Initiation aux techniques du théâtre-forum

PES en reprise d’étude : mon expérience personnelle

Je suis en « réinsertion » professionnelle, « reprise d’étude » comme l’on dit ou plutôt, j’ai choisi délibérément de changer de voie en cours de chemin. J’étais comédienne et metteur en scène, diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du théâtre en 2012. Plusieurs raisons m’ont décidée à changer de voie professionnelle et je ne m’étendrai pas sur toutes, mais je peux cependant et surtout mentionner que c’est parce que la plupart des projets sur lesquels j’étais amenée à travailler n’étaient ni très épanouissants ni intéressants, et finissaient par se rapprocher de projets plus alimentaires que d’autres véritablement artistiques. Je ne me trouvais pas d’une grande « utilité » à faire ce que je faisais, et bien loin des valeurs et aspirations théâtrales qui m’avaient auparavant séduites. Seuls les ateliers que je menais alors avec des classes de collège et de lycée me faisaient me sentir à nouveau « à ma place » (expression galvaudée qui a tout le moins le mérite de dire précisément les choses), et ce grâce à la transmission et le travail de suivi que j’effectuais avec ces groupes : au lieu d’être enfermée dans des problèmes égotiques, d’images et de reconnaissance, je me tournais véritablement cette fois vers les autres et pouvais constater l’amélioration du quotidien et de la confiance en soi que la pratique théâtrale pouvait apporter à des adolescents. Je suis issue (avant de faire du théâtre) de filières plus classiques – hypokhâgne, khâgne, licence de lettres…- et décidais de reprendre mes études pour faire perdurer ce lien si enrichissant (pour les deux parties) que je trouvais dans ma relation aux élèves, en me tournant vers le rôle de professeur des écoles. C’est principalement par ailleurs le fait de pouvoir « suivre » des élèves au quotidien et quasi exclusivement sur une année entière –si ce n’est la voire les quelques premières années – qui m’a fait préférer le niveau élémentaire à celui du secondaire ; assiduité permise par la polyvalence qui fonde l’essence du professeur des écoles, et lui permet ainsi de penser sa pédagogie en terme de « projets ». Je souhaite réutiliser mes compétences théâtrales au service des apprentissages des élèves, tout en espérant que la pratique de ce dernier et l’enrichissement qu’il apporte me permette de monter des projets en classe qui dépassent, pour eux, le simple objectif d’un spectacle de fin d’année. En effet, l’expérimentation par la pratique du jeu dramatique, cet art de l’essai-erreur permanent, en fait un outil actif de développement personnel en même temps qu’il est un moyen privilégié de créer du lien entre soi, nous, les autres, et le monde. J’ai pu constater avec ces précédents groupes d’adolescents les vertus du jeu dramatique, qui sont multiples dans la construction de soi en relation avec les autres : il permet une expression globale de l’individu et la communication avec autrui au travers d’activités ludiques, mais c’est aussi et avant tout une pédagogie du collectif, tournée vers l’échange, un apprentissage par le jeu et l’expérimentation à plusieurs. On revient ici à cette polysémie du mot « acteur », terme qui ouvre la voie à la construction d’un « je » par une pédagogie de l’action (via une meilleure connaissance de soi et des autres par le vécu). La pratique du jeu donne également lieu à la valorisation et la favorisation de la créativité chez les élèves : leurs corps, leurs voix et leurs imaginaires sont points de départs et moyens d’une construction qui ne peut se faire que par eux dans leur diversité. Encore faut-il pour qu’il y ait création de leur part, chose qui leur a finalement peu été demandée jusque là, que soient posées des contraintes suffisamment claires et encadrantes dès le début. L’apprentissage des contraintes et la familiarisation à ce cadre permettant la liberté, nécessitent comme on le verra dans la deuxième partie de ce mémoire un apprentissage en soi, aussi nécessaire qu’il est un préalable à toute éducation. Comme l’énonce clairement Yves Guerre dans son ouvrage sur le théâtre-forum, on peut supposer que les problèmes de violence dans la société (et a fortiori, dans l’école, qui est une « mini-société ») trouvent leur origine non pas dans une déviance par rapport à la norme, au cadre (une délinquance), mais dans l’effacement de la norme elle-même par manque de sens, de systématisation et de cohésion. «Paradoxalement, on pourrait faire l’hypothèse que c’est par l’absence de lieux d’expression collective des conflits qui nous séparent que plus aucun bien commun ne nous rassemble » C’est pourtant par oubli de ce « bien commun », à l’origine de l’idée d’un vivre-ensemble, que naissent les postures de repli sur soi, de communautarisme et d’exclusion.

Le théâtre-forum

Définition

J’ai été sensibilisée au théâtre-forum lors de ma formation à l’Ensatt, par Giampaolo Gotti, acteur, dramaturge et metteur en scène d’origine italienne et grand proche du théâtre de l’Opprimé et de Rui Fratti, actuel directeur du théâtre qui lui fut remis par les mains d’Augusto Boal lui-même. Le théâtre-forum est une forme théâtrale parmi d’autres ; il a cependant ceci de particulier qu’il remet totalement en question le principe même de la représentation : les spectateurs ne sont pas là pour assister à un spectacle mais pour agir sur une situation présentée qui tend à être modifiée. Point de visée esthétique dans le théâtre-forum non plus, bien que l’on cherche néanmoins à susciter l’empathie chez l’audience ou du moins à provoquer chez elle l’envie de réagir par rapport à une situation d’oppression. C’est la recherche du sens qui prime sur celle du beau : pas de catharsis mais au contraire une culture de la solidarité : « (…) la reconnaissance que les situations présentées sont connues de lui (du spectateur) et qu’elles sont inacceptables telles qu’elle sont ainsi présentées ET pour le protagoniste ET pour luimême en personne, sans l’antériorité de l’un ou l’autre des pôles » . Le théâtre-forum est issu de la méthode du Théâtre de l’Opprimé, créée et théorisée par Augusto Boal (1931 – 2009) homme de théâtre brésilien (écrivain, dramaturge, metteur en scène, théoricien) à la fin des années 1970. Pour Augusto Boal, très impliqué dans la réflexion politique de son pays alors sous régime militaire, le théâtre est d’abord un outil pour comprendre le monde contemporain, mais surtout un moyen, à la portée de tous, pour le transformer activement et positivement. Le théâtre-forum doit son nom au fait de chercher à réconcilier le théâtre (des situations sont jouées par des acteurs et présentées à un public) et le débat participatif, d’où son nom de forum : « dans l’Antiquité romaine, le forum, place du marché, où le peuple s’assemblait, et qui était le centre de la vie politique, économique et religieuse de la Cité ». L’essence du théâtre-forum réside dans cette volonté fondamentale d’aller au delà de la traditionnelle fracture scène/salle, acteurs/spectateurs pour créer une dynamique réflexive, actionnelle, politique et sociale.

En effet, le théâtre-forum donne à voir des situations d’oppression, d’injustice (mais non d’agression, nous reviendrons sur ce point) et vise à rendre le spectateur acteur de la recherche de pistes de remédiations et d’améliorations de ces situations. Il devient alors « spect-acteur » selon le terme consacré et apprend à réagir spontanément face à l’oppression pour chercher des façons d’en sortir, sur la scène mais a fortiori dans la vie. Il monte, littéralement, sur scène, et vient proposer une piste de remédiation à la situation problème. Selon Augusto Boal, chaque homme porte en lui la capacité d’agir pour sortir d’une simple faction d’observateur passif et le théâtre doit révéler chez lui un désir de transformation, d’indignation et de justice. A travers cette pratique, c’est surtout le rétablissement d’un dialogue entre les personnes du « peuple », c’est à dire les femmes et hommes vivant ensemble au sein d’une même société, et qui pourraient à tort ne pas se croire capable d’agir, ou non concernées par les débats de vivre ensemble, qui est cherché ; rompre des relations fatalistes de dépendance en formant des citoyens prêts à questionner et penser les règles de leur société. Il faut « accepter que tous les hommes sont capables de faire tout ce qu’un homme est capable de faire. Il est évident que tous ne le feront pas avec le même éclat, mais tout le monde pourra le faire ! » Le théâtre-forum, modalité du théâtre d’Augusto Boal, doit donc être envisagé comme une méthode toute aussi artistique qu’un chemin possible de  construction d’un point de vue sur le monde.

Le théâtre forum en France

Ce sont Richard Monod et Emile Copfermann qui introduisent le théâtre-forum en France, d’abord dans les milieux du théâtre politique et militant, puis dans les sphères plus larges des « animateurs » : les Centres d’Entraînement aux Méthodes Actives, puis vers les « formateurs » dont les enseignants. A partir de 1984, il entre dans la « société vivante, en acceptant de se mettre à disposition de groupes qui luttaient pour leur émancipation » (Planning Familial, Comité de Liaison pour l’Alphabétisation et la Promotion des travailleurs immigrés, la Confédération française démocratique du travail…). Les acteurs sociaux se sont ensuite appropriés cet outil pour créer de nouveaux espaces de rencontre, de parole et de débat, notamment via une riche collaboration avec la Commission du Développement Social des Quartiers (préfiguration de la Délégation Interministérielle à la Ville). Le Théâtre de l’Opprimé, toujours actif et situé rue du Charolais à Paris, continue l’ambition de Boal à travers son travail de création, de programmation, mais aussi de transmission en animant de nombreux ateliers annuels de théâtre-forum au théâtre de l’Opprimé même (dont certains auxquels j’ai pu assister) et dans les associations de quartier, dans les prisons, dans les établissements scolaires du premier et de du second degré.

Le théâtre forum à l’école

Il n’est pas rare de rencontrer la pratique d’ateliers de théâtre-forum dans le secondaire, comme dans ce collège de l’académie de Rouen qui l’expérimente actuellement dans le cadre du Projet Personnalisé de Réussite Educative Passerelle. J’ai pu moi-même animer plusieurs ateliers de théâtre-forum sous la supervision de Giampaolo Gotti lorsque j’étais encore à l’Ensatt, dans divers établissements de la région Rhône-Alpes. Encore peu présent dans les écoles élémentaires, des expérimentations probantes ont cependant vu le jour notamment grâce à l’association Mouvement Pour une Alternative Non Violente (IUFM de Mulhouse, ou la circonscription de Gosier-Abymes à la Guadeloupe). Cette dernière a même récemment réalisé un documentaire grâce au réseau Canopé sur la mise en place d’ateliers de théâtre-forum en Education morale et civique (programmes de 2015), supervisés par Nadine Christon, inspectrice de l’Education Nationale missionnée Innovation 1er degré .

Le théâtre-forum, rencontré plus fréquemment aujourd’hui dans les cercles associatifs, les ateliers en prison ou par la présence très active de la troupe du Théâtre de l’Opprimé, demeure pour l’instant un outil discret dans les écoles bien qu’il puisse tout à fait être mis en place pour de jeunes enfants. Encore faut-il qu’il serve au mieux les apprentissages visés par les programmes tout en leur permettant d’exprimer réellement leurs points de vue et leur créativité. Le dispositif, ainsi que j’ai tenté de le faire dans ma classe, doit être envisagé comme un projet à l’année, un engagement significatif, puissant mais aussi chronophage bien que très pertinent puisque faisant se croiser plusieurs disciplines (« Tous les domaines disciplinaires ainsi que la vie scolaire contribuent à cet enseignement » – c’est à dire l’EMC-).

C’est pourquoi la mise en œuvre des séances qui sera développée un peu plus loin tient compte de l’adaptation nécessaire des méthodes, concepts et variables originaux à une classe de CE2. Au théâtre lorsque l’on se pose en tant que metteur en scène, tout comme en tant qu’enseignant lorsque l’on souhaite mobiliser ses élèves et les entraîner dans un projet, il faut savoir réunir ses troupes autour d’un but commun, accessible à tous et permettant à chacun de s’y insérer en trouvant son compte, bien que la place de chacun ne soit pas nécessairement, loin de là, la même pour tous.

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Table des matières

Introduction
1. Première partie. Comment en tant que PES, j’en suis venue à choisir et enseigner la méthode du théâtre-forum en EMC dans le cadre de mon école, et plus spécifiquement dans ma classe
1.1. PES en reprise d’étude : mon expérience personnelle
1.2. Le théâtre-forum
1.2.1 Définition
1.2.2 Le théâtre-forum en France
1.2.3 Le théâtre-forum à l’école
1.3. Réalités et constats de la classe de CE210
1.4. Le choix du théâtre-forum comme remédiation et les textes officiels
2. Deuxième partie. Initiation aux techniques du théâtre-forum avec les élèves de CE210
2.1. Préalables et mise en place
2.1.1. La séquence sur les émotions
2.1.2. Séance d’initiation aux techniques du théâtre-forum
2.1.3. Vocabulaire spécifique, rôles et déroulement d’une séance de théâtre-forum
2.1.3.1. Les différents rôles en théâtre-forum
2.1.3.2. Les étapes du théâtre-forum
2.2. Séquence sur le vivre-ensemble via les techniques du théâtre-forum
2.2.1. La séquence, avec un zoom spécifique sur la séance 1 : « la violence à l’école»
2.2.1.1. Le projet de la séquence avec l’outil théâtre-forum
2.2.1.2. La séance de théâtre-forum « la violence à l’école »
2.3. La différenciation pédagogique en théâtre-forum
2.4. L’évaluation en théâtre-forum
3. Troisième partie. Bilan, perspectives et prolongements
3.1. Avantages et limites du théâtre-forum en classe
3.2. Les compléments faits en classe
3.3. Les changements de représentations
3.3.1. Mes changements de représentations en tant que professeur des écoles stagiaire
3.3.2. Les changements de représentations chez les élèves de la classe
3.4. Comment faire évoluer ma pratique
Conclusion

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