue » à travers la démocratie, plus particulièrement en axant sur la culture de la question, de l’esprit critique, de la réflexion et de la tolérance ; en bref en instaurant des cadres d’échanges constructifs et éthiques.
Plus précisément, en ce qui concerne la mise en place des discussions à visée philosophique, celles-ci présenteraient divers atouts lorsqu’il s’agit de lutter contre les discriminations. Ainsi, elles permettraient de mettre en oeuvre quotidiennement et de renforcer, au sein des classes, certaines valeurs. Tout d’abord, l’estime d’eux-mêmes des élèves s’en verrait améliorée. D’après Tozzi, « la violence provient souvent d’une mauvaise connaissance de soi et de la méconnaissance d’autrui qui nourrit tous les préjugés » (2017, p. 50). Dans le cadre des discussions à visée philosophique, les élèves sont amenés à réfléchir sur eux-mêmes et cela constitue, toujours d’après Tozzi, un « geste de prévention de la violence » (2017, p. 50). La pratique de ces discussions permettrait également de favoriser la faculté d’écoute d’autrui en tissant là un lien vers le respect puisque, d’après Tozzi, le respect de l’autre passe déjà par son écoute (2017). Travailler l’empathie auprès des élèves permettrait, toujours d’après lui, de « réfréner voire d’inhiber l’agressivité » (2017, p. 53) et ainsi de rendre le comportement des élèves davantage réflexif et éthique. On passe alors du conflit socio-affectif, qu’il faut tendre à éviter, au registre socio-cognitif. La confrontation évolue et l’élève entre dans une réflexion du type « une objection contre mon idée n’est plus une agression contre ma personne, mais un cadeau intellectuel pour mieux fonder ma pensée » (Tozzi, 2017, p. 10). De plus, d’après Budex (2019), la pratique des discussions à visée philosophique tend à développer des valeurs d’égalité et de fraternité entre les élèves. La discussion à visée philosophique se déploie comme le « tissage » d’une réflexion commune qui prend en compte la diversité des discours de chacun. Durant ces discussions, le principe d’égalité promeut car tous les participants ont exactement la même légitimité, tous ont le droit de prendre la parole. Enfin, les valeurs de coopération et d’entraide seraient enrichies chez et entre les élèves grâce à la pratique des discussions à visée philosophique. Ainsi, du fait qu’il ne s’agisse pas d’une « science exacte » mais bel et bien d’une discussion où chacun peut exprimer ses idées librement, il n’y a donc pas de bonne ou de mauvaise réponse. Les élèves vont, dans un but commun, rechercher une « vérité universelle ». La pluralité des idées exprimées pourra mener à des différences de points de vue entre les participants. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces désaccords constituent une véritable richesse dès lors qu’ils sont menés au sein d’un cadre bienveillant et pacifique dans lequel des règles de parole ont été préalablement et explicitement instaurées. Dans la même veine, Tozzi (2010) parle de « socialisation réflexive », de « façon de vivre ensemble en discutant philosophiquement ». Il corrobore le fait que les discussions à visée philosophique enrichissent au lieu de diviser ; elles sont une manière d’accepter et de valoriser les différences.
La pratique des discussions à visée philosophique couplée au travail mené dans le domaine scientifique permettrait également aux élèves de distinguer un fait, d’une opinion ou d’une croyance. En distinguant « croire » et « savoir », l’esprit critique des élèves est alors affiné. De plus, les discussions à visée philosophique permettent, en cas de conflit, de penser et d’avoir recours à d’autres alternatives à la violence, comme la négociation, la médiation, la compréhension d’autrui… (Tozzi, 2017)
Ainsi, il apparait essentiel d’instaurer une pratique des discussions à visée philosophique en classe, et cela, dès le plus jeune âge des enfants. Celles-ci vont permettre de développer chez les élèves diverses valeurs telles que la connaissance de soi-même, l’acceptation d’autrui (et donc le respect et la compréhension de ses différences à travers l’empathie), la fraternité et l’égalité, la coopération et l’entraide. Or, ce sont ces valeurs sur lesquels les élèves vont s’appuyer lors de la résolution d’un conflit. Outiller les élèves afin qu’ils élisent d’autres alternatives à la violence permet de résister à celle-ci et ainsi de lutter contre les discriminations. La capacité réflexive développée dans le cadre des discussions à visée philosophique « suspend le passage à l’acte, décolle de l’instant, rétablit le contact avec soi, enclenche un langage intérieur qui régule les affects, fait prendre de la distance et accroit la compréhension de soi, des autres et du monde […] La socialisation cognitive produit ainsi des effets (positifs) sur le climat scolaire » (Tozzi, 2017, p. 10).

L’album de littérature jeunesse choisi : « le manège de Petit Pierre »

Dans le cadre de notre séquence, nous avons choisi de travailler à partir de l’album de littérature jeunesse « Le manège de Petit Pierre » de Michel Piquemal (annexes 1 et 2). Cet album pourra éventuellement poser des problèmes de compréhension et d’interprétation à nos élèves. Ainsi, il est doté, par exemple, de quelques termes de vocabulaire particuliers ainsi que de formules implicites qu’il sera nécessaire d’élucider avec eux. La séquence sera amorcée par un débat de compréhension et d’interprétation afin de lever toute résistance au texte (Tauveron, 2002) et pour que nos élèves puissent accéder pleinement au sens littéral. Notre choix s’est spécifiquement porté sur cet album qui traite de la différence, à travers un personnage victime de préjugés, de moqueries et de discrimination. De plus, l’originalité de cette histoire écrite sous une forme poétique ainsi que la richesse littéraire du texte et des illustrations ont retenu toute notre attention. Enfin, cet album retrace de façon romancée la vie de Pierre Avezard, surnommé “Petit Pierre”, né handicapé au début du 20ème siècle, en France. Ce jeune garçon a vécu une enfance « exclue » puis est devenu garçon vacher et a créé, à partir d’objets récupérés, de multiples inventions mécaniques. Aujourd’hui, Pierre Avezard est reconnu comme un artiste de l’art brut. Nous avons trouvé pertinent le fait d’utiliser ici une oeuvre biographique afin d’axer la discussion sur le fait qu’il ne s’agit pas que d’une « simple » fiction mais bien d’une réalité. Utiliser comme « déclencheur » cette oeuvre permettra de faire émerger et d’expliciter les notions de « préjugé », de « respect » et de « discrimination » ; l’objectif final étant de sensibiliser nos élèves au respect des différences, à la lutte contre les discriminations et à la valeur d’humanité. Il existe peu, voire pas d’articles de recherches scientifiques ou didactiques à propos de cet album. Néanmoins, plusieurs enseignants en rapportent leurs expériences. Ainsi, celui-ci est utilisé afin d’aborder notamment, lors de débats, les thématiques de l’altérité, du rejet, du handicap ou encore de la tolérance. Un travail interdisciplinaire est mené par certains enseignants, avec, évidemment, un travail sur le langage (écrit, oral, lien avec l’oeuvre de théâtre « Petit Pierre » de Suzanne Lebeau) mais également dans les domaines historique (l’époque de la grande guerre et ses conditions de vie), scientifique (les machines mécaniques), artistique (l’art brut, les oeuvres à mécanisme, le collage…).

Méthodologie initiale

Préparation de la séquence initiale

Cadre de l’expérimentation initiale

Nous avions initialement prévu de mettre en place notre expérimentation à travers une séquence de 7 séances. Notre expérimentation était planifiée durant les mois de février et mars dans nos classes respectives. Les deux premières séances devaient être dédiées à la découverte de l’album « Le manège de Petit Pierre » sous forme d’une lecture offerte en deux parties, suivie d’un débat de compréhension et d’interprétation. Les séances suivantes devaient être intégralement consacrées aux discussions à visée philosophique. Dans le cadre de cette séquence, nous avions envisagé deux types d’évaluation :
– Une évaluation sommative en dernière séance afin de valider ou non l’acquisition par les élèves de connaissances institutionnelles théoriques (annexe 3)
– Une évaluation formative menée tout au long de la séquence grâce à une grille d’observation renseignée durant les différents débats. Celle-ci est organisée autour des compétences rattachées aux instructions officielles et permet d’observer, de suivre précisément l’évolution de l’attitude des élèves (notamment « la capacité à se décentrer pour prendre en compte le point de vue des autres », compétence détaillée par Manuel Tonolo) ainsi que leur prise de parole dans le respect et l’écoute des autres. (annexe 4)
Dans le cadre de notre séquence, il nous a semblé pertinent de mettre en place un livret de philosophie (annexe 5). Tout d’abord, cet outil incite chaque élève à s’exprimer librement en notant ce qu’il retient de la séance. En effet, selon Galichet (2015), le cahier de philosophie présente un « caractère intime » dans le sens où l’élève exprime ses réflexions personnelles à la manière d’un journal intime. Dès lors, cet outil constitue un support permettant de formuler une trace écrite à la fin de chaque débat, apportant un certain « recul face à la spontanéité » tout en permettant de structurer la pensée par le langage (Manuel Tonolo). D’autre part, nous avons également choisi d’intégrer à ce livret une grille d’observation permettant à chaque élève de s’auto-évaluer quant à sa prise de parole et à l’écoute de ses camarades. Enfin, en guise d’institutionnalisation, une partie du livret est dédiée au lexique : prise de notes de terme de lexique nouveaux ou complexes, définitions de nouvelles notions… Galichet précise que cet outil ne doit pas être « appréhendé comme un objet d’évaluation scolaire » (2015, p. 5). Ainsi, ce livret philosophique mis en place au sein de nos classes ne sera pas ramassé et l’accord des élèves sera nécessaire afin de pouvoir en prendre connaissance.
En ce qui concerne les conditions matérielles et institutionnelles des discussions à visée philosophique menées, nous avons tenté de nous rapprocher des recommandations de Galichet, dans la limite des possibilités offertes au sein de nos classes. Ainsi, par mesure de simplicité et par manque de place dans nos écoles respectives, nous avons choisi d’organiser les différentes discussions en classe avec la disposition habituelle. Nous sommes conscientes qu’il est important d’adopter une disposition en cercle ou en carré afin que les élèves puissent se faire face et interagir plus facilement, comme le préconise d’ailleurs Galichet. Néanmoins, nos classes n’étant pas assez grandes et n’ayant pas d’autre salle à disposition dans l’école au moment de la pratique de ces discussions, nous n’avons malheureusement pas pu mettre en place ce type d’organisation. Toutefois, afin d’essayer « d’atténuer » la relation traditionnelle enseignant/élèves, nous avons choisi de nous placer en fond de classe à une place assise afin de nous situer dans une posture comparable à celle d’un élève (en nous levant toutefois lors des reformulations, questionnements). Les discussions ont été menées en classe entière, exception faite des élèves malentendants et de certains élèves allophones qui n’étaient pas en enseignement d’inclusion lors de ces séances.

Résultats de la séquence initiale

Ecarts entre la séquence projetée et l’expérimentation

Malgré une préparation que nous jugions plutôt approfondie, plusieurs écarts sont à signaler entre la séquence projetée et l’expérimentation menée lors des trois premières séances. Tout d’abord, lors de la séance 1 nous avons toutes deux oublié d’enregistrer les discussions lors de la découverte de l’album « Le manège de Petit Pierre ». Nous avons donc, lors des séances suivantes, nommé un élève « responsable enregistrement » qui devait s’assurer du déclenchement, du bon fonctionnement et de l’arrêt de l’enregistrement. D’autre part, la lecture par nos soins de l’album a posé à nos élèves davantage de difficultés en termes de compréhension (syntaxe, lexique) que ce que nous avions imaginé. Il aurait peut-être été intéressant de travailler sur le texte, lors de quelques séances décrochées de lecture, en fournissant un tapuscrit à chaque élève et en axant sur la compréhension pure. Enfin, lors de la première vision de l’album et plus particulièrement en découvrant les illustrations des personnages (autres que Petit Pierre qui, lui, n’est dévoilé que lors de la deuxième séance) certains élèves se moquent. Ensuite, lors la seconde séance, nous avons inclus une activité d’écriture courte. Les élèves avaient alors pour consigne, soit de se mettre à la place du personnage de Petit Pierre, soit à la place d’un valet de ferme (qui se moque) et de décrire leurs émotions. Or, la majorité des élèves a choisi le personnage de Petit Pierre, avec seulement 3 élèves sur 48 ayant opté pour la figure du valet de ferme. Nous voyons à cela deux causes éventuelles : soit les consignes données n’ont pas été suffisamment explicites, soit les élèves ont choisi volontairement d’adopter la posture du « gentil » plutôt que celle du « méchant ». De plus, lors de cette seconde séance nous observons que, suite à la mise en place de l’enregistrement des discussions, les élèves semblent un peu « timides » d’exprimer leurs avis respectifs ou leur mauvaise compréhension. Néanmoins, au bout de quelques instants, ceux-ci reprennent rapidement leurs réflexes en « oubliant » l’enregistrement et osent, à nouveau, prendre la parole. Enfin, la séance 3 n’ayant sans doute pas été assez anticipée ou du moins de manière insuffisamment approfondie, celle-ci a été séparée en deux directement en classe. Ainsi, les activités proposées et leur enchainement étant chronophages nous avons pris la décision toutes les deux et sans nous concerter de stopper la séance au bout de 45 minutes et de repousser la suite des activités à une séance ultérieure. En effet, Galichet recommandant une durée de débat de 30 minutes en cycle 2 et de 45 minutes en cycle 3, nous avons préféré nous adapter directement en situation afin que celle-ci conserve toute son « efficacité ».

Résultats obtenus et recueil de données qui les explicitent

Afin d’essayer de répondre à la problématique : « est-ce si facile de lutter contre les discriminations ? » et de valider ou d’invalider notre hypothèse principale, à savoir : « la pratique des discussions à visée philosophique peut aider à lutter contre les discriminations » nous avons notamment construit une grille d’observation de nos élèves. Cet outil, renseigné lors de chaque discussion à visée philosophique, devait nous permettre de mesurer sur le moyen terme l’évolution des attitudes de nos élèves, notamment leurs prises de parole (expression des représentations) et leurs capacités d’écoute d’autrui (et donc potentiellement de respect). Malheureusement la situation sanitaire exceptionnelle ne nous a pas permis de nous rendre compte d’une évolution potentielle des comportements de nos élèves puisque nous n’avons pu réaliser qu’un seul débat philosophique. Néanmoins, les résultats de la grille d’observation obtenus lors du 1erdébat nous autorisent à formuler quelques remarques (annexe 11). Tout d’abord, nous constatons que, dans nos classes respectives, ce sont toujours les mêmes élèves qui prennent la parole. Nous n’avions pas forcément anticipé le fait qu’un petit groupe d’élèves seulement participe activement (exemple sur la classe de CE2-CM1 : 13 élèves sur 20 participent au moins une fois mais seulement 6 sur 20 s’expriment deux fois ou plus). Pourtant, un temps d’activité permettait à tous les élèves de formuler leurs idées par écrit avant d’initier le débat. Cette approche est d’ailleurs préconisée par M. Tonolo puisqu’elle permet notamment d’intégrer aussi bien les élèves timides que les « grands parleurs » à la discussion, mais aussi de « structurer la pensée ». De plus, parmi les élèves qui prennent la parole, nombre d’entre eux ne font que répéter ce qui a déjà été dit par d’autres sans ajouter d’exemples, sans se justifier, sans effectuer d’apports supplémentaires. Ce fait pourrait nous amener à concéder au postulat formulé : dans une discussion à visée philosophique, « on a tendance à n’écouter que ceux qui sont d’accord avec nous ». D’autre part, ce ne sont pas forcément les élèves qui ont donné leurs avis qui écoutent les autres de façon active et respectueuse. En effet, dans le cas notamment de la classe de CE2-CM1, parmi les 13 élèves qui s’expriment durant le 1er débat on estime que seulement 6 d’entre eux écoutent en retour activement leurs camarades (en les regardant, en semblant s’y intéresser). A contrario, parmi les 7 élèves « abstentionnistes » durant le 1er débat, 3 d’entre eux semblent « captivés » par les discussions. Et que dire alors de ces élèves qui ne s’expriment pas du tout ? Finalement, l’analyse de ces résultats nous permet de soulever deux configurations nous semblant intéressantes :
– Quand les enfants parlent et présentent un bon argumentaire cela ne signifie pas forcément qu’une fois sortis de l’école ils n’auront plus de préjugés et respecteront les autres.
– A contrario, quand les enfants ne parlent pas, cela ne signifie peut-être pas qu’ils ne réfléchissent pas.
Ainsi, comment faire alors pour impliquer davantage activement tous les élèves et faire en sorte « d’agir » sur tous, puisque lutter contre la violence et les discriminations passe forcément par une sensibilisation de chacun ?
Concernant la réflexion critique de nos élèves, nous avons remarqué que leurs représentations initiales ont évolué positivement entre la découverte de l’ouvrage et la suite des séances. Ainsi, au début de la lecture les élèves se moquent assez ouvertement de Petit Pierre :
R : « Il a pas de trou dans les oreilles, [rire] il est tout pourri en fait… [rires] »
I : « [rires] Il est vraiment moche je pense en fait. C’est normal que les autres l’aiment pas. »
Puis, une fois que les élèves ont compris qu’il s’agit d’une biographie, ils semblent pris de compassion pour le personnage de Petit Pierre. Ainsi, lors de l’analyse de la dernière phrase du livre « Et si on avait écouté certains… » les élèves formulent des réponses positives et empathiques :
O : « Ça veut dire qu’il faut apprendre à connaître la personne avant de la critiquer et d’être méchant… de se moquer. »
A : « […] qu’il faut aller au-delà des apparences avant de juger une personne… »
En ce qui concerne le climat de classe et l’attitude des élèves lors des débats nous n’avons eu que peu de temps malheureusement pour estimer d’éventuels changements notoires. Néanmoins, nous avons noté quelques difficultés à faire évoluer la répartition du pouvoir et du savoir entre les élèves et l’enseignante. Ainsi, les élèves semblent camper dans la position traditionnelle du contrat didactique : « je donne la réponse attendue par et pour l’enseignante ». Nous avons souligné que les élèves ne se regardent pas forcément entre eux mais nous regardent nous, en tant qu’enseignantes, lorsqu’ils formulent leurs avis respectifs. Mais alors, durant ces discussions à visée philosophique, quelle posture doit adopter l’enseignant face à ses élèves entre un guidage trop fort et une distance trop marquée ?

Réussites de la séquence initiale mise en place

Tout d’abord, nous constatons au sein de nos classes respectives une bonne participation et implication des élèves. Le sujet choisi semble leur tenir particulièrement à coeur tout comme les modalités utilisées. On relève d’ailleurs des remarques positives d’élèves à ce sujet, telle que : « Ah ouais maitresse ! J’adore quand on fait des choses comme ça… quand on parle et qu’on donne son avis quoi. » Les élèves semblent, pour la plupart, attester d’une réflexion sincère autour de cette thématique. Certains sont particulièrement touchés émotionnellement : quelques élèves pleurent lorsque nous abordons la différence et la notion de « rejet », un élève allant même jusqu’à parler de discrimination raciale en séance 3. D’après leurs dires, ce sont des élèves qui ont eux-mêmes vécu des situations de rejet, voire de racisme, notamment à cause de leur couleur de peau :
C : « Un jour, un garçon de mon quartier m’a dit que je n’étais pas intelligente parce que j’étais noire, ça m’a rendue triste, et quand j’y pense ça me rend toujours triste ».
D’autre part, un travail sur la langue est mené conjointement à la mise en oeuvre des débats avec l’introduction de « Phrases-outils » (annexe 10) que les élèves doivent s’entrainer à maitriser et utiliser afin de présenter leurs arguments, leurs contre-arguments, donner leur avis. Des compétences transverses que nos élèves pourront, s’ils les maitrisent, réutiliser en dehors des débats et discussions sont ainsi développées. Enfin, au sein de la classe de CM1, les élèves mettent en réseau « Le manège de petit Pierre » avec un travail réalisé quelques mois auparavant autour de l’ouvrage « Otto » de Tomi Ungerer. Cet album de littérature jeunesse avait en effet été utilisé afin d’initier un débat sur l’amitié. Les élèves parviennent même, au-delà de l’album, à tisser un lien avec les thématiques de la seconde guerre mondiale et de la déportation. Dès lors, durant le travail d’interprétation de l’album, nous avons demandé à nos élèves d’analyser le groupe de mots « Le jeter dans un train pour un aller sans retour » :

Difficultés de la séquence initiale mise en place

Nous avons dû faire face à plusieurs aléas durant le déroulement de notre séquence. Tout d’abord, en ce qui concerne les modalités d’organisation spatiale et temporelle, nous avons identifié deux aspects à améliorer. Ainsi, de façon générale sur le temps scolaire, et particulièrement lors de discussions à visée philosophique, nous avons eu des difficultés quant à la gestion du temps. Notamment lors de notre troisième séance, comme explicité précédemment, où nous avions prévu une durée totale de 45 minutes mais que nous avons dû scinder en deux. Également au niveau de la gestion de l’espace, comme explicité précédemment, où nous avons volontairement conservé un positionnement de classe « standard » au lieu d’opter pour une organisation en cercle ou en carré. Néanmoins, n’ayant pas d’autre alternative, nous avions prévu, dès la séance 4, de mettre en place un bâton de parole entre les élèves afin d’essayer de pallier cette contrainte spatiale. Parallèlement à ces aléas, nous avons toutes deux rencontré des difficultés à faire vivre et à enrichir les discussions et cela afin que les élèves confrontent leurs points de vue. Ainsi, souvent lorsqu’un élève prenait la parole, les autres, la majorité du temps, étaient totalement d’accord avec lui et avaient d’ailleurs beaucoup de mal à le justifier. De plus, nous avons constaté dès le débat de compréhension et d’interprétation mais également au cours de la première discussion à visée philosophique des prises de parole et participation inéquitables entre les élèves. Il nous a paru ainsi assez ardu d’arriver à impliquer la totalité des élèves de nos classes respectives. D’autre part, à cette participation orale inéquitable, se couple, apparemment, un faible attrait de certains élèves vers le livret philosophique. Ainsi, certains n’écrivent que peu voire pas du tout suite au débat (mais cela signifie-t-il qu’ils ne retiennent rien des échanges ?). Enfin, nous avons parfois eu un peu de mal, en tant que professeurs des écoles stagiaires et novices dans la pratique des discussions à visée philosophique à nous positionner et à ajuster notre posture d’enseignante durant ces débats. Quel rôle doit jouer l’enseignant précisément durant ces échanges ? Doit-il parfois donner son avis, contrer l’avis trop radical de certains élèves ou au contraire inciter d’autres à approfondir leurs réflexions ?

Discussions

Face à ces difficultés rencontrées, il nous a paru intéressant de nous focaliser sur deux aspects majeurs des discussions à visée philosophique, à savoir le positionnement de l’enseignant et le rôle des élèves.

Le rôle de l’enseignant lors de discussions à visée philosophique

Au cours de notre expérimentation, nous avons intégré le fait que la pratique du débat à elle seule par les élèves en « autonomie » n’est pas suffisante. En tant qu’enseignante, nous avons donc un rôle essentiel à jouer dans l’organisation et l’animation de ces discussions. Les recommandations d’Eduscol corroborent d’ailleurs cette idée et mettent en avant plusieurs attributs chez l’enseignant nécessaires à la conduite des discussions à visée philosophique. Tout d’abord, la préparation doit être menée en amont de façon sérieuse et approfondie puisque celle-ci conditionne « la qualité de réflexion des élèves ». La connaissance de son sujet est une condition indéniable au bon déroulement d’une discussion à visée philosophique. En effet, cela permet d’apporter des savoirs philosophiques aux élèves, et d’être capable de relancer le débat si celui-ci s’essouffle. « L’étayage langagier » appelé également « guidage » est une seconde qualité essentielle. Il s’agit « d’accompagner » les élèves jusqu’où ils sont « capables d’aller », l’objectif étant de les conduire à « tracer leur propre itinéraire en les aidant à le baliser, tout en faisant en sorte qu’il soit perceptible grâce à des repères ». Selon Cazenave (2008 p. 46), l’un des rôles majeurs pour l’enseignant est d’arriver à positionner l’élève dans une situation lui permettant de « penser par lui-même ». Il est donc question ici d’apprendre à conserver et analyser « la capacité d’étonnement de l’élève ». Valérie Saint Dizier de Almeida (2014), suite à l’analyse de neuf discussions à visée philosophique, distingue trois types de styles d’enseignants : autoritaire, démocratique et de « laisser faire ». A priori ces études ne relèvent pas de différences significatives en termes de raisonnements collectifs produits. Néanmoins, d’après Tozzi (2006 p. 238), durant une discussion à visée philosophique, l’enseignant doit s’accorder à déléguer une partie de son « pouvoir de parole » aux élèves et cela afin qu’un « processus d’auto-organisation » puisse apporter « l’engagement des élèves et l’établissement collectif de règles ». La mise en place de ces règles permettrait, toujours d’après Tozzi, de rendre possible le travail cognitif des élèves. Ainsi, l’enseignant doit « limiter le désordre individuel et collectif » par la mise en oeuvre d’un cadre strict. D’après Manuel Tonolo, il faut arriver à trouver le juste équilibre entre une posture qui ne soit ni trop directive, ni trop en retrait dans la conduite du débat, afin de faire progresser nos élèves dans leur approche philosophique : laisser en premier lieu émerger leurs représentations premières tout en les menant ensuite subtilement vers une réflexion plus poussée semble être la bonne posture à adopter. Petit à petit, il faudra ensuite arriver à accompagner les élèves à échanger leurs arguments entre eux, et non plus seulement en se tournant vers l’enseignant. Toujours selon Manuel Tonolo, il est d’autant plus important d’adopter une posture « dialectique » qui cherche à « susciter le dialogue en faisant naître la contradiction entre des opinions opposées » au sein de la discussion. L’exercice doit même aller plus loin : il s’agit d’essayer de « mettre en valeur le désaccord et la contradiction » car dans une discussion philosophique, « sans désaccord, il ne peut y avoir de débat. » D’ailleurs, ce principe rejoint la pensée de Vygotsky qui atteste que les interactions sociales sont nécessaires au processus d’apprentissage et au développement cognitif. Doise et Mugny corroborent cette théorie et ajoutent que ces interactions doivent susciter des « conflits sociocognitifs » qui vont alors entrainer une « confrontation entre les conceptions divergentes ». L’élève va alors prendre progressivement conscience de « sa propre pensée » et considérer, voire comprendre, celle des autres. Afin d’animer une discussion à visée philosophique, il paraît essentiel pour l’enseignant de disposer d’une bonne capacité d’adaptation. En effet, il n’est pas possible de prévoir exactement le déroulement du débat ni d’anticiper l’ensemble des échanges. C’est pour cela qu’il est nécessaire de savoir rebondir et s’adapter aux arguments des élèves, puisque ce sont eux qui, en somme, sont acteurs de la discussion. D’après Manuel Tonolo, il convient enfin d’analyser a posteriori ce qui a fonctionné et ce qui a pu poser problème lors de la mise en place d’une discussion à visée philosophique. Il est donc important de prendre du recul et de remettre en question sa propre démarche afin de la faire évoluer au mieux. Pour ce faire, il est nécessaire de s’interroger : « qu’ont appris nos élèves précisément au cours de cette discussion ? ». Finalement, Tozzi (2006, p. 236) explique que la pratique de discussions à visée philosophique exige de la part de l’enseignant une « grande énergie », une « maitrise importante de ses affects » et une « forte capacité à garder le fil intellectuel des échanges ». Ainsi, Cazenave (2008, p. 51) résume bien la posture idéale de l’enseignant : il parle de « repositionnement du Maître » ou encore de « recomposition de son rôle quant au rapport et au pouvoir ». Pour lui, il s’agit d’une condition sine qua non au « développement d’une démarche de recherche responsable pour les élèves ».

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Table des matières

Introduction 
1. Synthèse des travaux existants 
1.1 Partie théorique générale
1.1.1 Stéréotypes, préjugés et discrimination
1.1.1.1 Définition des notions
1.1.1.2 Quelques repères historiques
1.1.1.3 Discrimination : la loi et la pratique en France
1.1.2 Comment enseigne-t-on l’Éducation morale et civique aujourd’hui ?
1.1.2.1 Quelques repères historiques
1.1.2.2 Inscription des notions de stéréotypes, préjugés et discrimination dans les programmes officiels
1.1.2.3 La pratique des discussions à visée philosophique
1.1.2.4 Utiliser les albums de littérature jeunesse dans les discussions à visée philosophique
1.1.3 Le développement de l’enfant
1.2 2 – Partie théorique spécifique
1.2.1 Contexte de nos classes
1.2.2 Discussions à visée philosophique et lutte contre les discriminations
1.2.3 L’album de littérature jeunesse choisi : « le manège de Petit Pierre »
1.2.4 Problématique et hypothèses
2. Méthodologie initiale 
2.1 Préparation de la séquence initiale
2.1.1 Cadre de l’expérimentation initiale
2.1.2 Progression de la séquence initiale
2.2 Résultats de la séquence initiale
2.2.1 Ecarts entre la séquence projetée et l’expérimentation
2.2.2 Résultats obtenus et recueil de données qui les explicitent
2.2.3 Réussites de la séquence initiale mise en place
2.2.4 Difficultés de la séquence initiale mise en place
2.3 Discussions
2.3.1 Le rôle de l’enseignant lors de discussions à visée philosophique
2.3.2 Le rôle des élèves lors de discussions à visée philosophique
3. Adaptation de la séquence initiale 
3.1 Préparation des séances adaptées
3.1.1 Cadre de l’expérimentation adaptée
3.1.2 Progression des séances adaptées
3.2 Résultats des séances adaptées
3.2.1 Ecarts entre les séances projetées et l’expérimentation réelle
3.2.2 Résultats obtenus et données qui les explicitent
3.2.3 Réussites des séances adaptées
3.2.4 Difficultés des séances adaptées
3.3 Discussions
3.3.1 La continuité pédagogique dans le cadre d’une situation d’urgence
3.3.2 Une pleine efficacité des discussions à visée philosophique ?
Conclusion 
Bibliographie analytique 
Table des matières des annexes

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