Par : Jérémy Rollin
État de l’art : Paléoentomologie et archéoentomologie
La paléoentomologie quaternaire est une discipline qui est née il y’a plus d’une cinquantaine d’années en Angleterre (Ponel et Yvinec, 1997, Buckland et Coppe, 1991). Elle permet de recueillir des informations riches et variées tant sur les contextes archéologiques que paléoenvironnemtaux en se basant sur les mêmes principes qu’en palynologie ou en anthracologie (Bourquin-mignot et al, 1999). On pose tout d’abord le postulat d’actualisme qui semble se vérifier si l’on se limite aux cent derniers millénaires (Elias, 1994). Ce postulat considère que les insectes n’ont pas changé depuis le début du Quaternaire et se base sur la grande diversité spécifique et taxonomique des insectes ainsi que sur leurs exigences écologiques (bioindicateurs). Dans cette perspective, certains insectes peuvent avoir des réponses indicatrices de l’environnement et des pressions subies (climatiques ou anthropiques). Toutefois, et tout comme en archéozoologie, une restriction s’impose au niveau de la conservation différentielle liée aux agents d’accumulation, la taphonomie et les méthodes de collecte. En général, les insectes dont la chitine est plus résistante présenteront une tendance à la surreprésentation dans les assemblages subfossiles (Lyman, 1994 ; Pécréaux, 2008 ; Pécréaux, 2007). Ainsi, l’ordre des Coleoptera domine les assemblages archéologiques, car ces derniers se caractérisent par un exosquelette chitineux souvent très épais qui permet une bonne conservation (Pécréaux, 2007). Toutefois, les Hétéroptères (punaises), Hyménoptères (abeilles, guêpes, fourmis), pupe de Diptères (mouches), Dermaptères (perce-oreilles), Siphonaptères (puces), larves de Trichoptères (phryganes) peuvent aussi être conservés (Ponel et Yvinec, 1997 ; Elias 1994).
En archéologie, cette discipline est habituellement utilisée dans l’étude de dépôts d’origines anthropogéniques afin de témoigner des paléoenvironnements et des activités humaines à travers les âges (Fig 1). Toutefois, elle sera ici mise à profit pour l’étude de dépôts d’origines non anthropiques et subactuelles, dans un contexte de reconstitutions paléoenvironnementale et paléoclimatique et permettra aussi d’identifier le potentiel de cette démarche pour des périodes plus anciennes. La même démarche est actuellement utilisée sur les contenus stomacaux ou fèces de différents prédateurs afin de répondre à des problématiques écologiques (Chapelin Viscardi et al., 2012). Cette confrontation des données sera d’autant plus justifiée que les informations rejoindront celles du pollen et des isotopes.
Objectifs des études archéoentomologiques : Rappels généraux
À l’instar des études archéozoologiques concentrées sur les vertébrés, l’étude des insectes peut offrir de nombreuses informations sur les modes de vie de l’homme à travers le temps. La principale différence avec les études paléoenvironnementales va concerner la constitution de l’assemblage (Pécréaux, 2008). Le nombre de taxons sera souvent limité à quelques espèces synanthropes et leurs prédateurs attirés par les ressources alimentaires, les conditions d’obscurité et d’humidité. Les insectes permettront alors d’expliquer la nature des rejets dans les dépotoirs, les activités pratiquées à proximité, la nature des constructions (bois mis en évidence avec l’abondance de vrillette Anobium punctatum par P.Ponel (Ponel, 1997) sur le site de Châlain) ou l’utilisation d’un bâtiment de stockage (habitation, stabulation…).
Les pratiques agricoles et celles qui y sont liées peuvent parfois être mises en évidence par la présence d’insectes spécifiques (Yvinec, 1997). La présence de Bruche sur le site du lac du Bourget (Pécreaux, 2008), laisse penser que la zone d’où provient l’échantillon était un stockage de Fabaceae (Fèves, Pois…), celle de Demerstidae trahit la présence de viande séchée. De même, la présence de Sitophilus granarius, un Curculionidae aptère, permet de prouver la présence d’un stockage de céréales et de faire le point entre les échanges commerciaux céréaliers (Rollin, 2016).
Une autre branche de l’archéoentomologie est étroitement liée à l’entomologie médicolégale et concerne les restes d’insectes des tombeaux, momies, etc… Elle permet de mettre en avant des informations (les pratiques funéraires, les traditions d’inhumation, les délais avant l’enterrement) en déduisant les différents cortèges d’insectes identifiés dans les sépultures (Huchet, 1994 ; Huchet et Gallis, 1996). Plus rarement, des éléments entomologiques trahissent la présence d’ectoparasite ou encore de malfaçon (ou placébo ?) dans les préparations médicamenteuses. Ainsi, des fragments d’élytres de la cantharide, Lytta vesicatoria L. (Coleoptera Meloidae), ont été découverts lors de fouilles sous-marines dans les ruines d’un voilier hollandais de la campagne des Indes, coulé près de Folkestone il y a plus de deux siècles. Ces fragments de cantharides proviennent très probablement d’une préparation « aphrodisiaque » basée sur les propriétés vésicantes de la cantharidine, un alcaloïde très puissant. Toutefois, le fabricant avait aussi introduit une simple cétoine dorée (Cetonia aurata), de la même couleur, plus grosse et inoffensive, probablement pour vendre en plus grosse quantité ou pour protéger les acheteurs des lésions du système digestif que peut provoquer la cantharidine (Moret, 1998).
La paléoentomologie environnementale : Définition et généralité
En paléoentomologie Quaternaire, on admet généralement que les domaines de tolérance thermique et des espèces retrouvées correspondent à ce qu’ils étaient au moment du dépôt, ce qui est d’autant plus vérifiable dans le cas de cette étude, avec des dépôts de guanos récents âgés de 1988 à 2012. De plus, la composante géographique de certaines espèces semble contrôlée par la composante du climat, alors que l’aridité ne semble pas un facteur limitant. En fonction des études et des résultats, un MCR (Mutual Climatic Range mis en place par Atkinson et al. 1986 ; Atkinson et al. 1987) peut être proposé. L’utilisation de bio-indicateurs chez les insectes s’avère efficace pour détecter de manière pertinente les perturbations des équilibres écologiques dues aux changements climatiques, environnementaux ou anthropiques. Nous pouvons distinguer quatre groupes de bio-indicateurs répartis en fonction des perturbations et de la nature de l‘information fournie :
Les indicateurs environnementaux:
Dans ce groupe sont inclus les insectes inféodés à des niches écologiques étroites reposant soit sur des conditions physico-chimiques (température, humidité, obscurité, oxygénation indiquée par la présence de Dystiscidae, Gyrinidae) soit sur la disponibilité d’une ressource alimentaire (Une place de choix est donnée aux phytophages à cause de leur lien étroit avec leurs plantes-hôtes : Curculionidae, Chrysomelidae, Scolytidae), ou encore sur le degré d’ouverture d’un milieu (Coope, 1986). Par exemple, les Coléoptères Caraboidea sont sensibles aux perturbations environnementales et représentent des indicateurs pertinents de l‘influence des changements climatiques sur le fonctionnement des écosystèmes et sur l’ouverture du milieu (Koivula, 2011). Il est aussi possible de dégager une reconstitution du couvert végétal et de son état, car certaines espèces ne se développent que dans le bois mort, et les écorces déhiscentes.
Les indicateurs de biodiversité:
Cette catégorie inclura les espèces ou groupes d‘espèces d’insectes dont la présence, la pullulation ou la diversité permettent d‘évaluer la diversité de l’assemblage (Anso, 2016).
Les indicateurs écologiques
Ce groupe inclura toutes les espèces ou groupes d‘espèces d’insectes qui se corrèlent à des perturbations écologiques précises (l‘introduction d‘espèces envahissantes, notamment les fourmis, qui peuvent donner des informations sur le degré d’anthropisation, l’état du paysage) ou le changement de conditions climatiques délimitées dans le temps et dans l‘espace) avec des liens de cause à effet (Niemi et McDonald, 2004; Bouyer et al., 2007; Gerlach et al., 2013).
Les indicateurs trophiques:
Dans ce groupe seront pris en compte les insectes qui remplissent un certain nombre de rôles dans les écosystèmes, notamment la décomposition, la prédation, la formation des sols ou encore la pollinisation. Dans le cas où les pollinisateurs pourraient être identifiés à l’espèce, ils pourraient être porteurs d’informations dans notre étude. Ces insectes forment un vecteur intermédiaire entre les prédateurs (formant le guano étudié) et les plantes en floraison, ce qui infère deux niveaux de choix, la sélection des insectes par les prédateurs et la sélection des fleurs par les insectes. Pour ce travail, il est à noter que les insectes diurnes, donc capturés par les salanganes, vont butiner directement dans les fleurs. À l’inverse les insectes nocturnes sont essentiellement nectarivores et tout comme leurs prédateurs, ils piègent sur leur corps les particules aériennes, dont du pollen, bien qu’ils ne s’en nourrissent pas (Wirrman et al., 2017). Cependant, Maher (2006) a montré que le guano de chiroptère constitue une bonne représentation du contenu pollinique de l’air dans lequel les insectes et les chiroptères évoluent (Wirrman et al., 2017). S’il s’avère possible de reconstituer ces liens entre prédateurs, insectes, périodes de floraison et milieu, il est potentiellement possible d’obtenir des informations climatique et environnementale à l’échelle saisonnière.
D’ordinaire, la principale difficulté des études paléoentomologiques et archéoentomologiques demeure la détermination des fragments d’insectes. Leurs identifications nécessitent une bonne connaissance taxonomique et une comparaison morphologique à partir d’une collection référence. L’analyse des fèces de prédateurs naturels devrait permettre un échantillonnage représentatif de l’entomofaune présente, car les prédateurs sont présents en continuité sur les sites. Ces analyses peuvent apporter des informations comportementales ou sur les sites d’alimentation préférentiels permettant ainsi la protection de sites sensibles. Cependant, les analyses pourraient permettre de déceler des spécimens non répertoriés ou peu documentés sur leurs écologies, car difficilement observables du fait de leur faible densité, de leurs localisations très spécialisées et/ou de leur comportement particulier. Cela pourrait représenter une difficulté supplémentaire. La présence de mastication chez les Chiroptères et d’un jabot chez les salanganes est une entrave complémentaire. En effet, elles participent à la fragmentation des résidus avant la digestion et l’excrétion.
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : Cadre de l’étude
1. État de l’art : Paléoentomologie et archéoentomologie
1.1 Objectifs des études archéoentomologiques : Rappels généraux.
1.2 La paléoentomologie environnementale : Définition et généralité
2. Généralités, Géologie et Géomorphologie de la Nouvelle-Calédonie
3. Le climat et ses fluctuations en Nouvelle-Calédonie
3.1 Année neutre (sans le Mode ENSO)
3.2 Année touchée par le Mode ENSO
3.2.1 El Niño
3.2.2 La Niña
4. Biodiversité de la Nouvelle-Calédonie
4.1 La flore et les principales formations végétales
4.2 L’entomofaune
5. Écologie des prédateurs et du guano
5.1 Salanganes diurnes
5.2 Les chiroptères nocturnes
5.3 Le guano : un écosystème à part entière
6. État de l’art: prélèvement et analyses multiproxies (Projet Guacamolé et CAID)
6.1 Chronologie du sondage
6.2 Données palynologiques
6.3 Données isotopiques
Partie 2 : Matériels et méthodes.
1. Provenance du matériel et stratégies d’analyses
2. Traitement et extraction de la fraction entomologique
3. Détermination des restes d’insectes
3.1 Systématique et taxonomie
3.1.1 Méthode de détermination
3.1.2 Quantification de la fraction entomologique
3.2 Infrarouge
3.2.1 Choix de la méthode
3.2.2 Équipements et paramètres
3.2.3 Matériel à analyser et préparation
3.2.4 Traitement statistique des données infrarouges
3.3 Analyses moléculaires
3.3.1 Test du pH pour analyse ADN
3.3.2 Choix du marqueur moléculaire et recherche d’amorces
3.3.3 Protocole d’extraction
3.3.4 Quantification d’ADN total
3.3.5 Profil de dégradation
3.3.6 Amplification PCR
3.3.7 Purification ADN
3.3.8 Séquençage d’ADN par NGS
Partie 3 : Résultats
1. Analyse granulométrique
2. Taxonomie
2.1 Taxons en présence
2.2 Spectres taxonomiques globaux
2.2.1 HAK1 1-2
2.2.2 HAK1 12-13
2.2.3 HAK1 22-23
2.2.4 HAK1 32-33
2.2.5 HAK1 42-43
2.2.6 HAK1 51-52
2.2.7 HAK1 62-63
2.2.8 HAK1 71-72
2.2.9 HAK1 82-83
2.2.10 HAK1 91-92
2.3 Traitement des données
2.3.1 Traitements statistiques sur les assemblages entomologiques
2.3.1.1 Hymenoptera
2.3.1.1.1 Formicidae
2.3.1.1.2 Chalcidoidae
2.3.1.2 Coleoptera
2.3.2 Comparaison avec l’ensemble des proxies environnementaux
2.3.2.1 Statistiques multivariées sur l’ensemble des données
2.3.2.2 Synthèse de l’information biologique
2.3.2.3 Matrice de données paléoenvironnementales : comparaison des proxies
3. Données de spectroscopie infrarouge (SWIR)
4. Résultats des analyses moléculaires.
Partie 4 : Interprétations et discussions
1. Influence des évènements naturels et anthropiques sur les cortèges d’insectes
1.1 Réponses des insectes aux phases du Mode ENSO
1.2 Réponses des insectes face aux périodes de floraison et aux changements anthropiques
2. Des restes d’insectes dans le guano fossile ? Potentiel de la paléoentomologie en contexte karstique tropical au Quaternaire. Exemple de la grotte Tabon (Palawan, Philippines)
Conclusion
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