Influences des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication par les acteurs de l’école

La recherche présentée ici s’intéresse aux conceptions et aux conceptualisations d’enseignantes et enseignants de l’école primaire qui ont choisi de construire un site Web dans le cadre de leur pratique professionnelle. La thèse défendue dans ce texte est que l’étude des sites, associée à celle de l’activité des acteurs de l’école, permet de mettre en évidence des transformations conceptuelles importantes chez les auteurs de sites. Ces transformations semblent s’exprimer plus particulièrement par la réciprocité des influences entre ces acteurs et Internet, dans une dialectique qui construit le Web scolaire comme objet technique et comme texte, avec les conséquences que la reconnaissance ou non de cette dialectique peut avoir sur l’activité professionnelle de ces acteurs.

Ce travail a débuté par une capture quasi-exhaustive des sites Web d’écoles en 1999, ce qui a permis de reconstituer, à partir de l’analyse des sites, mais aussi de propos relevés sur des listes de discussion scolaires et d’interviews d’enseignants in situ, le cheminement conceptuel de certains auteurs de sites pouvant apporter un éclairage sur les relations entretenues avec l’outil informatique. Dans une perspective sémio-cognitive, cette recherche tente de mettre en évidence ce qui a poussé ces enseignants à se lancer dans un tel travail, comment ils s’y sont pris, ce que ces sites représentent pour eux, mais aussi, la manière dont ces constructions s’organisent sur Internet. Ce qui est observé ici n’est ni un ensemble d’effets liés à l’introduction des réseaux à l’école, ni l’effet du travail des enseignants sur Internet, mais la complexité des relations réciproques qui existent entre les acteurs et les sites ou entre les acteurs eux-mêmes quand ils se retrouvent sur le réseau.

Les différentes technologies, étudiées ici dans un contexte éducatif, ont donc un double rôle, celui d’indicateur pour la recherche et celui de facteur dans l’étude de ces relations. Comme indicateur, Internet fournit de nombreuses données à analyser qui n’ont pas toutes la même portée et qui varient largement en fonction des modalités instrumentales des logiciels mis en œuvre. En cela, ce travail est donc aussi une réflexion méthodologique sur ce que les documents numériques en circulation peuvent (ou ne peuvent pas) nous apporter dans la connaissance des pratiques éducatives et des mondes conceptuels construits. Comme facteur, la multiplicité des modalités d’expression disponibles par une médiation instrumentale peut conduire à faire l’hypothèse de l’existence d’un ensemble d’activités conceptuelles particulières chez les acteurs de l’école qui utilisent Internet de façon constructive. Compte tenu de la place grandissante qu’Internet peut prendre dans le monde scolaire, et de la manière dont il peut se développer dans un proche avenir sous l’impulsion des politiques d’éducation volontaristes actuelles, il semble donc intéressant de mieux connaître les conditions d’existence de ces changements et les compétences professionnelles stratégiques spécifiques qu’elles révèlent.

D’une manière plus large, l’école, qui semble relativement à l’écart de l’informatisation générale que connaît la société, est souvent décrite à travers l’analyse de résistances fortes ou, à l’inverse, l’observation d’expériences pionnières particulièrement réussies qui ne semblent pas rendre compte, ni dans un cas ni dans l’autre, de la complexité des relations, souvent contradictoires, que les acteurs entretiennent avec les outils informatiques. En s’intéressant ici aussi bien aux sites Web timidement ébauchés et aussitôt abandonnés, qu’à ceux dans lesquels l’enseignant fonde la dynamique de sa pratique de classe, ce travail tente de dépasser les oppositions classiques entre technophiles et technophobes, et, par une approche qualitative, de cerner de manière précise ce qu’Internet apporte chez les uns et chez les autres selon l’usage académique, ou détourné, que chacun en fait. Ce travail est donc aussi une tâche de repérage au sein de ces pratiques sociales éducatives, afin de voir ce que les acteurs ont fait de ces instruments, ce qu’ils pensent en faire, ce qu’ils en attendent, ce en quoi ils ne croient plus.

ENJEUX ET CADRE DE LA RECHERCHE

La pratique Internet agence-t-elle des montages de la Raison miniaturisés et en quelque sorte portatifs, et anticipe-t-elle un monde de communication atomisé, dans l’illusion de s’exempter de l’idée même de société ? Le concept de réseau recouvre-t-il, dans un contexte de reféodalisation planétaire, une procédure de parcellarisation, où le sujet ne parle qu’à d’autres soi-même où l’adresse fonctionne sur un mode groupusculaire autour de Références privées ? Ou bien, moyennant ce remue-ménage, en sommes-nous encore à des tentatives insaisissables de recomposition sociale d’une scène de l’homme et du monde ? Pierre LEGENDRE – La 901° conclusion (1998, p.274) .

Enjeux d’éducation et objet de recherche

Technologies de l’Information et de la Communication et éducation

Internet explose. Les possibilités nouvelles des systèmes de traitement de l’information associés à leur connexion sous forme de réseaux interrogent les chercheurs quant à leur statut vis-à-vis des activités humaines. À ce titre, les faits d’éducation n’échappent pas à ce phénomène. Évaluer l’influence de ce qu’on nomme communément les Technologies de l’Information et de la Communication sur les pratiques d’éducation et de formation est devenu une urgence. Toutefois, l’analyse scientifique de faits éducatifs en relation avec les technologies informatiques ne va pas de soi. Il est notamment délicat de définir un objet d’étude qui se situe clairement dans le champ des Sciences de l’éducation et qui, dans le même temps, puisse être directement corrélé aux technologies informatiques ou télématiques. Ces Technologies de l’Information et de la Communication en Éducation constituent-elles en elles-mêmes un objet de recherche pour les Sciences de l’éducation ? Comment articuler le champ de l’éducation avec celui de l’informatique, ou des Sciences de l’information et de la communication ? Autant de questions qui se posent en amont de toute recherche sur ce thème et me conduisent à tenter d’apporter quelques éclaircissements dans un domaine qui constitue un secteur particulier des Sciences humaines.

Comme le souligne MIALARET (1996, p.29-31), les conditions d’existence (matérielles, spatiales, temporelles, historiques ou encore communicationnelles) des situations d’éducation sont constitutives des objets de la recherche. Pour lui « Les Sciences de l’éducation sont constituées par l’ensemble des disciplines qui étudient les conditions d’existence, de fonctionnement et d’évolution des situations et des faits d’éducation » (ibid., p.31). Il est donc légitime de vouloir mieux comprendre ces situations dès lors que sont introduits dans le contexte éducatif des appareils de traitement de l’information (ordinateurs, terminaux de réseaux), ou de diffusion de médias (téléviseurs, magnétoscopes, magnétophones, projecteurs visuels ou sonores). La difficulté survient lorsqu’il est nécessaire d’établir une relation nette entre les faits observés ou analysés et les éléments matériels mis en œuvre au moment de la recherche. Comment qualifier cette relation et quels rapports peutelle entretenir avec les résultats escomptés ?

Technologie Internet et projets des enseignants : axe méthodologique

Le choix qui a été réalisé ici est celui de porter le regard sur une catégorie d’acteurs, les enseignants, et plus précisément sous l’angle de leurs projets quand ces derniers s’expriment à travers l’usage des technologies en relation avec le réseau Internet. Le choix de s’intéresser au projet ne vient pas par hasard. Selon VIAL (1999) les Sciences de l’éducation sont en train de prendre un statut particulier au sein de la famille des Sciences humaines. En conséquence, décrire ou analyser une situation éducative ne suffit pas à fonder une recherche, encore faut-il que l’éducation soit comprise comme « un projet humain inscrit dans diverses pratiques sociales » VIAL (1999, p.64). Ce parti pris résulte principalement de la volonté de ne pas décontextualiser la recherche, de ne la couper ni de la fraîcheur historique de l’évolution des technologies, ni des perspectives qu’ouvre l’étude des activités humaines. Ces pratiques sociales éducatives, qui constituent l’objet étudié, seront donc considérées comme résultantes d’activités humaines. L’expression « pratiques sociales » fait référence ici à l’idée de pluralité de toute intelligence du social que BERTHELOT (1990) a défendue en mettant en évidence la diversité des points de vue : les schèmes d’intelligibilité. Cette approche s’oppose à celles qui pourraient s’appuyer sur un référentiel unique servant une lecture explicative des phénomènes, et semble plus propice à un travail compréhensif portant sur l’usage des technologies en éducation.

Ainsi, le risque encouru lorsqu’on travaille sur un terrain où les nouvelles technologies occupent une place importante, est d’abord de conférer à l’environnement technologique un rôle de premier plan qui peut partiellement occulter les caractères particuliers du contexte, ou de l’historicité de la situation, considérés alors comme secondaires, voire inexistants. Ainsi, ce type d’attitude, conduisant à l’exclusion de tout résidu historique dans l’expérimental, peut conduire à s’enfermer dans une logique causale explicative que la commande institutionnelle favorise ou encourage parfois. À titre d’exemple, une des attentes majeures du moment, en matière de politique d’éducation, est de déterminer si le système éducatif peut tirer quelque bénéfice d’un recours systématisé aux technologies informatiques et, tout particulièrement, à leur interconnexion en réseau . Ce type de commande peut difficilement se satisfaire de résultats en demiteinte et seul l’établissement d’un ensemble de relations causes-effets (mise en évidence d’un renforcement de l’efficacité des activités d’apprentissage, d’améliorations des rapports aux savoirs, de facilitation d’accès aux ressources), peut alors éclairer une évaluation pensée comme aide à la « prise de décision » par l’expertise. Le chercheur s’il veut, au contraire, tenter dans une première phase une reconstitution historique des circonstances qui ont participé de la naissance des pratiques étudiées, afin de constituer (voire même construire) dans une seconde phase un milieu social d’analyse, se gardera d’éliminer les éléments du contexte.

Le second point pouvant également entraver la démarche de recherche est celui de la rapide obsolescence matérielle, qui risque d’entraîner des difficultés méthodologiques portant sur la généralisation possible. En effet, quel crédit peuton apporter à des conclusions s’appuyant sur l’analyse de situations conditionnées à l’usage d’instruments dont les principes physiques, la forme, l’ergonomie et la configuration relationnelle se métamorphosent régulièrement ? Ce problème se pose sans doute dans toute discipline de recherche, mais peut-être avec plus d’acuité encore dans un domaine qui ne forme pas encore un champ constitué, et où la mouvance des objets issus des technologies informatiques complique, s’il en était encore besoin, la tâche du chercheur. Une expérimentation, même rigoureusement menée, réalisée sur des sujets manipulant des machines devenues préhistoriques en l’espace de quelques années, n’est pas plus obsolète que ne le sera une étude très actuelle sur l’utilisation des réseaux… dans cinq ans. Il s’agit donc de s’assurer que si les pratiques sociales sur lesquelles porte l’analyse sont dépendantes du contexte technologique, elles soient clairement situées, mais, dans le même temps, que les domaines élucidés restent transférables à d’autres pratiques malgré les évolutions inéluctables des objets techniques. Le travail présent s’intéressera donc plus aux conceptions qui sous-tendent les projets que nourrissent les acteurs lorsqu’ils emploient ces technologies, qu’aux technologies elles-mêmes ; c’est en cela que cette recherche affirme son ancrage dans l’étude de l’humain .

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Table des matières

Introduction
PREMIÈRE PARTIE : Enjeux et cadre de la recherche
1.1 Enjeux d’éducation et objet de recherche
1.2 Les pièges de l’objet de recherche
1.3 De l’influence à l’alliance, entre impact et émergence
1.4 Enjeux socio-économiques et politiques
1.5 Travaux existants
1.6 Conclusion
DEUXIÈME PARTIE : Entre sémiotique et cognition, un cadre théorique d’observation des acteurs
2.1 Les relations entre sémiotique et cognition
2.2 Du système sémiotique au social
2.3 Du social au politique
2.4 Conclusion
TROISIÈME PARTIE : Du contexte informatique aux instruments d’investigation, l’articulation des méthodes et des terrains
3.1 Quelle focalisation pour la recherche ?
3.2 La pluralité des méthodes et des « terrains »
3.3 Évaluation et Internet
3.4 Internet, indicateurs et dispositifs socio-techniques
3.5 Conclusion
QUATRIÈME PARTIE : Étude des pratiques sociales médiatisées
4.1 État initial et représentativité des sites
4.2 Les fils conducteurs de l’analyse des sites de 1999
4.3 Suivi diachronique sur les listes de discussion/diffusion
4.4 Approche dynamique des pratiques médiatisées
4.5 Conclusion
CINQUIEME PARTIE : Évolution des sites et approche des conceptualisations des enseignants
5.1 Prise de distance et rapprochement du terrain
5.2 Le suivi des six catégories
5.3 Les apports des entretiens
5.4 Un ensemble de construits sociaux
5.5 Conclusion
Conclusion générale

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