A la fin du XIXè siècle une des préoccupations les plus récurrentes du génie civil, était celle de pouvoir prédire les propriétés du béton tant à l’état frais que durci. En réalité, aujourd’hui au début du XXIe siècle, la préoccupation est toujours plus ou moins la même. Toutefois durant cette période nous avons compris certains aspects et subtilités du matériau. A dire vrai, au sein du béton de nombreuses nouvelles technologies sont introduites jour après jour et chacune d’elles ouvre de nouveaux horizons et possibilités au matériau, soulevant de nouvelles questions.
En 1892 René Féret [1] a publié le résultat de ses observations sur les propriétés de ce matériau qui le passionnait. L’ingénieur français chargé du Laboratoire Maritime des Ponts et Chaussées de Boulogne-sur-Mer a déduit, à partir de ses découvertes expérimentales, que la résistance du béton dépendait du carré du rapport entre le volume du ciment et le volume total de la pâte. A Chicago de façon indépendante, 26 ans après, Duff A. Abrams a conclu et publié [2] à son tour que la résistance du béton dépendait justement de la qualité de pâte et non de la quantité.
Ces deux propositions, qui en essence correspondent à la même relation, sont aujourd’hui toujours utilisées. Toutefois, dans les deux cas, il y a un grand absent qui correspond à près du 70% du volume de matériau, les granulats. Même si Féret a introduit une constante pour le prendre en compte, le rôle des granulats ou inertes, reste secondaire dans la résistance mécanique du béton, du fait que la résistance du gravillon et du sable dépasse largement la résistance ou la capacité de la pâte pour supporter les charges.
Suite à ces découvertes, les spécialistes en béton ont perdu l’intérêt pour le paramètre volume des granulats ou volume de pâte (pour une quantité d’air constant) dans le béton, et se sont concentrés à chercher quelles sont les autres implications sur le matériau, de la proportion Eau/Ciment ou Ciment/(Ciment+Eau+Air).
L’apparition de nouvelles technologies et d’adjuvants à plus haute performance permet de maintenir une maniabilité donnée (exigée dans les applications d’ingénierie), tout en diminuant le volume de pâte d’une même qualité (même E/C). Des études ont ainsi mis en évidence que le volume de pâte a un certain effet sur les propriétés mécaniques du matériau [5,6,7] ainsi que sur les phénomènes de transport des gaz et des liquides [8]. Le volume de pâte, ou le volume des granulats, a donc une influence sur les propriétés mécaniques et physiques du matériau, en mettant en évidence les limites des modélisations d’Abrams, Féret, Bolomey, ACl 209. A l’état frais, le volume de la pâte joue un rôle fondamental sur la maniabilité du matériau. Par exemple, si on emploie une qualité de pâte déterminée (i.e. E/C=0.68), sans granulats, la maniabilité de cette pâte lui permettra de passer par l’orifice d’un cône semblable à celui de Marsh [9]. Si maintenant on inclut une fraction de sable à cette pâte, sa maniabilité sera réduite ce qui peut très bien s’observer par exemple par son diamètre d’étalement dans l’essai à la table à secousses [10]. Si nous continuons l’addition de granulats jusqu’au moment où leur volume atteint une valeur proche de 70% du volume total (qui est une valeur courante pour un béton conventionnel), la maniabilité sera encore plus réduite et le matériau ne s’écoulera pas. Dans les publications sur le béton, d’une certaine façon, on est surpris par l’absence de graphiques qui montrent l’effet du volume de pâte, d’une qualité constante, sur l’étalement ou la maniabilité en général. En réalité, en lieu et place de ces graphiques on trouve multitude de figures qui relient le volume d’eau et la maniabilité. Ces figures, qui montrent l’effet du volume d’eau sur l’affaissement pour un contenu de ciment constant, sont utiles pour le constructeur, mais en réalité elles modifient en même temps deux variables à chaque point, tant dans le volume de la pâte que dans la qualité de celle-ci. Il y a donc changement simultané non seulement de la rhéologie mais aussi des propriétés mécaniques. Une analyse macroscopique de la composition du béton (pâte/granulats) permet de comprendre rapidement que l’optimisation de ce matériau, se réduit à introduire, dans une structure granulaire optimisée, la quantité minimale de pâte d’une qualité qui est dictée par la résistance mécanique désirée à l’état durci. L’ajout de plastifiants, superplastifiants et réducteurs « d’eau » ultra puissants dans la composition d’une pâte en modifie grandement les propriétés rhéologiques [11]. On peut ainsi diminuer le besoin volumétrique de pâte pour que le béton atteigne une maniabilité donnée du béton. En réalité, dans la plupart des cas, les adjuvants sont utilisés comme réducteurs de pâte en maintenant une maniabilité et une résistance déterminées avec des moindres contenus de ciment et d’eau. De fait, comme en génie civil, la maniabilité du béton à l’état frais et la résistance mécanique à l’état durci, sont les propriétés du matériau les plus souvent spécifiées (mais pas les seules), on en vient indirectement à définir un volume de pâte. C’est ainsi que pour une bonne partie des bétons employés actuellement, avec une résistance de 25 MPa et 10 cm d’affaissement, le volume de pâte atteint une valeur proche de 270 dm3 /m3 . En termes de ciment Portland, pour des rapports E/C compris entre 0.65 et 0.55, cela fait que la teneur en ciment par mètre cube varie entre 260 et 300 kg et le contenu d’eau entre 170 à 190 kg.
Généralités
Maniabilité
Un travail de synthèse de plus de 61 méthodes de détermination de la maniabilité du béton a été réalisé par Koehler [18] et al, travail qui décrit de nombreux dispositifs, avec des géométries, coûts et modes opératoires variables. Cependant, malgré toutes ses limitations, et un siècle après son invention, l’essai d’affaissement au cône d’Abrams continue d’être le plus utilisé dans le domaine de la construction. Sa facilité d’emploi et son coût bas en font son succès [19]. Il existe bien sûr des limitations à cette méthode, comme par exemple le fait que deux bétons donnant le même affaissement peuvent avoir des maniabilités et des facilités de mise en œuvre très différentes. C’est la raison pour laquelle ont été développées des méthodologies qui visent à mieux décrire l’écoulement du béton, en caractérisant ses propriétés rhéologiques.
Ainsi les bétons fluides se comportent généralement comme des fluides de Bingham (plus précisément Herschel-Bulkley) [20]. Ceux-ci sont caractérisés par un seuil d’écoulement et une viscosité plastique. D’une manière simplifiée on peut dire que le seuil d’écoulement détermine l’arrêt de l’écoulement et donc la forme finale ou le remplissage d’un coffrage. La viscosité plastique quant à elle influence principalement le temps requis pour atteindre cet état final. Il est très important de noter que les tests d’affaissement comme l’étalement au cône d’Abrams, sont reliés au seuil d’écoulement. Ils constituent donc une bonne indication de la capacité de remplissage d’un béton.
On trouve des études qui examinent le test de l’affaissement sous l’angle rhéologique, en cherchant à quantifier sa relation à une propriété comme le seuil [21]. Ces travaux ne s’intéressent donc pas au rôle de la composition du mélange sur le résultat de ce test. Il existe une limitation pour définir les propriétés rhéologiques des bétons qui ne sont pas fluides et qui ont une valeur d’affaissement inférieure à 10 cm. Cette étude se concentre sur ce type de bétons qui sont aujourd’hui les plus courants. Pour cette raison on utilise l’essai d’affaissement pour mesurer sa maniabilité. L’évolution de la maniabilité des bétons avec des rapports Eau/Ciment constants et des volumes de pâtes variables, ne se trouve pas fréquemment dans la littérature. Par contre, il existe une grande quantité d’informations qui montrent l’effet du volume d’eau sur la consistance du matériau, pour une teneur en ciment constante. Dans ce deuxième cas, sont modifiées simultanément la quantité et la qualité de la pâte, sans pouvoir isoler l’effet propre de chacun de ces paramètres sur la maniabilité du béton. La recherche précoce de Kennedy [22] a montré que la maniabilité du béton dépendait de deux facteurs : le volume de pâte en excès par rapport au le volume de pâte requis pour remplir les vides entre les granulats compactés et la consistance propre de la pâte.
Résistance à la compression
Féret, il y a plus de 110 ans, a trouvé une expression qui identifie, dans la relation volumétrique des composants de la pâte, le principal responsable de la résistance du béton. Dans l’article “Design of Concrete Mixtures” de 1918 Duff A. Abrams a relevé l’existence de différentes méthodes de « design » des bétons pour trouver la résistance maximale (ou efficacité du ciment). Ces méthodes se concentrent sur des variables comme la grandeur de la surface du granulat ou la densité de celui-ci. Abrams a abandonné ces approches et après trois années de recherche, est arrivé à la même conclusion que son collègue français, signalant que la qualité de la pâte et non sa quantité, est la caractéristique qui contrôle fondamentalement la résistance mécanique du matériau.
A près d’un siècle de ces découvertes, les préoccupations du génie civil sur le comportement du matériau se concentrent encore sur la prédiction de la résistance mécanique du matériau, mais aussi sur sa durabilité qui impliquent les phénomènes de transport de gaz et de liquides au travers du réseau poreux du matériau. L’apparition de nombreux types d’adjuvants organiques et des additions minéraux a augmenté le nombre des variables ce qui rend encore plus complexe la prédiction du comportement du béton. Un des évènements les plus significatifs dans la technologie du béton, fut l’apparition de substances qui ont permis à très faibles dosages (5 parties pour mille de la masse du ciment) l’augmentation de la maniabilité du mélange. Ces adjuvants, dont le développement industriel a eu lieu dans les années 30 [25], ont été généralement utilisés comme réducteurs de pâte pour atteindre une résistance et une maniabilité données. De cette façon, pour des bétons qui contenaient traditionnellement 200 litres d’eau et 310 kilogrammes de ciment, l’introduction d’un adjuvant a permis de réduire l’eau à 180 kg/m3 et le ciment à 280 kg/m3 tout en maintenant un affaissement et une résistance constants avec un volume plus faible de pâte. Cette réduction du volume de pâte se traduit par une augmentation de la même quantité du volume des granulats. Ceci, d’après les formulations pionnières du béton, n’a pas d’effet sur la résistance mécanique du matériau. Toutefois, différents auteurs [5,6,7,26,27,28,29,30] ont démontré que cette affirmation n’est pas tout à fait exacte. En réalité le volume des granulats ou le volume de pâte dans le béton a un effet certain sur la résistance mécanique. La raison n’en est pas encore très clairement comprise mais il a été mentionné qu’un plus grand volume de pâte implique un plus grand retrait, un plus grand ressuage et une génération de chaleur plus importante (en augmentant la probabilité de microfissuration) qui épuisent la zone de transition aride-pâte ce qui à son tour affaiblit la résistance mécanique du matériau.
Le volume du granulat n’est pas l’unique caractéristique géométrique de celui-ci qui peut modifier la résistance mécanique du matériau. En 1960, Walker et Bloem [31] ont identifié l’effet défavorable de la taille maximale du granulat sur des bétons ayant des rapports E/C identiques.
Résistance à la flexion et à la traction
Au niveau mécanique, les mesures de résistance à la flexion sont généralement reliées aux résistances à la traction. Il est probable que les mêmes paramètres de composition du matériau affectent de manière similaire ces deux propriétés. On observe aussi une corrélation relativement générale avec la résistance à la compression, mais celle-ci n’est pas systématique. Ainsi, le travail précoce de Kaplan [32] a démontré l’impact du TMG (Taille maximale du granulat) et de la distribution granulométrique sur la résistance à la flexion. D’après le travail de ce chercheur, la présence de granulats gros dans le béton augmente la résistance à la compression mais diminue la résistance à la flexion du matériau. L’étude bibliographique n’a pas permis de mettre en évidence un modèle qui prenne en compte l’effet du volume de pâte sur les résistances à la flexion et à la traction.
|
Table des matières
I. INTRODUCTION
II. OBJECTIF GENERAL
III. IMPORTANCE DE LA RECHERCHE
IV. INFLUENCE DU VOLUME DE PATE SUR LES PROPRIETES D’INGENIERIE DU BETON
4.1 Généralités
4.1.1 Maniabilité
4.1.2 Ressuage
4.1.3 Résistance à la compression
4.1.4 Résistance à la flexion et à la traction
4.1.5 Module d’élasticité
4.1.6 Retrait du béton
4.1.8 Résistance à l’abrasion
4.2.1 Maniabilité
4.2.2 Ressuage
4.2.3 Résistance à la compression
4.2.8 Retrait à l’état durci
4.2.9 Fluage
V. PHENOMENES DE TRANSPORT DES GAZ ET LIQUIDS DANS LE BETON DURCI EN RAPPORT AVEC LA DURABILITE DU MATERIAU
5.3 Transport de liquides
5.4 Attaque des chlorures
5.6 Résultats de l’analyse bibliographique
5.6.1 Diffusion de gaz inertes (oxygène et azote)
5.6.2 Carbonatation
5.6.2 Perméabilité intrinsèque et à l’eau
5.6.3 Absorption capillaire en fonction du volume de pâte
5.6.4 Attaque des chlorures et volume de pâte
5.6.5 Attaque des sulfates et volume de pâte
5.6.6 Implication de l’étude bibliographique
VI . PHASE EXPERIMENTALE
6.1 Caractéristiques des matériaux et optimisation granulaire traditionnelle
6.2 Consommation de pâte par rapport à l’affaissement du béton
6. 3 Effet de la concentration de pâte sur les principales propriétés du béton
6.4 Consommation de pâte avec l’addition d’un adjuvant superplastifiant d’ultra haut pouvoir (Polycarboxylate)
6.5 Evaluation de grandes réductions de pâte pour des affaissements constants
6.6 Deuxième niveau d’optimisation des granulats en utilisant deux fractions
6.7 Optimisation granulaire en partant de 5 fractions (classes granulaires)
6.8 Discussion autour de la sensibilité de pâtes très fluides sur la maniabilité
6.9 Evaluation des bétons hautement optimisés
6.9.1. Maniabilité
6.9.2. Temps de prise
6.9.3. Ressuage
6.9.4. Volume d’air
6.9.5. Résistance à la compression
6.9.6 Module élastique
6.9.7 Résistance à la flexion
6.9.8. Résistance à l’abrasion
6.9.9 Retrait
6.9.10 Porosité accessible à l’eau, absorption et masse spécifique
6.9.11 Carbonatation
6.9.12 Pénétration de l’ion chlorure
6.9.13 Absorption Capillaire (ISAT-10)
6.9.14 Aspect de la Surface
6.9.15 Examen microscopique (MEB)
VII. AU-DELA DES LIMITES DES NORMES ACTUELLES
VIII. CONCLUSIONS GENERALES
Télécharger le rapport complet