Influence des facteurs du milieu sur la reproduction des poissons
La température
Dans les zones tempérées où les variations de la photopériode et de la température sont très importantes, les poissons ne se reproduisent dans la plupart des cas qu’une seule fois et pendant une période très limitée de l’année. Dans les régions équatoriales et tropicales où ces variations sont moins importantes, la température constitue malgré tout un facteur limitant pour la reproduction. Dans ces régions la reproduction est souvent plus étalée et peut même être continue durant toute l’année avec une phase de repos et d’activité sexuelle. Les tilapias (au sens large) sont généralement inactifs quand la température est inférieure à 16°C. La reproduction ne s’effectue qu’à une température supérieure à 22°C. Cette adaptation à des régimes de températures élevées, limite leur répartition dans les régions tropicales et équatoriales (Chervinski, 1982).
Les tilapias regroupant les genres tilapia, Oreochromis et Sarotherodon, ont une saison de reproduction prolongée tant que la température du milieu est optimale (22°C) pour la reproduction. Pendant les périodes de basses températures (inférieure à 22°C), la spermatogenèse est retardée mais tous les stades de développements sont observés dans le testicule. Chez la femelle, la vitéllogenèse exogène est complètement inhibée par les basses températures avec une disparition totale du vitellus ovocytaire (Jalabert et Zohar, 1982). Dans les milieux de température favorable (lacs et étangs équatoriaux), Oreochromis niloticus effectue une reproduction pendant toute l’année avec un nombre d’individus reproducteurs légèrement plus élevé pendant la saison humide (Lowe McConnell, 1958).
Sarotherodon melanotheron a besoin d’une température d’environ 23°C pour une survie des juvéniles (Schreitmuller in Trewavas, 1983). Finucane et Rinckey (1964) rapportent un minimum de température de 25°c pour que la reproduction s’effectue. En conditions expérimentales, Shafland et Pestrak (1982) déterminent une température létale inférieure de 10,3°C. Jennings et Williams (1992) relatent une perte initiale d’équilibre à une température de 10,7°C, avec une température létale inférieure de 6,9°C en conditions expérimentales. Il a été également rapporté l’existence d’individus sauvages supportant des températures de 9,6 et 8,9°C en Floride (Springer et Finucane, 1963). Snodgrass (1991) dénote plusieurs mortalités dans les eaux superficielles d’hiver en Floride quand la température de l’air chute jusqu’à 0°C.
La pluviométrie
La pluviométrie est un paramètre environnemental qui peut être très déterminant sur le contrôle de la reproduction chez les poissons tropicaux. L’insuffisance de la pluviométrie entraîne la faible inondation des zones de frayères et réduit ainsi le succès de la reproduction chez certaines espèces de poisson. La diminution de la pluviométrie peut entraîner la réduction des débits entrant dans le delta des cours d’eau et les plaines inondées et la durée de submersion s’amenuisent. Ceci entraîne un appauvrissement des formations végétales saisonnièrement inondées, une diminution des surfaces en eau, des zones de protection et de la nourriture, offertes aux poissons, ce qui se traduit rapidement par une moins bonne reproduction, des croissances moins rapides, des mortalités naturelles plus fortes et finalement un recrutement de moindre qualité.
En zone tropicale la majorité des espèces de poissons qui se reproduisent dans les cours d’eau temporaires ajustent leur période de reproduction pendant les périodes d’inondation. Ce type de stratégie de reproduction en environnement contraignant favorise le synchronisme entre la reproduction et la période pendant laquelle les conditions environnementales sont optimales (Paugy, 2002). Dupochelle (1999) a montré que le cycle des pluies était positivement corrélé au cycle de reproduction chez Oreochromis niloticus dans les barrages de Côte d’Ivoire.
La photopériode
Aronson (1949) avait pressenti sans démonstration, le rôle déterminant de la photopériode sur le rythme des pontes chez Tilapia macrocephala. Howell et al (2002) ont montré que le démarrage de la spermatogenèse n’est pas affecté par l’exposition des géniteurs dans un régime de photopériode accélérée chez le « Black see bass ». Cependant ces auteurs signalent que la maturation folliculaire et la ponte chez les femelles sont avancées de deux mois environ quand les géniteurs sont exposés dans un régime de photopériode accélérée. CamposMendoza et al (2004) ont montré en expérimentation que l’augmentation de la photopériode peut améliorer quelques traits reproducteurs importants (augmentation de la fécondité, synchronisation de la reproduction etc.) chez Oreochromis niloticus. Biswas et al (2005) ont également signalé que le rôle de la photopériode est crucial pour le contrôle de la reproduction chez Oreochromis niloticus en milieu contrôlé. Ils montrent que la manipulation de la photopériode peut permettre d’arrêter ou de stimuler la ponte chez cette espèce.
La salinité
Les tilapias se caractérisent généralement par une large tolérance à la salinité, cependant cette capacité d’adaptation aux eaux saumâtres ou marines est modulée par les facteurs environnementaux (Prunet et Bornancin, 1989). L’aptitude des tilapias à développer certains mécanismes physiologiques leur permet ainsi de survivre après transfert d’eau douce en eau de mer ou en eau saumâtre. Bien que les tilapias soient des poissons euryhalins qui tolèrent une large gamme de salinité, une telle aptitude varie suivant les espèces (Prunet et Bornancin, 1989). L’adaptation à la sécheresse peut être modulée par de nombreux facteurs environnementaux ou endogènes. Dans une étude sur l’ontogenèse de la tolérance à la salinité, Watanabe et al. (1985a) mettent en évidence une relation étroite avec la taille du poisson chez Oreochromis niloticus. Les animaux les plus gros s’adaptent mieux aux salinités élevées. Dans une autre étude les mêmes auteurs montrent aussi que la tolérance à la salinité peut être augmentée par une exposition précoce du poisson à la salinité (pendant la période de ponte ou d’éclosion) : ils ont ainsi observé que la meilleure résistance à la salinité est obtenue après une exposition aussi précoce que possible aux salinités élevées (Watanabe et al., 1985b). L’alimentation est aussi susceptible de modifier l’adaptabilité à l’eau de mer : un aliment enrichi en sels augmente le taux de survie de plusieurs espèces d’Oreochromis après transfert en milieu hyperosmotique (Al Amoudi, 1987). Finalement, des facteurs tels que la température, l’oxygène dissous ou l’ammoniac modulent aussi l’adaptation à la salinité (Whitfield et Blaber, 1976), mais l’impact exact de tels facteurs sur les capacités hypo osmorégulatrice du poisson restent à clarifier. Il serait aussi intéressant d’étudier l’importance de la préacclimatation à des eaux douces de qualités différentes pour l’adaptation à l’eau salée des tilapias.
Il est supposé que les tilapias proviennent d’ancêtres marins et que leur pénétration en eau douce s’est effectuée secondairement. Ceci semble expliquer le caractère euryhalin de certaines espèces (Chervinski, 1982). Sarotherodon mossambicus est euryhalin et capable de croître et de se reproduire en eau douce, saumâtre et salée (Chervinski, 1982). Hora et Pillay (1962) trouvent que la reproduction peut s’effectuer en eau salée avec des salinités supérieure à 35. Des observations de Popper et Lichatowich (1975) montrent dans des étangs d’eau de mer à Fiji que S. mossambicus est capable de se reproduire dans des salinités de 49. Des alevins de cette espèce ont été retrouvés en très bonnes conditions de vie dans des salinités de 69 (Potts et al., 1967). Tilapia zilli est retrouvée en reproduction au lac Quarun (Egypt) dans des salinités entre 10 et 26 (El Zarka et al., 1970a). Cette espèce est signalée également en mer rouge avec une salinité de 42,7 (Bayoumi, 1969) et à la lagune hypersalée de Bardawil avec une salinité comprise entre 41 et 45.
Sarotherodon melanotheron est principalement estuarien. Il est abondant en mangrove mais il colonise aussi les eaux douces et salées (Trewavas, 1983). Cette espèce peut tolérer des eaux de salinité très élevée (Dial et Wainright, 1983; Jennings et Williams 1992). Jennings et Williams (1992) rapportent que S melanotheron peut se reproduire à des salinités supérieures à 35 et survivent à une brève exposition dans de l’eau hypersalée avec une salinité supérieure à 100 en conditions expérimentales. Cependant, ces auteurs rapportent que S melanotheron dans le système lagunaire d’Indian River en Floride (USA) se reproduit le plus souvent à des salinités de 0 à 10. Albaret (1987) rapporte que S. melanotheron est capable de vivre et de se reproduire dans des salinités supérieures à 90. S. melanotheron est aussi capable d’habiter les eaux de faible salinité. Shaw et Aronson (1951) observent des reproductions réussies en eau douce en aquarium. Snodgrass (1991) suggère que S. melanotheron a rapidement envahi les eaux douces autour du système lagunaire d’Idian River en Floride (USA). La grande capacité de tolérance de certains tilapia à la salinité est attribuée par Morgan et al (1972) à leur habitat estuarien naturel et leur faible présence en rivière. Cependant beaucoup d’autres espèces estuariennes ne possèdent pas cette euryhalinité.
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Table des matières
Introduction
I- Généralités
II- La Reproduction
II-2 Rôle des facteurs du milieu et du stress sur la reproduction des poissons et stratégies adaptatives
II-2-1- Influence des facteurs du milieu sur la reproduction des poissons
II-2-1-1- La température
II-2-1-2- La pluviométrie
II-2-1-3- La photopériode
II-2-1-4- La salinité
II-2-2 Rôle des facteurs sociaux sur la reproduction
II-2-3 Impact du facteur de stress sur la reproduction des poissons
II-2-3-1 Sur la taille à la maturité sexuelle
II-2-3-2 Sur la fécondité et la qualité des gamètes
II-2-3-3 Sur la période de ponte
II-2-4 Stratégies adoptées pour faire face au stress
III- Matériels et méthodes
III- 1 Matériels
III-1 1 Présentation des écosystèmes d’étude
III-1-1 1 Le lac de Guiers
III-1-1-2 La baie de Hann
III-1-1-3 L’estuaire de la Gambie
III-1-1-4 La partie amont de l’estuaire inverse du Sine Saloum
III-1-2 Présentation de la sous-espèce étudiée (figure 2)
III-2 Méthodes
III-2-1 Méthode d’étude de la reproduction en milieux naturels
III-2-1 1 Stratégie d’échantillonnage
III-2-1-1 1 Période d’échantillonnage
III-2-1-1-2 Pêche d’échantillonnage
III-2-1-2 Traitement des échantillons récoltés
III-2-1-2-1 Etude des modalités de la reproduction
III-2-1-2-1-1 Détermination du poids et de la longueur des poissons
III-2-1-2-1-2 Détermination du stade de maturité sexuelle
Chez les femelles
Chez les mâles
III-2-1-2-1-3 Détermination de la taille à la maturité sexuelle
III-2-1-2-1-4 Détermination du rapport gonado-somatique et de la proportion des stades sexuels matures
III-2-1-2-1-5 Détermination de la fécondité, de la taille (poids et diamètre) et de la densité des oeufs
III-2-1-2-2 Etude histologique des gonades femelles
III-2-1-2-2-1 Traitement des gonades fixées
III-2-1-2-2-2 Ramollissement des pièces dures
III-2-1-2-3 Détermination du coefficient de condition moyen de poissons échantillonnés
III-2-1-3 Données environnementales collectées dans les différents écosystèmes d’étude
III-2-2 Etude expérimentale du rôle de la salinité sur la fonction de reproduction
III-2-2-1 Origine des poissons utilisés dans l’expérimentation
III-2-2 2 Structures expérimentales et conditions d’élevage
III-2-2-3 Paramètres physico-chimiques de l’eau des auges d’élevage
III-2-2-4 Contrôle des poissons, récolte et traitement des oeufs incubés
III-2-2-4-1 Contrôle des poissons et récolte des œufs incubés
III-2-2-4-2 Traitement des œufs récoltés
III-2-2-4-3 Techniques de conservation des œufs
III-2-2-4-4 Détermination du stade de développement des œufs fécondés
III-2-3 Analyses statistiques
IV- Résultats
Chapitre I : Etude Histologiques des Gonades femelles
IV-1 Description des stades sexuels femelles (figure 8 et 9)
IV-1-1 Le stade 1 : immaturité sexuelle
IV-1-2 Le stade 2 : Repos sexuel
IV-1-3 Le stade 3 : Vitellogénèse avancée
IV-1-4 Le stade 4 : stade préponte
IV-1-5 Le Stade 5 : stade de ponte
IV-1-6 Le stade 6-2 : stade post ponte jeune
IV-1-7 Le stade 6-3 : stade post ponte avancé
Chapitre II : Tailles à la maturité sexuelle et coefficient de condition moyen dans les différents écosystèmes d’étude
Introduction
IV-2 Tailles à la maturité sexuelle (figures 10 à 13)
IV-2-1 La taille à la première maturité sexuelle (L50)
IV-2-2 La taille à laquelle 95% des individus sont matures (L95)
IV-3 Le coefficient de condition moyen (KV)
Chapitre III : Cycle de reproduction de Sarotherodon melanotheron heudelotii
Introduction
IV-5 Cycle de Reproduction
IV-6 Rôle des variables environnementales sur l’évolution du cycle de reproduction chez la femelle de Sarotherodon melanotheron heudelotii dans les différents écosystèmes
Chapitre IV : Fécondité et taille des œufs chez Sarotherodon melanotheron heudelotii (Duméril, 1859): relation avec les variables environnementales
Conclusion