La France a retenu le procédé PUREX (Plutonium and Uranium Refining by Extraction) pour le traitement des combustibles nucléaires usés. L’étape préliminaire nécessaire à ce procédé est la dissolution du combustible nucléaire usé qui se réalise en milieu acide nitrique concentré (2 à 6 mol/L) et chaud (proche de 90°C). Du fait de leur pouvoir oxydant ces milieux présentent un pouvoir corrosif vis-à-vis des matériaux constitutifs des installations industrielles.
Les matériaux de structure usuellement utilisés dans cette étape sont le zirconium, le titane et les aciers inoxydables. Compte tenu de leur coût élevé, le zirconium et le titane sont réservés aux situations les plus pénalisantes. Ainsi ce sont les aciers inoxydables austénitiques riches en chrome qui sont largement employés car ils possèdent une bonne résistance à la corrosion dans le milieu acide nitrique due à l’établissement d’une couche d’oxydes protectrice. De plus, il existe une spécification sur le taux de carbone contenu dans ces aciers qui doit être inférieur à 0,03% afin d’éviter la précipitation de carbure de chrome aux joints de grains qui pourrait conduire à une sensibilisation des aciers inoxydables. Plusieurs nuances ont été employées comme matériaux de structure dans les installations françaises : les aciers AISI 304L (X2CrNi18-09), AISI 316L (X2CrNiMo17-12), Uranus 65 (X1CrNi25-20) et Uranus S1N (X1CrNiSi18-15).
Dans les conditions de température et de concentration en acide nitrique rencontrées, l’acier inoxydable 304L a été utilisé comme matériau constitutif de la roue du dissolveur. La libération des ions oxydants en solution provoque une augmentation du pouvoir oxydant du milieu et peut conduire le potentiel de corrosion dans le domaine transpassif de l’acier où le matériau peut subir une corrosion intergranulaire associée à des vitesses de corrosion élevées. Bien que la dissolution continue du combustible nucléaire usé produit des espèces azotées (NOx) qui limitent usuellement le degré d’oxydation des ions oxydants, il est utile de connaître leurs comportements en corrosion pour mieux prédire la durée de vie des équipements .
Ainsi, l’objectif de cette thèse est de contribuer à la compréhension de l’influence des ions oxydants issus de la dissolution du combustible nucléaire usé sur le comportement des matériaux de structure, à travers la modélisation et l’expérimentation. La manipulation de matières radioactives nécessite des infrastructures particulières et des règles de sécurité/sureté strictes, ce qui augmente le temps d’acquisition des données expérimentales. Par conséquent, des analogues chimiques non radioactifs simulant certaines propriétés des espèces radioactives sont usuellement utilisés pour permettre l’acquisition davantage de données et d’améliorer et/ou conforter les modèles. Dans le cadre de ces travaux, le comportement du plutonium sera étudié dans les laboratoires ATALANTE (LED/L6) au CEA Marcoule. L’espèce utilisée comme analogue chimique est le cérium qui sera étudié dans les laboratoires du LECNA au CEA Saclay.
Etude de la cinétique électrochimique
Le retraitement des combustibles nucléaires usés repose sur une première étape de dissolution du combustible nucléaire usé. Cette opération se déroule en milieu acide nitrique concentré et chaud. Les actinides (An) et des produits de fissions (PF) sont dissous, ce qui génère de l’acide nitreux (HNO2) et des oxydes d’azote (NOx qui consiste en un mélange de NO et NO2 formés par dismutation de HNO2) qui vont avoir un impact sur la spéciation. Le milieu de dissolution devient alors très complexe et de nombreuses réactions redox peuvent avoir lieu, en particulier pour les actinides en milieu acide nitrique concentré à des températures élevées. Par conséquent, la connaissance de la spéciation des constituants, et notamment les actinides (degré d’oxydation et complexation) est importante pour mieux comprendre les phénomènes de corrosion et ainsi les mécanismes de corrosion dans ces milieux complexes.
Dans ce milieu, les actinides majeurs en solution sont l’uranium au degré d’oxydation +VI et le plutonium aux degrés d’oxydations +IV et +VI, tous deux présents probablement sous forme de complexe nitrato. L’objectif de ce travail est d’étudier le comportement redox des trois couples du plutonium (Pu(VI)/Pu(V), Pu(V)/Pu(IV) et Pu(IV)/Pu(III)) en fonction de la concentration en acide nitrique et de la température.
Compte tenu de l’instabilité des différents degrés d’oxydation du plutonium avec la température ou la concentration d’acide nitrique, il a été choisi d’utiliser un analogue chimique comme le cérium (Ce(IV)/Ce(III)) pour simuler le couple Pu(IV)/Pu(III) en milieu acide nitrique [1.1, 1.2]. En effet, ces deux couples font intervenir les mêmes degrés d’oxydation à travers un échange monoélectronique. Ainsi, le couple redox Ce(IV)/Ce(III) en milieu acide nitrique est également étudié en fonction de la température et de la concentration d’acide nitrique.
Etude bibliographique
Le milieu acide nitrique
La chimie du milieu acide nitrique est riche avec un nombre important de composés azotés en équilibre dans la phase liquide, gazeuse et entre les deux phases [1.3-1.7]. La présence de plusieurs mécanismes de réduction autocatalytique et l’instabilité de certains composés azotés rendent la compréhension du milieu acide nitrique particulièrement complexe. Cependant, il a déjà fait l’objet de plusieurs études expérimentales [1.9-1.18] ainsi que des thèses réalisées au CEA [1.3-1.7] pour améliorer la connaissance de ce milieu. Dans le cadre de ces travaux, l’acide nitrique est un électrolyte et par conséquent ce paragraphe propose une synthèse non exhaustive de la littérature pour permettre de mieux appréhender la chimie du milieu acide nitrique et les réactions électrochimiques qui peuvent intervenir et interférer avec l’étude des espèces oxydantes.
La phase liquide est composée majoritairement d’acide nitrique (dissocié ou non) et d’eau. L’acide nitreux (HNO2) est présent à des concentrations généralement comprises entre 3.10⁻⁸ et 3.10⁻⁶ mol/L [1.8] qui est instable et se dismute en oxyde d’azote (NO) et dioxyde d’azote (NO2). L’essentiel de la phase gazeuse est composé d’acide nitrique, d’eau, de dioxygène et de d’oxydes d’azotes (NO et NO2). Finalement, la solution d’acide nitrique peut être assimilée à un mélange HNO3-H2O-HNO2-NOx.
Les espèces HNO2 et NOx réduisent les ions oxydants en milieu acide nitrique. Il faut donc limiter leur concentration afin de conserver l’espèce oxydante à son degré d’oxydation le plus important (degré d’oxydation le plus pénalisant pour la corrosion). Néanmoins, lors de l’étude électrochimique, l’acide nitrique peut se réduire selon différents mécanismes (en fonction du potentiel imposé) et conduire à des réactions autocatalytiques qui peuvent augmenter la concentration de ces espèces (HNO2 et NOx). Dans le domaine de potentiel étudié (0,6 – 2 V/ESH), deux mécanismes de réduction de l’acide nitrique différents à une électrode inerte sont considérés .
Comportement redox du plutonium en milieu acide
En milieu acide, le plutonium prend les formes suivantes au degré d’oxydation +III à +VI : Pu³⁺ , Pu⁴⁺, PuO₂⁺ , PuO₂²⁺ [1.21] sans présumer de la complexation, c’est-à-dire sous la forme trans « dioxo » pour les degrés d’oxydation +V et +VI [1.22]. Ainsi, les réactions redox entre les degrés d’oxydation +III/+IV et +V/+VI auront une cinétique plus rapide (simple échange électronique) que la réaction entre le Pu(IV) et le Pu(V) qui met en jeu la formation/rupture de liaisons oxygène .
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 : ETUDE DE LA CINETIQUE ELECTROCHIMIQUE
1.1.Introduction
1.2.Etude bibliographique
1.2.1. Le milieu acide nitrique
1.2.2. Comportement redox du plutonium en milieu acide
1.2.3. Comportement redox du couple Ce(IV)/Ce(III) en milieu acide
1.2.4. Conclusion
1.3.Résultat : cinétique électrochimique
1.3.1. Etude expérimentale électrochimique du plutonium en milieu acide nitrique
1.3.2. Etude du couple Ce(IV)/Ce(III) en milieu HNO3
1.4.Analogie Plutonium-Cerium en milieu HNO3
1.4.1. Potentiel standard apparent du couple Pu(IV)/Pu(III)
1.4.2. Potentiel standard apparent du couple Pu(VI)/Pu(V)
1.4.3. Coefficient de diffusion du Pu(IV) et du Pu(VI)
1.5.Conclusion
CHAPITRE 2 : ETUDE DE LA CORROSION
2.1.Introduction
2.2.Etude bibliographique
2.2.1. Généralités
2.2.2. Comportement de l’acier 304L en milieu acide nitrique
2.2.3. Comportement de l’acier 304L en milieu HNO3 en présence de Pu(VI)
2.2.4. Comportement de l’acier 304L en milieu HNO3 en présence de Ce(IV)
2.2.5. Corrosion intergranulaire
2.3.Comportement en corrosion de l’acier 304L en milieu acide nitrique 4 mol/L pour différentes températures
2.3.1. Etude expérimentale préliminaire en milieu acide nitrique 4 mol/L
2.3.2. En présence de Ce(IV)
2.3.3. En présence de Pu(VI)
2.4.Mécanisme de dissolution de la couche d’oxydes de l’acier 304L en milieu HNO3 en présence ou non d’espèces oxydantes (Ce(IV) et V(V))
2.4.1. Analyse de la couche d’oxydes formée par l’acier 304L dans différentes conditions d’immersion
2.4.2. Contribution à la compréhension du mécanisme de dissolution
2.4.3. Proposition d’un nouveau mécanisme de dissolution de la couche d’oxydes de l’acier 304L en milieu acide nitrique
CONCLUSION GENERALE