L’eau précipitée sur les continents et son stockage dans les nappes phréatiques sont essentiels pour l’habitabilité par l’homme, pour les végétaux et les autres espèces vivantes à la surface de la Terre. En tant que gaz à effet de serre, l’eau dans l’atmosphère joue un rôle radiatif important et permet la mise en place d’une température globalement positive à la surface de la Terre. L’eau accumulée dans les glaciers continentaux contrôle les variations du niveau de la mer. L’eau douce se déversant dans les océans influence la densité des eaux de surface ainsi que la formation d’eau profonde aux hautes latitudes. Depuis la révolution industrielle, d’importants changements climatiques apparaissent, dont une grande part est liée à l’évolution du cycle de l’eau. La fonte des glaciers continentaux s’accélère et entraîne la montée du niveau de la mer. L’extension de la banquise diminue contribuant au réchauffement du climat Arctique et influençant les transferts d’eaux douces aux hautes latitudes. La quantité des précipitations baisse dans la plupart des régions subtropicales sèches, diminuant les ressources en eau et la production alimentaire. Cette évolution rapide du cycle de l’eau et son fort impact sur les écosystèmes terrestres, soulignent les enjeux d’une meilleure compréhension du cycle de l’eau.
Le cycle de l’eau. Tandis que la quantité d’eau sur Terre reste inchangée, le cycle de l’eau est loin d’être un système figé. En bon voyageur se nourrissant de l’énergie solaire, la molécule d’eau conquiert toute la planète, de ses océans à ses cieux, au rythme des saisons. L’eau s’évapore, l’eau condense puis l’eau ruisselle. La célèbre citation de Lavoisier « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » illustre justement le cycle de l’eau . Aux basses latitudes, l’évaporation à la surface des océans et l’évapotranspiration sur les continents permettent le passage de l’eau liquide à l’état gazeux. La vapeur d’eau condense dans l’atmosphère pour former les nuages, où les gouttelettes liquide ou solide cohabitent avec la vapeur d’eau. Via la circulation atmosphérique méridienne, vapeur d’eau et nuages se déplacent vers les hautes-latitudes. Au cours de leur transport, la température diminue, donnant lieu à des précipitations d’eau à l’état liquide ou solide (grêle, neige). Les précipitations tombent en surface dont 80 % sur les océans et seulement 20 % sur les continents. Ces 20 % d’eau liquide rejoignent finalement les océans par ruissellement de surface ou souterrain ou s’accumule dans des névés, glaciers ou calottes de glace continentale. L’eau des glaciers continentaux peut rester stockée plusieurs millions d’années, mais parfois aussi seulement quelques dizaines ou centaines d’années. Le temps de résidence de la vapeur d’eau dans l’atmosphère est de l’ordre de la dizaine de jours. La circulation océanique met environ 2000 ans à faire le tour du globe à travers la circulation thermohaline. La très grande variabilité de ces échelles de temps souligne la complexité des échanges entre les différents réservoirs d’eau.
Influence des transferts d’eau douce sur le climat. Le moteur du cycle de l’eau est l’énergie solaire incidente. Par ses changements de phase, le cycle de l’eau est un système complexe mais primordial à la mise en place des climats terrestres. Via la circulation atmosphérique, il permet de répartir l’énergie solaire incidente à l’échelle de la planète : l’atmosphère participe comme la circulation océanique à redistribuer l’énergie des régions excédentaires (tropicales) aux régions déficitaires (pôles). Ainsi, la Terre est à l’équilibre radiatif. Nous citons ici quelques exemples de transferts d’eau douce jouant un rôle prépondérant sur le contrôle climatique :
(1) Dans les subtropiques, l’évaporation refroidit la surface des océans en puisant l’énergie nécessaire pour que l’eau passe de l’état liquide à l’état gazeux. Dans les tropiques, les précipitations abondantes restituent l’énergie stockée lors de l’évaporation à l’air environnant. Ainsi, l’évaporation et les précipitations, couplées à la circulation atmosphérique, permettent à la surface de l’océan de transférer sa chaleur à l’atmosphère. L’air chauffé est ensuite transporté vers les plus hautes latitudes permettant de redistribuer la chaleur des basses aux hautes latitudes.
(2) La vapeur d’eau contribue à environ 60 % de l’effet de serre et les nuages jouent un rôle capital sur l’absorption du rayonnement solaire par l’atmosphère. Par exemple, dans les déserts où l’atmosphère est sèche, l’effet de serre est faible. Il en résulte des nuits très froides. La vapeur d’eau constitue le principal gaz à effet de serre naturel, sans lequel la température à la surface de la Terre serait voisine de -18°C.
(3) Dans l’hémisphère Nord, la banquise, réservoir considérable d’eau douce solide, augmente l’albédo de l’océan Arctique. Une part importante du rayonnement solaire est alors réfléchie vers l’atmosphère, participant ainsi au maintien des basses températures polaires. Si la surface de la banquise diminue, une part plus importante du rayonnement solaire est absorbée par l’océan, causant son réchauffement, et accélérant la fonte de glace de mer environnante. Il s’agit d’une rétroaction positive couramment appelée l’amplification arctique.
(4) Dans les hautes-latitudes de l’hémisphère Nord, la surface des océans se refroidit sous l’effet de l’évaporation au passage des vents froids et secs en provenance de l’Arctique. Ces eaux de surface subpolaires (mer du Labrador, mer du Groënland, mer d’Irminger) deviennent alors plus denses que les eaux sous jacentes. Cette instabilité verticale entraîne la plongée en profondeur de ces eaux de surface et alimente la branche profonde de la circulation thermohaline. Si la quantité des eaux dessalées en provenance de l’Arctique augmente dans les mers subpolaires, les eaux de surface pourront ne plus être assez denses pour plonger en profondeur, pouvant modifier la circulation thermohaline globale.
Une évolution rapide du système. Ces quelques exemples illustrent un équilibre naturel régissant notre climat actuel. Cependant, cet équilibre est fragile et évolue vite depuis quelques décennies. Les travaux scientifiques résumés dans le dernier rapport du GIEC mettent en évidence de nombreux changements du cycle de l’eau depuis la révolution industrielle.
Depuis une centaine d’années, la température moyenne à la surface terrestre a augmenté de presque 1°C. L’augmentation de la quantité de chaleur à la surface terrestre entraîne un réchauffement des basses couches de l’atmosphère où réside la majeure partie de la vapeur d’eau. Il en résulte des pressions de vapeur saturante plus fortes modifiant ainsi l’équilibre entre la quantité de vapeur et de précipitations dans l’atmosphère. Il est déjà observé que le régime des précipitations évolue avec une tendance à augmenter dans les pays nordiques, mais à diminuer dans les régions subtropicales, amplifiant les problèmes de sécheresse.
Application des isotopes stables de l’eau à l’étude du climat et questions ouvertes
Dans cette section, sont présentés quelques exemples d’utilisation des isotopes pour les études du climat et des océans. Ces exemples permettent d’introduire les limites de ces méthodes ainsi que les principales questions encore débattues à ce jour.
Paléoclimat. L’utilisation la plus célèbre des isotopes de l’eau (et des carbonates) est consacrée à l’étude des climats passés. Les carottes sédimentaires et de glace constituent des archives climatiques qui mettent en évidence l’alternance de périodes froides et chaudes: il s’agit en particulier des grands cycles glaciaires-interglaciaires régis par les paramètres orbitaux (Milankovitch, 1941).
Les analyses isotopiques dans les sédiments marins permettent, par l’intermédiaire d’une fonction de transfert estimée sur l’actuel, d’estimer la composition isotopique des océans au cours des temps géologiques. En période interglaciaire, les calottes de glace de faible composition isotopique fondent et entraînent une diminution de la composition isotopique des océans mondiaux, en comparaison des périodes glaciaires, où l’extension des calottes est maximale. Ainsi, la composition isotopique de l’oxygène du carbonate des sédiments marins permet la reconstruction du volume des calottes et par conséquent des cycles (inter)glaciaires (Emiliani, 1955, Shackleton et Opdyke, 1973).
Aux hautes-latitudes, la composition isotopique de la neige de surface est linéairement corrélée à la température de l’air du site (Dansgaard, 1964, Rozanski et al., 1992, Jouzel et al., 1997, Vimeux, 2003). Récemment, Masson-Delmotte et al. (2008) ont fait un important travail de synthèse regroupant les mesures disponibles en Antarctique et confirment la relation de linéarité entre les deux paramètres. Ces relations empiriques permettent de reconstruire les variations passées de la température polaire à partir de la composition isotopique des glaces (à niveau de mer constant). C’est le thermomètre isotopique. Certaines carottes de glace permettent de remonter jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’années (ex. Petit et al., 1999, Vimeux et al., 2001). De nouveaux travaux se consacrent à la mesure de la composition isotopique dans les glaces des basses latitudes (Thompson et al., 2000, Ramirez et al., 2003). Les similitudes avec les carottes des hautes latitudes suggèrent que celles des basses latitudes pourraient aussi aider à reconstruire les variations climatiques passées.
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre I : Introduction Générale
1. Contexte général de l’étude
2. Application des isotopes stables de l’eau à l’étude du climat et questions ouvertes
3. Contexte spécifique et objectifs de la thèse
3.1 Les régions subtropicales de l’Atlantique
3.2 Le gyre subpolaire de l’Atlantique Nord
4. Organisation du manuscrit
Chapitre II : L’outil isotopique au service des sciences du climat et des océans
1. Définitions
1.1 Les isotopes
1.2 Le fractionnement isotopique
2. Evolution des compositions isotopiques dans le cycle de l’eau : L’atmosphère
2.1 Cas de l’évaporation océanique
2.2 Cas des précipitations
2.3 Cas du mélange de masses d’air
3. Evolution de la composition isotopique dans le cycle de l’eau : L’océan
4. Méthodes expérimentales
4.1 Principe de la mesure
4.2 Protocole expérimental de la mesure des compositions isotopiques de l’eau de mer
4.3 Inter-comparaison entre différents laboratoires
Chapitre III : Influence des processus évaporatifs et du mélange vertical sur la vapeur d’eau du gyre subtropical de l’Atlantique nord
1. Etude du fractionnement isotopique lors de l’évaporation
2. Influence du mélange vertical à la surface du GST
3. Conclusion
Chapitre IV : Influence de l’évaporation sur la relation -S à la surface des océans subtropicaux
1. Contexte de l’étude
2. La relation δ-S dans les subtropiques et l’estimation des flux atmosphériques
Chapitre V : Variabilité des flux d’eau douce au sein du gyre subpolaire de l’Atlantique Nord
1. Contexte général
1.1 Importance des flux d’eau douce entre l’arctique et la région subpolaire
1.2 La circulation de surface
1.3 Les différentes sources d’eau douce du gyre subpolaire
2. Influence des flux d’eau douce sur la relation -S du GSP et de l’archipel canadien
2.1 Vue d’ensemble
2.2 L’archipel Canadien
2.3 Le gyre subpolaire
3. Le courant du Labrador
Chapitre VI : Synthèse et perspectives
1. Synthèse
2. Perspectives
2.1 Expérimental : échelle d’activité vs échelle de concentration
2.2 Les régions subtropicales et équatoriales
2.3 Le gyre subpolaire
2.4 A l’échelle de l’Atlantique Nord
CONCLUSION
Références