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Ma posture: ressentis, analyse et réflexions
La première fois que j’ai entendu parler de ces différentes postures c’était lors d’une formation en gestion de classe, un enseignement dispensé aux professeurs stagiaires dans le cadre du tronc commun de formation, à laquelle j’ai participé le 21 septembre 2017. Après avoir été familiarisés avec les différentes typologies de postures, les formateurs nous ont demandé de choisir la posture dans laquelle nous nous identifions le plus. Cette question m’a initialement mise mal à l’aise, parce que j’ai tout de suite remarqué que je ne pouvais pas m’identifier totalement dans les postures que je trouvais les plus intéressantes du point de vue pédagogique et qui reflètent le type d’enseignement dont je partage les principes éducatifs. Malheureusement je ne pouvais pas encore définir mes pratiques comme relevant d’une posture d’accompagnement voire de lâcher-prise. Comme la plupart des autres stagiaires, malgré mes convictions pédagogiques, j’étais dans la gêne de me « revoir » et donc de devoir m’« identifier » malgré moi dans une posture de contrôle, avec quelques élans de « magicien » et, surtout, avec la crainte de dériver occasionnellement dans des pratiques de « contre-étayage ». Malgré le fait que nos formateurs nous aient rassurés sur le fait que c’était normal en début de carrière – lorsqu’on est justement encore en train de chercher « nos marques » – de se retrouver souvent dans une posture de contrôle, la prise de conscience a été assez dure. Ce ressenti était d’autant plus important qu’à travers les retours faits par mes anciens étudiants des cours pour adultes que je dispensais avant, je me voyais plutôt comme une professeur dynamique et communicative, qui basait ses cours sur des pratiques d’échange et d’interaction, d’horizontalité. Bien qu’ayant conscience des grandes différences entre la formation des adultes et l’enseignement en milieu scolaire, j’espérais pouvoir mettre « automatiquement » en pratique mon expérience, comme s’il s’agissait désormais de pratiques innées. Mais me voilà confrontée avec une réalité bien différente.
C’était justement lors de la première visite-conseil3 de Mme S., ma formatrice tutrice de l’ESPE, que j’ai été confrontée à des observations sur ma posture visant à me faire réfléchir sur mon positionnement. Malgré des remarques générales plutôt positives sur ma gestion de classe, j’ai été exhortée à « veiller à laisser plus de place aux élèves4». Dans un souci de bien cadrer la séance et d’organiser l’avancée des activités proposées, je tendais – et dans une certaine mesure, je tends encore – à vouloir trop gérer, en ne laissant pas assez d’autonomie aux élèves. Pour fournir un modèle, des exemples, pour «guider » les élèves, je finissais par être toujours au centre de la séance, même pour des activités dans lesquelles j’aurais pu mettre directement les élèves face à la tâche demandée, en sollicitant une attitude plus active dans la construction de l’activité. C’était le cas, par exemple, d’une activité d’expression orale en interaction dans laquelle un élève devait choisir un des quatre personnages étudié en classe et les autres élèves devaient poser des questions pour deviner son identité. Au lieu de faire passer par moi l’explication de l’activité, j’aurais dû directement mettre en activité les élèves en faisant recours aux élèves italophones de la classe ou à un élève « secrétaire ». Même si l’interaction entre les élèves était mon objectif final, je pensais implicitement qu’il était nécessaire de passer ma médiation pour l’atteindre. Cela peut aussi expliquer en partie mon hésitation initiale à mettre en place la figure du « secrétaire » de la séance, instance de délégation par excellence. Après avoir réfléchi, j’ai compris que cette peur de « lâcher prise » était – et est encore – sans doute liée à un manque d’assurance. Même si ce manque de confiance en moi n’était pas forcement visible en classe dans ma posture générale5, ce besoin de se sentir rassurée par le contrôle finissait par structurer mes pratiques en termes d’ « autocensure ». Par peur d’être confrontée à l’inconnu, je préférais ne pas trop expérimenter et continuer à « suivre les sentiers battus », en finissant de facto par ne pas faire confiance à l’intelligence et à la réactivité de mes élèves. Cette projection des émotions et des ressentis semble être très courant dans les pratiques des enseignants débutants qui, comme le soulignent Ria et Durand6 (2001), « agissent et décident quotidiennement en fonction de la tonalité émotionnelle de leur expérience en classe, c’est-à-dire en fonction de leurs sentiments de confort ou d’inconfort ». Même si le manque d’assurance est très courant et se justifie par le fait d’être débutant dans le métier, je trouve que le fait de se questionner sur l’origine de certains reflexes a été très important. Il m’a permis de mieux comprendre et de dévoiler l’influence de mes émotions sur mes propres pratiques. Savoir nommer ses inquiétudes, en apprenant à distinguer ce qui relève de la peur de se mettre en jeu de ceux qui sont des doutes légitimes sur des activités ou sur des dynamiques qui peuvent effectivement être inadaptés à nos classes, permet de trouver le bon esprit pour évoluer. Ainsi, j’ai remarqué qu’une fois cette « peur » identifiée, j’ai appris à la ramener à un élément normal et constitutif de mon statut d’enseignant stagiaire et à la surmonter, en suivant les conseils reçu en formation au profit de mes élèves, par exemple en introduisant la figure du secrétaire7. Afin d’avoir un retour plus détaillé sur ma posture en classe, lors de la visite d’évaluation de M. L. du 13 mars 20188, j’avais préparé une grille d’observation9 afin de repérer tous les éléments qui participent à construire mon positionnement. Un premier constat particulièrement intéressant et qui vient confirmer les définitions théoriques données auparavant, est que, au cours de la même séance, j’ai effectivement incarné plusieurs postures selon les tâches proposées. Le jeu et l’enchaînement entre ces différentes postures étaient, selon l’opinion de mon observateur, adaptés et bien maitrisés. Ces dernières ont été pleinement qualifiées de « postures de professeur », ce qui suggère que, au cours de cette année de stage, j’ai su rentrer dans le « rôle » d’enseignant, en me construisant une identité professionnelle adaptée au métier. En général, en prenant en compte tous les retours qui m’ont été faits par mes différents tuteurs, il semblerait donc que je sois effectivement en train d’incarner ce que Duvillard appelle une « posture instituante » , c’est-à-dire « marquée du sceau de l’ « institutio », qui va chercher à se situer dans un ensemble de règles orientées vers une finalité institutionnelle, « in » « statuo » (Duvillard, 2016, p.26).
En particulier, pour revenir à mes différentes postures, d’après M. L., il était possible de reconduire mes pratiques à bien quatre des six différentes postures identifiées par Bucheton et Soulé. Selon mon évaluateur, lors de la séance observée, j’étais en position de contrôle seulement « quand il le fallait », avec des gestes de « magicien » pour captiver l’attention et aider la compréhension des élèves, avec l’effet de rendre plus claires et dynamiques mes interventions, mais sans que ces moments de théâtralisation monopolisent le cours au détriment des enseignements. Par moments, ma posture circulait entre l’ « accompagnement » et le « lâcher-prise », ce dernier était remarquable surtout lors de l’activité d’expression orale en interaction réalisée par les élèves en binômes à la fin de la séance. J’ai été particulièrement contente de cette dernière observation, parce que lors de la visite précédente10, pendant une activité analogue, j’avais été trop « présente » en circulant entre les rangs pour m’assurer du travail des élèves. Je pense que cette différence peut s’expliquer aussi par rapport à mes ressentis: avec la classe de 5ème, le climat de classe est plus détendu, je me sens plus à l’aise et je me rends compte que j’ai tendance à faire davantage confiance aux élèves. Dans l’ensemble, les élèves de 3ème ne sont pas pour autant des élèves particulièrement compliqués, mais des conflits avec un élève à l’attitude perturbatrice m’ont peut-être portée à me crisper face à cette classe et à être dans une posture d’excessive vigilance, même quand cela ne se justifie pas. Cela confirme le rôle joué par les émotions dans la gestion de classe, au niveau conscient mais aussi inconscient, et qui est particulièrement fort chez les enseignants stagiaires (Ria & Durand, 2001). Le fait que la 5ème soit une classe particulièrement agréable, souriante et volontaire, m’a sans aucun doute aidé depuis le début à me sentir bien en cours et à prendre du plaisir dans ce que je fais. Comme me l’ont fait remarquer mes tuteurs, cela est peut-être aussi un effet de mon attitude, qui a été définie «toujours souriante et dynamique »11 , et qui a fini par générer ce qu’en formation de gestion de classe nous avons appelé l’« effet miroir » entre professeur et élèves. Comme nous l’analyserons dans le chapitre suivant, une attitude positive est fondamentale non seulement dans l’aspect relationnel avec les élèves, mais aussi en ce qui concerne la qualité de l’enseignement. Ainsi, d’après Mme S., « grâce à [m]on positionnement et à [m]a bienveillance», j’ai « su mettre en classe un climat propice au travail 12 ». Ces remarques sur mon attitude positive, que j’ai pu également constater en visionnant les enregistrements, m’ont particulièrement ravie, parce que je suis convaincue que le professeur joue un rôle fondamental dans la transmission de la passion pour la discipline enseignée et j’ai toujours voulu devenir ce genre d’enseignant. Consciente qu’un long chemin dans ce sens est encore à parcourir, il est encourageant de constater que mes premiers pas dans l’enseignement vont dans ce sens. Pour progresser, je pense que je devrais apprendre à mieux gérer ce dynamisme qui est en partie mon point fort. Je pense en effet que ma posture est parfois trop dynamique, excessivement dans l’action, et si cela a comme aspect positif une bonne interaction avec le groupe, de l’autre coté ne donne pas assez de « respiration » à mes séances. Des enregistrements, j’ai pu remarquer que souvent j’annonce aux élèves un temps de réflexion que je ne respecte pas : je devrais apprendre à être moins dans l’action et plus dans l’observation de mes élèves. Cela m’aiderait d’ailleurs à faire davantage attention aux postures qu’ils adoptent en réaction à mes pratiques.
Pour finir, une dernière observation plutôt rassurante qui m’a été faite par M. L. est qu’il n’a pas observé de comportements de type « contre-étayage » : il n’a pas trouvé que lors de la séance je ne me sois substituée aux élèves. Je les ai « laissés faire », en «les guidant » lorsque c’était nécessaire mais « sans ne jamais prendre leur place ». Toutefois, comme j’ai pu le remarquer à travers le visionnage des séances enregistrées, cette place a besoin d’être encore plus développée. En revisionnant mes cours, j’ai compris que j’avais besoin d’affiner les gestes qui composent mes pratiques, de les limer, en éliminant tous ceux qui ne sont pas strictement nécessaires, tout ce qui est redondant. A partir de ce qu’il y a de positif dans mon positionnement, il est donc nécessaire de questionner et de remettre en question certains automatismes. Ainsi, je pourrais diminuer mon temps de parole et ma « présence » dans le cours et ce gain d’espace et de temps pourrait être investi par les élèves. Le prochain chapitre sera justement dédié à une analyse plus approfondie de mes gestes professionnels, afin d’identifier les pratiques qui contribuent à mettre les élèves au centre des apprentissages – et qui sont donc à renforcer – et celles qui n’y contribuent pas – et qui sont par conséquent à proscrire.
Mes « micro-gestes » professionnels : une analyse
Par ce terme, Duvillard désigne la posture générale qui résulte de la « mise en scène » du corps de l’enseignant. Plusieurs aspects contribuent à façonner cette « posture gestuée » comme l’aspect physique, la tenue vestimentaire, l’assise corporelle et l’utilisation des mains pour signifier des « gestes ». Dans mon cas, je pense que mon aspect et ma tenue sont plutôt neutres, perçus comme « standard » par les élèves, et qu’ils ne retiennent pas particulièrement leur attention. Comme déjà évoqué auparavant, ma posture semble plutôt « dynamique » et en mesure de «dégage[r] une énergie tonique qui se projette sur le devant de la scène » (Duvillard, 2016, p.73). Comme remarqué par M. L., les gestes de mes mains viennent souvent appuyer mes mots, comme dans les consignes « Osservate » ou « Ascoltate » ou encore pour mimer des mots et élucider ainsi du vocabulaire. D’après mon observateur, elles sont plutôt utilisées à bon escient : je produis « des gestes » avec mes mains, sans gesticuler. Elles se chargent ainsi de sens : elles signifient à la fois mes actions et celles que j’attends des élèves. Si mes mains tendent vers la classe quand je veux donner la parole aux élèves, comme pour dire « Maintenant c’est à vous » et inviter la classe au travail, mes bras sont souvent croisés une fois cette phase de travail autonome lancée, comme pour signifier que je n’interviendrai pas. Effectivement, j’ai remarqué que le fait de me mettre physiquement en « position d’attente » m’aidait à « m’obliger » à ne pas intervenir dans le cours et à laisser aux élèves des moments d’autonomie. Les gestes peuvent aussi être vecteur d’autorité, comme par exemple quand je demande le silence ou je veux rappeler à l’ordre un élève en le rendant destinataire d’un geste précis. Comme le remarque Duvillard, un geste peut en effet être « discret mais efficace » en évitant la stigmatisation des élèves mais en même temps en faisant preuve d’autorité (Duvillard, 2016, p.83). Si je crois que, dans l’ensemble, mes gestes sont pertinents et efficaces, je pense aussi que ma posture pourrait gagner en efficacité si je substituais davantage les gestes aux mots au lieu de simplement les accompagner. Cela contribuerait à espacer mes interventions vocales et à rendre ma présence plus discrète.
La voix
De tous les gestes analysés, à mon avis la voix a la particularité de nous donner une fausse impression de familiarité. Nous « nous entendons » parler et pensons, à tort, de connaître le son et l’usage que nous faisons de notre voix21. La première remarque que ma tutrice académique m’a faite lors de sa première visite a été justement sur le timbre de ma voix. Mme B. m’a suggéré de faire attention à « bien poser ma voix », parce qu’elle avait tendance à « monter dans les aigus » et qu’elle risquait de devenir désagréable pour mes auditeurs. Sur le coup, j’ai été aussi étonnée que blessée : je n’avais jamais considéré ma voix comme aiguë. Sous son conseil, j’ai pourtant décidé de m’enregistrer en classe, lors d’un cours de 4ème, une classe plutôt « animée », qui demandait beaucoup de cadrage au niveau de discipline. En me réécoutant, j’ai compris la justesse de sa remarque. Si, en général, l’emploi de ma voix était plutôt correct, lorsque j’essayais de capturer l’attention des élèves en augmentant de ton, ma voix faisait des brusques montées vers les aigus. Outre à être plutôt désagréable à entendre, cela n’avait pas du tout les effets espérées, voire finissait par exciter encore plus les élèves au lieu d’arrêter les bavardages. J’ai ensuite fait attention à cet aspect en classe et j’ai remarqué que, lorsque je faisais des pauses et j’essayais de recentrer ma voix, le résultat était plus efficace. Il s’agissait d’un ton que je pourrais qualifier de « puissant » sans pour autant être « fort» au niveau du ton et du volume, et qui prédisposait davantage les élèves à l’écoute. Après ce constat, j’ai essayé d’éviter autant que possible d’élever la voix, en préférant d’autres moyens d’attirer l’attention des élèves, comme par exemple battre les mains une fois.
Comme je l’ai pu le remarquer également en classe, un autre facteur important dans le calibrage de la voix est constitué par la respiration. J’ai en fait constaté que commencer à parler après une respiration et non dans l’élan du discours peut m’aider à contrôler les aigus. Cela permet en même temps de jouer avec le rythme de mon discours, en créant des pauses qui produisent un effet de suspense. De la même façon, l’intonation et le débit de parole sont des aspects d’une importance capitale dans la gestion de la classe. Si d’un part le fait d’avoir un ton enthousiaste permet de captiver l’attention des élèves et de les motiver, d’autre part savoir poser sa voix, prendre le temps de bien articuler les mots, en les espaçant et en les pointillant des pauses constructrices de sens, permet de souligner l’importance du discours prononcé, en lui donnant une tonalité solennelle qui est perçue par les élèves et qui peut vraiment faire la différence. Au fur et mesure de l’année, j’ai l’impression de réussir de plus en plus à jouer sur ces différentes utilisations de ma voix mais, malgré ces remarques et quelques progrès constaté depuis le début de l’année, je pense que cet instrument reste encore un point faible dans mes pratiques, un outil professionnel à améliorer22.
L’usage du mot
Les remarques qui ont suivi les visites d’observation ont pointé comme cet aspect constituait un enjeu particulièrement important pour ma posture. En effet, on m’a fait remarquer que j’avais tendance à trop parler en cours, en ne laissant pas assez de place aux élèves. L’usage du mot est donc, dans mon cas, un outil encore à perfectionner, à limer, en le rendant plus « concentré » et donc plus efficace. Au-delà des tics de langage (« okay », « mmh », « allora ») à éliminer, mes consignes ne sont souvent pas assez concises, par exemple quand il m’arrive d’utiliser « Fate delle frasi per descrivere » au lieu d’un simple et efficace « Descrivete », « Fai delle domande » au lieu de « Domanda ». J’ai aussi remarqué que j’ai tendance à répéter plusieurs fois la même consigne aux élèves lorsque je circule dans les rangs. Si le fait de reformuler les consignes et d’en vérifier la bonne compréhension de la part des élèves est un reflexe positif, cela contribue à « remplir » la séance par ma voix et par ma présence. Par ailleurs, si je remarque ce besoin, cela est sans doute parce que les consignes n’ont pas été suffisamment claires ou explicitées. Je devrais être plus vigilante à inclure cette phase dans le moment générale d’explication des consignes, en faisant reformuler par les élèves la tâche à accomplir. Ainsi, ils auraient un rôle plus actif dans la construction de l’activité et pourraient également gagner en autonomie lors du travail individuel ou en binôme. Une autre attention que je devrais adopter est celle de chuchoter lorsque j’interagis avec un élève ou avec un binôme. Cela contribuerait à rendre moins bruyant le temps de travail et donnerait aux élèves le message du respect du silence. La gestion de ce dernier est, en effet, un aspect-clé de ma posture, que j’ai besoin d’améliorer. Des enregistrements et de la réflexion qui a suivi ma deuxième visite conseil, j’ai pu observer comme souvent je parle pour « remplir un vide » : au lieu de considérer le silence comme une ressource, un allié précieux, je le traite inconsciemment comme un « ennemi », que je cherche donc à combattre. Cela dérive sans doute d’un manque d’assurance : face au silence de la classe devant une question, par exemple, je me remets tout de suite en question, en me sentant obligée de la reformuler immédiatement et en finissant par ajouter d’autres questions au lieu de donner le temps aux élèves de réfléchir à leur réponse. Ainsi, cet usage du mot erroné est le reflet de cette « posture de contrôle » que nous avons analysé dans le premier chapitre. Le temps que je donne aux élèves constitue évidemment un élément d’incertitude que je ne peux pas maitriser et c’est sans doute pour cela, que le silence peut parfois me sembler aussi « lourd ». Comme je l’analyserai dans le chapitre suivant, le silence est un élément-clé dans la construction d’une posture de réfléxivité chez les élèves, c’est la condition qui permet de se concentrer et de revenir sur le sens des apprentissages. C’est pour cela que je dois apprendre non seulement à l’accepter, mais aussi à le considérer comme un précieux allié.
Le regard
Le regard est un micro-geste professionnel particulièrement important parce qu’il nous permet de créer d’abord le contact, puis la relation et l’échange, à la fois avec la classe entière et avec chaque élève dans sa singularité. Dans ce sens, la distinction faite par Duvillard entre un « regard global » mais capable de cibler «chaque élève reconnu individuellement » et un « regard en direction de tous » est très éclairant. Si le premier type de regard « crée de la confiance, induit la participation, motive le groupe » et reconnait à chaque sujet « égale dignité », un regard indifférencié – à la fois envers tous et personne – est déshumanisant et cause un « déficit de motivation des élèves » (Duvillard, 2016, p.112). En étant le signe vecteur de la reconnaissance et de l’échange, le regard est fondamentale non seulement pour les élèves, mais aussi pour nous les enseignants. Non seulement parce qu’il permet de vérifier l’adhésion des élèves, leur compréhension ou leur participation, mais aussi parce que c’est le marque primaire du respect envers l’autre, de la reconnaissance de cette « humanité », de cette relation éducative qu’on construit avec notre action pédagogique. C’est pour cela, qu’il est intolérable de parler à une classe qui ne nous regarde pas, qui ne nous reconnait pas en tant qu’enseignant et en tant que personne. C’est pour cela, qu’il est d’autant plus important d’exiger ce regard avant tout et, de la même manière, de l’accorder aux élèves avant tout.
Lors de la visite d’évaluation, M. L. a défini mon regard « intense ». A son avis, il s’agit d’un regard qui vise toujours les élèves et qui est accompagné par des gestes qui contribuent à créer du sens. C’est un regard en mouvement, qui cherche celui des élèves et qui change selon les circonstances. C’était particulièrement intéressant d’entendre comme, par exemple, j’ai tendance inconsciemment à écarquiller les yeux quand je propose une activité de découverte, comme pour montrer l’émerveillement et susciter l’intérêt des élèves. Ou comme je suis capable d’avoir aussi un regard sévère, pour rappeler à l’ordre et au silence. Lorsque j’invite les élèves à s’interroger sur des faits de langue, en revanche, je fronce les sourcils, d’un regard interrogatif. Un point sur lequel il faut encore que je travaille est sans doute la vigilance à avoir un regard vraiment inclusif, qui aille « chercher » aussi les élèves moins actifs et volontaires de la classe, afin de les inclure davantage et stimuler leur participation. Par moment, mon regard peut être soit trop général – lorsque je suis trop concentrée sur le contenu de la leçon – soit pas assez inclusif envers les élèves qui ne sollicitent pas constamment mon attention.
Le positionnement stratégique dans son placement et ses déplacements
Parmi tous les gestes professionnels, je pense que le positionnement physique dans l’espace de la classe est l’un des points forts de ma posture. Je me sens à l’aise dans la classe et, en m’observant, j’ai remarqué que cette assurance est visible dans mes déplacements. J’ai une posture tonique, mes épaules sont droites, mon pas est plutôt déterminé : je donne l’impression de savoir pourquoi je me déplace dans la salle. Dans les séances que j’ai enregistrées, je change assez souvent de position selon les activités que je propose aux élèves. Par exemple, quand les élèves sont au tableau, je me mets au fond de la classe. Cela indique aux élèves que « c’est à eux » maintenant et que mon intervention n’arrivera qu’à la fin de leur activité. C’est donc une manière de me « mettre de coté », en laissant la « scène » aux élèves. Le fait de me positionner au fond de la salle oblige en même temps les élèves à parler à voix haute et à regarder la classe, ce qui n’est pas toujours évident pour eux. Cela est particulièrement utile aussi pour « m’obliger » à respecter cet espace d’autonomie des élèves, en limitant mes instincts d’intervenir. Un autre déplacement que je fais assez souvent est de circuler entre les rangs pour fournir un aide ponctuelle ou pour m’assurer que le travail soit fait. Le fait de circuler est particulièrement efficace aussi pour calmer les bavardages et permet d’assurer une gestion de la classe sans devoir passer par la verbalisation. S’il est vrai que je suis dans cet effort de déplacement, en revanche, on m’a fait remarquer – et j’ai pu m’en rendre compte en particulier dans la première séance enregistrée – , que j’ai tendance à me déplacer toujours selon les mêmes axes. En ce faisant, je finis par exclure de mon passage toute une partie des rangées. Même si cela est dû en grosse partie à la configuration de la classe, qui est assez petite et dans laquelle certains déplacements peuvent être moins « évidents » que d’autres, il faut que je sois particulièrement vigilante sur cet aspect. Cette manière de circuler risque en effet d’être source d’inégalité, en donnant l’impression à certains élèves d’être moins inclus dans l’espace physique et symbolique de la classe. Un autre aspect auquel je dois faire attention quand je circule entre les rangs est de veiller à respecter l’autonomie des élèves et à ne pas mettre mes déplacements dans la salle au service de ma tendance au contrôle, comme Mme S. me l’a fait remarquer après la deuxième visite conseil. Par exemple, lors des expressions orales en interaction, je devrais me mettre davantage sur le coté, une position qui me permettrait d’observer le travail des élèves sans me mettre « sur leurs dos ».
La place des élèves selon les postures de l’enseignant
Les micro-gestes que nous avons analysés dans le chapitre précédent ne se limitent pas à façonner les gestes professionnels qui contribuent à créer la posture enseignante, mais ont aussi un grand impact sur les apprenants. Comme nous l’avons dit, ces gestes signifient, véhiculent un message, qui est reçu et élaboré par les élèves de façon différente selon la façon dont il est communiqué. Postures de l’enseignant et postures des apprenants sont donc dans un jeu d’interactions et d’influence mutuelle. Au cours de ce paragraphe, je tenterai d’analyser cette dynamique dans mes cours, en faisant référence aux six postures basiques qui, d’après toujours Bucheton et Soulé (2009, p.39), traduisent l’ « engagement des élèves dans les tâches ».
Il s’agit des postures dites :
« première », une posture qui décrit « la manière dont les élèves se lancent dans la tâche sans trop réfléchir, laissant jaillir toutes sortes d’idées ou de solutions sans y revenir davantage » .
« scolaire » qui dénote l’attitude de l’élève qui est dans son rôle d’élève, qui s’efforce de « se caler dans les attentes » de l’enseignant, parfois en arrivant à y donner presque plus d’importance qu’au contenu, au sens de l’apprentissage .
« ludique-créative », qui « traduit la tentation toujours latente » de « détourner la tâche » ou de la réinventer « à son gré », en l’adaptant aux intérêts personnels et, parfois, en minimisant les efforts fournis .
« réflexive » qui permet à l’élève « non seulement d’être dans l’agir mais de revenir sur cet agir, de le « secondariser » pour en comprendre « les finalités, les ratés, les apports ». Il s’agit de la posture idéale pour l’apprentissage et qui permet une véritable construction des savoirs et une acquisition des compétences.
« dogmatique » : une posture qui, sans être complètement de refus, « manifeste une non-curiosité affirmée » sur la base du « je sais déjà », on « me l’a déjà dit.. ». Elle représente un défi non totalement assumé envers l’autorité de l’enseignant, à laquelle l’élève privilégie d’autres sources, comme d’anciens enseignants .
« de refus », qui peut décliner selon différents axes «refus de faire », « refus d’apprendre », « refus de se conformer » au rôle d’élève et aux règles de la classe.
Comme dans le cas des postures des enseignants, les élèves aussi peuvent changer de postures selon la tâche proposée et selon leur vécu, ou encore selon la perception de la difficulté de l’activité ou de l’intérêt ressenti envers le thème. Des recherches24 montrent que les élèves les plus performants sont ceux qui arrivent aisément à jouer avec les différentes postures de travail, en sachant s’adapter aux différentes situations d’apprentissage. Je considère très important de garder à l’esprit ce jeu de postures de la part des élèves, ce dynamisme qui caractérise toute interaction humaine, pour éviter d’adopter une attitude de jugement envers les élèves et de tirer des conclusions hâtives sur eux. Face à un élève en posture systématique de « refus » ou « dogmatique », il faut savoir résister à la tentation facile des « de toute manière, cet élève, il est comme ça.. », « de toute manière, rien ne le motive », qui viennent tout naturellement à l’esprit et qu’on entend souvent en salle des professeurs. Cela risque de mettre en place des mécanismes de renonciation chez les enseignants et de ne pas donner la possibilité aux élèves d’évoluer et d’exploiter leurs potentiels dans d’autres activités. C’est justement sur ce « de toute manière » que je trouve important de travailler : expérimenter pour comprendre quelle autre « manière » encore inexploitée pourrait mettre davantage les élèves dans une posture active, de travail et de confiance face aux apprentissages.
Une analyse des dynamiques dans mes cours
Comme cela a été noté par mes tutrices et formateurs, généralement la plupart des élèves ont dans mes cours une attitude active et positive. Ils sont volontaires et « jouent le jeu », en rentrant dans les tâches proposées avec un degré d’enthousiasme qui varie en fonction des classes et de l’âge, mais qui, dans l’ensemble, est plutôt satisfaisant. Les cas d’élèves en posture dominante « dogmatique » ou « de refus » sont plutôt rares et, même dans ce cas, j’ai l’impression de réussir par moments à « forcer l’écrin » et à obtenir une réelle adhésion de ces élèves. Ils restent cependant des épisodes isolés et qui ne s’inscrivent jamais trop dans la durée, mais ils sont révélateurs d’une marge de progression réelle.
Les retours sur mes séances ont pointé le fait que généralement mes élèves se mettent au travail et accomplissent les tâches demandées selon les attentes, même les activités avec plus de marge d’autonomie, comme les expressions orales en interaction. Ils s’efforcent d’interagir en italien et, pour la plupart, ne prennent pas ces tâches comme prétexte pour adopter une posture excessivement « ludique-créative », en détournant – ou pire boycottant – les activités proposées. Cela est dû peut-être en partie au fait que je circule entre les rangs et j’essaie d’être vigilante envers les élèves qui pourraient adopter ce type de posture, voire celle de « refus » ou « dogmatique ». Ceci étant dit, maintenant que certaines habitudes de travail ont été prises, je devrais m’efforcer de diminuer ce contrôle, en faisant ouvertement de ce choix un gage de confiance envers les élèves. Cette explicitation de la confiance pourrait donner la possibilité aux élèves moins impliqués de sortir de leur posture, en évoluant vers d’autres attitudes plus positives. Cela ne signifie pas forcement adopter une posture excessivement « scolaire », que je considère comme une posture insidieuse. Je pense en fait qu’elle devrait se limiter à une phase initiale, car elle peut favoriser l’adhésion des élèves mais elle ne devrait jamais prendre le dessus sur les apprentissages. La posture « scolaire » devrait être dépassée à fur et mesure qu’on avance dans la tâche et dans les apprentissages, en encourageant la curiosité et la réflexion critique des élèves. Identifier les postures adoptées par les élèves est sans doute plus complexe que de repérer ses propres postures, à la fois à cause du nombre d’élèves et de l’hétérogénéité des situations. De plus, même en utilisant les enregistrements des séances, certaines postures comme celle de « réflexivité » sont plus difficiles à saisir, parce qu’elles font référence à un travail de questionnement individuel et de réflexion qui sont plus délicats à observer. En général, je pense qu’en raison de ma tendance à être parfois trop dans l’action et à ne pas laisser assez de temps de réflexion, souvent mes élèves sont dans une posture « première ».
Ils se lancent dans la tâche avec enthousiasme, sans trop y réfléchir. Comme moi – et aussi sans doute à cause de moi – ils sont eux aussi excessivement dans l’action. Leur relation aux objets du savoir est ainsi immédiate, directe, mais elle risque aussi d’être superficielle si elle ne pas étayée d’un temps de réflexion. Les moments dans lesquels cette « posture de réflexivité » est plus évidente restent ceux liée à la réflexion sur la langue, aux nouveaux points de grammaire ou aux faits de langue abordés dans les séances. Cela est dû aussi à la méthodologie utilisée, qui demande aux élèves de se questionner, d’émettre des hypothèses sur les nouvelles règles, en encourageant ainsi la déduction et non la simple transmission verticale des savoirs. Bien que j’essaye d’encourager les élèves à se poser des questions dans d’autres phases de la séance, par exemple dans la phase d’introduction de la compréhension de l’oral et de l’écrit, quand je demande d’analyser les images et le paratexte et d’émettre des hypothèses pour faciliter la compréhension, cela n’est pas suffisant. Il faut que je mette en place des modalités de travail qui encouragent davantage cette posture « réflexive ». Comme le suggèrent Bucheton et Soulé (2009, p.41), cela pourrait être fait en limitant ma tendance à adopter une « posture de contrôle » et en mettant en place davantage une posture « d’accompagnement ». Comme on l’analysera dans les paragraphes suivants, l’organisation des temps de travail et la gestion du « silence » en classe jouent dans cela un rôle essentiel, en constituant des éléments que je dois apprendre à mieux maîtriser.
Mes pratiques : analyse et réflexion
De la tentative d’analyse du jeu entre ma posture et celle des apprenants effectuée auparavant, ressort clairement le besoin d’agir sur mon positionnement pour construire des pratiques de classe qui mettent davantage les élèves au centre des apprentissages. Au cours de ce paragraphe, je passerai en revue quelques pratiques que j’ai mises en place en classe pour tenter de « lâcher prise ».
L’une des pratiques qui s’est révélée plus efficace a été l’introduction de la figure de secrétaire, sous conseil de ma tutrice ESPE Mme S.. J’ai déjà évoqué mes craintes initiales par rapport à cette pratique, qui se sont avérées totalement infondées, surtout dans la classe où je m’inquiétais le plus, la 4ème. Au contraire, ce dispositif s’est démontré particulièrement utile dans cette même classe, qui en début d’année était particulièrement agitée et qui demandait un effort constant de recadrage au niveau des bavardages et d l’attention. Le fait de déléguer permet en premier lieu aux élèves d’être plus actifs, à travers de rituels très vite intégrés au déroulement des séances (écrire la date au tableau, faire l’appel, noter la trace écrite au tableau, donner la parole, demander le silence, corriger les exercices, distribuer les photocopies..). Cela a également un deuxième effet positif : tout action faite par le secrétaire est une action que je ne dois pas accomplir moi-même. Même si je reste dans une attitude de supervision25, cela me libère du temps, de l’attention et de la mobilité au sein de la classe pour me dédier à d’autres activités importantes. Je peux ainsi circuler entre les rangs, vérifier que tout le monde se met au travail, être disponible pour des questions de certains élèves sans que cela ne parasite mon cours, en « bloquant » toute la classe sur un besoin spécifique d’un élève. De plus, j’ai remarqué que le fait d’être responsabilisé, en ayant la possibilité d’incarner un rôle perçu comme valorisant permet de « coopter » les élèves qui sont dans une posture « dogmatique », de « refus » ou simplement dans une attitude plus passive, en les « réintégrant » dans le groupe classe. En ce qui concerne mon positionnement, j’ai trouvé particulièrement intéressant de me questionner sur l’évolution du sens que j’ai donné à cet outil avec l’expérience. Si au début je tendais à utiliser le secrétaire surtout comme un garant de la discipline, à fur et à mesure j’ai commencé à augmenter les tâches déléguées, en les élargissant à des pratiques pédagogiques plus intéressantes. Il s’est donc mis en place une sorte de « passage de témoin » entre l’enseignant et le secrétaire, qui se retrouve donc à poser des questions à la classe pour lancer des activités, pour corriger ou stimuler la prise de parole sans que cela ne nécessite mon intervention.
Une autre pratique que j’ai trouvée particulièrement utile pour encourager une pédagogie entre pairs est l’inter-correction, qui nous a été fortement conseillée à l’ESPE. Au début de l’année, j’ai utilisé cette forme de collaboration surtout à l’oral, pour remédier à des erreurs lorsque l’autocorrection par l’élève lui-même ne s’avérait pas efficace. J’ai ensuite commencé à introduire occasionnellement des exercices coopératifs entre binômes qui incluaient des pratiques d’inter-correction à l’écrit. Pour donner un exemple, pour fixer la formation du pluriel dans la classe de 5ème, j’ai demandé aux élèves de faire avec leur voisin une liste de dix mots au singulier pour ensuite la passer à un autre binôme, qui devait transformer les mots au pluriel. Après cette deuxième phase, la feuille revenait au binôme initial, qui devait la vérifier et éventuellement la corriger, en expliquant les corrections à leurs camarades. Dans la plupart des cas, cela a donné espace à une confrontation très constructive entre les deux binômes pour établir la forme correcte. Mon intervention dans ce cas s’est limitée à la vérification finale, après que les élèves s’étaient déjà confrontés et avaient essayé de trouver ensemble une solution, en explicitant les critères qui les avaient amenés à effectuer leur choix. Un élément fondamental dans cette dynamique est que pour être vraiment efficace, elle nécessite que je m’abstienne de toute intervention avant la fin de l’activité. En plus, par rapport à une simple inter-correction orale, qui reste dans l’immédiateté, elle ouvre davantage le temps de la réflexivité, qui comme je l’ai déjà dit auparavant, constitue une des postures que je voudrais encourager davantage chez mes élèves. Le fait d’être en binôme permet non seulement de rassurer les élèves les moins à l’aise et d’augmenter leurs chances de participation, mais aussi d’encourager la collaboration entre pairs. Cette modalité de travail rend l’échange et l’explicitation nécessaire, en poussant les élèves à revoir ensemble les apprentissages et à en vérifier l’exactitude. Cela peut être considéré d’une certaine façon comme une forme in nuce de tutorat, pratique que je voudrais mettre en place de façon plus systématique et réfléchie dans l’avenir.
Une autre pratique sur laquelle je me suis questionnée au fur et mesure de l’année pour tenter de mettre davantage les élèves au centre des dynamiques d’apprentissage est celle de la trace écrite. En soi, la trace écrite est une phase fondamentale pour fixer les contenus et construire le sens des apprentissages mais souvent la participation à cette activité reste limitée aux élèves les plus volontaires et qui possèdent déjà des compétences dans ce sens. Malgré les sollicitations, une partie de la classe reste plutôt passive dans cette phase, à cause de la timidité, du manque de confiance ou de l’envie de s’investir plus personnellement. Je me suis alors interrogée sur l’utilité de cette modalité de travail et sur les stratégies à adopter pour faire de cette activité une occasion pour que tous les élèves s’engagent dans une posture réflexive, en s’habituant à se questionner sur le sens et à structurer leurs réflexions. J’ai alors opté pour transformer la trace écrite d’un moment de travail en classe entière à un moment de travail individuel/binôme, de façon à ce que tous les élèves soient actifs dans cette phase. Si certains documents se prêtent particulièrement bien, dans d’autres cas l’activité peut présenter un niveau de complexité plus élevé, dont il faudra tenir en compte pour ne pas mettre les élèves trop en difficulté. Dans les deux cas, une attention encore plus minutieuse doit être portée au choix des mots-clés et, en général, à l’organisation du tableau, de façon à ce que ce support constitue un vrai outil pour étayer l’activité autonome des élèves. Si l’utilité de ce type de travail dans la construction et le développement des stratégies et des compétences méthodologiques de la part des élèves est évidente, la mise en place de cette habitude de travail demande une fois de plus une volonté de « lâcher-prise ». Cela se traduit par la disponibilité à prendre des risques, à savoir relever des défis, notamment celui de faire confiance aux élèves même si cela expose à l’inconnu. Mais encore une fois, je suis persuadée que devenir enseignant soit aussi « apprendre à gérer et tirer profit de la zone d’incertitude inhérente au partage d’une activité entre des humains très différents par l’âge et la culture. C’est se préparer à accueillir et à traiter comme événements porteurs de sens ce que les élèves apportent, ce qu’ils savent déjà ou ont compris autrement dans leur expérience passée » (Bucheton, D. & Soulé, Y. 2009, p.32)
Des pratiques à mettre en place : pistes pour évoluer
Malgré la volonté d’avancer dans ce sens et les quelques petites innovations que j’ai pu intégrer dans mes pratiques quotidiennes, je suis consciente qu’il me reste encore beaucoup à faire pour rendre aux élèves leur centralité dans les apprentissages. En particulier, il faut « encore » que je trouve mon équilibre personnel entre encadrement et structuration des cours d’un côté et des pratiques éducatives moins dirigées de l’autre. Si je choisis de mettre le mot « encore » entre guillemets c’est parce que je pense qu’un élément central dans cette construction de mes nouvelles pratiques est celle de mon rapport au temps, à la fois du point de vue des attentes envers moi-même et envers les élèves. De caractère, je suis plutôt impatiente et perfectionniste et cela m’incite souvent à vouloir tout maitriser afin que ce soit « la meilleure séance possible ». Tout en gardant la volonté de bien faire, je dois apprendre à me donner – et à donner aux élèves – des possibilités, à considérer les cours aussi comme moments d’expérimentation, de nature dynamique non seulement du point de vue des interactions, mais aussi en ce qui concerne justement la construction des savoirs et des compétences des élèves. Souvent, je me rends compte que par peur qu’une activité ou une pratique « ne marche pas », je m’autocensure, en restreignant les possibilités d’action. Si une nouveauté n’a pas donné tout de suite les objectifs attendus, ma réaction spontanée serait d’abandonner cette expérimentation, pour revenir vers une zone de confort qui est rassurante mais constitue aussi une grande limitation. C’est justement sur cette peur que j’ai besoin de travailler, afin de m’accorder – et accorder aux élèves – un véritable « droit à l’erreur », à la recherche, à l’élaboration pour faire face aux difficultés en développant des stratégies personnelles. Je dois apprendre la patience pour ne plus avoir peur du vide face au silence de la classe, pour m’obliger non seulement à donner du temps aux élèves pour la réflexion mais surtout à le respecter. Apprendre cette patience serait un véritable moyen de se mettre en retrait, en marquant de façon plus claire les moments de mon action de celle des élèves, qui sont souvent trop flous dans mes séances. Pour m’obliger à respecter ces temps, je pourrais par exemple utiliser une minuterie en ligne, à afficher au tableau, de façon à prendre le reflexe de l’atteinte et à aller au-delà de mes ressentis et de mes perceptions. Si cela a l’avantage de structurer aussi ce temps pour les élèves, il est vrai que dans la pratique ce serait un peu laborieux et ça m’obligerait à faire des allers-retours à l’ordinateur. Peut-être qu’une bonne façon de contourner ce problème serait d’introduire la figure d’un élève « maître du temps », qui pourrait se voir déléguer cette tâche de gestion du temps, comme je l’ai mis en place pour les travaux de groupe. Une conséquence positive de cette nouvelle organisation du temps serait aussi de donner plus d’espace aux élèves les plus lents, en incluant ainsi tous les élèves dans la dynamique collective d’apprentissage.
Pour encourager cette inclusion, je devrais aussi mettre en place des pratiques de différenciation pédagogique26 dont il a été question pendant cette année de formation, mais que je n’ai pas encore pu intégrer dans mes cours de façon systématique. En particulier, je trouve intéressant certaines réflexions27 sur l’utilité de revoir le timing de l’aide fourni aux élèves, afin d’éviter d’installer les élèves dans « une situation durable de dépendance, et de décalage perpétuel avec les autres ». Pour ce faire, encore une fois, il est nécessaire de revoir ses habitudes, qui créent certes des zones de confort mais qui portent souvent à « concevoir l’aidée apportée aux élèves les plus fragiles après la leçon ». Selon des études, il serait en fait beaucoup plus intéressant et efficace de prévoir cette aide à l’avance, « en anticipant les obstacles prévisibles de certains élèves» et en leur permettant ainsi d’avoir un « coup d’avance » sur les autres. Selon les différentes activités prévues dans la séance, cela pourrait être fait par exemple en permettant à certains élèves de se familiariser avec le document à l’avance, en prenant le temps avec ces élèves de « se remémorer tout ce qu’il[s savent] déjà » ou encore en réduisant « la partie d’inconnu dans ce qui va venir ». Si dans certaines disciplines l’accompagnement personnalisé peut être un moment dédié à cette aide anticipée, rien n’empêche de trouver aussi dans mes séances des temps pour prévoir une véritable différenciation pédagogique, sans que cela ne soit perçu de façon stigmatisante par les élèves cibles de ces interventions, du moment où cela constituera une des activités proposées à la classe et qui permettrons, dans l’ensemble, de faire avancer les élèves vers un objectif commun.
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Table des matières
Introduction
1 – Le positionnement du jeune enseignant
1.1 – La posture : une définition
1.2 – Les différentes postures: le cadre théorique
1.3 – Ma posture: ressentis, analyse et réflexions
2. Influence des postures adoptées par l’enseignant sur les dynamiques de classe
2.1 Les gestes professionnels: une définition
2.2 Mes « micro-gestes » professionnels : une analyse
2.2.1 « La posture gestuée »
2.2.2 La voix
2.2.3 L’usage du mot
2.2.4 Le regard
2.2.5 Le positionnement stratégique dans son placement et ses déplacements
3. Les actions possibles : des pratiques pour mettre les élèves au centre des apprentissages
3.1 La place des élèves selon les postures de l’enseignant
3.1.1 Les postures des élèves : une définition
3.1.2 Une analyse des dynamiques dans mes cours.
3.2 Mes pratiques : analyse et réflexion
3.3 Des pratiques à mettre en place : pistes pour évoluer
Conclusion
Bibliographie
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